Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les orientations de la politique de la recherche, à Grenoble le 30 octobre 2004.

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Circonstance : Etats Généraux de le recherche à Grenoble le 30 octobre 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie, tout d'abord, de me permettre de m'exprimer devant votre assemblée et j'apprécie l'interpellation politique qui est la vôtre. Je m'attacherai, à répondre aux questions que vous avez exprimées, en exposant quelques unes de nos réflexions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.
La Recherche et l'Enseignement supérieur sont aujourd'hui au centre d'enjeux de civilisation fondamentaux. Ils renvoient, pour nous, à l'émancipation humaine dans toutes ses dimensions. Face aux défis qu'aborde l'humanité, face à ses énormes potentialités, il faut plus que jamais, chercher, s'interroger, comprendre, inventer.
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Dans ce sens, vos luttes, vos initiatives ont provoqué un changement radical dans la conscience collective sur les questions de la recherche. Ce mouvement a permis de vous faire entendre de toute la société et de mettre à nu la violence faite aux chercheurs. Des avancées ont été obtenues, mais vos Etats Généraux témoignent de l'ampleur du chantier. Nous pensons que cet effort exigé de la nation, comme de l'Europe, loin d'être un simple coût, est au contraire l'un des moyens du développement de toutes les capacités humaines, individuelles et collectives. La recherche ne fait pas qu'apporter des réponses, comme semblent régulièrement l'exiger certains. Elle pose de nouvelles questions dans la conquête même de nouvelles connaissances.
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Des logiques diverses s'affrontent, dans la société, à propos de la recherche. Or, dans la guerre économique que se livrent les multinationales pour la conquête des marchés, la course à l'innovation joue un rôle de plus en plus décisif, mais c'est le profit et non le développement humain qui en est le moteur. Pour la connaissance, comme pour l'innovation, cette logique induit de graves distorsions. La recherche ne peut avoir pour fonction de fournir les bases scientifiques de la compétition économique. Aujourd'hui, le secteur public est soumis à un étranglement budgétaire des laboratoires publics, et à une modification de ses objectifs visant à le mettre à la remorque du secteur privé. Le secteur industriel connaît l'instabilité due aux exigences de rentabilité à court terme. Les grandes entreprises ont tendance à diminuer ou au mieux à laisser stagner leurs dépenses de recherche et à se reposer sur les PME innovante qui prennent tous les risques. Il faut desserrer la contrainte de la rentabilité !
Vous m'avez donc posé six questions, auxquelles je répondrai en abordant également quelques aspects des grandes thématiques auxquelles elles se rapportent.
1- La démocratie
Les citoyens doivent avoir des lieux permanents pour pouvoir participer en connaissance de cause aux orientations, aux choix scientifiques et technologiques, ce qui suppose des instances nouvelles en veillant à la représentativité de la communauté scientifique dans toute sa diversité. Pourquoi pas donc, un Haut-Conseil de la Science, comme vous en formulez la proposition. En effet, les orientations de la recherche doivent découler de choix collectifs effectués en connaissance de cause. Ce qui me semble déterminant c'est l'indépendance effective, le pluralisme des sensibilités et des opinions et la représentativité réelle des instances scientifiques, afin qu'en toute circonstance, elles puissent émettre vis à vis de la société civile des avis non suspects a priori de dépendre du pouvoir politique. Il nous paraît également nécessaire de développer largement les compétences d'instances pluralistes existantes chargées de la prospective scientifique et de l'évaluation qui selon nous sont deux moments fondamentaux et intimement liés de toute politique de recherche transparente.
Dans le secteur privé plus précisément, il me semble utile de procéder à une démocratisation également, pour échapper à la fuite en avant de la rentabilité financière. J'ai en tête, bien évidemment, le problème crucial de la recherche pharmaceutique. Aussi - je pose moi aussi une question- pour des biens publics fondamentaux, pourquoi ne pas imaginer des conseils scientifiques composés de chercheurs, d'élus, de salariés des entreprises, de citoyennes et de citoyens Cela rejoint également notre souci d'accorder plus généralement des pouvoirs nouveaux aux salariés concernant la gestion et les choix de leur entreprise.
Autre question, à propos du lien entre les politiques nationales et européennes. Nous pensons que le rôle des Parlements nationaux doit être considérablement revalorisé et que leur intervention à l'échelle européenne doit être accrue. Le dialogue entre la communauté scientifique et les représentants de la collectivité doit avoir lieu dans les meilleures conditions, pour assurer à la fois continuité et échange réciproque. Mais le problème n'est pas simplement institutionnel. Il réside à mon sens également dans les orientations politiques qui sont décidées aux deux niveaux, et qui aujourd'hui pèsent sur l'investissement public de façon considérable et accélèrent les logiques contraires aux nécessités de la recherche.
Enfin, pour ce qui est des grandes écoles et des Universités, il faut cesser la mise en concurrence stérile, et créer des lieux de mise en commun, étendre les compétences du CNESER (Conseil National de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche).
C'est donc, dans tous les domaines, la société dans son ensemble qui doit être en permanence associée par divers canaux et moyens aux choix scientifiques et technologiques, et sur cette question nos institutions sont en retard. En tous domaines, la réponse aux défis posés, ne peut à notre sens passer que par l'intervention des hommes et des femmes prenant en mains leur destin, s'approprient les grandes questions de notre temps et les connaissances issues de la recherche.
2- Service public et financement
La politique de recherche nécessite l'existence d'un fort secteur public de la Recherche dont l'une des missions, indispensable pour la société, doit être l'avancée continue des connaissances. Le rôle des organismes publics en matière de prospective scientifique demeure incomparable. La coopération entre le service public de recherche et d'enseignement supérieur d'une part, les entreprises et services d'autre part est devenue la règle. Mais c'est une règle qui impose au service public des contraintes de tous ordre, l'indigence budgétaire, l'impossibilité de prendre des initiatives d'ampleur, et bien souvent l'obligation de permettre aux entreprises privées de profiter sans contrepartie de son potentiel humain. Il faut donner au service public les capacités d'initiatives indispensables à la réalisation des grands projets.
Il faut donc soustraire la variété infinie des sujets à explorer aux critères très réducteurs de la rentabilité financière. Les chercheurs eux-mêmes ont besoin de stabilité, de liberté et de pluralisme dans les démarches.
Les idées suivantes pourraient servir de charpente au Projet de Loi d'Orientation et de Programmation à venir. La part de financement de l'Etat doit être substantiellement augmentée de façon à assurer une partie déterminante du financement de base des Laboratoires et des équipes. Cela suppose d'importantes mesures de rattrapage pour compenser les restrictions considérables de la décennie précédente. Le financement provenant du Budget Civil de la Recherche Développement ne devrait jamais être inférieur à 2/3 des besoins des laboratoires. Il en va du développement de nouveaux sujets et du développement des programmes en cours, des postes stables doivent être crées. Le Parti communiste fera la proposition du doublement du BCRD sur une législature. Cette proposition vise à renforcer effectivement le potentiel humain.
A propos des doctorants, il nous semble plus que nécessaire de leur accorder le statut de salariés. Nous réfléchissons aux conditions dans lesquelles ils pourraient avoir un statut analogue aux stagiaires de la fonction publique leur ouvrant les droits afférents. Par ailleurs, pourquoi pas une Agence de financements sur projets, comme vous en faites la proposition, qui pourrait être un atout pour favoriser des projets émergents. Il me semble que ce ne peut être le seul mode de décision d'orientations et de financements pour la recherche.
3- La fiscalité
Comme vient de le souligner une déclaration de "Sauvons la Recherche", on ne peut accepter plus longtemps que les entreprises se défaussent sur l'argent public de l'effort national en matière de recherche. Vous évoquez le " Crédit Impôt Recherche ". Nous pensons qu'il faut réformer la fiscalité. Il pourrait être créé un impôt nouveau, libératoire pour les entreprises qui font la preuve effective de leur investissement recherche et de l'embauche au niveau doctoral. Les entreprises doivent être liées à la société par un contrat de type nouveau au terme duquel elles s'engagent à inscrire le développement des capacités humaines dans le cahier des charges.
4- Europe, Monde
Permettez-moi quelques mots sur l'Europe et le Monde. La politique de recherche doit viser le développement de tous les peuples, au moyen d'une coopération internationale élargie qui permette de faire de tous les pays des producteurs de connaissances.
La première des urgences consiste à extraire la recherche et l'enseignement supérieur public du champ des négociations de l'OMC.
La construction de l'espace européen de la Recherche et de l'enseignement supérieur doit être doté des moyens d'une politique tournées vers la satisfaction des besoins humains comme de ceux de la planète. Il ne peut se concevoir livré à toutes les tourmentes financières et à la guerre que se livrent les féodalités économiques pour l'appropriation privée de la création intellectuelle.
La seconde urgence est de donner au parlement européen, aux salariés et aux citoyens, des pouvoirs nouveaux de contrôle et d'intervention sur les aides financières massives prodiguées aux grands groupes mondiaux.
La troisième urgence consiste à orienter de façon décisive la politique de recherche et d'enseignement supérieur vers une aide réelle, matérielle et intellectuelle à tous les pays émergents ou en voie de développement. Il faut à tout prix rechercher le codéveloppement et les coopérations plutôt que des concurrences désastreuses et mortifères. Le partage des savoirs, voilà, à nos yeux un des défis majeurs pour la recherche.
Mesdames, Messieurs,
Au terme de cette intervention trop schématique sans doute, vous allez sans doute vous demander à quoi m'engagent ces bonnes paroles. C'est peut- être la septième question. En tout cas, elle se pose, à mon sens. J'ai conscience de notre responsabilité pour que ces propositions soient mises en uvre. J'ai évoqué la belle façon dont votre mouvement a fait irruption et poursuivi son but. La garantie que les paroles prononcées aujourd'hui seront source d'orientations politiques concrètes, n'est-ce pas justement de perpétuer en permanence un investissement de cette nature, de rompre avec une délégation de pouvoirs dangereuse pour l'idée-même de démocratie. Au fond votre implication n'est-elle pas la meilleure garantie pour que les politiques de demain ne tourne pas le dos aux exigences que vous exprimez aujourd'hui ?
Mais, je voudrais ajouter autre chose. Les questions posées sont des questions éminemment politiques. Elles revoient à l'incessante baisse des investissements publics, elles renvoient à l'utilisation de l'argent dans les entreprises, elles renvoient à la gestion du déficit public, elles renvoient à une réforme de la fiscalité, elles renvoient à d'autres conceptions du pouvoir. Elles renvoient à mon sens à des ruptures avec l'existant qui engagent des choix politiques structurants.
Dans les mois qui viennent, notre ambition est de mener le débat avec l'ambition de co-élaborer un programme de transformation sociale, nous y mettrons en exergue les enjeux de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Nous accueillons votre démarche et vos propositions avec enthousiasme. Sauver la Recherche, il s'agit bien de cela. C'est une question de civilisation.
Nous souhaitons à vos travaux un grand succès.
Merci de votre attention.
(Source http://www.pcf.fr, le 5 novembre 2004)