Déclaration et interviews de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, à la presse russe les 20 et 21 janvier 2005, sur les relations entre la France et la Russie et diverses questions liées à la situation internationale.

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Circonstance : Voyage en Russie de Michel Barnier les 20 et 21 janvier 2005 à Moscou

Média : Kommersant - Presse étrangère - Radio Echo - Russie - Télévision

Texte intégral

(Entretien avec le quotidien russe "Kommersant" à Moscou le 20 janvier 2005) :
Q - Ne vous semble-t-il pas qu'il existe ces derniers temps plus de contradictions entre la Russie et l'Union européenne que de points d'adhérence ?
R - Non, l'Union européenne et la Russie ont plus que jamais besoin l'une de l'autre. Leurs rôles respectifs sur la scène internationale sont importants et ces deux grands voisins sont désormais étroitement interdépendants : l'Union européenne absorbe plus de la moitié des exportations russes. Nos échanges culturels, humains et scientifiques se développent et nous devons affronter des défis communs en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
Les quatre espaces communs que nous avons décidé de mettre en place lors du Sommet de Saint Petersbourg témoignent de l'importance des intérêts que nous partageons: espace économique, espace de liberté, de sécurité et de justice, espace de coopération dans la domaine de la sécurité extérieure, espace de recherche et d'éducation.
Des résultats importants ont déjà été obtenus : ratification du Protocole de Kyoto, ratification du protocole d'extension de l'Accord de partenariat et de coopération, accord sur l'espace d'éducation et de recherche, conclusions des négociations Union européenne-Russie sur l'accession de la Russie à l'Organisation mondiale du Commerce.
Des difficultés existent bien sûr, comme il en existe dans toute relation de cette intensité mais il ne faut pas y voir des "contradictions". Mais c'est là la conséquence des progrès considérables intervenus dans la coopération entre l'Union européenne et la Russie. Nous sommes aujourd'hui amenés à évoquer ensemble des questions toujours plus nombreuses. Mais l'important est bien que l'Union européenne comme la Russie sont décidées à trouver des solutions dans l'intérêt des deux parties.
Q - Comment faire pour que le niveau des relations économiques entre la France et la Russie atteigne le niveau des contacts politiques ?
R - Les entreprises françaises et russes obéissent d'abord aux lois du marché et au climat des affaires. Mais bien sûr, accroître nos échanges économiques est pour la France un objectif important. Pour ce faire, des structures de dialogue existent, au niveau de nos deux gouvernements, comme le CEFIC (Conseil économique, financier, industriel et commercial) ou entre les dirigeants de nos entreprises, comme c'est le cas avec le RSPP et son homologue français, le MEDEF. Ces enceintes permettent d'évoquer à la fois des projets concrets et les difficultés qui peuvent survenir. Elles permettent aux entrepreneurs des deux pays de travailler ensemble. La France a également adopté un ambitieux Plan d'action commerciale destiné à lui permettre de développer sa présence en Russie. D'ores et déjà de nombreuses entreprises françaises ont parié sur une implantation en Russie qu'il s'agisse de Renault, d'Auchan, de Michelin, de Danone et de bien d'autres encore.
Enfin, les autorités russes, engagées dans un long processus de transformation de leur pays, ont aussi leur rôle à jouer pour favoriser les échanges économiques comme les investissements. Cela passe par un environnement fiscal et douanier attractif, un cadre juridique adapté et un climat des affaires propices. Là encore, nous saluons les changements intervenus en Russie au cours des quinze dernières années et appuyons la poursuite de l'ouverture de l'économie russe sur l'extérieur.
Q - Les dirigeants français partagent-ils l'opinion, de plus en plus répandue en Occident, que les tendances totalitaires prennent le dessus dans la politique russe ?
R - Le terme "totalitaire" est-il bien de mise ? Il suffit de circuler dans Moscou pour comprendre qu'il n'a rien à voir avec la réalité russe d'aujourd'hui. La Russie a connu depuis 1991 d'importants changements et je ne crois pas qu'un retour en arrière soit possible.
Depuis son arrivée au pouvoir en mai 2000, le président Poutine s'est attaché à renforcer des structures étatiques qui s'étaient considérablement affaiblies durant le processus de transition. Des réformes s'imposaient afin de doter le pays de structures administratives efficaces. Cette volonté de restaurer l'Etat est légitime et nous l'avons soutenue.
Dans le même temps, la Russie est confrontée à de nombreux défis, qu'ils soient économiques, politiques, sociaux ou liés au terrorisme. Si la Russie n'est pas le seul pays a être confronté à des défis globaux qui mettent en cause la capacité de l'Etat à exercer efficacement, dans le respect du droit, ses missions, ce débat prend une tournure forcément plus aiguë dans un pays qui sort d'une longue période de transformations radicales.
L'essentiel, me semble-t-il, n'est pas de faire des procès d'intention mais de rappeler qu'il n'y aura de Russie forte - et nous avons besoin d'une Russie forte en Europe - que si elle est bâtie sur les valeurs de démocratie, d'Etat de droit, de respect de la personne humaine, de pluralisme des opinions et des idées. Ces valeurs nous sont communes. Elles valent à Moscou comme à Paris et c'est la responsabilité de l'Etat et de chaque citoyen que d'en assurer la défense.
Q - La crise des relations franco-américaines, provoquée par les évènements d'Irak, est-elle surmontée ?
R - Les divergences d'hier, apparues dans les relations entre les Etats-Unis et la France, relèvent du passé. Elles étaient liées à l'engagement militaire en Irak décidé par les Américains et leurs alliés, sans l'aval des Nations unies. Nous avons estimé à l'époque et aujourd'hui encore que c'était une erreur. Comme l'a dit le président Chirac, l'histoire tranchera.
Pour ce qui concerne l'Irak, le rôle que la France a joué et continue de jouer en faveur de la normalisation et de la reconstruction de ce pays, tant à la Conférence de Charm-el-Cheikh, qu'au Club de Paris ou à l'OTAN, a montré que nous souhaitions aider l'Irak à sa reconstruction. Nous avons sur ce dossier la même approche que la Russie.
Mais, au-delà de la question irakienne, la France et les Etats-Unis ont une histoire commune depuis deux cents ans. Ensemble, nous défendons les mêmes valeurs de démocratie et de paix. Ensemble, nous travaillons tant dans la lutte contre le terrorisme que dans la gestion de nombreuses crises régionales (Afghanistan, Bosnie, Kosovo, Afrique).
La venue prochaine du président Bush en Europe marquera, je l'espère, une volonté commune de donner un nouvel élan à la relation transatlantique. Mais, on ne le dira jamais assez, cette alliance, essentielle pour la stabilité du monde, ne doit pas conduire à l'allégeance.
Q - Les intérêts commerciaux français et russes en Irak ont souffert de la même manière. Nos pays ont-ils des chances de rétablir leurs positions dans le nouvel Irak ?
R - La France comme la Russie ont une relation ancienne avec l'Irak. Tout au long de la crise, nos pays ont maintenu une étroite collaboration pour contribuer à restaurer dans ce pays, sa stabilité, son indépendance et sa souveraineté. C'est dans cet esprit que j'ai participé, avec mon homologue russe, Sergueï Lavrov, à la conférence de Charm-el-Cheikh, qui a confirmé l'engagement de la communauté internationale en faveur de la reconstruction politique et économique de l'Irak. Au sein du Club de Paris, la France a consenti un effort exceptionnel de réduction de la dette publique irakienne.
Nous avons par ailleurs engagé un dialogue politique au plus haut niveau avec les nouvelles autorités irakiennes. Actuellement, les incertitudes pesant sur la situation sécuritaire et juridique rendent difficiles la reprise de relations économiques normales. Mais nous sommes prêts, dès que les circonstances le permettront, à participer à la mise en valeur du potentiel, considérable, humain et matériel, de ce pays et à son développement.
De ce point de vue, les élections générales du 30 janvier constituent une échéance du processus politique de transition qui ne peut être ignorée, même si elles ne seront qu'une étape dans la stabilisation de la situation en Irak.
Q - Quelles sont les recommandations faites par le ministère des Affaires étrangères aux chefs d'entreprises qui souhaitent investir dans l'économie russe ?
R - La structure de l'économie française accorde une place essentielle aux entreprises privées. Dans cette optique, le ministère des Affaires étrangères n'a pas vocation à intervenir dans la prise de décision des opérateurs économiques français qui souhaiteraient investir en Russie.
Cependant, dans un contexte où les autorités françaises entendent développer les relations économiques avec la Russie, elles peuvent et doivent jouer un rôle de conseil et d'information pour les entreprises. Ainsi l'action d'incitation des pouvoirs publics s'est traduite, par exemple, par le relèvement du plafond d'assurance-crédit pour la Russie. Il y a donc une dynamique à créer entre les économies de nos deux pays et le gouvernement français entend prendre toute sa part dans ce nouvel élan.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)
(Entretien avec la radio "Echo" de Moscou, à Moscou le 20 janvier 2005) :
Q - Comment voyez-vous les plus grands dossiers des relations franco-russes dans le contexte actuel de votre visite et en général en 2005 ?
R - Il y a une vieille tradition, qui est toujours très vivante, de relations entre la Russie et la France : en témoignent les relations amicales, cordiales entre le président Poutine et le président Chirac, leurs rencontres fréquentes comme mes propres rencontres avec mon collègue, Sergueï Lavrov. Et ce dialogue franco-russe repose sur des convergences qui sont réelles. Nous avons, par exemple, aux Nations unies, le même attachement à une approche multilatérale des grands problèmes du monde, et notamment des crises régionales, des dossiers de non-prolifération, de la question de l'Irak, par exemple et, au-delà, des défis globaux, je pense à l'environnement et à Kyoto.
Et si l'on parle de la France et de la Russie, il y une relation très forte sur le plan économique, avec beaucoup d'investissements français qui progressent - il y a plus d'un milliard d'investissements aujourd'hui de la part de la France en Russie et des exportations qui ont augmenté de 20 % depuis dix mois. Cela, ce ne sont pas des mots, ce sont des faits qui prouvent des échanges économiques, qui créent des emplois pour les citoyens russes et qui bénéficient aux régions, avec quelques projets très concrets en ce moment, dans le domaine du transport aérien régional, notamment.
Je voudrais également dire mon souci - et je vais d'ailleurs au cours de cette visite à Moscou rencontrer des jeunes étudiants qui ont fait des études en France ou qui travaillent dans les filières françaises ici - au sujet de l'éducation, de la culture, de tous les échanges humains. Il ne faut pas que la relation entre la Russie et la France soit seulement constituée d'échanges politiques ou géopolitiques, mais que les peuples, les sociétés de nos deux pays se rapprochent. Et donc, nous avons un partenariat dans le domaine de l'éducation ; nous avons des échanges de jeunes ; nous avons aussi des manifestations culturelles en commun - je pense à la présence de la Russie au Salon du livre en 2005 à Paris - ; il y a des expositions croisées avec le musée d'Orsay. Et puis, naturellement, dans tous les autres domaines, de la technologie, de la justice, des questions militaires, nous avons des raisons de travailler ensemble et des projets communs. Voilà le tableau de cette relation qui est extrêmement intense et qui va encore s'intensifier dans les années qui viennent.
Q - Vous avez évoqué les Nations unies, mais les organisations internationales, si nous regardons tous les grands dossiers, les grands problèmes, surtout l'Irak, demandent une réorganisation, une réforme assez dynamique. Quelle est l'opinion de la France et aussi sa coopération avec la Russie, qui est aussi membre permanent du Conseil de sécurité. Quelles sont les visions de la France dans ce domaine ?
R - Je le redis, nous souhaitons de manière générale nous concerter avec la Russie. Elle est un des membres permanents du Conseil de sécurité, c'est un très grand pays, très important, qui joue son rôle et qui tient sa place dans la sécurité du monde et dans la politique des Nations unies. Et donc, ensemble, nous observons que les Nations unies sont organisées d'une manière décalée par rapport à la réalité d'aujourd'hui. L'organisation du Conseil de sécurité, c'est un peu la photographie du monde au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, en 1950. Aujourd'hui le monde a changé, il y a des puissances qui émergent, d'autres Etats-continents qui veulent jouer leur rôle et tenir leur place. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons une adaptation du Conseil de sécurité, avec de nouveaux membres permanents ; nous souhaitons également d'autres réformes des Nations unies sur la Commission des Droits de l'Homme, sur le maintien de la paix, sur l'environnement. J'ai moi-même, à New York, présidé une réunion des ministres, assez nombreux, pour préparer la création d'une Organisation mondiale de l'Environnement, comme il en existe une sur la Santé. Donc, nous sommes ouverts à une répartition géographique équitable au sein du nouveau et futur Conseil de sécurité, notamment avec l'accueil de pays comme l'Allemagne, le Japon, l'Inde ou le Brésil et, naturellement, aussi un grand pays africain.
Q - Face au changement de la situation au Proche-Orient, avec un nouveau leader de la Palestine, quelle serait la participation de la France dans le règlement du conflit au Proche-Orient, dans les relations entre Israël et les Palestiniens ? Quelle est la vision de la France dans ce domaine d'un règlement, qui est inévitable j'espère ?
R - Il y a un peu d'espoir aujourd'hui au Proche-Orient, alors même qu'on a là, le conflit le plus ancien et le plus central. Et cet espoir est lié à un contexte nouveau : l'élection démocratique de Mahmoud Abbas comme président de l'Autorité palestinienne - et c'est une preuve de responsabilité, de maturité du peuple palestinien que le déroulement de cette élection il y a quelques jours. Nous voulons accompagner également les élections qui vont suivre, les élections municipales et législatives, qui vont conforter la légitimité de l'Autorité palestinienne - et à un gouvernement plus ouvert en Israël, dirigé par Ariel Sharon et aujourd'hui avec Shimon Pérès.
A l'évidence, le souci du président américain, qui a été réélu, est d'utiliser les quatre années qui sont devant nous pour agir avec les Européens, avec les Russes, avec les Nations unies. Et donc, je pense que le moment est venu de faire de 2005, l'année de la paix entre les Israéliens et les Palestiniens. C'est la responsabilité de notre génération. C'est le conflit le plus central, qui a des conséquences partout dans le monde. Il faut aujourd'hui ensemble, Russes, Nations unies, Européens, Américains et avec tous les pays de la région, autour de la Palestine et d'Israël, remettre le Processus de paix en route. Et je suis sûr que c'est possible dans le contexte d'aujourd'hui. Nous savons ce qu'il faut faire : il y a une Feuille de route qui a été soutenue par tout le monde, et peut-être, pourrions-nous avancer avec ces nouveaux dirigeants, en nous appuyant sur cette Feuille de route, en mettant en oeuvre ces décisions courageuses du gouvernement israélien de se retirer de Gaza et en réussissant ce retrait de Gaza. C'est l'objet de la première conférence que nous avons à Londres, dans quelques semaines, d'articuler ce retrait de Gaza avec le reste de la Feuille de route qui concerne la Cisjordanie et la création de l'Etat palestinien. Je suis sûr que, s'il y a une volonté aujourd'hui de tous, nous pouvons faire redémarrer ce Processus de paix. Et la France veut, avec ses partenaires européens, jouer son rôle pour aller dans ce sens.
Q - Il y a d'autres élections non loin de là : les élections en Irak, le 30 janvier. Après ce qu'on a eu, la guerre, l'intervention américaine, les discussions au sein du monde occidental sur ce sujet, comment la France voit-elle maintenant la situation en Irak, avec toutes les difficultés qu'on a avant et avec les élections, avec une sorte de guerre civile qui se passe là-bas ?
R - Nous voulons regarder devant et non pas derrière nous, les raisons de ce conflit et de cette guerre. D'ailleurs la Russie et la France ont eu, à cette époque, une analyse commune. Regardons devant nous, parce que, pour la stabilité de cette région du Moyen-Orient, tout est lié, tous les conflits sont liés les uns avec les autres, notamment avec celui dont je viens de parler entre Israéliens et Palestiniens. Il y a une urgence, pour nous tous, à rétablir la stabilité. Quand il n'y a pas de stabilité au Moyen-Orient, par exemple, nous, Européens, nous sommes les premiers concernés. Donc, c'est notre intérêt commun que l'Irak sorte de cette spirale de violence, et le seul moyen d'en sortir, ce n'est pas des soldats supplémentaires ou la guerre, c'est la démocratie, des élections, la politique.
Voilà pourquoi nous avons travaillé avec les Américains à cette résolution 1546 qui fixe le chemin de ce processus politique. C'est un processus politique extrêmement difficile, comme sont difficiles les élections du 30 janvier, très difficiles mais possibles, et nous souhaitons que le maximum d'Irakiens participent à ces élections. Nous avons accompagné ce processus politique, notamment par la Conférence de Charm el-Cheikh, à laquelle je me trouvais, avec tous les pays de la région, tous les pays riverains de l'Irak. Et même si cette élection est difficile, même s'il faudra ensuite en tirer des leçons, notamment pour que toutes les forces politiques irakiennes, toutes les communautés se sentent représentées équitablement dans le système institutionnel irakien, il faut s'appuyer sur cette première étape pour construire les autres. Il y a la Constitution, il y a, naturellement, la perspective, que nous rappelons, du départ des troupes étrangères d'Irak, pour que ce pays redevienne complètement, totalement souverain. Toutes ces étapes sont liées les unes aux autres, il faut les franchir une par une, et la première que nous voulons accompagner, c'est celle maintenant de ces élections du 30 janvier.
Q - Une autre région qui est la nôtre, c'est l'Europe ! L'Europe qui a changé de physionomie, si on peut dire, parce il y a l'Europe de l'Est, dont certains pays sont maintenant membres de l'Union européenne, et il y a aussi l'Ukraine, qui a subi des changements politiques, des élections assez difficiles, et je dirais, qui est entre l'Union européenne et la Russie. L'élargissement de l'Union européenne, le changement de la situation en Ukraine : quels sont les dossiers qu'ils ouvrent pour la France, pour la politique européenne et aussi dans les relations avec la Russie ?
R - Nous avons naturellement suivi très attentivement l'évolution politique en Ukraine et la volonté exprimée par le peuple ukrainien que l'élection présidentielle ne lui soit pas volée. Et donc, finalement, grâce à la maturité, à la responsabilité, grâce aux institutions ukrainiennes, cette élection a été renouvelée. Il y a maintenant une nouvelle autorité, un nouveau président en Ukraine, avec lequel nous voulons travailler. Mais nous avons toujours dit, qu'en accompagnant cette évolution démocratique, il fallait également tenir compte de l'ensemble de la région, de la stabilité de cette région, y faire attention, j'ai dit d'ailleurs cela récemment au cours de ma visite en Pologne.
Donc, ce dont il est question maintenant, avec ce grand pays qu'est l'Ukraine, c'est qu'il y ait une relation stable, constructive qui se crée, qui se consolide avec la Russie, et puis, en même temps, un accord de partenariat et de voisinage avec l'Union européenne. Nous sommes prêts, nous, membres de l'Union européenne, à proposer à l'Ukraine un accord de voisinage qui est un instrument économique, politique de dialogue et de coopération.
Q - Peut-être la dernière question, mais très importante, qui concerne la lutte contre le terrorisme et les problèmes, non pas de l'islam comme tel mais de l'islamisme, des courants extrémistes de cette religion, et qui présentent un problème pour l'Europe en général, pour la France et la Russie. Quelle est la vision de la France de ce problème?
R - Si nous parlons de la lutte contre le terrorisme, nous sommes tous concernés, et mon pays a été touché à plusieurs reprises sur son propre territoire par le terrorisme international. Nous avons tous en mémoire les images terribles d'horreur et de destructions, à Madrid, à Moscou, à Beslan. Et donc, nous prenons notre part dans la lutte globale contre le terrorisme et contre toutes les sources de financement du terrorisme. Nous sommes solidaires avec toutes les victimes du terrorisme. Voilà ce qui justifie, aussi, cette dimension du dialogue régulier entre la Russie et la France sur l'ensemble des questions de sécurité.
Naturellement, quand on parle du terrorisme et du combat qu'il justifie, mené par les services de police qui doivent coopérer, la justice, le renseignement, dans le respect de l'Etat de droit, on doit aussi parler des raisons, des racines du terrorisme. Nous pensons, je l'ai dit à la tribune des Nations unies au mois de septembre, qu'un monde plus sûr, plus libre, doit être aussi un monde plus juste. Et donc, nous voulons combattre les tensions politiques et les conflits régionaux, les injustices qui nourrissent les violences et qui sont une sorte de caisse de résonance pour les terroristes et qui parfois leur donnent une base de recrutement.
C'est une autre question, à mes yeux, que, par exemple, la politique française vis-à-vis de l'islam. Nous avons, dans notre pays, une situation particulière et une philosophie particulière s'agissant du respect de toutes les religions, c'est une philosophie républicaine, si je puis dire. La citoyenneté française ne repose pas sur l'appartenance à un groupe culturel, ethnique ou religieux. Nous avons une loi très importante, à laquelle nous sommes très attachés, qui est celle sur la laïcité. C'est une loi qui protège la liberté religieuse, en assurant la séparation entre l'Etat et les différentes confessions, et en préservant l'égalité de tous les citoyens, quelles que soient leur sensibilité ou leurs croyances ou leur foi.
Je veux rappeler que l'islam est aujourd'hui la deuxième religion en France, et c'est donc une dimension importante de la réalité de la société française. Nous avons d'ailleurs organisé des institutions, un Conseil français du culte musulman, pour dialoguer avec tous les Français musulmans et les Musulmans qui vivent en France.
Q - Si l'on revient à la Russie, pour vous personnellement qu'est-ce que la Russie, quel est peut-être votre intérêt personnel pour la Russie, s'il existe ?
R - J'ai besoin de continuer à découvrir ce pays que j'ai visité quelques fois, mais pas partout. Donc, j'aborde ce travail avec beaucoup de passion et en même temps beaucoup d'humilité. La Russie est un immense pays, c'est un Etat continent qui part de l'Europe jusqu'à l'Asie, qui a des ressources naturelles considérables, qui a un potentiel de développement économique, on le voit en ce moment, très important, qui a un rôle géopolitique et qui doit être le partenaire de l'Union européenne sur notre continent.
Donc, j'ai une vraie passion pour découvrir ce pays, mieux le connaître et naturellement d'abord, mieux connaître les hommes et les femmes qui vivent en Russie. Et c'est aussi un des axes prioritaires de la politique étrangère de la France et du président de la République française que d'avoir une relation très intense avec la Russie, traditionnellement fondée sur l'histoire commune, l'histoire partagée entre nos deux peuples, mais aussi en pensant aux défis globaux de l'avenir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)
(Déclaration lors du point de presse conjoint avec Sergueï Lavrov à Moscou le 20 janvier 2005) :
(...)
A mon tour, je voudrais vous remercier de votre présence, de votre patience, remercier très amicalement Sergueï Lavrov pour la qualité de notre dialogue depuis que je suis moi-même à la tête de la diplomatie française, de la régularité de nos rencontres qui sont marquées par beaucoup de franchise et beaucoup de cordialité. Nous avons des relations franco-russes très chaleureuses à l'image de ce feu qui est derrière nous. Et j'en ai eu personnellement la preuve supplémentaire cet après-midi en inaugurant le nouveau lycée français de Moscou en présence du ministre russe de l'Education et du vice-ministre des Affaires étrangères. J'ai été très sensible à la présence des plus hautes autorités russes à cette manifestation pour un lycée qui, alors qu'il vient d'être inauguré, est déjà presque trop petit, ce qui prouve très précisément l'intensité de nos relations économiques. Beaucoup de jeunes qui sont accueillis au lycée sont des jeunes de familles qui viennent travailler en Russie à nos relations économiques.
Soixante ans après la visite du général de Gaulle à Moscou, je veux dire notre souhait d'intensifier encore ces relations entre la Russie et la France, de soutenir, de dire notre attachement à une Russie prospère qui se modernise, qui continue de se moderniser, démocratique, forte, dont nous avons besoin pour participer à la stabilité du continent européen et du monde entier. Nous avons notamment travaillé avec Sergueï Lavrov sur le dialogue qui est en cours et qui, j'espère, sera bientôt conclu entre l'Union européenne et la Russie. Nous avons évoqué des sujets qui font débat entre nous comme la réforme de l'OSCE, nous avons créé un groupe de travail spécial sur ce sujet, mais nous constatons beaucoup de convergences réelles sur les grands sujets qui nous entourent, les crises régionales, je pense à la crise de l'Irak, aux espoirs de paix au Proche-Orient, à la négociation que nous avons engagée avec l'Iran pour la non-prolifération, et sur des sujets globaux notamment liés au protocole de Kyoto.
Il existe une convergence réelle entre nous qui tient aussi à l'attachement que nous avons en commun à ce lieu unique de débat mondial, lieu unique d'action internationale que sont les Nations unies. On a encore vu l'importance des Nations unies dans une tragédie récente concernant l'océan Indien avec la catastrophe du tsunami et la coordination d'ensemble qui a été assurée par les Nations unies. Et je voudrais d'ailleurs évoquer à cet égard les possibilités d'une plus grande coopération en Europe, entre la Russie et l'Union européenne, aussi bien sur le plan de la protection civile que sur le plan de la prévention des risques naturels. J'ai eu l'occasion de dire à Sergueï Lavrov l'attachement que le président de la République, Jacques Chirac, portait, portera à ces idées pour mobiliser de nouvelles ressources contre la pauvreté et le développement. Nous avons d'ailleurs recueilli le soutien de plus de cent pays et des Nations unies sur ces idées et nous avons, s'agissant de la réforme des Nations unies, décidé de mettre en place un groupe de travail commun pour aborder cette réflexion sur la réforme du Conseil de sécurité, la réforme d'un certain nombre d'organismes internationaux ; d'un commun accord nous allons travailler préalablement ensemble.
(...)
Si vous me permettez, je voudrais dire, et c'est toujours important pour nous tous, qu'il me paraît bien que la première visite du président Iouchtchenko soit ici pour Moscou, compte tenu des liens, comme vous le savez dus à l'histoire, à la culture, à la géographie, à l'économie entre ces deux pays. Nous avons nous-mêmes accompagné ce mouvement démocratique de l'Ukraine qui est un mouvement important. Le président de la République aura sans doute d'ailleurs l'occasion de saluer le président Iouchtchenko qui devrait être présent à Auschwitz pour les commémorations du 60ème anniversaire de la libération des camps. Et, s'agissant de l'Union européenne, nous nous préparons à établir un accord de voisinage et de partenariat avec l'Ukraine dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne.
Q - Est-ce que la position de la France par rapport aux élections prochaines en Irak est proche de la position de la Russie ?
R - On doit sortir de cette tragédie, de cette crise en Irak. On n'en sortira pas par les armes et par des opérations militaires. On en sortira par la démocratie, par le processus politique, par les élections, c'est vrai en Irak, c'est vrai partout ailleurs. Et donc, nous avons encouragé et accompagné ce processus politique très récent qui est inscrit dans la Feuille de route de la résolution 1546. Nous étions à Charm el-Cheikh avec tous les pays de la région pour accompagner ce processus politique dont les élections du 30 janvier sont la toute première étape. Nous savons tous que ce seront des élections très difficiles, mais elles sont possibles malgré le contexte d'insécurité qui règne en Irak et c'est une toute première étape. Il faudra en tirer des leçons, notamment dans la préparation de la future Constitution, dans la préparation des élections suivantes en s'assurant que toutes les communautés, toutes les forces politiques sont représentées de manière équitable dans les institutions irakiennes. Nous avons dit au président irakien, qui est venu à Paris la semaine dernière, que nous souhaitions accompagner l'Irak dans cette période de reconstruction politique et économique et nous le faisons.
Q - Monsieur Barnier, votre prédécesseur, M. de Villepin, lors d'une de ses dernières visites à Moscou, avait évoqué la guerre en Tchétchénie, c'était le terme qu'il avait employé. Comment est-ce que vous qualifieriez la situation aujourd'hui ?
R - Chacun fait ce qu'il veut selon le moment et les mots dont on prend la responsabilité. Au-delà des mots il y a des réalités, il y a cette crise et des drames dans cette région de Tchétchénie, nous en avons d'ailleurs parlé très franchement avec Sergueï Lavrov et j'ai rappelé notre position sur cette crise grave. Nous voulons combattre partout le terrorisme parce qu'il n'a pas d'explication, de justification, où qu'il se trouve. Nous reconnaissons très clairement que l'intégrité territoriale de la Russie ne doit pas être mise en cause, et, s'agissant de cette crise, nous souhaitons encourager, là comme ailleurs, le processus politique pour que les violences contre les populations civiles puissent cesser, pour que la politique, le débat, le dialogue l'emportent, qu'une solution soit trouvée ainsi dans le dialogue. J'ai eu également l'occasion de rappeler la place qui est celle des organisations non gouvernementales et Sergueï Lavrov a parlé notamment de l'ouverture qui a été faite pour la Croix-Rouge. Voilà nous avons parlé de cette situation très franchement, dans le cadre de ce dialogue très franc que nous avons entre nous.
Q - Je voudrais savoir qui représentera la France à la cérémonie d'investiture du président Iouchtchenko ce dimanche ?
R - Comme vous l'avez observé, cette cérémonie a évolué dans sa date entre mercredi, samedi, dimanche et donc nous devons nous adapter. Il y aura un membre du gouvernement français qui représentera notre pays à cette cérémonie d'investiture. Moi-même, je serai dans l'incapacité de m'y rendre puisque je dois partir le jour même pour New York où je prendrai la parole à l'occasion de la session exceptionnelle lundi matin aux Nations unies pour la commémoration du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration. Je voudrais enfin préciser que je compte me rendre en Ukraine pour rencontrer le président Iouchtchenko et les membres du gouvernement dans les toutes prochaines semaines.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)
(Entretien avec la chaîne de télévision "Russie" à Moscou le 21 janvier 2005) :
Q - Monsieur le Ministre, cette semaine est celle des grandes investitures, aux Etats-Unis, en Ukraine. Je voudrais commencer par l'Ukraine. Au regard de la France, quelles sont les chances d'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne ?
R - Mettons les choses dans l'ordre. Après une élection, que nous avons suivie avec beaucoup d'attention, en souhaitant que ce soit le peuple ukrainien qui fasse le choix, et c'est finalement ce qui s'est fait, aujourd'hui ce pays est devant un besoin de modernisation démocratique et économique.
Quant à l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne, je n'ai pas entendu parler de candidature. On n'entre pas dans l'Union européenne parce que la porte est ouverte. On entre dans l'Union européenne en respectant un processus, une longue période de préparation et, encore une fois, je crois que c'est l'intérêt de l'Ukraine, comme l'intérêt de l'Union européenne, de mettre les choses dans le bon ordre. Nous allons proposer à l'Ukraine d'exploiter toutes les possibilités d'un instrument qui est tout à fait nouveau : un accord de voisinage, un accord de partenariat.
Et puis, j'ajoute qu'un troisième défi très important, et je le dis ici à Moscou, c'est que l'Ukraine et la Russie aient aussi un lien, une relation équilibrée compte tenu de leur histoire, de la géographie et de la culture.
Q - Je suis sûr que vous avez lu les publications qui sont parues selon lesquelles les Etats-Unis s'apprêtent à attaquer l'Iran. A l'issue de vos entretiens à Moscou, nous savons que vous avez abordé la question du programme nucléaire iranien avec vos collègues russes. Quel est le sens des négociations franco-russes sur le programme nucléaire iranien qui intéresse tant les Etats-Unis ?
R - Bien sûr, je lis ce qui s'écrit dans les journaux, mais comme ministre des Affaires étrangères, je préfère écouter ce que disent les Américains. Et donc, nous avons informé les Etats-Unis depuis 14 mois, de la négociation qui a été entreprise par trois pays européens, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, avec l'Iran. Les Russes et les Européens sont d'accord sur cette idée qu'il faut absolument empêcher la prolifération des armes de destruction massive et empêcher la prolifération des armes nucléaires. On n'a pas besoin de davantage d'armes nucléaires dans le monde et notamment pas dans cette région du Proche-Orient. Et donc, nous avons demandé aux Iraniens de renoncer à des activités d'enrichissement et de retraitement de l'uranium à des fins militaires. Et, en même temps, nous proposons à l'Iran de l'aider à fabriquer de l'énergie nucléaire parce qu'il a besoin d'énergie, comme tout pays qui se développe. Nous lui avons proposé de l'aider dans la coopération commerciale et économique et afin de reconnaître ce qu'est ce pays, c'est-à-dire un grand pays qui joue un rôle pour la stabilité, pour la sécurité de cette région. Voilà l'objet de cette proposition. Alors, c'est vrai que les Américains sont un peu sceptiques sur les chances de succès, c'est peut-être cela qu'on a lu dans la presse, mais ils suivent quand même ce que nous faisons. Je pense que nous y parviendrons.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)