Texte intégral
Q- Comme les années précédentes, Lutte Ouvrière fait circuler en France des caravanes d'été avec des militants qui vont au contact de zones en difficultés. Quelle impression, quelle conclusion tirez-vous de cet aller sur le terrain cette année ?
R- "Il y a encore des caravanes en cours mais le bilan qu'on peut en tirer, c'est bien sûr de la colère, mais aussi beaucoup de démoralisation dans la classe ouvrière de ce pays, face aux attaques continuelles du patronat concernant les plans de licenciements, les délocalisations, concernant le chômage, les bas salaires. Beaucoup de désillusions aussi sur le fait que la gifle donnée à ce gouvernement par les élections régionales, européennes, n'a strictement rien changé. Puis, au-delà, quand même des militants ouvriers qui essayent de garder le moral et se battent le dos au mur et qui espèrent qu'un jour ou l'autre, il y aura quand même un mouvement d'ensemble qui fera reculer le patronat."
Q- C'est ce mouvement que vous appelez, que vous espérez pour la rentrée ?
R- "C'est ce mouvement auquel on travaille tout le temps ; c'est vrai qu'il faut en quelque sorte remonter le moral des travailleurs aujourd'hui."
Q- Sur le référendum annoncé par Jacques Chirac pour approuver ou non la constitution européenne, quelle est exactement la position de Lutte Ouvrière ?
R - "Ce référendum c'est manifestement une sorte de plébiscite honteux pour Jacques Chirac, qui ne se met pas vraiment en avant dans cette affaire, mais qui en fait espère bien qu'un "oui" pourrait faire oublier justement les échecs électoraux dont je parlais tout à l'heure, concernant les régionales et les européennes. Et de ce point de vue-là, la position de Lutte Ouvrière c'est bien sûr que nous n'appellerons pas à voter "oui" à cette constitution. D'ailleurs, personnellement, j'avais, avec mes camarades, lorsque j'étais encore élue parlementaire européenne, j'avais voté contre le texte de cette Constitution, qui est un texte pour les financiers, pas du tout pour le monde du travail. Mais au-delà de ça, il est évident que Lutte Ouvrière ne saurait donner un "oui" à Jacques Chirac. Comme je le répète, sa décision de faire un référendum est une façon d'essayer d'effacer son échec."
Q- Si je vous pose la question c'est parce que la Ligue Communiste Révolutionnaire envisage un rapprochement avec des partis à la gauche du Parti Socialiste - les communistes, les mouvements alternatifs - pour prôner ce qu'ils appellent un "non de gauche" à la Constitution européenne.
R - "Il est extrêmement difficile, dans une élection, de distinguer dans les bulletins, les bulletins "non" de gauche ou les bulletins souverainistes ou d'extrême droite. Donc, tout ça, c'est un peu aléatoire. Mais ce qui est certain, en tout cas, c'est que nous nous ne savons pas encore quelle campagne nous ferons. Mes camarades commencent seulement à rentrer au travail. On veut voir ce que pensent les travailleurs. Je pense que beaucoup de travailleurs auront envie de s'abstenir parce qu'ils voient bien que, que ce soit le "oui" ou le "non" qui l'emporte, de toute façon, cela n'arrêtera ni les délocalisations, ni les bas salaires, ni les plans sociaux et que le problème est ailleurs. Cela dit, c'est vrai que je pense qu'aussi beaucoup de travailleurs vont être tentés de sanctionner une nouvelle fois la politique de ce gouvernement en votant "non". Donc, on prendra notre décision ; on a le temps encore, mais ce qui est sûr c'est qu'on ne votera pas "oui"."
Q- Les échecs électoraux, vous en avez parlé pour la droite, mais pour vous, enfin alliés dans les dernières élections avec la Ligue communiste révolutionnaire, cela n'a pas été très bon comme résultat. La Ligue d'ailleurs a lancé une souscription nationale parce qu'il y a des problèmes financiers ; à Lutte ouvrière, vous n'avez pas lancé de souscription. Vous n'avez pas de problèmes financiers ?
R - "Vous savez, nous, on est des petites fourmis et en général on ne se présente pas aux élections sans être sûrs de pouvoir s'en sortir, même si on ne franchit pas la barre fatidique. Cela dit, pour les régionales, on sera remboursée en partie, puisqu'il y a des région où nous avons dépassé les 5% nécessaires. Mais c'est vrai que pour les européennes c'est un petit peu un coup dur sur le plan financier. Cela dit, au-delà de ça, je crois que les élections, ça va, ça vient. Vous savez, nous, Lutte ouvrière, on n'a jamais fait dans les élections législatives ou régionales, de si bons scores que ce que j'avais pu faire en 1995 aux présidentielles. Donc, on va continuer le combat en dehors des élections, puisque des élections ,il n'y en aura pas avant un moment de toute façon."
Q- Dans la revue Contretemps qui va paraître en septembre, O. Besancenot, de la LCR, se livre à une réflexion sur la place de l'individu dans les organisations militantes. Il dit qu'aujourd'hui on ne peut plus sacrifier sa vie personnelle à un engagement politique. Cela vous surprend, ce genre de réflexion ?
R - "Non, il a raison; je pense qu'on ne peut pas militer 30 ans ou 40 ans comme c'est mon cas en étant malheureux. Si on est malheureux je crois qu'on arrête. Cela me paraît..."
Q- Vous, vous êtes heureuse ?
R - "Oui, tout à fait. Moi, j'ai trouvé, au contraire, que ma vie militante, ma vie politique, était en parfaite harmonie avec mes choix personnels. Donc je n'ai pas de problème de ce point de vue-là. Il n'y a pas que moi, remarquez. Je ferais quand même remarquer qu'A. Krivine est porte-parole de la LCR depuis encore plus longtemps que mois, puisqu'il a commencé en 1969 et moi en 1974. Donc, je crois qu'on peut vivre tout à fait en harmonie avec sa vie personnelle et ses idées politiques. "
Q- O. Besancenot le place en terme de génération. Il explique que, dans sa génération, on demande à pouvoir vivre tranquillement sa vie sans que le parti se permette de la juger. D'ailleurs il dit qu'il exclut que la Ligue Communiste révolutionnaire fasse avec lui ce que Lutte Ouvrière a fait avec Arlette. Vous ressentez cela comment ?
R - "Il aurait pu dire ce que la LCR a fait avec Krivine; je viens de le dire. Moi, je suis un peu gênée par rapport à cette interview, parce que je ne l'ai pas lue. Elle n'est pas encore parue. Alors il y a quelques extraits dans Le Monde. Cela dit, si les citations sont exactes, d'une certaine façon, c'est une forme d'honnêteté de la part d'O. Besancenot de dire à ceux qu'il veut défendre qu'ils ne pourront pas compter sur lui très longtemps."
Q- Ce n'est pas un manque de galanterie ?
R - "Non, je crois, il vaut mieux honnêtement dire... Si ces intentions ne sont pas de continuer, il vaut mieux qu'il le dise, je pense."
Q- Est-ce qu'on sait déjà qui sera candidat à la présidentielle en 2007 pour Lutte Ouvrière ? Vous êtes tentée ?
R - "Franchement, on n'est pas du tout là-dessus. Vous savez, la situation des travailleurs, aujourd'hui, elle est extrêmement difficile. Quand on voit tous ces chantages qui sont faits à la délocalisation, à la baisse des salaires chez Bosch, chez Perrier à Vergèze, à Ronal en Lorraine, c'est ça, les préoccupations des travailleurs. Et franchement, 2007, je m'en moque assez aujourd'hui."
Q- En tant que marxiste léniniste quel commentaire vous inspire la visite du Pape à Lourdes ?
R -"Tout simplement en tant qu'athée et laïque d'ailleurs plus qu'en tant que marxiste; je pense que, pour moi, Chirac ne représente ni la laïcité, ni la liberté, ni la fraternité. Et je trouve qu'il y a justement une grande différenciation entre les paroles et la réalité. Parce qu'autrement, il faudrait commencer par donner les moyens, par exemple ,à l'enseignement public qui en manque beaucoup alors qu'on privilégie aujourd'hui de plus en plus l'enseignement privé, surtout d'origine confessionnelle. Non Chirac a dit qu'il avait reçu le Pape en tant que chef d'Etat et pas en tant que chef religieux puisqu'il est chef du Vatican. Bon, il y aurait à protester contre beaucoup de chefs d'Etat qui viennent ici. C'est vrai que le Pape tient sur les femmes un langage que je ne saurai accepter. Malheureusement, il y a beaucoup de dictateurs que Chirac invite et qui, quelquefois, sont bien pires que le Pape, qui vont même jusqu'à lapider les femmes."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 août 2004)