Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à RFI le 6 janvier 2005, sur le rôle des militaires français dans l'aide apportée aux pays touchés par le raz de marée en Asie du Sud et sur la situation en Côte d'Ivoire.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Sophie Becker
Bonjour Michèle Alliot-Marie. Cette année 2005 démarre par une mobilisation internationale tout à fait exceptionnelle en faveur des victimes de la catastrophe du Sud de l'Asie. Que vous inspirent tous ces témoignages de solidarité ?
Michèle Alliot-Marie
Dans cette période de fêtes et de fête familiale, ce drame a apporté une dimension humaine supplémentaire. C'est effectivement une catastrophe naturelle ; mais si dans le passé, il y a eu d'autres catastrophes qui ont entraîné presque autant de victimes, il est vrai qu'il n'y avait jamais eu cette prise de conscience de la solidarité de tous les continents et de tous les pays. Et il n'y avait jamais eu une telle mobilisation.
Q. Est-ce que c'est parce qu'il y a des victimes occidentales dans cette catastrophe que cette mobilisation est si présente ?
R. On ne peut pas dire que ce soit indifférent. Je crois effectivement que le fait de connaître certaines victimes ou leurs familles a contribué à ce que chacun se sente concerné et se dise que finalement, cela peut aussi lui arriver. Mais ce n'est en rien un élément qui atténue cet élan de solidarité et de générosité. Et je ne crois pas qu'il faille en faire une sorte d'ombre sur ce vaste mouvement qui s'est développé au cours de ces derniers jours.
Q. De quelle façon le ministère de la Défense est-il partie prenante dans le dispositif d'aide ?
R. Le ministère de la Défense est partie prenante parce que, très souvent, c'est vers les armées que se tournent les Etats lorsque l'on a besoin d'une très grande réactivité avec des moyens importants. A la demande du président de la République, le ministère de la Défense a élaboré un système dont la réactivité est immédiate en cas de catastrophe naturelle. C'est ce que nous avions notamment mis en oeuvre à la suite du séisme qui avait frappé l'Algérie et le Maroc. C'est ce qui nous a permis de réagir immédiatement après le drame de ces derniers jours. Dès le dimanche soir, quelques heures après cette catastrophe, nous avons donc été à même de mettre à la disposition du ministère des Affaires étrangères, en charge de la coordination, à la fois des avions, des navires, des hélicoptères et surtout des personnels : le personnel du service de santé des armées, mais également du personnel qui pouvait contribuer à la reconnaissance des corps, car c'était un élément important. Depuis, nous avons continué. Chaque jour ou presque, nous avons donc envoyé sur le terrain des avions, des gros porteurs souvent installés en version sanitaire - ce qui nous a permis de rapatrier des Français mais aussi des Européens - et également de transporter vers les hôpitaux français des blessés, dont certains dans un état très grave, d'autres étant susceptibles de voyager assis. C'est ce qui nous a aussi permis d'envoyer des cercueils et des tentes réfrigérées pour conserver les corps qui seront identifiés avant d'être rapatriés.
Q. Que pensez-vous de l'idée d'une force européenne de protection civile qui permettrait de mieux coordonner les secours ?
R. Il est vrai que si un nombre important de secours et de nombreux moyens ont été mis à disposition des victimes, et particulièrement de la part de la France qui est, je crois, en tête dans cette affaire, il y a souvent eu des problèmes de coordination. Les coordinations se sont faites un peu au fur et à mesure. Nous avons par exemple travaillé sur l'un des pays touchés avec l'Australie pour l'identification des corps. Et nous avons travaillé avec d'autres pays, notamment grâce à nos avions de reconnaissance en mer, pour essayer de retrouver des corps. A chaque fois, c'est pareil. Nous avons proposé au COPS, c'est à dire à notre organisation bruxelloise, de mettre en place un système qui soit en charge cette coordination, au moins au niveau européen. Mais il est vrai que nous devrions avoir d'une façon plus permanente au moins une cellule. Il faudrait que ce soit quelque chose d'extrêmement léger, qui permette dans le cas d'une catastrophe comme celle-ci, d'avoir immédiatement une coordination entre les efforts de tous pour être plus efficace sur le terrain, plutôt que d'attendre pour essayer de se configurer dans les zones et sur les sujets où l'on a le plus besoin d'une intervention.
Q. Donc des progrès à faire en matière de coordination ?
R. Oui, il y a certainement des progrès à faire dans le domaine de l'organisation de la coordination.
Q. Alors cela c'est pour une intervention d'urgence concernant donc les armées françaises. Il y a aussi ce qui était prévu pour cette année 2005, je pense notamment au dossier ivoirien. Théoriquement l'opération Licorne prend fin début avril. Les troupes françaises resteront stationnées sur place ?
R. Tout dépend de ce qui va se passer. Nous sommes en Côte d'Ivoire dans le cadre d'une résolution de l'ONU, et l'ONU aura de nouveau à se prononcer. Elle aura à se prononcer notamment aux vues de la médiation de M. M'Beki.
Q. Le président sud-africain ?
R. Oui, tout à fait. Le président sud-africain a déjà fait un certain nombre de propositions qui comportent notamment des calendriers. Une étude estimera ce qui a été fait de part et d'autre avec tous les différents éléments et c'est à partir de ces éléments que l'ONU décidera. Mais encore une fois, je rappelle que Licorne n'est là que dans le cadre d'une résolution de l'ONU.
Q. Un sommet de l'UA est prévu lundi à Libreville avec la participation notamment du président sud-africain. Vous pensez qu'il a les moyens de relancer le processus de Marcoussis ?
R. C'est indispensable. Aujourd'hui, la situation en Côte d'Ivoire est relativement calme mais il est vrai aussi qu'elle fait face à de très grosses difficultés, notamment à des difficultés sur le plan économique ; parce que le pays est coupé en 2 et parce qu'il est désorganisé. Ce pays ne peut pas continuer à vivre comme cela. Or les accords de Marcoussis ou plus exactement d'Accra puisque c'est Accra 3 qui a repris un certain nombre des propositions avalisées par l'ensemble de l'Union africaine existent. Je crois que c'est la voie pour permettre la réconciliation entre les forces nouvelles et le gouvernement ivoirien. Ce pays a besoin d'unité. Ce pays a besoin de réconciliation afin que les Ivoiriens puissent bénéficier d'un développement économique indispensable à leur vie de tous les jours. Et encore une fois, nous ne sommes présents en Côte d'Ivoire que pour que ces résolutions prises par l'ONU puissent être mises en place.
Q. Laurent GBAGBO, le président ivoirien met lui-même en doute la tenue des élections en octobre prochain, c'est une sorte de provocation de sa part ?
R. J'espère que ce n'est pas une provocation parce que ce pays n'en a certainement pas besoin. Ce qui est indispensable, c'est que maintenant de part et d'autre, les gestes nécessaires soient faits. Accra 3 et les propositions du président M'Beki sont des éléments de progrès, et il faut que les uns et les autres acceptent de les appliquer.
Merci, madame le ministre.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 7 janvier 2005)