Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur la proposition de loi sur le contrôle de l'utilisation des aides publiques à l'emploi, à l'Assemblée nationale le 18 janvier 2000.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les députés,
Le 8 septembre dernier, le groupe Michelin annonçait la suppression de 7500 emplois sur trois ans, en même temps qu'une progression de 17% de son résultat net. Si les salariés et leurs familles furent frappés de stupeur par la terrible nouvelle les actionnaires, eux, s'en réjouirent bruyamment : le titre Michelin s'envolait - en hausse de 11% - dès l'ouverture de la séance du lendemain à la bourse de Paris.
La presse révélait peu après que Michelin avait perçu depuis 1983 - comble du cynisme - dix milliards d'aides publiques à l'emploi.
Nous le savons, les exemples de ce genre ont abondé ces dernières années. Des millions de Français en sont profondément choqués et s'interrogent.
La proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui au nom du groupe communiste et apparenté ne vise donc nullement, comme on a pu l'entendre, à exercer sur les entreprises une tutelle tatillonne, et paralysante.
Elle participe d'une vaste ambition qui propose que l'action pour faire reculer le chômage et pour la création d'emplois devienne une priorité nationale. Cela exige l'engagement de grandes réformes de structures, en matière de fiscalité et de crédit notamment, afin de rompre avec la logique capitaliste qui fait des effectifs salariés et des rémunérations des coûts à réduire absolument.
C'est pourquoi les communistes agissent, ici et dans tout le pays - la grande manifestation nationale du 16 octobre dernier l'a montré - en faveur d'une autre orientation de l'argent. Non pas vers la recherche de la rentabilité maximum sur les marchés financiers, mais vers l'innovation technologique au service des hommes, l'investissement utile, la création de richesses réelles, le développement de l'emploi, l'essor des qualifications.
Et nous voulons que les aides publiques - toutes les aides : nationales, régionales et locales, européennes - concourent efficacement à cette priorité nationale.
C'est loin d'être le cas aujourd'hui. Des centaines de milliards ont été consentis ces dernières années aux entreprises, au nom du maintien ou du développement de l'emploi. Pour quels résultats ? Les plans de licenciement se sont succédés à un rythme élevé ; la précarité a explosé ; le chômage n'a cessé de croître.
Le rapport de mon ami Daniel Paul, mettait en évidence l'opacité et le cloisonnement du système actuel, et son inefficacité au service de la création d'emplois.
Une enquête détaillée, publiée en juin dernier par un journal économique, confirmait ce propos, dénonçait " la folle machine à distribuer les aides aux entreprises " et indiquait que le montant du " pactole " s'élevait à .170 milliards de francs pour la seule année 1998.
On le sait, les parlementaires communistes n'ont jamais ménagé leurs critiques à l'égard d'un système dont il est fait un si mauvais usage. Mais pas seulement, : notre préoccupation est aussi de faire en sorte qu'il soit réellement tourné vers l'aide au développement de l'emploi. C'est ainsi, chacun s'en souvient, que nous avons amendé la seconde loi sur les 35 heures, pour y introduire le principe d'une conditionnalité des aides publiques à la création d'emplois.
De la même façon ce que nous voulons avec la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui, c'est permettre une réelle efficacité économique et sociale et aussi le respect des exigences de transparence - donc de démocratie - de morale qu'en attendent légitiment les citoyennes et les citoyens.
Exigence morale, en effet, car on ne peut accepter qu'une poignée de personnes - en la circonstance quelques dirigeants d'entreprises - fassent comme bon leur semble usage de l'argent de la nation, c'est-à-dire celui des contribuables.
Exigence de transparence, également, car le maquis actuel des aides publiques en rend presque impossible leur lisibilité. Je n'ignore pas que quelques instances s'efforcent de la rendre meilleure, et esquissent parfois des opérations de contrôle. Mais nous sommes très loin du compte.
Cette situation est d'autre part préjudiciable à un très grand nombre d'entreprises, les PME et PMI tout particulièrement. Tout indique, le rapport de Daniel Paul le soulignait, qu'elles demeurent largement exclues des dispositifs actuels. Ainsi, les plus grandes entreprises perçoivent des aides, sans contrôle et sans véritable obligation de résultat, tandis que d'autres, qui pourraient en faire un usage efficace, en sont privées.
Exigence d'efficacité économique et sociale enfin, pour les raisons que je viens d'évoquer et aussi parce que les directions des grands groupes prétendent en avoir le monopole, appuyés en cela par les partisans du libéralisme économique. Les uns et les autres s'offusquent dès lors que la puissance publique mais aussi les citoyens, les salariés, les syndicats s'intéressent aux pratiques des entreprises. Ils s'insurgent contre un état jugé omniprésent, excessif, de même qu'ils plaident pour l'effacement du politique, des élus sur tout ce qui relève de la " gouvernance d'entreprise ".
En revanche, les mêmes estiment que l'Etat n'en fait jamais assez quand il s'agit de mobiliser l'argent public au profit de leur stratégie.
Dans un cas l'intervention publique est décriée ; dans l'autre elle est sollicitée de façon éhontée.
Pour notre part, nous ne sommes en rien hostiles à l'octroi de fonds publics aux entreprises. Cette forme d'intervention de l'Etat et des collectivités publiques peut parfaitement relever de leurs responsabilités. A la condition que les entreprises concernées assument également, et pleinement, leurs propres responsabilités. Ce n'est pas le cas quand rien ne les obligent vraiment à afficher clairement la destination des sommes qu'elles sollicitent ; ou quand, les ayant obtenues, elles échappent à tout contrôle de leur utilisation.
C'est ainsi que la situation actuelle pousse à une véritable " déresponsabilisation " économique et sociale d'un très grand nombre d'entreprises, tout particulièrement les plus grandes d'entre elles.
Le texte qui vous est soumis - et sur lequel mon ami Jean Vila vient de rapporter - contient des dispositions susceptibles de mettre en cohérence le travail des gestionnaires d'aides et celui des représentants de l'Etat ; il a pour ambition d'assurer la transparence et l'efficacité de l'ensemble des dispositifs d'aide publiques. Outre la création d'une commission nationale, il prévoit des commissions régionales, afin d'en permettre un suivi de proximité. Elles seront ouvertes aux élus de la représentation nationale, aux élus locaux ainsi qu'à des personnalités qualifiées, des représentants des organisations représentatives des employeurs et des salariés.
Cette disposition innovante vise à progresser vers une meilleure appropriation des politiques de l'emploi par tous les acteurs qu'elles concernent. Elle est renforcée par l'article 4, qui donne aux salariés, par l'intermédiaire des comités d'entreprise ou des délégués du personnel, des droits nouveaux de regard et d'intervention sur les aides publiques, en faisant obligation à l'employeur de leur en communiquer le montant et l'utilisation.
Et ce même article envisage aussi la suspension, la suppression ou le remboursement de ces aides dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un usage conforme aux engagements de l'employeur, ou aux objectifs avancés par les salariés et leurs organisations représentatives.
Toutes ces mesures, je veux y insister, ont pour fil conducteur la mobilisation efficace, moderne, de l'argent public au service de l'emploi.
Car la modernité, aujourd'hui, passe obligatoirement par la transparence et le partage des informations ; par des possibilités effectives d'intervention des salariés, des élus dans des domaines que le libéralisme économique prétend monopoliser au profit exclusif des directions d'entreprises, des actionnaires et des marchés financiers.
Mesdames et Messieurs, chers collègues,
Je veux conclure mon propos par un appel, adressé au-delà de cet hémicycle, aux millions de salariés et de citoyens que préoccupe la persistance à un niveau élevé du chômage.
J'ai la conviction que l'adoption de ce texte par notre assemblée permettra de redonner vigueur à l'action en faveur du développement de l'activité économique, de la croissance et de l'emploi,
Et je veux ajouter ceci : cette loi est faite pour les salariés et pour les syndicats afin de favoriser leur intervention dans la définition et le respect d'objectifs audacieux en matière d'emploi et de formation. Il est naturel qu'il en soit ainsi : pour nous, pour les députés et les militants communistes, pour les représentants de la majorité plurielle, une loi et d'autant plus juste qu'elle permet d'avancer concrètement sur le chemin d'une citoyenneté renouvelée, exigeante, entendue et respectée.
La loi que je propose aujourd'hui avec mes amis du groupe communiste et apparentés est un moyen nouveau pour favoriser leur intervention, condition indispensable d'une plus grande démocratie qui reste trop souvent à la porte des entreprises.
J'ai la conviction qu'elle peut constituer un solide point d'appui pour une politique audacieuse au service de la croissance, du dynamisme économique et de l'emploi.
J'ai la conviction qu'elle répond aux attentes de millions de Françaises et de Français, dont la préoccupation quotidienne est qu'il en soit bien ainsi, à l'initiative de la majorité de gauche plurielle et du gouvernement.
(Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 28 novembre 2002)