Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 2 mars 2000, sur l'éventuelle libération d'Augusto Pinochet par le gouvernement britannique, la participation de l'extrême droite au gouvernement en Autriche, les conséquences des sanctions prises par l'Europe contre l'Autriche sur le fonctionnement des institutions communautaires et l'impact du régime de la cohabitation en France sur la présidence française de l'Union européenne.

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Texte intégral

Q - Dans un peu plus d'une heure, le ministre britannique de l'Intérieur va faire connaître sa décision sur Augusto Pinochet. La France comprendrait qu'il soit renvoyé chez lui au Chili ?
R - C'est au ministre britannique de prendre maintenant sa décision. Elle ne sera pas d'ailleurs "insusceptible" de recours même si la marge de manuvre deviendrait - si cette décision était par exemple de le renvoyer chez lui - de plus en plus étroite. En tant que démocrate et en tant qu'Européen - que les choses soient claires - je préférerais qu'Augusto Pinochet reste en Europe et soit jugé. Si la décision est prise de le renvoyer au Chili, je souhaite qu'il soit jugé là-bas et qu'il puisse répondre de ses crimes.
Q - La Belgique est plus offensive que la France sur ce dossier, pourquoi ?
R - Non, la France a fait ce qu'elle devait. Elle a aussi saisi le gouvernement britannique.
Q - Enfin, les magistrats français.
R - Oui, mais nous avons aussi une justice indépendante. Mais le gouvernement britannique maintenant doit prendre sa décision. Nous verrons - puisqu'elle sera connue dans quelques heures - mais encore une fois je préférerais qu'il soit jugé en Europe.
Q - L'Autriche : Jörg Haider multiplie les mises en garde à l'égard de la France. "Calmez-vous", vous dit-il, parce que lorsque la France va assurer la présidence de l'Europe dans quelques mois, cela va mal se passer.
R - C'est la preuve d'abord de ce qu'est ce Jörg Haider. C'est un populiste xénophobe, provocateur en tout. Cela prouve aussi que le retrait de la présidence de son parti est une manuvre tactique qui d'un certain point de vue le met en position de faire pire de façon plus impunie qu'auparavant. C'est pour cela que je comprends mal, je l'avoue, ceux qui en déduiraient l'idée d'une indulgence à l'égard de l'Autriche et de son gouvernement. M. Haider est censé être gouverneur en Carinthie : il est en fait partout, il s'exprime sur tout et il le fait notamment à l'encontre de la France.
Q - Il vous dit : "Souvenez-vous de la règle de l'unanimité ! Nous, nous pouvons tout bloquer."
R - Moi, je note que le gouvernement, ses représentants légitimes à l'étranger que sont le président de la République que sont le chancelier, M. Schüssel, et la ministre des Affaires étrangères, Mme Ferrero-Waldner, disent : "tout cela ne nous regarde pas. Nous sommes de bons européens". On verra bien. Cela dénote une contradiction entre eux, une contradiction absolue. Je vais vous dire mon sentiment profond : ce n'est pas l'Autriche qui prend l'Europe en otage. L'Autriche doit être bien consciente que si elle ne joue pas un jeu responsable dans les affaires européennes, c'est elle qui sera contre l'Europe et des conséquences en seront tirées. N'inversons pas les choses.
Q - Quelles conséquences ?
R - Des conséquences politiques.
Q - On ne peut pas l'exclure ?
R - Ce n'est pas de cela dont je parle. Vous savez : n'imaginons pas que jouer au jeu du blocage de l'Union européenne pour des motifs strictement politiques déboucherait de façon heureuse pour ce pays. Je le dis, par ce que je pense que c'est la réalité. Nous ne devons pas, nous, intérioriser la menace autrichienne. Nous devons au contraire être capables, dans la durée, de faire tenir les sanctions que nous avons prises et de voir les conséquences qu'elles ont. D'après ce que je sais, ce sont des conséquences qui sont des conséquences sérieuses. En matière de politique étrangère, ce gouvernement a commencé dans des conditions catastrophiques. Le chancelier Schüssel le reconnaît lui-même. En matière de politique intérieure, son départ est très laborieux, ne serait-ce que parce que les ministres FPOe du parti de M. Haider sont à la fois totalement inexpérimentés et souvent assez bizarres - comme le montre par exemple la démission d'un ministre de la Justice, paraît-il pour surmenage, au bout de quelques semaines, et peut-être pour d'autres raisons, remplacé d'ailleurs par l'avocat de M. Haider. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela veut dire en termes de fonctionnement du système judiciaire ! Donc, moi, je n'ai pas peur de ce gouvernement-là. Je pense que les sanctions sont en train de fonctionner. Raison de plus pour continuer à les appliquer. Je ne crains pas les menaces de M. Haider. D'autant plus qu'il ne représente plus ni le gouvernement autrichien - auquel il ne participe pas - ni son propre parti.
Q - Vous êtes sûr de l'unanimité des 14 autres pays européens ? Hier, le ministre italien des Affaires étrangères, M. Dini a déclaré que puisqu'Haider a démissionné de la présidence de son parti, il faut peut-être revoir un peu les choses ?
R - Vous comprendrez que ce n'est pas ma sensibilité.
Q - Cela on a compris, mais la solidité des Quatorze ?
R - "Chacun peut avoir sa sensibilité dans cette affaire-là. La mienne est un peu allante sur cette question, non pas tant d'ailleurs pour des raisons d'impératif moral, parce que cela nous le partageons tous, mais pour des raisons d'efficacité. Encore une fois, je suis persuadé qu'une attitude très ferme, une attitude de maintien des sanctions sur la durée est celle qui va faire craquer ce gouvernement, cette coalition, qui ne peut pas réussir parce que le ver est dans le fruit. Donc, voilà ma position. M. Dini, lui, est plus en retrait. Je crois que ce qui est important, c'est que les Quatorze se mettent d'accord pour respecter le code de conduite défini par la présidence portugaise il y a quelques semaines. Pour le dire autrement, pour que les sanctions prises - elles auraient pu être plus importantes, elles auraient pu être moins importantes, elles sont ce qu'elles sont - soient maintenues dans la durée. Dans la durée, cela veut dire : tant que nous sommes confrontés à ce gouvernement dans cette situation. C'est ce que nous envisageons pour la présidence française.
Q - La présidence française va-t-elle arriver en bonne forme après l'épisode Chirac-Jospin ? Il n'y aura pas de risques de désaccord entre les deux ?
R - Vous l'avez dit vous-même, c'est un épisode sur lequel on pourrait revenir et qui a été - c'est mon jugement - en partie fabriqué à partir d'éléments objectifs. C'est une imbrication de divers facteurs. Moi, j'étais aux côtés de Lionel Jospin dans sa conférence de presse. Je sais ce qu'il a dit. Il a fait une visite qui était une visite complète au Proche-Orient. Il a dit des choses aux uns et aux autres, aux Israéliens et aux Palestiniens. Il reste attaché à une position équilibrée mais en même temps, il souhaitait y impulser, il l'a dit lui-même, des valeurs.
Q - Il consent au mot : "controversé."
R - Oui, sans doute. Je ne vais pas, moi, revenir sur ce qu'il a dit.
Q - On pense souvent que vous vous êtes un peu "un pousse au crime" en politique étrangère parce que vous dites : "Les principes moraux, il faut les énoncer." Est-ce que vous avez appris le réalisme dans cette affaire ?
R - Oui, mais je pensais l'avoir appris avant. On peut tout à fait souhaiter avoir des principes moraux mais moi, je ne me définis pas comme "l'angélique du gouvernement". Par exemple, sur l'Autriche, je vous le répète, ma conviction c'est qu'en l'occurrence la morale rejoint le réalisme et l'efficacité. Donc on peut très bien faire les deux à fois. Et je pense que la politique de L. Jospin - qui est la politique de la France aussi, qui n'est pas en contradiction avec cette politique - est une politique qui veut insuffler des valeurs. Il l'a dit lui-même : "la paix, la démocratie, le développement sont indispensables".
Q - Le président de la République et le Premier ministre ont-ils la même vision de l'Europe ?
R - C'est un épisode et ce n'est qu'un épisode. L'incident est clos. Il a été clos d'ailleurs par consentement mutuel. A la fois de la façon dont s'est passée cette séance de questions d'actualité à l'Assemblée nationale...
Q - Le divorce aussi est accepté par consentement mutuel en France !
Q - Nous n'en sommes absolument pas là. Vous savez, la cohabitation ce n'est pas une péripétie psychologique. C'est une donnée...
Q - Leurs visions de l'Europe est la même ?
R - Nous travaillons à la présidence française. Je peux vous dire comment cela se passe. On se réunit régulièrement - le gouvernement - pour définir les grandes orientations. Nous le faisons par exemple aujourd'hui. Nous allons parler de ce que nous allons dire lors du Conseil européen de Lisbonne dans quelques semaines. Ensuite, nous arrivons chez le président de la République. Il y a quelques ministres - il y a Hubert Védrine, moi-même, parfois Christian Sautter quand les sujets sont économiques et financiers, éventuellement Alain Richard, le Premier ministre bien sûr - et nous définissons ensemble les positions. Je peux vous dire que la présidence française ne sera pas un exercice d'improvisation. Ce sera quelque chose de parfaitement préparé en totale symbiose. Et, pour le coup, "consensus entre les autorités françaises", comme on dit. La présidence française de l'Union européenne s'effectuera dans les meilleures conditions et elle parlera - comme chacun le souhaite aujourd'hui - d'une seule voix. Il n'y aura pas d'incident de cohabitation au sujet de la présidence française de l'Union. Et nous irons à cette présidence de façon totalement unie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mars 2000)