Texte intégral
Monsieur le président,
Nous vous remercions de nous avoir accordé l'occasion de nous exprimer ici sur la situation de la laïcité dans la République. Sont à mes côtés notamment pour répondre à vos questions le président de notre syndicat SNEC-CFTC de l'enseignement privé, Christian Levrel. Il est aussi notre chef de file sur toutes les questions touchant à l'école. Je crois que vous connaissez déjà un peu, Monsieur le Président, Pascale Coton, secrétaire générale de notre Fédération Postes et Télécommunications. Elle est responsable à la CFTC des questions d'équité, d'égalité professionnelle et de lutte contre les discriminations. Elle a aussi une sensibilité personnelle sur les questions que nous abordons aujourd'hui parce qu'elle habite dans une des banlieues dont les médias nous montrent quasi quotidiennement en ce moment les difficultés d'intégration.
Nous nous exprimons ici à plusieurs titres. Tout d'abord parce que nous sommes un syndicat de salariés, avec notamment des personnels plus particulièrement exposés sur ces questions de laïcité, fonctionnaires, enseignants. Mais aussi, vous le savez, parce que nous sommes un syndicat qui occupe une place particulière dans le paysage syndical, une organisation laïque, agissant dans la sphère publique, qui se réclame et s'inspire dans son action des valeurs sociales-chrétiennes. Une laïcité dynamique est en quelque sorte constitutive de notre histoire, puisque, dès la création de la CFTC en 1919, la CFTC a voulu rassembler des personnes de toutes confessions religieuses sur un projet intégrant la dimension spirituelle de la nature humaine, ce qui nous permet aujourd'hui de rassembler des militants de tous horizons, chrétiens, juifs , musulmans, non croyants, souvent attirés par un corps de doctrine qui rejoint leurs aspirations les plus profondes parce qu'il fait référence à une conception globale de l'homme.
La construction mouvementée dans notre pays de la laïcité a traversé également notre histoire. La CFTC a toujours dû conquérir sa place, souvent de haute lutte, face à des prétentions monopolistiques dans le paysage syndical qui s'abritaient derrière une fausse laïcité que nous qualifierions plutôt d'intégrisme laïque. Rappelons aussi brièvement la querelle scolaire il y a vingt ans. Les Français se sont alors exprimés massivement en faveur d'une liberté fondamentale et de la prise en compte par l'Etat de la responsabilité éducative première des familles et de la liberté de choix de l'école qui en résulte, dans le cadre du projet républicain sur l'école. Et dans cette mobilisation, la CFTC a pris une large part.
Ce qu'est pour nous la laïcité
Pardonnez-moi ce retour sur notre histoire. Il me permet de brosser à grands traits ce qu'est pour nous la laïcité : un espace de liberté et de modernité qui garantit les valeurs de la République, valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, un modèle qui peut donc convenir à tous, de tous horizons. Ce modèle a permis jusqu'ici à la France d'avoir ce génie intégrationniste qu'on lui connaît et dont certains ont parlé ici mieux que moi. Je reprendrai les mots de Monsieur Boubaker pour dire que pour nous aussi, la laïcité a pour valeur le vouloir vivre ensemble, l'accueil, l'ouverture à l'autre, dans le respect des différences mais aussi avec la conscience qui est supérieure d'appartenir au même groupe. Pour nous, la laïcité implique la neutralité du service public mais aussi la garantie de toutes les expressions religieuses qui ne contreviennent pas à l'ordre public d'un pays démocratique et qui ne portent pas atteinte à la liberté d'autrui.
Cette laïcité est en tension permanente avec deux formes d'intégrismes, l'intégrisme religieux et l'intégrisme laïque. Elle est menacée par la montée du communautarisme, qui porte une atteinte directe à la cohésion de notre nation et qui se nourrit d'un modèle d'intégration qui ne fonctionne plus. Dans les quartiers en panne d'intégration, c'est tout un ensemble de signes qui montre la mise en échec de l'intégration, et pas seulement le port du voile à l'école. On y trouve des " boutiques de téléphones ", qui proposent des circuits parallèles et gratuits pour téléphoner dans le monde entier. Des circuits bancaires spécifiques y sont également présents ; le trafic, par exemple celui de scooters volés, y est courant, prospère, et ceux qui s'y livrent ne craignent pas le chômage. Et dans ces quartiers, ils sont bien les seuls. Dans un tel contexte, ce serait de l'enfantillage que de se focaliser sur la question du port du voile à l'école. Mais c'est cette question du port du voile qui émerge et avec elle, la tentation est grande, par réaction, de réduire la laïcité à ce qui nous semble une caricature, à l'absence de port de tout signe religieux, alors que le Conseil d'Etat a régulièrement rappelé que le port d'un signe religieux à l'école n'est pas incompatible en soi avec la laïcité. Mais ce message, on le voit, a du mal à passer. Il y a une certaine distorsion entre une vision socioculturelle de la laïcité, héritée de l'ère positiviste, et son contenu juridique. C'est cela qui pose problème bien plus que l'arrêt du Conseil d'Etat, qui n'est pas si imprécis que certains le disent. Pour nous, il est assez précis, mais semble mal connu, notamment des enseignants.
La laïcité à l'école
Que faut-il faire ? Il y a tout d'abord sûrement un travail d'explication à faire, un travail qui rassemble les textes essentiels sur la laïcité et qui fasse passer le message auprès de tous les acteurs concernés, parents, élèves, enseignants, intervenants sociaux, tribunaux administratifs. En ce sens; nous sommes donc favorables à une charte de la laïcité. Il y a lieu d'expliquer ce qu'est la laïcité en milieu scolaire Cet enseignement de la laïcité pourrait également être diffusé dans des cours d'éducation civique. La connaissance plus approfondie des religions, par exemple à travers les cours d'histoire et de français, devrait permettre une meilleure ouverture à l'autre et une compréhension des différences.
Nous sommes en revanche défavorables à une loi interdisant le port de tout signe religieux à l'école. En disant cela, il ne s'agit pas non plus pour nous de défendre le port du voile. Il s'agit d'être réalistes face aux situations vécues. Le port du voile a, on le sait bien, non pas une signification mais une pluralité de significations, qui vont de la prescription religieuse, qui est respectable, à une emprise politisée et militante, que la République ne peut accepter, en passant par une conception également inacceptable de la place de la femme dans la société. C'est pourquoi on ne peut pas non plus encourager le port du voile. La tolérance a ses limites : elle respecte chaque personne mais exige la réciprocité. Cette situation complexe requiert donc de la souplesse et du doigté plutôt qu'une loi rigide qui au surplus ne règlerait rien. Celle-ci risquerait plutôt de crisper les réactions identitaires qui s'expriment parfois à travers le port du foulard, et de nourrir le fondamentalisme que l'on prétend combattre. Comment ne pas voir surtout que l'exclusion d'une jeune fille voilée est toujours un échec de l'intégration, et donc un échec de la République ?
L'on ne peut pas penser que ce sort là, réservé aux jeunes filles, ne serait pas une souffrance de plus pour les enseignants qui se déclarent désarmés actuellement. Le personnel éducatif est en première ligne dans le combat de l'intégration par le savoir. L'on peut comprendre que certains d'entre eux, aspirent à des règles coercitives. Mais combien d'autres, et c'est plutôt la tendance que nous observons chez nos enseignants CFTC, travaillent dans la discrétion à dialoguer avec les jeunes filles concernées et veulent à tous prix éviter la porte de sortie de l'exclusion.
La laïcité sur les lieux de travail
Les contentieux sur des affaires de prosélytisme religieux et d'entorses à la laïcité sur les lieux de travail ne sont pas légion, mais il y en a, c'est vrai. Concernant le secteur privé, notre position sur le sujet est la suivante : si une salariée est embauchée alors qu'elle porte un voile, on ne voit pas bien comment l'entreprise pourrait justifier ensuite son licenciement sur ce motif même. Plus complexe est le cas de la salariée qui change d'attitude après son embauche. En ce cas, si elle est en contact avec la clientèle, la CFTC considère qu'une entreprise peut exiger par son règlement intérieur le respect de critères vestimentaires nécessaires à la bonne marche de l'entreprise, voire contribuant à son image. Là encore, nous préconisons d'agir en bonne intelligence, avec tact et mesure. Comme l'école, le milieu de travail est pour nous un puissant facteur d'intégration. Dans des relations de travail normales où la recherche de la satisfaction du client fédère les énergies, il n'y a plus ni juif, ni chrétien, ni musulman. Dans certaines chaînes de montage de voitures, les rythmes de travail sont adaptées au moment du Ramadan et je ne crois pas que les voitures soient moins performantes à la sortie. C'est plutôt le contraire. Et entre temps, on a gagné sur le terrain de l'intégration et de l'ouverture à l'autre. N'est-il pas frappant de voir que dans d'autres pays européens qui ont une autre pratique de la laïcité, cette question semble moins sujette à polémique ?
Dans la fonction publique, le fonctionnaire signe à l'entrée un contrat avec l'Etat qu'il est tenu ensuite de respecter, et qui comprend notamment le respect de la neutralité de l'Etat. L'interdiction du port de signes religieux affichés nous semble donc justifié dans ce contexte.
Donc sur la question du port d'insignes religieux dans le monde du travail, la jurisprudence actuelle nous paraît équilibrée. En revanche, la plus grande vigilance s'impose toujours à l'égard des comportements et mesures discriminatoires au travail qui nous paraissent attentatoire à la laïcité telle que nous la percevons. En dépit de l'adoption de la loi de lutte contre toutes les discriminations, en 2001, ces comportements persistent même s'il n'est pas toujours facile d'en faire la démonstration. Les chiffres sont révélateurs. Ainsi le chômage des étrangers d'origine non européenne est trois fois plus élevé que celui des français de souche. Le BIT a d'ailleurs présenté en mai dernier un rapport alarmant sur les discriminations au travail.
La loi de lutte contre les discriminations, même si elle améliore nettement la protection des victimes de mesures discriminatoires, comporte au moins deux lacunes.
La première tenait à l'absence de création d'un organisme indépendant tel que prévu par la législation européenne. Nous avons accueilli avec satisfaction l'annonce de la création d'une telle autorité dont la responsabilité vous a été confiée, Monsieur le président. Nous en espérons un rôle d'impulsion pour modifier les pratiques et pour faire évoluer les comportements en matière de discriminations.
Une deuxième lacune doit encore être corrigée : si les discriminations syndicales et sexuelles sont sanctionnées pénalement, les autres motifs discriminatoires, et notamment les motifs raciaux, ne se voient pas réserver le même sort : les poursuites pénales sont actuellement limitées aux seuls cas de licenciements, sanction, refus d'embaucheIl n'existe aucune incrimination pénale pour les différentes mesures relatives à la carrière du salarié.
Se donner les moyens de notre laïcité
Au-delà des débats conceptuels, au-delà d'un ajustement des lois, nous voudrions dire que si la République ne se donne pas les moyens de sa laïcité, moyens au niveau de la politique du logement, moyens au niveau de l'insertion des jeunes, tout ce travail juridique et conceptuel ne servira à rien : on assistera à une radicalisation dans les quartiers, à une montée du communautarisme. Les politiques de logement social sont un domaine complexe et je vous ferai grâce ici des préconisations techniques que l'on pourrait faire sur le sujet mais au moins, ne réduisons pas chaque année davantage les enveloppes dévolues au logement social. Nous pourrions en dire autant des politiques d'insertion des jeunes. Rappelons simplement que la France est l'une des lanternes rouges sur le chômage des jeunes, juste après la Grèce, et l'Espagne : 20 % des jeunes de moins de 25 ans sont chômeurs en France contre un peu plus de 9 % en Allemagne. C'est une moyenne qui nous donne une idée de ce que peut être le chômage des jeunes dans les cités. Préserver notre laïcité, c'est aussi et avant tout donner à tous ces jeunes un avenir au sein de la République. Cela exige que l'intégration et notamment l'insertion des jeunes soient une priorité nationale.
(source http://www.cftc.fr, le 4 novembre 2003)
Nous vous remercions de nous avoir accordé l'occasion de nous exprimer ici sur la situation de la laïcité dans la République. Sont à mes côtés notamment pour répondre à vos questions le président de notre syndicat SNEC-CFTC de l'enseignement privé, Christian Levrel. Il est aussi notre chef de file sur toutes les questions touchant à l'école. Je crois que vous connaissez déjà un peu, Monsieur le Président, Pascale Coton, secrétaire générale de notre Fédération Postes et Télécommunications. Elle est responsable à la CFTC des questions d'équité, d'égalité professionnelle et de lutte contre les discriminations. Elle a aussi une sensibilité personnelle sur les questions que nous abordons aujourd'hui parce qu'elle habite dans une des banlieues dont les médias nous montrent quasi quotidiennement en ce moment les difficultés d'intégration.
Nous nous exprimons ici à plusieurs titres. Tout d'abord parce que nous sommes un syndicat de salariés, avec notamment des personnels plus particulièrement exposés sur ces questions de laïcité, fonctionnaires, enseignants. Mais aussi, vous le savez, parce que nous sommes un syndicat qui occupe une place particulière dans le paysage syndical, une organisation laïque, agissant dans la sphère publique, qui se réclame et s'inspire dans son action des valeurs sociales-chrétiennes. Une laïcité dynamique est en quelque sorte constitutive de notre histoire, puisque, dès la création de la CFTC en 1919, la CFTC a voulu rassembler des personnes de toutes confessions religieuses sur un projet intégrant la dimension spirituelle de la nature humaine, ce qui nous permet aujourd'hui de rassembler des militants de tous horizons, chrétiens, juifs , musulmans, non croyants, souvent attirés par un corps de doctrine qui rejoint leurs aspirations les plus profondes parce qu'il fait référence à une conception globale de l'homme.
La construction mouvementée dans notre pays de la laïcité a traversé également notre histoire. La CFTC a toujours dû conquérir sa place, souvent de haute lutte, face à des prétentions monopolistiques dans le paysage syndical qui s'abritaient derrière une fausse laïcité que nous qualifierions plutôt d'intégrisme laïque. Rappelons aussi brièvement la querelle scolaire il y a vingt ans. Les Français se sont alors exprimés massivement en faveur d'une liberté fondamentale et de la prise en compte par l'Etat de la responsabilité éducative première des familles et de la liberté de choix de l'école qui en résulte, dans le cadre du projet républicain sur l'école. Et dans cette mobilisation, la CFTC a pris une large part.
Ce qu'est pour nous la laïcité
Pardonnez-moi ce retour sur notre histoire. Il me permet de brosser à grands traits ce qu'est pour nous la laïcité : un espace de liberté et de modernité qui garantit les valeurs de la République, valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, un modèle qui peut donc convenir à tous, de tous horizons. Ce modèle a permis jusqu'ici à la France d'avoir ce génie intégrationniste qu'on lui connaît et dont certains ont parlé ici mieux que moi. Je reprendrai les mots de Monsieur Boubaker pour dire que pour nous aussi, la laïcité a pour valeur le vouloir vivre ensemble, l'accueil, l'ouverture à l'autre, dans le respect des différences mais aussi avec la conscience qui est supérieure d'appartenir au même groupe. Pour nous, la laïcité implique la neutralité du service public mais aussi la garantie de toutes les expressions religieuses qui ne contreviennent pas à l'ordre public d'un pays démocratique et qui ne portent pas atteinte à la liberté d'autrui.
Cette laïcité est en tension permanente avec deux formes d'intégrismes, l'intégrisme religieux et l'intégrisme laïque. Elle est menacée par la montée du communautarisme, qui porte une atteinte directe à la cohésion de notre nation et qui se nourrit d'un modèle d'intégration qui ne fonctionne plus. Dans les quartiers en panne d'intégration, c'est tout un ensemble de signes qui montre la mise en échec de l'intégration, et pas seulement le port du voile à l'école. On y trouve des " boutiques de téléphones ", qui proposent des circuits parallèles et gratuits pour téléphoner dans le monde entier. Des circuits bancaires spécifiques y sont également présents ; le trafic, par exemple celui de scooters volés, y est courant, prospère, et ceux qui s'y livrent ne craignent pas le chômage. Et dans ces quartiers, ils sont bien les seuls. Dans un tel contexte, ce serait de l'enfantillage que de se focaliser sur la question du port du voile à l'école. Mais c'est cette question du port du voile qui émerge et avec elle, la tentation est grande, par réaction, de réduire la laïcité à ce qui nous semble une caricature, à l'absence de port de tout signe religieux, alors que le Conseil d'Etat a régulièrement rappelé que le port d'un signe religieux à l'école n'est pas incompatible en soi avec la laïcité. Mais ce message, on le voit, a du mal à passer. Il y a une certaine distorsion entre une vision socioculturelle de la laïcité, héritée de l'ère positiviste, et son contenu juridique. C'est cela qui pose problème bien plus que l'arrêt du Conseil d'Etat, qui n'est pas si imprécis que certains le disent. Pour nous, il est assez précis, mais semble mal connu, notamment des enseignants.
La laïcité à l'école
Que faut-il faire ? Il y a tout d'abord sûrement un travail d'explication à faire, un travail qui rassemble les textes essentiels sur la laïcité et qui fasse passer le message auprès de tous les acteurs concernés, parents, élèves, enseignants, intervenants sociaux, tribunaux administratifs. En ce sens; nous sommes donc favorables à une charte de la laïcité. Il y a lieu d'expliquer ce qu'est la laïcité en milieu scolaire Cet enseignement de la laïcité pourrait également être diffusé dans des cours d'éducation civique. La connaissance plus approfondie des religions, par exemple à travers les cours d'histoire et de français, devrait permettre une meilleure ouverture à l'autre et une compréhension des différences.
Nous sommes en revanche défavorables à une loi interdisant le port de tout signe religieux à l'école. En disant cela, il ne s'agit pas non plus pour nous de défendre le port du voile. Il s'agit d'être réalistes face aux situations vécues. Le port du voile a, on le sait bien, non pas une signification mais une pluralité de significations, qui vont de la prescription religieuse, qui est respectable, à une emprise politisée et militante, que la République ne peut accepter, en passant par une conception également inacceptable de la place de la femme dans la société. C'est pourquoi on ne peut pas non plus encourager le port du voile. La tolérance a ses limites : elle respecte chaque personne mais exige la réciprocité. Cette situation complexe requiert donc de la souplesse et du doigté plutôt qu'une loi rigide qui au surplus ne règlerait rien. Celle-ci risquerait plutôt de crisper les réactions identitaires qui s'expriment parfois à travers le port du foulard, et de nourrir le fondamentalisme que l'on prétend combattre. Comment ne pas voir surtout que l'exclusion d'une jeune fille voilée est toujours un échec de l'intégration, et donc un échec de la République ?
L'on ne peut pas penser que ce sort là, réservé aux jeunes filles, ne serait pas une souffrance de plus pour les enseignants qui se déclarent désarmés actuellement. Le personnel éducatif est en première ligne dans le combat de l'intégration par le savoir. L'on peut comprendre que certains d'entre eux, aspirent à des règles coercitives. Mais combien d'autres, et c'est plutôt la tendance que nous observons chez nos enseignants CFTC, travaillent dans la discrétion à dialoguer avec les jeunes filles concernées et veulent à tous prix éviter la porte de sortie de l'exclusion.
La laïcité sur les lieux de travail
Les contentieux sur des affaires de prosélytisme religieux et d'entorses à la laïcité sur les lieux de travail ne sont pas légion, mais il y en a, c'est vrai. Concernant le secteur privé, notre position sur le sujet est la suivante : si une salariée est embauchée alors qu'elle porte un voile, on ne voit pas bien comment l'entreprise pourrait justifier ensuite son licenciement sur ce motif même. Plus complexe est le cas de la salariée qui change d'attitude après son embauche. En ce cas, si elle est en contact avec la clientèle, la CFTC considère qu'une entreprise peut exiger par son règlement intérieur le respect de critères vestimentaires nécessaires à la bonne marche de l'entreprise, voire contribuant à son image. Là encore, nous préconisons d'agir en bonne intelligence, avec tact et mesure. Comme l'école, le milieu de travail est pour nous un puissant facteur d'intégration. Dans des relations de travail normales où la recherche de la satisfaction du client fédère les énergies, il n'y a plus ni juif, ni chrétien, ni musulman. Dans certaines chaînes de montage de voitures, les rythmes de travail sont adaptées au moment du Ramadan et je ne crois pas que les voitures soient moins performantes à la sortie. C'est plutôt le contraire. Et entre temps, on a gagné sur le terrain de l'intégration et de l'ouverture à l'autre. N'est-il pas frappant de voir que dans d'autres pays européens qui ont une autre pratique de la laïcité, cette question semble moins sujette à polémique ?
Dans la fonction publique, le fonctionnaire signe à l'entrée un contrat avec l'Etat qu'il est tenu ensuite de respecter, et qui comprend notamment le respect de la neutralité de l'Etat. L'interdiction du port de signes religieux affichés nous semble donc justifié dans ce contexte.
Donc sur la question du port d'insignes religieux dans le monde du travail, la jurisprudence actuelle nous paraît équilibrée. En revanche, la plus grande vigilance s'impose toujours à l'égard des comportements et mesures discriminatoires au travail qui nous paraissent attentatoire à la laïcité telle que nous la percevons. En dépit de l'adoption de la loi de lutte contre toutes les discriminations, en 2001, ces comportements persistent même s'il n'est pas toujours facile d'en faire la démonstration. Les chiffres sont révélateurs. Ainsi le chômage des étrangers d'origine non européenne est trois fois plus élevé que celui des français de souche. Le BIT a d'ailleurs présenté en mai dernier un rapport alarmant sur les discriminations au travail.
La loi de lutte contre les discriminations, même si elle améliore nettement la protection des victimes de mesures discriminatoires, comporte au moins deux lacunes.
La première tenait à l'absence de création d'un organisme indépendant tel que prévu par la législation européenne. Nous avons accueilli avec satisfaction l'annonce de la création d'une telle autorité dont la responsabilité vous a été confiée, Monsieur le président. Nous en espérons un rôle d'impulsion pour modifier les pratiques et pour faire évoluer les comportements en matière de discriminations.
Une deuxième lacune doit encore être corrigée : si les discriminations syndicales et sexuelles sont sanctionnées pénalement, les autres motifs discriminatoires, et notamment les motifs raciaux, ne se voient pas réserver le même sort : les poursuites pénales sont actuellement limitées aux seuls cas de licenciements, sanction, refus d'embaucheIl n'existe aucune incrimination pénale pour les différentes mesures relatives à la carrière du salarié.
Se donner les moyens de notre laïcité
Au-delà des débats conceptuels, au-delà d'un ajustement des lois, nous voudrions dire que si la République ne se donne pas les moyens de sa laïcité, moyens au niveau de la politique du logement, moyens au niveau de l'insertion des jeunes, tout ce travail juridique et conceptuel ne servira à rien : on assistera à une radicalisation dans les quartiers, à une montée du communautarisme. Les politiques de logement social sont un domaine complexe et je vous ferai grâce ici des préconisations techniques que l'on pourrait faire sur le sujet mais au moins, ne réduisons pas chaque année davantage les enveloppes dévolues au logement social. Nous pourrions en dire autant des politiques d'insertion des jeunes. Rappelons simplement que la France est l'une des lanternes rouges sur le chômage des jeunes, juste après la Grèce, et l'Espagne : 20 % des jeunes de moins de 25 ans sont chômeurs en France contre un peu plus de 9 % en Allemagne. C'est une moyenne qui nous donne une idée de ce que peut être le chômage des jeunes dans les cités. Préserver notre laïcité, c'est aussi et avant tout donner à tous ces jeunes un avenir au sein de la République. Cela exige que l'intégration et notamment l'insertion des jeunes soient une priorité nationale.
(source http://www.cftc.fr, le 4 novembre 2003)