Texte intégral
Q - La France, tout comme la Belgique, mais qui est beaucoup plus petite, mobilise l'opposition la plus forte à la participation du FPÖ au gouvernement à Vienne. À votre avis, pour quelle raison ?
R - L'opinion publique française, à gauche surtout, mais aussi à droite, a dans sa grande majorité une forte aversion contre les idées que défend le FPÖ et tout ce qu'elles sous-tendent.
Q - Quel message adressez-vous aux Autrichiennes et aux Autrichiens qui sont contre Jörg Haider mais qui se sentent visés par les sanctions à l'encontre de toute l'Autriche ?
R - Que nous ne les confondons pas avec les électeurs du FPÖ. Nous savons que plus de 70 % de l'électorat n'a pas voté pour le FPÖ. Nos réactions ne sont pas dirigées contre l'Autriche en tant que telle ou contre son peuple, mais contre la coalition gouvernementale à laquelle appartient un parti populiste extrémiste. La manifestation du week-end dernier a montré qu'il existe aussi " une autre Autriche ".
Q - Au sein même de cette autre Autriche, beaucoup parlent d'une réaction exagérée de la France : pourquoi Paris n'a-t-il pas réagi de la même manière lors de l'entrée des néofascistes dans le gouvernement italien en 1995 ? Parce que l'Italie a un poids plus important au sein de l'Union européenne ?
R - Cela n'a aucun rapport avec la taille du pays. Lorsqu'il est entré au gouvernement en Italie, le parti néofasciste, pour reprendre vos termes, avait rompu beaucoup plus clairement avec son idéologie d'origine.
Q - Votre réaction contre la participation d'un parti comme le FPÖ au gouvernement aurait-elle été aussi sévère s'il ne s'était pas agi de l'Autriche ? En d'autres termes : Faites-vous la distinction entre le " cas Haider " et le contexte de l'Autriche, c'est-à-dire son histoire ?
R - En ce qui concerne le passé de l'Autriche, je crois que le travail de mémoire nationale reste une nécessité. Sinon, pourquoi le président fédéral Klestil aurait-il exigé et obtenu des deux partis au gouvernement qu'ils apposent leur signature sur un document très important, qui souligne la nécessité " d'une réflexion critique sur le passé nazi ".
Q - La réaction à Paris n'a-t-elle pas également été plus virulente pour des considérations de politique intérieure - avant tout la cohabitation entre le chef de l'Etat, M. Chirac, et le Premier ministre, M. Jospin ?
R - Je conteste cette analyse. Les élections générales auront lieu dans plus de deux ans. Et le président de la République comme le Premier ministre se sont déterminés en conscience et ont constaté d'emblée qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes. Cela n'a rien à voir avec la politique intérieure.
Q - A Vienne, on a l'impression que les grands Etats de l'Union européenne fixent la marche à suivre, donc des pays comme l'Allemagne ou la France, où la gauche est actuellement au pouvoir - et parmi elle des partis qui n'ont jamais abjuré vraiment leur stalinisme.
R - Cette analyse n'est pas juste non plus et je ne voudrais pas que l'opinion publique autrichienne se méprenne à ce sujet. Les " grands " de l'Union européenne sont loin de faire constamment prévaloir leurs vues. Ainsi, la France, l'Allemagne ou l'Angleterre doivent constamment accepter des compromis sur toutes les questions. Dans le système de l'Union européenne, un grand Etat peut moins imposer ses vues qu'ailleurs. On ne s'étonnera pas que douze gouvernements sociaux-démocrates sur quinze de l'Union européenne fassent preuve d'une vigilance particulière à l'égard de l'extrémisme de droite. Mais c'est aussi le cas du gouvernement conservateur espagnol.
Q - Et le passé du partenaire communiste de gouvernement en France ?
R - Cela n'a aucun rapport.
Q - Une Union européenne qui, dans le cas de l'Autriche, a une démarche " politique " claire ne devrait-elle pas condamner avec plus de vigueur l'action russe en Tchétchénie ?
R - Au sein de l'Union européenne, les relations ne sont pas les mêmes qu'entre Etats en général. Lorsque l'on adhère à la Communauté européenne, on contracte des obligations en ce qui concerne la démocratie, les droits de l'homme ou la protection des minorités. Les membres y sont très attentifs, car la souveraineté est en partie exercée conjointement. La Russie ne se trouve pas dans cette situation par rapport à nous. Mais cela ne justifierait en rien le silence sur la Tchétchénie. Aucun Etat de l'Union européenne ne s'est exprimé aussi clairement que la France sur les souffrances atroces endurées par les populations civiles, sur les horreurs qui pourraient avoir été commises pendant et après la prise de Grozny, sur la nécessité d'une solution politique.
Q - N'est-il pas à craindre que les réactions étrangères ne donnent un essor encore plus grand à un parti comme le FPÖ ?
R - Je ne vois rien qui puisse étayer cette thèse au contraire. Ce parti profiterait sûrement plutôt d'une absence de réaction. Il pourrait alors prétendre que l'Europe juge normale sa participation au gouvernement. Je pense que maintenant, de nombreux Autrichiens, même parmi les électeurs du FPÖ, prennent conscience de la situation déplorable dans laquelle la constitution de cette coalition a placé leur pays, comme je m'en inquiétais dès le 10 octobre. J'espère que les réactions européennes leur ouvriront les yeux.
Q - Ne craignez-vous donc pas non plus des effets favorables aux extrémistes de droite allemands ?
R - Au contraire, si un nombre plus important d'électeurs allemands devaient être tentés par l'extrême-droite, la réaction des quatorze autres Européens les amènerait sans doute à réfléchir.
Q - Le gouvernement français a-t-il été informé, voire prévenu, par Vienne lorsque la coalition ÖVP-FPÖ a pris forme ?
R - Non, cela n'a pas été nécessaire. Il nous suffisait de lire les journaux pour se tenir au courant au jour le jour des négociations en cours à Vienne. En revanche, je puis vous dire que nous avons informé à l'avance les chefs de parti de notre désapprobation, surtout lorsque les autres possibilités de gouvernement ont paru sur le point d'échouer.
Q - A quel moment et sous quelle forme exactement ?
R - Le président Chirac avait fait savoir au nom de la France à M. Schüssel que la constitution d'une coalition avec le FPÖ déclencherait une vive réaction de la part de notre pays. Bien sûr, les mesures européennes ne pouvaient pas être connues dans le détail, avant d'être arrêtées. En tout cas, l'avertissement a été clair et exprimé à temps, dans l'espoir de convaincre les partis autrichiens impliqués de changer d'avis in extremis. Tout cela s'est passé très vite, par téléphone et sur la base de propositions françaises, belges et autres, à partir desquelles le Portugal a fixé une ligne-synthèse après avoir consulté tous les autres.
Q - En ce qui concerne les mesures annoncées : faut-il garder le même cap? Ou bien convient-il de supprimer certaines mesures et au contraire d'en ajouter d'autres ?
R - Le cap fixé par l'Union européenne est bon, c'est celui qui est incarné par l'actuel gouvernement autrichien qui n'est pas le bon. Nous avons adopté au sein de l'Union européenne une position claire, mise au point par la présidence portugaise qui a largement repris nos propositions : les relations bilatérales sont gelées et les affaires de l'Union européenne doivent suivre leur cours. La bonne marche de l'Union européenne ne doit pas être prise en otage par la situation en Autriche.
Q - Craignez-vous que l'Autriche puisse bloquer par son veto les décisions de l'Union européenne qui doivent être prises à l'unanimité ?
R - Dans la situation présente, je ne pense pas que l'Autriche le fasse, cela m'étonnerait que son gouvernement prenne ce risque. Ce qui n'empêche pas qu'au sein de l'Union européenne, des débats difficiles nous attendent, par exemple au sein de la Conférence intergouvernementale.
Q - Est-ce que la France a l'intention de modifier la ligne fixée par le Portugal quand elle accédera à la présidence le 1er juillet ?
R - Le Premier ministre a dit que nous nous réservions la possibilité de prendre des mesures supplémentaires à titre national, si nécessaire, comme d'en proposer à nos treize autres partenaires.
Q - Quelle est votre position personnelle par rapport aux ministres autrichiens ? Et à votre collègue ?
R - J'ai serré la main à la ministre des Affaires étrangères quand je l'ai croisée car ce n'est pas elle en tant que personne qui est en cause. Elle est d'ailleurs membre du parti conservateur. Il existe de multiples façons de marquer notre désapprobation à l'intérieur de la ligne générale - qui a été fixée par la présidence portugaise de l'Union européenne.
Q - Faites-vous une différence entre les ministres de l'ÖVP et ceux du FPÖ ?
R - Oui, il y a une certaine différence. Martine Aubry a voulu marquer son refus radical des idées du FPÖ en quittant une réunion informelle quand son homologue - FPÖ - a pris la parole. En revanche, Pierre Moscovici et moi-même n'avons pas quitté la salle en présence de la ministre des Affaires étrangères, membre de l'ÖVP. Mais ces nuances, ce ne sont que des nuances, s'inscrivent dans la même ligne.
Q - Selon la presse française, il y aurait des dissensions au sein du gouvernement à Paris, selon lesquelles M. Pierre Moscovici par exemple voudrait adopter une attitude plus ferme que la vôtre ?
R - Je démens ces rumeurs. Je fais partie d'un gouvernement démocratique, et il y a des discussions en son sein - mais il n'y en a pas eu en ce qui concerne ce point. Nous sommes d'accord sur la ligne à suivre, avec les nuances au cas par cas que je viens de rappeler.
Q - Peut-on également considérer comme une nuance le fait que des ministres belges participent à une manifestation contre Haider à Bruxelles mais pas de ministres français à Paris ?
R - Le Premier ministre a décidé dès le début de son gouvernement en 1997 que ses ministres ne prennent pas part à des manifestations. Cela n'a pas de rapport avec l'Autriche.
Q - Est-il juste de penser que l'Union européenne a d'abord réagi vite et durement mais qu'elle ne sait plus très bien maintenant comment continuer ?
R - Si l'Union européenne a réagi si vite c'est parce qu'elle espérait pouvoir encore prévenir la formation de l'actuel gouvernement à Vienne. Elle ne disposait pour ce faire que de peu de jours. A présent, l'Union européenne met en oeuvre la ligne qu'elle a annoncée, c'est l'Autriche qui est confrontée à la situation dans laquelle elle s'est elle-même placée.
Q - Pensez-vous souhaitable la fin prochaine de la coalition en place à Vienne ?
R - Je dis ceci : l'avenir de la situation actuelle dépend plus encore des Autrichiens eux-mêmes que des autres Européens.
Q - Le metteur en scène Luc Bondy se demande si l'Union européenne n'a pas épuisé un peu trop rapidement ses munitions. L'Union européenne pourra-t-elle continuer si, par exemple, Jörg Haider devient chancelier ?
R - Naturellement. D'une manière générale, la réaction de l'Union européenne me semble proportionnée. L'Article 7 du Traité d'Amsterdam prévoit de suspendre les droits de vote d'un Etat membre en cas de violation grave et persistante des principes fondamentaux énoncés à l'Article 6. L'Union européenne a donc encore des réserves.
Q - Les traités de l'Union européenne ne prévoient pas l'exclusion - ou le départ - d'un Etat membre. Est-ce à votre avis une lacune ?
R - Rien n'empêche de réfléchir à l'introduction, lors d'une prochaine révision des traités, d'une clause prévoyant le départ ou - en définissant des critères juridiques concrets et précis - l'exclusion d'un membre.
Q - Approuvez-vous des sanctions économiques si la situation actuelle se maintient ?
R - Non. Aucun membre de l'Union européenne n'a prévu cela. Il s'agit d'un combat politique - au sens noble du terme. Des mesures économiques ne sont pas à l'ordre du jour ; ce n'est pas ainsi qu'on réglera le problème.
Q - Et les sanctions culturelles ?
R - Au niveau bilatéral, les relations culturelles impliquant les gouvernements sont également gelées, conformément à la ligne fixée par la présidence de l'Union européenne. En revanche, je suis hostile à un boycott culturel de l'Autriche. Ce serait là une grave erreur. Nous voulons justement nous adresser aux Autrichiens, surtout à ceux qui n'ont pas voté pour le FPÖ et qui ne se reconnaissent pas dans l'actuelle coalition. Nous ne voulons pas isoler l'Autriche en tant que pays, ni frapper sa population d'anathème. Et nous tendons la main à l'autre Autriche.
Q - Etes-vous optimiste quant au règlement du conflit ?
R - Je suis optimiste pour l'Union européenne. Je fais confiance en la capacité de l'Union européenne de poursuivre son chemin et son évolution et de perfectionner l'Etat de droit. Cette grande aventure ne saurait être remise en cause par une petite minorité. Par contre, comme je le redoutais depuis octobre dernier, l'Autriche s'est elle-même placée dans une situation déplorable.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2000)
R - L'opinion publique française, à gauche surtout, mais aussi à droite, a dans sa grande majorité une forte aversion contre les idées que défend le FPÖ et tout ce qu'elles sous-tendent.
Q - Quel message adressez-vous aux Autrichiennes et aux Autrichiens qui sont contre Jörg Haider mais qui se sentent visés par les sanctions à l'encontre de toute l'Autriche ?
R - Que nous ne les confondons pas avec les électeurs du FPÖ. Nous savons que plus de 70 % de l'électorat n'a pas voté pour le FPÖ. Nos réactions ne sont pas dirigées contre l'Autriche en tant que telle ou contre son peuple, mais contre la coalition gouvernementale à laquelle appartient un parti populiste extrémiste. La manifestation du week-end dernier a montré qu'il existe aussi " une autre Autriche ".
Q - Au sein même de cette autre Autriche, beaucoup parlent d'une réaction exagérée de la France : pourquoi Paris n'a-t-il pas réagi de la même manière lors de l'entrée des néofascistes dans le gouvernement italien en 1995 ? Parce que l'Italie a un poids plus important au sein de l'Union européenne ?
R - Cela n'a aucun rapport avec la taille du pays. Lorsqu'il est entré au gouvernement en Italie, le parti néofasciste, pour reprendre vos termes, avait rompu beaucoup plus clairement avec son idéologie d'origine.
Q - Votre réaction contre la participation d'un parti comme le FPÖ au gouvernement aurait-elle été aussi sévère s'il ne s'était pas agi de l'Autriche ? En d'autres termes : Faites-vous la distinction entre le " cas Haider " et le contexte de l'Autriche, c'est-à-dire son histoire ?
R - En ce qui concerne le passé de l'Autriche, je crois que le travail de mémoire nationale reste une nécessité. Sinon, pourquoi le président fédéral Klestil aurait-il exigé et obtenu des deux partis au gouvernement qu'ils apposent leur signature sur un document très important, qui souligne la nécessité " d'une réflexion critique sur le passé nazi ".
Q - La réaction à Paris n'a-t-elle pas également été plus virulente pour des considérations de politique intérieure - avant tout la cohabitation entre le chef de l'Etat, M. Chirac, et le Premier ministre, M. Jospin ?
R - Je conteste cette analyse. Les élections générales auront lieu dans plus de deux ans. Et le président de la République comme le Premier ministre se sont déterminés en conscience et ont constaté d'emblée qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes. Cela n'a rien à voir avec la politique intérieure.
Q - A Vienne, on a l'impression que les grands Etats de l'Union européenne fixent la marche à suivre, donc des pays comme l'Allemagne ou la France, où la gauche est actuellement au pouvoir - et parmi elle des partis qui n'ont jamais abjuré vraiment leur stalinisme.
R - Cette analyse n'est pas juste non plus et je ne voudrais pas que l'opinion publique autrichienne se méprenne à ce sujet. Les " grands " de l'Union européenne sont loin de faire constamment prévaloir leurs vues. Ainsi, la France, l'Allemagne ou l'Angleterre doivent constamment accepter des compromis sur toutes les questions. Dans le système de l'Union européenne, un grand Etat peut moins imposer ses vues qu'ailleurs. On ne s'étonnera pas que douze gouvernements sociaux-démocrates sur quinze de l'Union européenne fassent preuve d'une vigilance particulière à l'égard de l'extrémisme de droite. Mais c'est aussi le cas du gouvernement conservateur espagnol.
Q - Et le passé du partenaire communiste de gouvernement en France ?
R - Cela n'a aucun rapport.
Q - Une Union européenne qui, dans le cas de l'Autriche, a une démarche " politique " claire ne devrait-elle pas condamner avec plus de vigueur l'action russe en Tchétchénie ?
R - Au sein de l'Union européenne, les relations ne sont pas les mêmes qu'entre Etats en général. Lorsque l'on adhère à la Communauté européenne, on contracte des obligations en ce qui concerne la démocratie, les droits de l'homme ou la protection des minorités. Les membres y sont très attentifs, car la souveraineté est en partie exercée conjointement. La Russie ne se trouve pas dans cette situation par rapport à nous. Mais cela ne justifierait en rien le silence sur la Tchétchénie. Aucun Etat de l'Union européenne ne s'est exprimé aussi clairement que la France sur les souffrances atroces endurées par les populations civiles, sur les horreurs qui pourraient avoir été commises pendant et après la prise de Grozny, sur la nécessité d'une solution politique.
Q - N'est-il pas à craindre que les réactions étrangères ne donnent un essor encore plus grand à un parti comme le FPÖ ?
R - Je ne vois rien qui puisse étayer cette thèse au contraire. Ce parti profiterait sûrement plutôt d'une absence de réaction. Il pourrait alors prétendre que l'Europe juge normale sa participation au gouvernement. Je pense que maintenant, de nombreux Autrichiens, même parmi les électeurs du FPÖ, prennent conscience de la situation déplorable dans laquelle la constitution de cette coalition a placé leur pays, comme je m'en inquiétais dès le 10 octobre. J'espère que les réactions européennes leur ouvriront les yeux.
Q - Ne craignez-vous donc pas non plus des effets favorables aux extrémistes de droite allemands ?
R - Au contraire, si un nombre plus important d'électeurs allemands devaient être tentés par l'extrême-droite, la réaction des quatorze autres Européens les amènerait sans doute à réfléchir.
Q - Le gouvernement français a-t-il été informé, voire prévenu, par Vienne lorsque la coalition ÖVP-FPÖ a pris forme ?
R - Non, cela n'a pas été nécessaire. Il nous suffisait de lire les journaux pour se tenir au courant au jour le jour des négociations en cours à Vienne. En revanche, je puis vous dire que nous avons informé à l'avance les chefs de parti de notre désapprobation, surtout lorsque les autres possibilités de gouvernement ont paru sur le point d'échouer.
Q - A quel moment et sous quelle forme exactement ?
R - Le président Chirac avait fait savoir au nom de la France à M. Schüssel que la constitution d'une coalition avec le FPÖ déclencherait une vive réaction de la part de notre pays. Bien sûr, les mesures européennes ne pouvaient pas être connues dans le détail, avant d'être arrêtées. En tout cas, l'avertissement a été clair et exprimé à temps, dans l'espoir de convaincre les partis autrichiens impliqués de changer d'avis in extremis. Tout cela s'est passé très vite, par téléphone et sur la base de propositions françaises, belges et autres, à partir desquelles le Portugal a fixé une ligne-synthèse après avoir consulté tous les autres.
Q - En ce qui concerne les mesures annoncées : faut-il garder le même cap? Ou bien convient-il de supprimer certaines mesures et au contraire d'en ajouter d'autres ?
R - Le cap fixé par l'Union européenne est bon, c'est celui qui est incarné par l'actuel gouvernement autrichien qui n'est pas le bon. Nous avons adopté au sein de l'Union européenne une position claire, mise au point par la présidence portugaise qui a largement repris nos propositions : les relations bilatérales sont gelées et les affaires de l'Union européenne doivent suivre leur cours. La bonne marche de l'Union européenne ne doit pas être prise en otage par la situation en Autriche.
Q - Craignez-vous que l'Autriche puisse bloquer par son veto les décisions de l'Union européenne qui doivent être prises à l'unanimité ?
R - Dans la situation présente, je ne pense pas que l'Autriche le fasse, cela m'étonnerait que son gouvernement prenne ce risque. Ce qui n'empêche pas qu'au sein de l'Union européenne, des débats difficiles nous attendent, par exemple au sein de la Conférence intergouvernementale.
Q - Est-ce que la France a l'intention de modifier la ligne fixée par le Portugal quand elle accédera à la présidence le 1er juillet ?
R - Le Premier ministre a dit que nous nous réservions la possibilité de prendre des mesures supplémentaires à titre national, si nécessaire, comme d'en proposer à nos treize autres partenaires.
Q - Quelle est votre position personnelle par rapport aux ministres autrichiens ? Et à votre collègue ?
R - J'ai serré la main à la ministre des Affaires étrangères quand je l'ai croisée car ce n'est pas elle en tant que personne qui est en cause. Elle est d'ailleurs membre du parti conservateur. Il existe de multiples façons de marquer notre désapprobation à l'intérieur de la ligne générale - qui a été fixée par la présidence portugaise de l'Union européenne.
Q - Faites-vous une différence entre les ministres de l'ÖVP et ceux du FPÖ ?
R - Oui, il y a une certaine différence. Martine Aubry a voulu marquer son refus radical des idées du FPÖ en quittant une réunion informelle quand son homologue - FPÖ - a pris la parole. En revanche, Pierre Moscovici et moi-même n'avons pas quitté la salle en présence de la ministre des Affaires étrangères, membre de l'ÖVP. Mais ces nuances, ce ne sont que des nuances, s'inscrivent dans la même ligne.
Q - Selon la presse française, il y aurait des dissensions au sein du gouvernement à Paris, selon lesquelles M. Pierre Moscovici par exemple voudrait adopter une attitude plus ferme que la vôtre ?
R - Je démens ces rumeurs. Je fais partie d'un gouvernement démocratique, et il y a des discussions en son sein - mais il n'y en a pas eu en ce qui concerne ce point. Nous sommes d'accord sur la ligne à suivre, avec les nuances au cas par cas que je viens de rappeler.
Q - Peut-on également considérer comme une nuance le fait que des ministres belges participent à une manifestation contre Haider à Bruxelles mais pas de ministres français à Paris ?
R - Le Premier ministre a décidé dès le début de son gouvernement en 1997 que ses ministres ne prennent pas part à des manifestations. Cela n'a pas de rapport avec l'Autriche.
Q - Est-il juste de penser que l'Union européenne a d'abord réagi vite et durement mais qu'elle ne sait plus très bien maintenant comment continuer ?
R - Si l'Union européenne a réagi si vite c'est parce qu'elle espérait pouvoir encore prévenir la formation de l'actuel gouvernement à Vienne. Elle ne disposait pour ce faire que de peu de jours. A présent, l'Union européenne met en oeuvre la ligne qu'elle a annoncée, c'est l'Autriche qui est confrontée à la situation dans laquelle elle s'est elle-même placée.
Q - Pensez-vous souhaitable la fin prochaine de la coalition en place à Vienne ?
R - Je dis ceci : l'avenir de la situation actuelle dépend plus encore des Autrichiens eux-mêmes que des autres Européens.
Q - Le metteur en scène Luc Bondy se demande si l'Union européenne n'a pas épuisé un peu trop rapidement ses munitions. L'Union européenne pourra-t-elle continuer si, par exemple, Jörg Haider devient chancelier ?
R - Naturellement. D'une manière générale, la réaction de l'Union européenne me semble proportionnée. L'Article 7 du Traité d'Amsterdam prévoit de suspendre les droits de vote d'un Etat membre en cas de violation grave et persistante des principes fondamentaux énoncés à l'Article 6. L'Union européenne a donc encore des réserves.
Q - Les traités de l'Union européenne ne prévoient pas l'exclusion - ou le départ - d'un Etat membre. Est-ce à votre avis une lacune ?
R - Rien n'empêche de réfléchir à l'introduction, lors d'une prochaine révision des traités, d'une clause prévoyant le départ ou - en définissant des critères juridiques concrets et précis - l'exclusion d'un membre.
Q - Approuvez-vous des sanctions économiques si la situation actuelle se maintient ?
R - Non. Aucun membre de l'Union européenne n'a prévu cela. Il s'agit d'un combat politique - au sens noble du terme. Des mesures économiques ne sont pas à l'ordre du jour ; ce n'est pas ainsi qu'on réglera le problème.
Q - Et les sanctions culturelles ?
R - Au niveau bilatéral, les relations culturelles impliquant les gouvernements sont également gelées, conformément à la ligne fixée par la présidence de l'Union européenne. En revanche, je suis hostile à un boycott culturel de l'Autriche. Ce serait là une grave erreur. Nous voulons justement nous adresser aux Autrichiens, surtout à ceux qui n'ont pas voté pour le FPÖ et qui ne se reconnaissent pas dans l'actuelle coalition. Nous ne voulons pas isoler l'Autriche en tant que pays, ni frapper sa population d'anathème. Et nous tendons la main à l'autre Autriche.
Q - Etes-vous optimiste quant au règlement du conflit ?
R - Je suis optimiste pour l'Union européenne. Je fais confiance en la capacité de l'Union européenne de poursuivre son chemin et son évolution et de perfectionner l'Etat de droit. Cette grande aventure ne saurait être remise en cause par une petite minorité. Par contre, comme je le redoutais depuis octobre dernier, l'Autriche s'est elle-même placée dans une situation déplorable.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2000)