Texte intégral
A. Ardisson - Les 147 pays de l'OMC se sont mis d'accord samedi soir, tard, à Genève, sur un accord cadre, dont les détails restent à négocier à partir de septembre - et Chacun sait que le diable est dans les détails. Mais si cet accord a été possible, c'est parce qu'un compromis a été trouvé sur le dossier agricole. Ce déblocage était-il attendu de votre côté ?
R - "Non, ce n'était pas évident. Quand on rentre dans une négociation, on ne sait jamais comment cela va se terminer. Il y a quinze jours-trois semaines, les premiers documents de compromis étaient tout à fait inquiétants. D'ailleurs beaucoup de pays, dont la France, s'en sont émus. Mais c'est vrai que dans le cours de la négociation à Genève, nous avons eu des rédactions bien meilleures, ce qui a conduit l'Europe a accepter ce compris."
A. Ardisson - L'objectif, en matière d'agriculture, c'est la limitation, à terme, des subventions à l'exportation, qui faussent le marché. Pour les Américains, elles prennent la forme de crédits ; pour les Européens, c'est plus complexe. Quelles sont les aides publiques concernées, notamment pour les agriculteurs français ?
R - "Tout d'abord, en, Europe, il y a deux catégories d'aides : il y a des aides compensatoires de baisse de prix - c'est ce que l'on appelle les aides internes -, ainsi que les aides agro-environnementales, pour une meilleure prise en compte de l'environnement dans l'agriculture. Ces aides ne sont pas concernées par l'accord, elles sont même confortées. Et nous sommes très heureux parce que la réforme de la Politique agricole commune que nous avons décidée il y a un an, ne sera pas remise en cause. Donc, la Politique agricole européenne se trouve confirmée. Après, il y a une deuxième catégorie d'aides : ce sont les aides à l'exportation. Ces aides étaient très importantes en Europe, il y a encore dix ans, puisqu'elles représentaient 30 % du budget agricole européen. Maintenant, elles n'en représentent plus que moins de 5 %. Le gros problème, c'était quoi ? Le problème, c'est qu'en Europe, les aides sont clairement affichée - c'est ce qu'on appelle les restitutions -, alors qu'aux Etats-Unis, elles prennent des formes diverses et beaucoup plus subtiles : il y a les crédits à l'exportation, il y a ce que l'on appelle les "marketing loans", qui sont des sortes de crédits de campagne. Il y aussi, aux Etats-Unis, une forme détournée de l'aide alimentaire, puisque les Américains ne font de l'aide alimentaire que quand ils ont des surplus, donc nous considérions que ce n'était de la vraie aide alimentaire..."
A. Ardisson - Pour en revenir à ce qui se passe chez nous, dans ces moins de 5 % que vous désignez comme des aides à l'exportation, concrètement, pouvez-vous nous donner un exemple de produit ?
R - "Par exemple, l'hiver dernier, nous avons eu des problèmes à gérer sur le marché du porc, et pendant quelques semaines, en janvier-février, l'Union européenne a subventionné les exportations de viande de porc européennes. Voilà un exemple très concret. Donc, ce sont des aides ponctuelles, elles ne sont pas générales et absolues : c'est-à-dire qu'un producteur de porcs, par exemple, ne peut pas dire qu'il a tout le temps des aides à l'exportation. C'est décidé à Bruxelles, en fonction de la situation du marché, d'attribuer ou non des aides aux exportations."
A. Ardisson - Et cela, on ne pourra plus le faire ?
R - "A terme, on ne pourra plus le faire, puisque comme vous l'avez dit très justement, le diable se niche dans les détails. Donc, un des sujets de négociation, à partir de cet automne et jusqu'en décembre 2005, qui est la fin du cycle de négociations actuelles, sera le rythme de démantèlement. Le rythme sera vraisemblablement un horizon 2015 ou 2017, ce qui nous laissera le temps de nous retourner."
A. Ardisson - Si ces aides sont ponctuelles et résiduelles, pourquoi être monté sur vos grands chevaux, lorsque le commissaire européen, P. Lamy a proposé de mettre le dossier sur la table, si on n'avait rien à perdre ? Etait-ce un jeu de rôles ?
R - "D'abord, nous avions à perdre ; et ensuite, nous pensions et nous pensons toujours qu'une négociation doit être équilibrée. Si j'ai dit ce que j'ai dit il y a un mois ou deux, c'est que l'Europe, à ce stade de la négociation, faisait beaucoup de concessions unilatérales et qu'à ce moment-là, les Etats-Unis, eux, ne bougeaient pas. Ce qui s'est passé d'important dans les dix jours qui nous ont séparé de samedi soir, c'est que les Etats-Unis ont accepté des disciplines pour les politiques agricoles qu'ils n'acceptaient pas auparavant. Et à partir du moment où les efforts étaient équilibrés, il n'y avait aucune raison pour que nous nous y opposions."
A. Ardisson - J'écoutais hier nos confrères de Radio Canada. Chez eux, les producteurs de grain se font du souci, parce qu'ils sont distribués par un office fédéral. En revanche, les producteurs de boeuf, se frottent les mains : ils disent qu'ils sont moins subventionnés que leurs concurrents, donc, pour eux, c'est plutôt une bonne chose. Rassurez-vous, je ne vais pas vous demander de commenter la situation des agriculteurs canadiens, mais chez nous, est-ce que certaines catégories vont avoir des bonnes surprises grâce à cet accord ?
R - "Il y a deux choses dans l'accord. Il y a les subventions aux exportations, dont on a beaucoup parlées. Je ne reviens pas dessus ; je crois que l'on a obtenu un accord équilibré qui sera mis en oeuvre progressivement. Et puis, il y a un deuxième sujet que l'on appelle "l'accès" : ce sont tout simplement les droits de douane en réalité. Sur cette gestion de l'accès, nous avons obtenu la possibilité de pouvoir lister un certain nombre de produits sensibles pour lesquels nous pourrons garder un certain nombre de dispositions particulières. Donc, maintenant, nous allons établir cette liste des produits sensibles au niveau européen, pour les défendre au niveau international. La viande de boeuf pourrait en faire partie."
A. Ardisson - Les jeunes agriculteurs contestent cet accès au marché. Ils disent que les contreparties ne sont pas suffisantes. Pouvez-vous les rassurer ?
R - "J'ai été en liaison permanente avec les jeunes agriculteurs et j'ai lu leur communiqué. D'ailleurs, je suis d'accord avec eux quand ils disent que notre vision de l'agriculture n'est pas celle du Brésil. En fin de compte, tout l'enjeu des négociations futures, au delà de tous les sujets techniques dont on a parlé, c'est un sujet éminemment politique. Parce que c'est en Europe, aujourd'hui, que l'on a les normes en matière d'environnement, de protection sociale, de sécurité alimentaire, de bien-être animal qui sont les plus élevées au monde, et nous sommes concurrencés, non seulement sur les marchés internationaux, mais aussi sur le marché européen, avec des produits agricoles qui ne sont pas produits selon les mêmes normes. C'est pourquoi le débat de l'étiquetage est majeur, pour que le consommateur choisisse en connaissance de cause. Je dirais qu'il faut manger comme on pense. Le consommateur européen, entre un produit qui aura été produit d'après des normes contraignantes en matière de sécurité sanitaire et de bien-être animal, qu'il achète ce produit, plutôt qu'un produit fabriqué dans d'autres circonstances. C'est très important."
A. Ardisson - Cela reste à négocier, si je comprends bien ?
R - "Cela reste à négocier. Cela fait partie des sujets que l'on appelle, dans le jargon, "les considérations ou les sujets non tarifaires". Et effectivement, il y a beaucoup de diable dans ces détails-là."
A. Ardisson - L'autre négociation séparée, qui a permis le déblocage de la situation, c'est celle qui s'est passée entre les Américains et les pays d'Afrique de l'Ouest, producteurs de coton - le Bénin, Burkina Faso et Mali. Des délégations américaines se sont rendues sur place ; des Africains ont été invités en Caroline du Nord, du Sud, bref dans les Etats producteurs... Donc, l'accord a été préparé en profondeur et en amont. Faut-il dire que les Américains sont les patrons ?
R - "Non, ce n'est pas cela. Mais c'est qu'à Cancun, l'an dernier, au mois de septembre, nous avons eu un échec de la conférence ministérielle en grande partie à cause du coton. Vous savez que la France a toujours aidé les producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest. Et d'ailleurs, nous ne sommes pas pour rien dans le développement de cette culture dans ces pays-là, il y a une cinquantaine d'années. Et quand nous avons vu cette situation, nous autres Européens, avons décidé de notre politique pour le coton. Il n'y a que deux pays producteurs en Europe, la Grèce et l'Espagne, et nous avons immédiatement réformé notre politique agricole pour qu'elle soit plus compatible avec les Africains, sachant que la production européenne de coton ne représente que 5 % de la production mondiale et n'est pas exportée. Donc, nous, nous avons fait notre travail. Après, il restait le problème américain et donc, la clef pour débloquer cet aspect des négociations était effectivement que les pays africains acceptent des choses des Etats-Unis. Les Etats-Unis ont pris un certain nombre d'engagements, qui ont été formalisés dans les jours qui ont précédé la réunion de Genève, la semaine prochaine ; ils en sont satisfaits et donc, je suis satisfait que les Africains soient satisfaits."
A. Ardisson - Ces négociations séparées entre vous, les Américains, les pays émergents et puis, d'un autre côté, les Américains et les Africains, cela n'a pas plu à tout le monde. Beaucoup dénoncent le coté "non-démocratique" de l'OMC.
R - "Deux observations. D'abord, sur un sujet comme le coton, je pense qu'il ne pouvait pas en être autrement, puisque c'était un sujet qui opposait quelques pays africains aux Etats-Unis. La clef était aux Etats-Unis, donc c'est normal qu'il y ait eu un accord séparé. Deuxième observation : à l'OMC, les décisions se prennent à l'unanimité. Donc, si l'accord final avait vraiment déplu à tel ou tel pays, il aurait pu s'y opposer. Quand nous nous sommes réunis, dans la nuit de samedi à dimanche, à 1h30 du matin, à Genève, rien n'empêchait quelque pays que ce soit, y compris un pays faisant 100.000 habitants, un micro-Etat du Pacifique ou de la Caraïbe, rien ne lui aurait interdit de s'y opposer. Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas eu accord. Le problème des négociations à l'OMC, c'est que ce sont des sujets extrêmement compliqués, qu'il y a 147 Etats membres - presque autant qu'à l'ONU - et qu'il faut bien une procédure pour avancer. Parce qu'on a les grandes déclarations, on a les textes - cela a été un peu Cancun l'année dernière. Mais il arrive un moment où il faut travailler sur des textes. Donc, c'est vrai que le processus qui s'est passé ces dernières semaines, c'est que les cinq grands groupes de pays producteurs se sont mis autour de la table pour rédiger un papier de compromis... Et c'est sur la base de ce papier de compromis, qui a été modifié à trois ou quatre reprises, qu'on est arrivé à un accord."
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 août 2004)
Q - Comment jugez-vous l'accord obtenu à Genève ?
R - Je suis satisfait des améliorations obtenues par rapport aux précédents documents. Nous sommes venus à Genève dans une attitude très pragmatique, nous ne voulions pas d'accord à tout prix et, au départ, rien n'était acquis. Les résultats auxquels nous sommes parvenus sont concrets. La PAC, telle qu'elle a été réformée l'année dernière, n'a pas été remise en question. S'agissant des subventions, nous étions d'accord de les supprimer compte tenu de leurs effets perturbants, mais il fallait que tout le monde soit logé à la même enseigne. Nous avons obtenu le parallélisme que nous souhaitions. Les États-Unis, qui ont accepté de réformer leur politique agricole, méritent un coup de chapeau.
Q - Quelles sont les implications pour la France de la suppression des subventions au commerce agricole ?
R - Il faut souligner que le calendrier n'a pas été fixé dans cet accord. On peut estimer l'échéance de la fin des subventions à 2015-2017. Il s'agira donc d'une évolution lente. Aujourd'hui, les subventions en Europe sont résiduelles. Il y a cinq ans, elles représentaient 30 % du budget, et seulement 5 % aujourd'hui. Il faudra quand même être très vigilant dans cette période de transition pour la filière laitière, porcine et aviaire.
Q - Qu'en est-il des tensions avec le commissaire européen au Commerce ?
R - Le mandat de négociation a été respecté. Le résultat est équilibré. Nous ne voulions pas être dans une position défavorable par rapport aux autres États membres non européens de l'OMC. Des pays comme l'Italie, l'Espagne, l'Irlande, le Portugal, la Hongrie ou la Pologne ont soutenu notre vision des choses.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2004)
R - "Non, ce n'était pas évident. Quand on rentre dans une négociation, on ne sait jamais comment cela va se terminer. Il y a quinze jours-trois semaines, les premiers documents de compromis étaient tout à fait inquiétants. D'ailleurs beaucoup de pays, dont la France, s'en sont émus. Mais c'est vrai que dans le cours de la négociation à Genève, nous avons eu des rédactions bien meilleures, ce qui a conduit l'Europe a accepter ce compris."
A. Ardisson - L'objectif, en matière d'agriculture, c'est la limitation, à terme, des subventions à l'exportation, qui faussent le marché. Pour les Américains, elles prennent la forme de crédits ; pour les Européens, c'est plus complexe. Quelles sont les aides publiques concernées, notamment pour les agriculteurs français ?
R - "Tout d'abord, en, Europe, il y a deux catégories d'aides : il y a des aides compensatoires de baisse de prix - c'est ce que l'on appelle les aides internes -, ainsi que les aides agro-environnementales, pour une meilleure prise en compte de l'environnement dans l'agriculture. Ces aides ne sont pas concernées par l'accord, elles sont même confortées. Et nous sommes très heureux parce que la réforme de la Politique agricole commune que nous avons décidée il y a un an, ne sera pas remise en cause. Donc, la Politique agricole européenne se trouve confirmée. Après, il y a une deuxième catégorie d'aides : ce sont les aides à l'exportation. Ces aides étaient très importantes en Europe, il y a encore dix ans, puisqu'elles représentaient 30 % du budget agricole européen. Maintenant, elles n'en représentent plus que moins de 5 %. Le gros problème, c'était quoi ? Le problème, c'est qu'en Europe, les aides sont clairement affichée - c'est ce qu'on appelle les restitutions -, alors qu'aux Etats-Unis, elles prennent des formes diverses et beaucoup plus subtiles : il y a les crédits à l'exportation, il y a ce que l'on appelle les "marketing loans", qui sont des sortes de crédits de campagne. Il y aussi, aux Etats-Unis, une forme détournée de l'aide alimentaire, puisque les Américains ne font de l'aide alimentaire que quand ils ont des surplus, donc nous considérions que ce n'était de la vraie aide alimentaire..."
A. Ardisson - Pour en revenir à ce qui se passe chez nous, dans ces moins de 5 % que vous désignez comme des aides à l'exportation, concrètement, pouvez-vous nous donner un exemple de produit ?
R - "Par exemple, l'hiver dernier, nous avons eu des problèmes à gérer sur le marché du porc, et pendant quelques semaines, en janvier-février, l'Union européenne a subventionné les exportations de viande de porc européennes. Voilà un exemple très concret. Donc, ce sont des aides ponctuelles, elles ne sont pas générales et absolues : c'est-à-dire qu'un producteur de porcs, par exemple, ne peut pas dire qu'il a tout le temps des aides à l'exportation. C'est décidé à Bruxelles, en fonction de la situation du marché, d'attribuer ou non des aides aux exportations."
A. Ardisson - Et cela, on ne pourra plus le faire ?
R - "A terme, on ne pourra plus le faire, puisque comme vous l'avez dit très justement, le diable se niche dans les détails. Donc, un des sujets de négociation, à partir de cet automne et jusqu'en décembre 2005, qui est la fin du cycle de négociations actuelles, sera le rythme de démantèlement. Le rythme sera vraisemblablement un horizon 2015 ou 2017, ce qui nous laissera le temps de nous retourner."
A. Ardisson - Si ces aides sont ponctuelles et résiduelles, pourquoi être monté sur vos grands chevaux, lorsque le commissaire européen, P. Lamy a proposé de mettre le dossier sur la table, si on n'avait rien à perdre ? Etait-ce un jeu de rôles ?
R - "D'abord, nous avions à perdre ; et ensuite, nous pensions et nous pensons toujours qu'une négociation doit être équilibrée. Si j'ai dit ce que j'ai dit il y a un mois ou deux, c'est que l'Europe, à ce stade de la négociation, faisait beaucoup de concessions unilatérales et qu'à ce moment-là, les Etats-Unis, eux, ne bougeaient pas. Ce qui s'est passé d'important dans les dix jours qui nous ont séparé de samedi soir, c'est que les Etats-Unis ont accepté des disciplines pour les politiques agricoles qu'ils n'acceptaient pas auparavant. Et à partir du moment où les efforts étaient équilibrés, il n'y avait aucune raison pour que nous nous y opposions."
A. Ardisson - J'écoutais hier nos confrères de Radio Canada. Chez eux, les producteurs de grain se font du souci, parce qu'ils sont distribués par un office fédéral. En revanche, les producteurs de boeuf, se frottent les mains : ils disent qu'ils sont moins subventionnés que leurs concurrents, donc, pour eux, c'est plutôt une bonne chose. Rassurez-vous, je ne vais pas vous demander de commenter la situation des agriculteurs canadiens, mais chez nous, est-ce que certaines catégories vont avoir des bonnes surprises grâce à cet accord ?
R - "Il y a deux choses dans l'accord. Il y a les subventions aux exportations, dont on a beaucoup parlées. Je ne reviens pas dessus ; je crois que l'on a obtenu un accord équilibré qui sera mis en oeuvre progressivement. Et puis, il y a un deuxième sujet que l'on appelle "l'accès" : ce sont tout simplement les droits de douane en réalité. Sur cette gestion de l'accès, nous avons obtenu la possibilité de pouvoir lister un certain nombre de produits sensibles pour lesquels nous pourrons garder un certain nombre de dispositions particulières. Donc, maintenant, nous allons établir cette liste des produits sensibles au niveau européen, pour les défendre au niveau international. La viande de boeuf pourrait en faire partie."
A. Ardisson - Les jeunes agriculteurs contestent cet accès au marché. Ils disent que les contreparties ne sont pas suffisantes. Pouvez-vous les rassurer ?
R - "J'ai été en liaison permanente avec les jeunes agriculteurs et j'ai lu leur communiqué. D'ailleurs, je suis d'accord avec eux quand ils disent que notre vision de l'agriculture n'est pas celle du Brésil. En fin de compte, tout l'enjeu des négociations futures, au delà de tous les sujets techniques dont on a parlé, c'est un sujet éminemment politique. Parce que c'est en Europe, aujourd'hui, que l'on a les normes en matière d'environnement, de protection sociale, de sécurité alimentaire, de bien-être animal qui sont les plus élevées au monde, et nous sommes concurrencés, non seulement sur les marchés internationaux, mais aussi sur le marché européen, avec des produits agricoles qui ne sont pas produits selon les mêmes normes. C'est pourquoi le débat de l'étiquetage est majeur, pour que le consommateur choisisse en connaissance de cause. Je dirais qu'il faut manger comme on pense. Le consommateur européen, entre un produit qui aura été produit d'après des normes contraignantes en matière de sécurité sanitaire et de bien-être animal, qu'il achète ce produit, plutôt qu'un produit fabriqué dans d'autres circonstances. C'est très important."
A. Ardisson - Cela reste à négocier, si je comprends bien ?
R - "Cela reste à négocier. Cela fait partie des sujets que l'on appelle, dans le jargon, "les considérations ou les sujets non tarifaires". Et effectivement, il y a beaucoup de diable dans ces détails-là."
A. Ardisson - L'autre négociation séparée, qui a permis le déblocage de la situation, c'est celle qui s'est passée entre les Américains et les pays d'Afrique de l'Ouest, producteurs de coton - le Bénin, Burkina Faso et Mali. Des délégations américaines se sont rendues sur place ; des Africains ont été invités en Caroline du Nord, du Sud, bref dans les Etats producteurs... Donc, l'accord a été préparé en profondeur et en amont. Faut-il dire que les Américains sont les patrons ?
R - "Non, ce n'est pas cela. Mais c'est qu'à Cancun, l'an dernier, au mois de septembre, nous avons eu un échec de la conférence ministérielle en grande partie à cause du coton. Vous savez que la France a toujours aidé les producteurs de coton d'Afrique de l'Ouest. Et d'ailleurs, nous ne sommes pas pour rien dans le développement de cette culture dans ces pays-là, il y a une cinquantaine d'années. Et quand nous avons vu cette situation, nous autres Européens, avons décidé de notre politique pour le coton. Il n'y a que deux pays producteurs en Europe, la Grèce et l'Espagne, et nous avons immédiatement réformé notre politique agricole pour qu'elle soit plus compatible avec les Africains, sachant que la production européenne de coton ne représente que 5 % de la production mondiale et n'est pas exportée. Donc, nous, nous avons fait notre travail. Après, il restait le problème américain et donc, la clef pour débloquer cet aspect des négociations était effectivement que les pays africains acceptent des choses des Etats-Unis. Les Etats-Unis ont pris un certain nombre d'engagements, qui ont été formalisés dans les jours qui ont précédé la réunion de Genève, la semaine prochaine ; ils en sont satisfaits et donc, je suis satisfait que les Africains soient satisfaits."
A. Ardisson - Ces négociations séparées entre vous, les Américains, les pays émergents et puis, d'un autre côté, les Américains et les Africains, cela n'a pas plu à tout le monde. Beaucoup dénoncent le coté "non-démocratique" de l'OMC.
R - "Deux observations. D'abord, sur un sujet comme le coton, je pense qu'il ne pouvait pas en être autrement, puisque c'était un sujet qui opposait quelques pays africains aux Etats-Unis. La clef était aux Etats-Unis, donc c'est normal qu'il y ait eu un accord séparé. Deuxième observation : à l'OMC, les décisions se prennent à l'unanimité. Donc, si l'accord final avait vraiment déplu à tel ou tel pays, il aurait pu s'y opposer. Quand nous nous sommes réunis, dans la nuit de samedi à dimanche, à 1h30 du matin, à Genève, rien n'empêchait quelque pays que ce soit, y compris un pays faisant 100.000 habitants, un micro-Etat du Pacifique ou de la Caraïbe, rien ne lui aurait interdit de s'y opposer. Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas eu accord. Le problème des négociations à l'OMC, c'est que ce sont des sujets extrêmement compliqués, qu'il y a 147 Etats membres - presque autant qu'à l'ONU - et qu'il faut bien une procédure pour avancer. Parce qu'on a les grandes déclarations, on a les textes - cela a été un peu Cancun l'année dernière. Mais il arrive un moment où il faut travailler sur des textes. Donc, c'est vrai que le processus qui s'est passé ces dernières semaines, c'est que les cinq grands groupes de pays producteurs se sont mis autour de la table pour rédiger un papier de compromis... Et c'est sur la base de ce papier de compromis, qui a été modifié à trois ou quatre reprises, qu'on est arrivé à un accord."
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 août 2004)
Q - Comment jugez-vous l'accord obtenu à Genève ?
R - Je suis satisfait des améliorations obtenues par rapport aux précédents documents. Nous sommes venus à Genève dans une attitude très pragmatique, nous ne voulions pas d'accord à tout prix et, au départ, rien n'était acquis. Les résultats auxquels nous sommes parvenus sont concrets. La PAC, telle qu'elle a été réformée l'année dernière, n'a pas été remise en question. S'agissant des subventions, nous étions d'accord de les supprimer compte tenu de leurs effets perturbants, mais il fallait que tout le monde soit logé à la même enseigne. Nous avons obtenu le parallélisme que nous souhaitions. Les États-Unis, qui ont accepté de réformer leur politique agricole, méritent un coup de chapeau.
Q - Quelles sont les implications pour la France de la suppression des subventions au commerce agricole ?
R - Il faut souligner que le calendrier n'a pas été fixé dans cet accord. On peut estimer l'échéance de la fin des subventions à 2015-2017. Il s'agira donc d'une évolution lente. Aujourd'hui, les subventions en Europe sont résiduelles. Il y a cinq ans, elles représentaient 30 % du budget, et seulement 5 % aujourd'hui. Il faudra quand même être très vigilant dans cette période de transition pour la filière laitière, porcine et aviaire.
Q - Qu'en est-il des tensions avec le commissaire européen au Commerce ?
R - Le mandat de négociation a été respecté. Le résultat est équilibré. Nous ne voulions pas être dans une position défavorable par rapport aux autres États membres non européens de l'OMC. Des pays comme l'Italie, l'Espagne, l'Irlande, le Portugal, la Hongrie ou la Pologne ont soutenu notre vision des choses.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2004)