Texte intégral
L'audition de la FSU intervient à un moment où tous les médias semblent en matière de laïcité vouloir focaliser le débat sur une seule question : le port de signes religieux à l'école ou plutôt le port d'un signe religieux, le voile.
Dans ce contexte je tiens à me féliciter de ce que le champ de réflexion de votre commission embrasse l'ensemble de la problématique de la laïcité, car autant la question du port de signes religieux est source de conflits difficiles pour les personnels, souvent partagés entre le refus de ces signes et la volonté d'assurer à tous les jeunes une éducation et une formation, autant la surmédiatisation de cette question et la cacophonie passionnelle qui l'entoure sont de nature à empêcher de traiter véritablement des problèmes qui se posent aujourd'hui à la laïcité et au droit à l'éducation pour tous les jeunes quelle que soit leur origine et leur religion.
Représentant ici l'organisation majoritaire des personnels de l'éducation et en même temps la première fédération de la Fonction Publique d'État, je n'esquiverai pas - bien-sûr - la question du port des signes religieux mais je pense important de l'insérer dans une problématique plus large qui consiste à essayer de définir ce que sont selon nous les enjeux et les difficultés de la laïcité dans notre société.
Je commencerai bien évidemment par un rappel de ce qui pour nous constitue les principaux fondements de la laïcité - une notion qui est toujours fortement d'actualité !
La loi de 1905 a été une étape majeure d'une construction qui est le fruit d'un long combat des hommes pour imposer la liberté de conscience, la tolérance et l'idée de raison contre l'ignorance, la peur de l'autre, l'hégémonie des dogmes notamment religieux. Je parle d'étape car ce combat est largement plus ancien - la loi de 1882 instituant la scolarité obligatoire relève du même combat - et parce que les objectifs en sont toujours d'actualité et qu'il importe de les faire vivre.
De ce point de vue, la laïcité est étroitement liée au projet républicain. La séparation des églises et de l'État ne fait pas de la religion une affaire strictement privée mais a pour originalité de faire de l'espace public un espace à part caractérisé par la neutralité de l'État. Cette neutralité ne consiste pas à accepter l'expression de toutes les croyances, de toutes les idéologies , en se souciant simplement de l'égalité de leurs droits ; ce n'est pas une neutralité " passive " : en fait elle a pour projet de garantir à chacun dans l'espace public une liberté véritable en ceci qu'elle le met à l'abri des pressions et des intérêts particuliers et qu'elle lui donne les moyens de son choix de vie. Elle est elle même porteuse de valeurs, celles qui fondent notre République : solidarité, justice, fraternité, lutte contre le racisme et les discriminations....
De ce point de vue elle est " consubstantielle " à la notion de service public, porteur d'intérêt général et distinct d'un simple service au public.
Cette conception de la laïcité prend bien évidemment une signification toute particulière à l'école ; ce n'est pas en vain que l'on parle " d' Éducation Nationale " : l'apport capital de ce service public est d'assurer une culture commune qui ne saurait être conçue comme le plus petit dénominateur commun mais doit permettre l'accès de tous à des savoirs pluriels, à la formation de l'esprit critique et de la personnalité, à la connaissance des cultures,- y compris religieuses-, dans leur diversité et permettre l'insertion dans la société, d'abord à travers l'accès à l'emploi. De ce point de vue, l'exclusion des signes religieux à l'école n'est pas une négation du droit individuel à la liberté de conscience, il est un instrument pour assurer à chacun le droit à une éducation indépendante des dogmes religieux ou des intérêts particuliers, une éducation qui permette à chacun d'exercer dans une véritable liberté la plénitude de ses droits individuels.
Cette conception de la laïcité n'est pas celle d'un petit village gaulois assiégé même si l'on entend souvent dire que la laïcité est une originalité exclusivement française. C'est au contraire une valeur porteuse d'avenir qui, sans imposer un modèle et en respectant ce qu'a de positif la diversité des cultures et des expériences des différents peuples, peut devenir un moyen d'émancipation au service des peuples victimes de politiques génératrices d'inégalité et de paupérisation, confrontés à l'exacerbation des conflits de caractère ethnique ou religieux ; elle peut et doit être un instrument de paix et du " vivre ensemble ";un élément fondamental de réponse aux fractures auxquelles est confrontée notre société.
Y a-t-il aujourd'hui des menaces nouvelles auxquelles la laïcité est confrontée ? A l'évidence, le regain des intégrismes et les fractures de notre société qui conduisent à des formes de montée en puissance des communautarismes constituent bien une menace à prendre au sérieux. Mais il serait faux de penser qu'une seule religion serait concernée : ces phénomènes traversent toutes les religions et l'on aurait tort de croire que les unes auraient accepté tacitement le pacte laïque républicain en s'intégrant dans notre société et d'autres mèneraient l'offensive; et c'est l'un des problèmes que pose la médiatisation des affaires de voile : même si les problèmes sont spectaculaires, même si dans un certain nombre de cas l'ont peut voir derrière certaines situations un activisme important de mouvements intégristes, l'on ne peut oublier la multiplication des pressions pour obtenir des autorisations d'absence pour certaines fêtes religieuses juives ou musulmanes ou les tentatives pour réintroduire des services religieux catholiques dans certains locaux scolaires, les débats sur le contenu du projet de constitution européenne. Il n'est pas jusqu'à la formation à l'enseignement du fait religieux - initiative pourtant positive - qui ne donne lieu à des tentatives de coup de canif dans le fameux contrat, en confiant cette formation prioritairement à des porte-parole des religions concernées. L'on ne saurait oublier non plus oublier le statut scolaire particulier de l'Alsace-Moselle et le refus des églises de même le voir modifié, ne serait ce qu'à minima en remplaçant le caractère obligatoire de l'enseignement religieux par le choix des familles. Et que penser de l'affichage médiatique par les plus hautes autorités de l'État de leur convictions et pratiques religieuses ?
Surtout il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui la laïcité ne peut se limiter à la question des religions. Si la laïcité est bien ce principe que nous avons décrit plus haut, la neutralité du service public doit s'imposer à tous les intérêts privés susceptibles de "mettre sous influence" les élèves ou l'école. L'école doit être à l'abri des marchands autant que des religions. N'oublions pas en effet que de plus en plus nombre d'entreprises se sont lancées à l'assaut du marché des jeunes consommateurs, cherchent à s'introduire à l'école à travers des démarches qui interfèrent avec le contenu même des enseignements. Je pense par exemple à des concours comme " les masters de l'économie du CIC ". De plus le marché des biens et services scolaires (édition, soutien scolaire) change de nature et de dimension et les entreprises cherchent à la fois des débouchés et une aide publique. La formation des enseignants est également menacée lorsque le ministère de l'Éducation Nationale s'en remet à l'Institut de l'Entreprise, lié étroitement à un organisme patronal, pour une formation des enseignants de SES sur la mondialisation. Entendons nous bien : il ne s'agit pas de plaider pour une quelconque " sanctuarisation " de l'école qui devrait rester aveugle et sourde à la réalité du monde extérieur ; au contraire la formation des jeunes implique une ouverture sur le monde et notamment celui de l'entreprise. Mais la question est de savoir si cette ouverture se fait avec l'indépendance qui garantit le regard critique, permet la connaissance et l'appropriation des problématiques ou si elle sert de prétexte pour chercher à aliéner la vision critique et à faire pression sur les choix.
C'est une dimension qu'il importe de prendre en compte si l'on veut faire vivre la laïcité dans toute son acception et sa modernité.
Comment défendre aujourd'hui la laïcité ?
Le débat se concentre autour de la question d'une loi qui interdirait clairement le port des signes religieux à l'école. Il ne s'agit pas d'un débat sur la nécessité de combattre ce port : nos mandats sont clairs là dessus. Le débat porte sur les moyens à mettre en uvre. Ceux qui proposent une telle loi s'appuient sur un certain nombre d'incidents parfois montés en épingle en oubliant d'ailleurs combien le travail éducatif a pu souvent contribuer à réduire leur nombre. Ils tirent aussi argument des difficultés- réelles- auxquelles sont confrontés les personnels dans certains établissements scolaires.
Mais chacun sait qu'à travers les " signes religieux ", c'est essentiellement " le voile " qui est visé alors que le port ostentatoire d'autres signes religieux (kippas, croix) ou marquant un engagement idéologique, ne soulève pas la même indignation. Et c'est la religion musulmane qui apparaît comme seule visée alors que, comme je l'ai dit, le problème est plus large.
Enfin, si l'on met en avant la proposition d'une loi, c'est parce qu'on recherche un instrument permettant l'exclusion expéditive, sans contestation, de ceux qui contreviennent aux règles ; or cette démarche ne tient pas compte de ce qui nous semble essentiel : laisser aux équipes la possibilité d'explorer au préalable d'autres voies, en particulier celles du dialogue et de la démarche éducative pour obtenir le retrait du voile. De fait si une sanction doit intervenir elle ne peut-être que sur la base d'un constat d'échec de toutes les autres voies. Corollairement, il est illusoire de penser qu'une loi ne laisserait pas les équipes sur le terrain confrontées à la problématique de son application en ayant, en dernière analyse, la responsabilité de déterminer ce qui est signe religieux ou pas, et celle du recours ou non à la sanction dont la loi aurait ouvert la possibilité.
Vous aurez compris de ce que je viens de dire mais aussi de l'ensemble de mon exposé que nous ne sommes pas favorables à une loi qui ne traiterait que de la question du port des signes religieux : cela serait sans nul doute contre productif par rapport aux valeurs que nous voulons promouvoir. S'il y a nécessité d'améliorer le dispositif législatif ou réglementaire c'est sur tous les domaines que nous avons évoqués que cela doit être fait en marquant clairement que l'application du principe de laïcité dans la République s'applique à tous et partout. Comment par exemple faire comprendre à des jeunes que l'on interdirait sans concession tel signe alors que telle autre manifestation religieuse serait tolérée ou que sur une partie du territoire l'enseignement religieux ou l'affichage de signes religieux dans les salles de classe continueraient à être une obligation ? C'est aussi une question de respect des jeunes.
Si loi il doit y avoir, elle doit être conçue comme un moyen de mieux fonder aujourd'hui la lutte pour la laïcité, lui donner une nouvelle vie.
Et indépendamment de ce débat, il me semble important de souligner un certain nombre de démarches qui sont fondamentales, qu'il y ait une loi ou non.
La première idée est qu'il faut donner toute leur effectivité à un certain nombre de principes pour lesquels il n'est pas besoin de modifier les règles. Par exemple le contenu des enseignement n'est pas négociable, pas plus que l'assiduité des élèves. Par exemple, un fonctionnaire, parce qu'il a des missions de service public et d'intérêt général, a un statut qui en fait un salarié particulier avec des obligations particulières en matière de laïcité. Par exemple, il faut veiller à ce qu'en la matière des règles différentes n'aboutissent pas à produire des inégalités entre établissements.
En second lieu, je veux rappeler que la lutte pour la laïcité ne peut pas se réduire au seul champ des services publics ou de l'école. Je veux dire par là qu'il importe d'une part que les hommes politiques investis de le responsabilité de représenter l'État doivent en ce domaine être exemplaires; je veux dire surtout que les intégrismes et les communautarismes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui se nourrissent des inégalité de notre société, de l'exclusion, de la ghettoïsation et que demander à l'école de lutter pour la laïcité en son sein sans traiter ces phénomènes serait partiellement vain.
La troisième idée que je souhaite développer est que l'éducation est un outil central de la bataille pour la laïcité : ce n'est pas seulement en confortant l'école comme espace de neutralité par rapport aux religions et aux intérêts privés que l'on fera progresser la laïcité mais en travaillant toujours mieux les contenus enseignés pour construire une culture commune porteuse d'émancipation, en assurant à tous les jeunes, sans exclusive, l'accès aux qualifications indispensables pour s'insérer dans notre société. Et c'est en faisant de la question de la laïcité un élément de la formation des personnels que l'on pourra également progresser.
Pour conclure, je voudrais dire qu'éducateurs, agents de l'État, nous avons la conviction que la laïcité est une composante fondamentale de nos missions, qu'elle est liée à notre attachement aux services publics ; qu'il s'agit d'une valeur d'avenir pour peu qu'on ne l'enferme pas dans des stéréotypes ou des conceptions étriquées. Les personnels attendent d'être confortés et soutenus dans leur attachement à cette valeur et dans leur lutte pour la faire vivre au quotidien. Ne pas décevoir cette attente implique d'abord de prendre toute la dimension des questions de la laïcité aujourd'hui et de les traiter dans leur ensemble.
(source http://www.fsu.fr, le 4 novembre 2003)
Dans ce contexte je tiens à me féliciter de ce que le champ de réflexion de votre commission embrasse l'ensemble de la problématique de la laïcité, car autant la question du port de signes religieux est source de conflits difficiles pour les personnels, souvent partagés entre le refus de ces signes et la volonté d'assurer à tous les jeunes une éducation et une formation, autant la surmédiatisation de cette question et la cacophonie passionnelle qui l'entoure sont de nature à empêcher de traiter véritablement des problèmes qui se posent aujourd'hui à la laïcité et au droit à l'éducation pour tous les jeunes quelle que soit leur origine et leur religion.
Représentant ici l'organisation majoritaire des personnels de l'éducation et en même temps la première fédération de la Fonction Publique d'État, je n'esquiverai pas - bien-sûr - la question du port des signes religieux mais je pense important de l'insérer dans une problématique plus large qui consiste à essayer de définir ce que sont selon nous les enjeux et les difficultés de la laïcité dans notre société.
Je commencerai bien évidemment par un rappel de ce qui pour nous constitue les principaux fondements de la laïcité - une notion qui est toujours fortement d'actualité !
La loi de 1905 a été une étape majeure d'une construction qui est le fruit d'un long combat des hommes pour imposer la liberté de conscience, la tolérance et l'idée de raison contre l'ignorance, la peur de l'autre, l'hégémonie des dogmes notamment religieux. Je parle d'étape car ce combat est largement plus ancien - la loi de 1882 instituant la scolarité obligatoire relève du même combat - et parce que les objectifs en sont toujours d'actualité et qu'il importe de les faire vivre.
De ce point de vue, la laïcité est étroitement liée au projet républicain. La séparation des églises et de l'État ne fait pas de la religion une affaire strictement privée mais a pour originalité de faire de l'espace public un espace à part caractérisé par la neutralité de l'État. Cette neutralité ne consiste pas à accepter l'expression de toutes les croyances, de toutes les idéologies , en se souciant simplement de l'égalité de leurs droits ; ce n'est pas une neutralité " passive " : en fait elle a pour projet de garantir à chacun dans l'espace public une liberté véritable en ceci qu'elle le met à l'abri des pressions et des intérêts particuliers et qu'elle lui donne les moyens de son choix de vie. Elle est elle même porteuse de valeurs, celles qui fondent notre République : solidarité, justice, fraternité, lutte contre le racisme et les discriminations....
De ce point de vue elle est " consubstantielle " à la notion de service public, porteur d'intérêt général et distinct d'un simple service au public.
Cette conception de la laïcité prend bien évidemment une signification toute particulière à l'école ; ce n'est pas en vain que l'on parle " d' Éducation Nationale " : l'apport capital de ce service public est d'assurer une culture commune qui ne saurait être conçue comme le plus petit dénominateur commun mais doit permettre l'accès de tous à des savoirs pluriels, à la formation de l'esprit critique et de la personnalité, à la connaissance des cultures,- y compris religieuses-, dans leur diversité et permettre l'insertion dans la société, d'abord à travers l'accès à l'emploi. De ce point de vue, l'exclusion des signes religieux à l'école n'est pas une négation du droit individuel à la liberté de conscience, il est un instrument pour assurer à chacun le droit à une éducation indépendante des dogmes religieux ou des intérêts particuliers, une éducation qui permette à chacun d'exercer dans une véritable liberté la plénitude de ses droits individuels.
Cette conception de la laïcité n'est pas celle d'un petit village gaulois assiégé même si l'on entend souvent dire que la laïcité est une originalité exclusivement française. C'est au contraire une valeur porteuse d'avenir qui, sans imposer un modèle et en respectant ce qu'a de positif la diversité des cultures et des expériences des différents peuples, peut devenir un moyen d'émancipation au service des peuples victimes de politiques génératrices d'inégalité et de paupérisation, confrontés à l'exacerbation des conflits de caractère ethnique ou religieux ; elle peut et doit être un instrument de paix et du " vivre ensemble ";un élément fondamental de réponse aux fractures auxquelles est confrontée notre société.
Y a-t-il aujourd'hui des menaces nouvelles auxquelles la laïcité est confrontée ? A l'évidence, le regain des intégrismes et les fractures de notre société qui conduisent à des formes de montée en puissance des communautarismes constituent bien une menace à prendre au sérieux. Mais il serait faux de penser qu'une seule religion serait concernée : ces phénomènes traversent toutes les religions et l'on aurait tort de croire que les unes auraient accepté tacitement le pacte laïque républicain en s'intégrant dans notre société et d'autres mèneraient l'offensive; et c'est l'un des problèmes que pose la médiatisation des affaires de voile : même si les problèmes sont spectaculaires, même si dans un certain nombre de cas l'ont peut voir derrière certaines situations un activisme important de mouvements intégristes, l'on ne peut oublier la multiplication des pressions pour obtenir des autorisations d'absence pour certaines fêtes religieuses juives ou musulmanes ou les tentatives pour réintroduire des services religieux catholiques dans certains locaux scolaires, les débats sur le contenu du projet de constitution européenne. Il n'est pas jusqu'à la formation à l'enseignement du fait religieux - initiative pourtant positive - qui ne donne lieu à des tentatives de coup de canif dans le fameux contrat, en confiant cette formation prioritairement à des porte-parole des religions concernées. L'on ne saurait oublier non plus oublier le statut scolaire particulier de l'Alsace-Moselle et le refus des églises de même le voir modifié, ne serait ce qu'à minima en remplaçant le caractère obligatoire de l'enseignement religieux par le choix des familles. Et que penser de l'affichage médiatique par les plus hautes autorités de l'État de leur convictions et pratiques religieuses ?
Surtout il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui la laïcité ne peut se limiter à la question des religions. Si la laïcité est bien ce principe que nous avons décrit plus haut, la neutralité du service public doit s'imposer à tous les intérêts privés susceptibles de "mettre sous influence" les élèves ou l'école. L'école doit être à l'abri des marchands autant que des religions. N'oublions pas en effet que de plus en plus nombre d'entreprises se sont lancées à l'assaut du marché des jeunes consommateurs, cherchent à s'introduire à l'école à travers des démarches qui interfèrent avec le contenu même des enseignements. Je pense par exemple à des concours comme " les masters de l'économie du CIC ". De plus le marché des biens et services scolaires (édition, soutien scolaire) change de nature et de dimension et les entreprises cherchent à la fois des débouchés et une aide publique. La formation des enseignants est également menacée lorsque le ministère de l'Éducation Nationale s'en remet à l'Institut de l'Entreprise, lié étroitement à un organisme patronal, pour une formation des enseignants de SES sur la mondialisation. Entendons nous bien : il ne s'agit pas de plaider pour une quelconque " sanctuarisation " de l'école qui devrait rester aveugle et sourde à la réalité du monde extérieur ; au contraire la formation des jeunes implique une ouverture sur le monde et notamment celui de l'entreprise. Mais la question est de savoir si cette ouverture se fait avec l'indépendance qui garantit le regard critique, permet la connaissance et l'appropriation des problématiques ou si elle sert de prétexte pour chercher à aliéner la vision critique et à faire pression sur les choix.
C'est une dimension qu'il importe de prendre en compte si l'on veut faire vivre la laïcité dans toute son acception et sa modernité.
Comment défendre aujourd'hui la laïcité ?
Le débat se concentre autour de la question d'une loi qui interdirait clairement le port des signes religieux à l'école. Il ne s'agit pas d'un débat sur la nécessité de combattre ce port : nos mandats sont clairs là dessus. Le débat porte sur les moyens à mettre en uvre. Ceux qui proposent une telle loi s'appuient sur un certain nombre d'incidents parfois montés en épingle en oubliant d'ailleurs combien le travail éducatif a pu souvent contribuer à réduire leur nombre. Ils tirent aussi argument des difficultés- réelles- auxquelles sont confrontés les personnels dans certains établissements scolaires.
Mais chacun sait qu'à travers les " signes religieux ", c'est essentiellement " le voile " qui est visé alors que le port ostentatoire d'autres signes religieux (kippas, croix) ou marquant un engagement idéologique, ne soulève pas la même indignation. Et c'est la religion musulmane qui apparaît comme seule visée alors que, comme je l'ai dit, le problème est plus large.
Enfin, si l'on met en avant la proposition d'une loi, c'est parce qu'on recherche un instrument permettant l'exclusion expéditive, sans contestation, de ceux qui contreviennent aux règles ; or cette démarche ne tient pas compte de ce qui nous semble essentiel : laisser aux équipes la possibilité d'explorer au préalable d'autres voies, en particulier celles du dialogue et de la démarche éducative pour obtenir le retrait du voile. De fait si une sanction doit intervenir elle ne peut-être que sur la base d'un constat d'échec de toutes les autres voies. Corollairement, il est illusoire de penser qu'une loi ne laisserait pas les équipes sur le terrain confrontées à la problématique de son application en ayant, en dernière analyse, la responsabilité de déterminer ce qui est signe religieux ou pas, et celle du recours ou non à la sanction dont la loi aurait ouvert la possibilité.
Vous aurez compris de ce que je viens de dire mais aussi de l'ensemble de mon exposé que nous ne sommes pas favorables à une loi qui ne traiterait que de la question du port des signes religieux : cela serait sans nul doute contre productif par rapport aux valeurs que nous voulons promouvoir. S'il y a nécessité d'améliorer le dispositif législatif ou réglementaire c'est sur tous les domaines que nous avons évoqués que cela doit être fait en marquant clairement que l'application du principe de laïcité dans la République s'applique à tous et partout. Comment par exemple faire comprendre à des jeunes que l'on interdirait sans concession tel signe alors que telle autre manifestation religieuse serait tolérée ou que sur une partie du territoire l'enseignement religieux ou l'affichage de signes religieux dans les salles de classe continueraient à être une obligation ? C'est aussi une question de respect des jeunes.
Si loi il doit y avoir, elle doit être conçue comme un moyen de mieux fonder aujourd'hui la lutte pour la laïcité, lui donner une nouvelle vie.
Et indépendamment de ce débat, il me semble important de souligner un certain nombre de démarches qui sont fondamentales, qu'il y ait une loi ou non.
La première idée est qu'il faut donner toute leur effectivité à un certain nombre de principes pour lesquels il n'est pas besoin de modifier les règles. Par exemple le contenu des enseignement n'est pas négociable, pas plus que l'assiduité des élèves. Par exemple, un fonctionnaire, parce qu'il a des missions de service public et d'intérêt général, a un statut qui en fait un salarié particulier avec des obligations particulières en matière de laïcité. Par exemple, il faut veiller à ce qu'en la matière des règles différentes n'aboutissent pas à produire des inégalités entre établissements.
En second lieu, je veux rappeler que la lutte pour la laïcité ne peut pas se réduire au seul champ des services publics ou de l'école. Je veux dire par là qu'il importe d'une part que les hommes politiques investis de le responsabilité de représenter l'État doivent en ce domaine être exemplaires; je veux dire surtout que les intégrismes et les communautarismes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui se nourrissent des inégalité de notre société, de l'exclusion, de la ghettoïsation et que demander à l'école de lutter pour la laïcité en son sein sans traiter ces phénomènes serait partiellement vain.
La troisième idée que je souhaite développer est que l'éducation est un outil central de la bataille pour la laïcité : ce n'est pas seulement en confortant l'école comme espace de neutralité par rapport aux religions et aux intérêts privés que l'on fera progresser la laïcité mais en travaillant toujours mieux les contenus enseignés pour construire une culture commune porteuse d'émancipation, en assurant à tous les jeunes, sans exclusive, l'accès aux qualifications indispensables pour s'insérer dans notre société. Et c'est en faisant de la question de la laïcité un élément de la formation des personnels que l'on pourra également progresser.
Pour conclure, je voudrais dire qu'éducateurs, agents de l'État, nous avons la conviction que la laïcité est une composante fondamentale de nos missions, qu'elle est liée à notre attachement aux services publics ; qu'il s'agit d'une valeur d'avenir pour peu qu'on ne l'enferme pas dans des stéréotypes ou des conceptions étriquées. Les personnels attendent d'être confortés et soutenus dans leur attachement à cette valeur et dans leur lutte pour la faire vivre au quotidien. Ne pas décevoir cette attente implique d'abord de prendre toute la dimension des questions de la laïcité aujourd'hui et de les traiter dans leur ensemble.
(source http://www.fsu.fr, le 4 novembre 2003)