Texte intégral
Q- Vous êtes un des avocats et des artisans du "oui" au référendum interne du PS. Comprenez-vous que les partisans du "non" à la Constitution européenne, mis en minorité, reprennent aujourd'hui le combat, L. Fabius et H. Emmanuelli en tête ?
R- Franchement, non. Le Parti socialiste a fait une belle démonstration de démocratie interne, en faisant voter ses militants, pour savoir quelle position nous devions prendre. Et je crois que dès lors que cette position est prise, il faut que chacun s'y conforme. Bien sûr, je peux comprendre qu'on ne peut pas faire voter des gens contre leurs propres convictions. On peut leur demander de s'abstenir, de rester derrière le rideau. Mais que lorsque les militants d'un parti ont voté, on reprenne le combat contre leur opinion majoritaire, honnêtement, cela me dépasse.
Q- Et que fait-on quand il s'agit du numéro 2 du Parti socialiste ? D'abord, doit-il rester libre de s'exprimer ou donne-t-il le mauvais exemple ?
R- On verra. Pour le moment, la campagne n'a pas encore commencé. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose, de vouloir comme ça, systématiquement, défier l'autorité de F. Hollande. Ce n'est pas bon pour les socialistes...
Q- Mais comment F. Hollande doit-il réagir ? Doit-il laisser faire - et le virus du "non", à ce moment-là, progresserait ? Ou mettre le holà, et comment ?
R- Je crois qu'il a été clair sure ce point : les socialistes se battront tous ensemble pour le "oui". Et ce qui compte, ce n'est pas tellement ce qui se passe au sein des socialistes maintenant, c'est que le pays vote "oui". Car ma conviction reste entière : nous avons besoin, nous Européens et nous Français, d'adopter ce projet de Constitution, parce que c'est ce qui nous permet d'avancer. Et quand les socialistes ont voté à près de 60 % pour ce texte, j'ai été très soulagé, très conforté dans ma vision politique d'une part, et dans l'avenir de la France, car je pense qu'une bonne part de la réussite de notre pays passe maintenant par son affirmation en Europe.
Q- Le Parti socialiste a donc intérêt à se mobiliser, lui aussi...
R- Et il le fera...
Q- On entend davantage le "non" minoritaire et illégitime, que le "oui" vainqueur...
R- "On entend" ! "On entend" ! Mais on n'entend que ce que vous passez sur vos ondes !
Q- On fait parler tout le monde !
R- Encore une fois, la campagne n'a pas vraiment commencé. Ce que je souhaite, c'est que les socialistes soient unis derrière la position qu'ils ont adoptée collectivement. On ne peut pas forcer quelqu'un qui n'a pas envie de se battre de ne pas le faire et je comprends légitimement que quand on a des convictions, on veuille rester sur le côté. Mais je ne pourrais pas comprendre que certains fassent campagne contre leur parti.
Q- Mais avant la campagne elle-même, le préalable à l'organisation du référendum national, du 12 ou du 19 juin prochain, c'est la modification au Parlement de la Constitution française. L. Fabius et d'autres entendent s'abstenir. Est-ce que l'abstention, dans ce cas, est logique ? Et est-ce qu'elle est acceptable ?
R- Il y aura le référendum sur la Constitution et, avant, le Conseil constitutionnel a dit qu'il fallait modifier notre Constitution pour pouvoir le faire. C'est chaque fois pareil : chaque fois qu'il y a un traité européen, il faut adapter notre Constitution. Et cela fait donc un seul paquet : on ne peut pas dire que finalement les socialistes sont pour l'adoption par référendum de la Constitution et qu'ils ne veulent pas faire les aménagements nécessaires dans la Constitution française. C'est un seul paquet : tout ce qui viserait à les distinguer est une sorte d'argutie. Par conséquent, il faut que la position du Parti socialiste là-dessus soit une position claire - ce qu'elle est. Et je le disais tout à l'heure : quand un individu a des convictions, que comme citoyen il soit conduit finalement à s'abstenir, même à voter "non" dans l'urne, c'est une position de citoyen. Mais quand on est l'élu d'un parti, que l'on a été choisi par le parti pour le représenter, alors on doit défendre ses positions.
Q- Et vous, en 2007, vous êtes partant ?
R- Quel est le rapport ?
Q- Dans l'interview que L. Fabius donne au Nouvel Observateur ce matin, il se dit "déterminé pour 2007". Alors la question est : est-ce que l'on peut avoir dit "non", perdu avec son "non" devant les militants et être désigné par eux comme candidat potentiel du Parti socialiste en 2007 ?
R- Je ne crois pas que ce sera le "non" que les militants socialistes retiendront pour 2007. Je pense donc que, le moment venu, les candidats possibles seront en lice. Si vous me posez la question de savoir, c'est que vous pensez que je peux en être, je vous remercie de cette confiance mais on verra à ce moment-là !
Q- Autant dire les choses clairement et pas subrepticement...
R- Mais je vous le dis de façon très claire : il y a plusieurs candidats possibles. Pour moi, la règle est simple : il faut gagner, parce que la politique que mène ce Gouvernement n'est pas celle, je le crois, dont le pays a besoin. Pour gagner, on verra celui ou celle qui sera le mieux placé. Moi, je me rangerai derrière celui qui sera le mieux placé et qui pourra gagner, et je demande simplement qu'il y ait réciprocité. je suis sûr que les socialistes se rangeront à ce moment-là derrière moi.
Q- Vous êtes chargé par F. Hollande d'élaborer le projet socialiste 2007/2010 - pas le programme - le projet socialiste avec M. Aubry et J. Lang. Aujourd'hui, à leur tour, les enseignants protestent et défilent. Qu'est-ce que le PS leur accorderait de plus que 56 milliards d'euros pour 800.000 enseignants, 500.000 élèves de moins, s'il arrivait au pouvoir ?
R- Le problème ne se pose pas comme cela. Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, la fonction publique est dans la rue ? Elle est dans la rue parce qu'il y a un problème extrêmement sérieux de pouvoir d'achat. C'est la question qui est posée aujourd'hui aux Français, pas seulement aux fonctionnaires d'ailleurs, aussi aux salariés du secteur privé.
Q- Mais ce sont les gens de la fonction publique qui manifestent...
R- En l'occurrence, en effet, c'est la fonction publique qui est dans la rue. Et à cette question qui est posée, le Gouvernement ne répond pas. Il y a des élections, il n'écoute pas. Ce Gouvernement est majoritairement balayé, lors des régionales, puis des européennes, et il n'écoute pas. Il y a des manifestations, il n'écoute pas. Il y a des grèves, il n'écoute pas. La situation devient très difficile de ce point de vue là.
Q- Ecouter, pour vous, c'est céder, retirer les réformes ?
R- Mais attendez, le problème n'est pas de retirer des réformes ! Le problème est qu'en 2004, il y a eu 0,5 % d'augmentation des traitements des fonctionnaires, ce qui veut dire un recul en matière de pouvoir d'achat. Vous me demandez ce que nous ferions ? Sur la période politique où la gauche a été au pouvoir, de 1997 à 2002, le pouvoir d'achat des fonctionnaires a progressé. Là, il régresse.
Q- C'est ce que vous avez fait. Est-ce que vous leur accorderiez les 5 % qu'ils réclament pour les salaires ?
R- Je n'accorde pas, dans une négociation avec une structure syndicale, a priori, ce qu'elle demande. Mais je négocie avec eux les raisons pour lesquelles ils ont cette demande. Et lorsque je les trouve justifiées, je fais avancer. Aujourd'hui, le Gouvernement se moque des fonctionnaires. Et d'ailleurs, le ministre qui en a la charge a beaucoup de mépris pour la fonction publique. Et je comprends que toutes les catégories de fonctionnaires, aujourd'hui, soient mobilisées, car ce n'est pas simplement les fonctionnaires qui plus traditionnellement peuvent être en grève dans notre pays - je pense aux enseignants, à la SNCF etc. Ce sont aussi des catégories de fonctionnaires que l'on voit rarement dans la rue : les magistrats, les chirurgiens... On a vu des chirurgiens hospitaliers arrêter leurs opérations hier, sauf les urgences. On voit bien que le malaise est extrêmement profond. Ce Gouvernement est impopulaire et prend des mesures impopulaires.
Q- Est-ce un "trou d'air" social, comme vous l'auriez dit autrefois pour l'économie ? Ou est-ce plus ?
R- Un "trou d'air économique" est quelque chose que l'on espère dépassé et oublié. La situation sociale, il ne faut pas l'oublier. Le problème, c'est que le Gouvernement n'a plus aucun moyen, et comme il n'a plus de moyens, il s'attaque à l'Etat lui-même. Or l'Etat, dans notre pays - personne ne dit qu'il ne faut pas le faire évoluer - mais l'Etat, c'est le cur des services publics qui, aujourd'hui, sont très largement attaqués. Ce que je reproche à la politique de ce Gouvernement, c'est de ne pas vouloir écouter ce que disent les fonctionnaires - non pas obligatoirement satisfaire toutes leurs revendications, mais écouter ce qu'ils disent.
Q- Mais quand on dit qu'il y a 5 millions de fonctionnaires, dont la grande majorité pour l'Etat, vous ne dites pas qu'il faut moderniser, réduire, qu'il y en a peut-être trop ?
R- Evidemment qu'il faut moderniser ! Mais cela ne veut pas dire qu'il y en a trop. Il y a des tas de fonctions nouvelles dans l'Etat. Prenons juste un exemple : la sécurité alimentaire. Il y a quinze ans, c'était quasiment inexistant, on ne s'intéressait pas à ce sujet dans la fonction publique. Aujourd'hui, c'est devenu un sujet majeur de préoccupation des Français et des familles. On a donc besoin de fonctionnaires qui s'occupent de cette question-là. Ils contrôlent la concurrence, la sécurité
des aliments...
Q- Et pour les hôpitaux, c'est évident pour la santé publique...
R- Exactement. Puisque vous le dites que "c'est évident", pourquoi reprendre régulièrement cette antienne selon laquelle il faudrait moins de fonctionnaires ? Il faut des fonctionnaires dans de nouvelles fonctions...
Q- Peut-être redéployés et mieux rémunérés...
R- Bien sûr, et mieux rémunérés...
Q- Le Parti socialiste soutient les protestataires contre les réformes d'EDF, on voit les postiers etc. N'était-ce pas le gouvernement Jospin qui avait signé les directives européennes qui déclenchent aujourd'hui les réformes en cascade ? Est-ce que cela veut dire qu'il y a une amnésie française ?
R- Non, le cadre dans lequel se fait cette réflexion est un cadre général, qui a été adopté par de nombreux gouvernements - l'Acte unique en 1986 par L. Fabius, d'autres ensuite. Mais ce qui compte aujourd'hui, c'est la façon dont on le met en uvre. Et par exemple, il y a une directive qui est en préparation, que l'on appelle la directive Bolkestein, du nom du commissaire européen qui en est à l'origine, et qui, en effet, met à mal, je trouve, aujourd'hui, le fonctionnement des servies, pas seulement les services publics, surtout des services privés, en gros en disant : "vous allez pouvoir faire travailler une entreprise en France, sur la base du droit social qui est celui de son pays d'origine, par exemple des Polonais. Et à ce moment-là, évidemment, vous créez en France une situation intenable". Eh bien, moi je dis : tout européen que je suis - vous souligniez tout à l'heure quelle est la force de mon engagement pour l'Europe -, eh bien, lorsque cela ne va pas, je suis capable de dire
"non", et en l'occurrence, la directive Bolkestein, il faut la retirer et il faut que la France se batte pour retirer ce texte, comme nous avons réussi, avec L. Jospin, à l'époque, à retirer l'AMI - vous vous rappelez de l'AMI, l'accord sur l'investissement.
Q- Oui, oui, vous demandez...
R- On s'est battu et il a été retiré. Là, on se bat : il faut que la directive Bolkestein soit retirée.
Q- Ce sera votre papier demain dans l'Humanité et j'ajoute que P. Devedjian, sur France 3 et hier, R. Dutreil, ici, ont dit effectivement que c'était une forme de dumping social et que le Gouvernement combattrait. On va soir le résultat.
R- C'est très bien. Puisque le Gouvernement est de cet avis, j'en suis ravi, alors qu'il ne contente pas de dire qu'il va combattre : qu'il obtienne le retrait de cette directive.
Q- Mais il n'est pas seul en Europe, il y en a 24 autres.
R- Non, mais nous n'étions pas seuls en Europe non plus contre l'AMI, et d'ailleurs, ce n'était pas seulement l'Europe, c'était l'ensemble de la planète qui voulait l'AMI. Et la France derrière L. Jospin a réussi à faire en sorte que ce projet soit abandonné parce qu'il était mauvais. Il faut faire la même chose.
Q- Le débat sur l'immigration : D. de Villepin, N. Sarkozy l'a lancé ; à gauche, vous l'aviez lancé, J. Dray et M. Boutih et vous, êtes favorables aux quotas. De quelle façon, quelle méthode ? Est-ce que vous confirmez ?
R- D'abord, il faut voir que la politique de l'immigration zéro est un échec. C'est un échec, la régulation a posteriori de tous ceux qui sont là est mauvaise. Ils sont mal intégrés, on crée des injustices sociales. En plus, c'est une politique qui est inadaptée, parce qu'il est clair que le pays vieillit, donc, nous avons besoin, dans certaines catégories, de main d'oeuvre de l'immigration. Donc, nous devons changer de politique. Oui, je crois qu'une politique d'immigration fondée sur des quotas bien
choisis est une bonne voie. C'est une immigration légale, régulée...
Q- Choisie de quelle façon ?
R- Régulée en fonction des catégories d'employés dont nous avons besoin. Il y a un décalage normal entre l'offre et la demande dans un pays comme le nôtre sur le marché du travail. Et donc, il y a des métiers pour lesquels il faut pouvoir faire venir des travailleurs immigrés. Mais aussi, c'est utile parce que nous avons besoin de travailler à notre politique de développement du Sud et c'est un moyen, deuxième version, de faire venir des gens qui seront formés en France, voire formés à des métiers très qualifiés. Si bien que nous ne sommes plus dans la situation antérieure où la migration était une politique où les gens venaient s'assimiler en France et voulaient y rester. Nous sommes maintenant dans une époque où beaucoup de membres des pays avoisinants, notamment l'Afrique du Nord, veulent venir pour un temps, une sorte d'immigration temporaire, être éventuellement formés, retourner dans leur pays, donc à la fois réguler l'immigration par des quotas, d'autre part, aider au développement du Sud par une politique (...). Je crois que c'est nécessaire. Troisième point que je proposais dans le rapport que j'ai remis à R. Prodi, il y a maintenant un an, et qui est une police européenne des frontières. Car tout ceci n'est possible que si, par ailleurs, on lutte fermement contre l'immigration illégale et pour cela, cela ne peut pas se faire à l'échelle d'un seul pays, il faut une police européenne des frontières.
Q- Le PS va en débattre ?
R- Bien sûr. Mais au PS, il y a des positions très étendues là-dessus. Vous citez M. Boutih ; H. Emmanuelli, de la même manière, est favorable à cette thèse. Vous voyez que tous les courants du PS y sont favorables. Et je pense qu'il faut que l'on avance là-dessus.
Q- Je vous ai vu à l'image, à Toulouse, devant l'Airbus A380. Qu'est-ce que vous avez ressenti ? C'est vous qui, avec L. Jospin, J.-L. Lagardère, Gayssot et le Gouvernement actuel, et le président actuel, avez tout fait pour qu'il y ait cet A380. Qu'avez-vous ressenti ?
R- De la fierté pour mon pays, pour l'Europe, le sentiment que cette sinistrose dont on nous parle, on peut la balayer, qu'on est capable de faire, qu'on fait la preuve qu'on sait faire. Et que lorsque l'on a de grands projets, et que s'y investissent à la fois le secteur privé et la puissance de l'Etat, on est capable de déplacer les montagnes.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 janvier 2005)