Discours de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur les relations entre agriculture et biodiversité, à l'UNESCO le 27 janvier 2005.

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Circonstance : Conférence internationale "Biodiversité et Gouvernance" à l'UNESCO le 27 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le Ministre
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'apporter l'éclairage du Ministre de l'Agriculture sur les relations entre biodiversité et agriculture. Permettez-moi au préalable de saluer la qualité des échanges et la mobilisation très étendue de ces journées à l'Unesco. L'ouverture de ce colloque par le Président de la République témoigne de son engagement personnel déjà ancien mais aussi de l'intégration de ces préoccupations dans le travail gouvernemental.
Bien entendu, la réflexion sur l'Agriculture est centrale dans les questions relatives à la biodiversité. Je souhaite souligner que mon portefeuille - Agriculture, Alimentation, Pêche et Ruralité - met en valeur à la fois le volet agricole mais aussi les aspects d'aménagement du territoire et les attentes des Français concernant l'environnement et la sécurité alimentaire. L'agriculture française a donc diversifié ses missions et n'est pas indifférente aux questions de biodiversité.
Les relations entre l'agriculture et la biodiversité sont complexes, les travaux de l'atelier que vous avez animé Monsieur le Directeur Général Délégué, avaient pour but de les définir mais aussi de faire émerger les solutions à mettre en oeuvre pour cesser de les opposer.
En réalité, notre réflexion doit procéder par étape :
- premièrement, ne pas nier les relations ambiguës entre agriculture et biodiversité de manière à préciser les liens et les frontières. Cette évocation constituera mon premier propos ;
- ensuite, dégager une vision de long terme de l'agriculture - une agriculture durable - en s'appuyant sur la biodiversité comme atout pour celle-ci ;
- enfin, je conclurai sur ce choix en faveur de la biodiversité en évoquant les manières de réussir ce défi : rechercher des partenaires et s'appuyer sur la recherche.
I - L'agriculture et biodiversité : des relations ambiguës
Il est indispensable :
- de maintenir la vie dans les espaces agricoles et d'oeuvrer pour sa diversité : diversité des systèmes écologiques, diversité des races et des variétés élevées et cultivées ;
- mais aussi, de soutenir la plus grande entreprise de gestion des espaces : l'agriculture. Agir pour l'agriculture, c'est aussi favoriser la biodiversité : la gestion durable des plus grands espaces ne sera possible qu'en associant les agriculteurs.
Vos travaux fourniront un éclairage sur les moyens à mettre en oeuvre pour garantir le maintien d'activités socio-économiques des gestionnaires d'espaces et d'espèces, les agriculteurs
I - A L'agriculture : une action sur le vivant
Le Code rural donne une définition de l'activité agricole qui éclaire les liens entre l'agriculture et le vivant : " Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise ou à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ".
Cette définition, très teintée de cartésianisme, insiste sur la maîtrise de la nature par l'exploitant agricole. Sans en reprendre les termes parfois durement connotés - je pense à " l'exploitation "-, j'observe en revanche que l'activité agricole suggère la transformation des espèces et des milieux, l'entretien - si ce n'est l'utilisation - des paysages, des races et des variétés.
L'histoire de l'agriculture est étroitement associée au principe de sélection et d'enrichissement des espèces pour répondre aux nécessités de la production. D'une part, l'activité agricole retient les variétés les plus productives créant un effet d'éviction sur les autres et favorisant l'homogénéisation de la production ; d'autre part, elle crée de nouvelles variétés dans le souci de mieux adapter ou acclimater les espèces tant végétales qu'animales à l'environnement choisi. Elle répond ainsi aux besoins des consommateurs et aux nécessités de la production agricole. Bref, l'agriculture contribue à la diversité biologique et la diversité du vivant constitue la base de la production agricole.
I - B L'agriculture : entre entretien et atteinte à la biodiversité
· De la biodiversité (...)
Les agriculteurs se sont toujours efforcés d'organiser l'espace et d'utiliser le monde vivant, animal et végétal, pour répondre à la fois aux besoins alimentaires de la société et lui fournir d'autres produits utilitaires pour se vêtir, se chauffer ou se soigner.
Cette action n'a pas seulement eu pour conséquence d'aider à la diversité alimentaire et aux échanges de produits mais a également conduit l'agriculture à jouer un rôle essentiel dans la préservation de la nature, l'aménagement de celle-ci en fonction des particularités locales. De ce fait, l'agriculture contribue à la diversité des paysages et des écosystèmes.
· (...) à sa remise en cause
Pourquoi dès lors s'interroger sur les risques que fait porter l'agriculture à la biodiversité ? L'action d'enrichissement des espèces et d'adaptation à l'environnement biologique de nouvelles variétés se conjugue avec le principe d'une plus grande productivité. Il en résulte que l'enrichissement va de pair avec la sélection. Les variétés les moins productives sont abandonnées.
De même, les divers éléments de l'écosystème qui diminuent la productivité de l'activité agricole (mauvaises herbes, ravageurs, espèces sauvages concurrentes...) sont combattus voire éradiqués. De ce point de vue, la biodiversité est une contrainte pour l'agriculture. La pression économique peut conduire à l'homogénéisation et à la simplification du parcellaire et des cultures, à l'utilisation d'intrants ou à des pratiques agricoles qui réduisent la biodiversité.
L'appréciation portée sur cette évolution doit elle-même être nuancée. Le progrès agricole et technique a permis de parvenir à l'autosuffisance alimentaire et a construit une agriculture française fortement contributrice à l'excédent extérieur. Aujourd'hui, de nouveaux enjeux apparaissent.
II - Préserver la biodiversité : un atout pour une agriculture durable
Alors que 10 000 espèces ont été cultivées depuis l'invention de l'agriculture, quatre cultures - le riz, le blé, le maïs et la pomme de terre - apportent actuellement 60% de l'apport énergétique dans l'alimentation humaine, sur 150 cultures couramment utilisées pour l'animation humaine et animale.
L'agriculture moderne pourrait souffrir économiquement d'une absence de diversité des produits offerts et, à terme, écologiquement en raison d'une orientation trop productiviste. C'est pourquoi je suis convaincu qu'il convient de promouvoir une économie agricole de la variété tant pour le développement économique de ce secteur que pour assurer son avenir écologique.
II - A Diversité et différenciation de la production
Les économistes ont créé le concept d'économie de la variété pour rendre compte de la différenciation des produits sur les marchés. Lorsque les marchés de consommation de masse arrivent à maturité, les gains économiques ne peuvent intervenir que grâce à une différenciation bienvenue. D'une part, ce sont des marchés nouveaux pour les producteurs qui s'ouvrent ; d'autre part, ils peuvent éventuellement exploiter une forme de monopole auprès du client et donc améliorer leurs revenus.
L'agriculture française gagnerait ainsi à développer des productions de qualité qu'elle pourrait valoriser économiquement. Une telle orientation concerne aussi bien les grandes cultures que la redécouverte de certaines espèces végétales ou animales. Dans cette démarche, l'agriculture peut s'appuyer sur les attentes des consommateurs. Le développement de l'agriculture biologique en est une bonne illustration.
Je note que les agriculteurs eux-mêmes sont de plus en plus soucieux d'assurer une gestion globale de leur exploitation respectueuse de l'environnement. C'est une des raisons du développement, lancé en 2004, de la certification " agriculture raisonnée " reposant sur une démarche volontaire des exploitants. La stratégie nationale de développement durable prévoit un objectif de 30% des exploitations agricoles qualifiées au titre de l'agriculture raisonnée d'ici 2008.
II - B Pour une agriculture durable : une action déjà engagée dans le cadre communautaire
Cette démarche participe des orientations engagées par les instances communautaires et nationales depuis une vingtaine d'années.
En effet, le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) s'est enrichi d'instruments intégrant plus explicitement les problématiques environnementales - dont la protection de la biodiversité - et le développement équilibré des territoires. La première réforme de la PAC en 1992 a en particulier créé les mesures agro-environnementales ; la seconde en 1999 a élargi le champ d'action de la PAC dans le domaine du développement rural avec la mise en oeuvre du second pilier. Plus récemment, les accords de Luxembourg de juin 2003 ont introduit l'environnement dans le premier pilier de la PAC en instituant le principe de conditionnalité des aides.
Au total, ces évolutions reconnaissent les problématiques environnementales et visent le développement équilibré des territoires. La redécouverte de la diversité des territoires ruraux correspond également à la prise de conscience d'une agriculture qui façonne les paysages tout en s'adaptant à son espace naturel plutôt que de l'exploiter.
Cette vision d'une agriculture rénovée met ainsi en valeur les convergences avec la biodiversité de façon à répondre aux enjeux du maintien d'une production agricole rentable, de la protection et de la gestion de l'environnement et, enfin, du développement durable des territoires ruraux. Le réseau Natura 2000 s'appuie en grande partie sur des milieux agricoles ou connexes, en fait, là où les agriculteurs ont su préserver des habitats et des espèces.
III - Une voie à approfondir
Le plan d'action agriculture et biodiversité traduit bien l'ensemble de ces préoccupations qui ont inspiré la stratégie nationale pour la biodiversité mise en oeuvre en février 2004. Stratégie et plan ont pour objectif la recherche d'une voie raisonnée entre agriculture et biodiversité.
Il nous appartient d'approfondir cette orientation au niveau national en multipliant les partenariats d'une part et en encourageant la recherche en ce sens d'autre part.
III - A La stratégie nationale pour la biodiversité
· Origine de la stratégie nationale pour la biodiversité
La stratégie nationale pour la biodiversité constitue la déclinaison de la Convention pour la diversité biologique ratifiée par la France le 7 juillet 1994. L'engagement du Président de la République sur ce thème est fort, en témoigne son patronage de la conférence.
L'action entreprise recouvre les buts énoncés dans la convention de 1994 : conservation et utilisation durable de la diversité biologique, et partage équitable des bénéfices issus de cette utilisation. Elle propose également la mise en oeuvre de plans d'action sectoriels en faveur de la biodiversité.
· La démarche partenariale
Le plan d'action agriculture et biodiversité propose des objectifs concrets et pratiques, permettant d'intégrer la gestion du vivant et le maintien de sa diversité dans une perspective de développement durable. Ce plan est une première en matière de positionnement du Ministère de l'Agriculture sur ses engagements globaux concernant la biodiversité. 16 actions ciblées sont définies comme le soutien aux pratiques favorables à la biodiversité, le développement de l'infrastructure écologique ou la conservation des variétés anciennes.
L'essentiel réside dans une démarche de partenariat entre tous les acteurs territoriaux. Cinq grandes orientations sont précisées :
- promouvoir la prise en compte par les agriculteurs et leurs partenaires de la biodiversité dans les démarches territoriales ;
- généraliser les pratiques agricoles favorables à la biodiversité et améliorer celles à impacts négatifs ;
- protéger et renforcer la diversité des ressources génétiques pour l'agriculture et l'alimentation ;
- assurer le suivi de l'évolution de la biodiversité en milieu rural en lien avec les évolutions des pratiques agricoles ;
- renforcer la sensibilisation et les compétences des acteurs de la filière, de l'enseignement, de la recherche et de l'encadrement agricoles pour améliorer les interrelations agriculture-biodiversité.
Ces orientations et ces actions reposent sur la reconnaissance du fait qu'une bonne gestion de la biodiversité représente un atout pour les agriculteurs eux-mêmes et pour les territoires ruraux et constitue une des fonctions de l'activité agricole.
III - B Un défi pour la recherche
Le maintien de la biodiversité ne peut se concevoir sans l'apport de la recherche. Elle doit apporter des réponses sur les sujets suivants :
- le moyen de limiter les effets négatifs de la nécessaire intensification de certaines productions agricoles ;
- le maintien de pratiques extensives sur de vastes territoires menacés de déprise où l'élevage reste l'une des rares options de maintien d'écosystèmes ouverts et de leur biodiversité ;
- la définition du rôle des marchés pour valoriser la biodiversité rurale et agricole ;
- bref, les solutions pour concilier une agriculture productive et écologiquement responsable
CONCLUSION
Le temps de la recherche n'est pas celui de la politique. Toujours est-il que je ne doute pas que cette conférence, et notamment cet atelier, soit un moyen d'accélérer la recherche par les échanges qu'elle permet. L'expertise partagée par la communauté scientifique doit donner un appui aux décisions politiques et éclairer les avantages et les limites de la mise en politique de la notion de biodiversité.
Ces éléments sont attendus car le politique doit déjà réagir. En France, nous avons défini puis mis en uvre une stratégie nationale au cours de l'année 2004 et décliné le plan agriculture et biodiversité pour répondre au plus vite et au mieux à ce défi de la biodiversité.
Il nous appartient d'agir en l'état actuel de nos connaissances. Il ne s'agit pas de créer des sanctuaires de la nature en milieu rural. Abordée comme ressource du développement rural et agricole et comme patrimoine à maintenir et à développer, la biodiversité devient un véritable atout pour l'agriculteur et pourrait permettre à l'agriculture en général de devenir un des principaux instruments de la gestion durable de la diversité du vivant. La recherche, notamment agronomique, doit nourrir les réflexions dans ce sens et inventer les outils et les solutions pratiques qui permettront de répondre à ce défi.
Vous savez que je souhaite présenter au Parlement au cours de l'année un projet de loi d'orientation agricole. Il nous appartiendra aussi de réfléchir à l'intégration de la biodiversité dans le cadre de réflexion général. C'est un sujet ambitieux dont un des enjeux tient à la valorisation du respect de la biodiversité sur les marchés des biens
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1e février 2005)