Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'influence de la France et l'espace européen, la politique gouvernementale de réforme en matière d'immigration, de recherche et d'échanges universitaires, la laïcité et les valeurs inspirant l'action internationale, Paris le 26 août 2004.

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Circonstance : Conférence des ambassadeurs à Matignon, Paris le 26 aût 2004

Texte intégral

Monsieur le ministre des Affaires étrangères,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les ambassadeurs,
ceux de l'État de la France,
et puis ceux aussi, des entreprises et de la société civile, qui portent, partout dans le monde, des messages de notre pays,
Je voudrais vous souhaiter à chacune et à chacun d'entre vous, la bienvenue, ici, à l'Hôtel Matignon. J'espère que c'est une pause d'ouverture et de détente dans un programme que je sais naturellement surchargé, entre vos vacances et la reprise de vos activités sur les terres où vous représentez notre pays.
Je voudrais vous dire combien j'apprécie la réflexion qui est engagée par le ministre des Affaires étrangères, sur le thème de "L'influence de la France". Je pense, en effet, que, dans un monde qui est en mouvement, il nous faut avoir une pensée rapide sur l'exigence d'influence.
Je pense que l'influence de la France dépend naturellement de son projet, de son action, et aussi de ses alliances. Une dernières phrases d'Hernani c'est de dire : "La force qui va et qui sait où elle va", peut avoir, aujourd'hui, cette influence. Comment la France pourrait-elle avoir de l'influence si elle n'est pas "une force qui va et qui sait où elle va" ? C'est pour cela que notre projet est d'abord la source de cette influence, il n'y a pas de vents favorables, vous le savez, pour qui n'a point de port. Notre projet, au fond, a été tracé par le chef de l'État à plusieurs reprises et il mobilise chacun des membres du Gouvernement. Il s'agit de réussir notre destin franco-européen. C'est une ambition, c'est une exigence, de notre temps, face à l'ensemble des échéances historiques que l'Europe a placé devant nous, ce 1er mai 2004, cet élargissement, avec les dix nouveaux pays qui viennent rejoindre la Communauté, l'Union, et puis, naturellement, ce projet de Constitution pour un continent qu'il a fallu bâtir et qu'il faudra faire partager aux Françaises et aux Français.
Dans ce défi d'une nouvelle Europe, fondée sur une nouvelle géographie, avec une nouvelle organisation, nous devons veiller à ce que la France s'engage de manière active, sans prétention, mais avec efficacité. Je pense que tout ceci nous impose de la lucidité. Il est évident que nous sommes, aujourd'hui, peuple fondateur de l'Union, mais nous sommes 1 parmi 25. Et donc, il nous faut mesurer combien nous avons besoin d'alliances, combien nous avons besoin de stratégies, de travail, de professionnalisme, et combien il est nécessaire pour nous, d'intégrer l'ensemble de la dimension européenne à chacune de nos politiques nationales.
Je souhaite vraiment que l'ensemble des ministres, aujourd'hui, mesure combien l'Europe est affaire domestique ; combien l'Europe est un espace de pertinence pour nos différentes politiques. Cela nous impose des changements de comportements, cela nous impose aussi un certain nombre de révisions - je pense à nos contentieux avec l'Europe ; je pense à un certain nombre de difficultés que, pour l'avenir, il nous faudra surmonter.
Il est clair que nous devons travailler avec l'Europe d'une manière beaucoup plus engagée, sans doute, avec le souci de mieux comprendre nos partenaires, d'être davantage à leur écoute, de les respecter, et de veiller à suffisamment les écouter pour nous-mêmes nous faire entendre.
Réussir ce destin franco-européen, c'est équilibrer notre exigence de souveraineté et la pertinence européenne. M. Barnier, vous en a parlé : il est évident aujourd'hui que, des grandes actions de réformes pour la société françaises, qui sont devant nous, concernent cette exigence de souveraineté et cette pertinence européenne. Je pense à la politique de l'immigration : cette politique, nécessaire pour la France, qui est face à un déficit important de notre démographie. Aujourd'hui, près de 400 000 offres d'emplois ne sont pas satisfaites. Mais nous n'avons pas encore ce que D. De Villepin appelle "une immigration choisie". Nous avons à bâtir cette politique de l'immigration pour la France, mais évidemment, en cohérence avec nos partenaires de l'Union européenne. Je pense que notre politique de recherche doit aussi considérer l'espace européen comme un espace pertinent. Il est bon que nous renforcions nos propres efforts de recherche ; il est bon que nous construisions une stratégie, par exemple, pour la recherche contre le cancer ; il est bon aussi, que nous puissions dégager des cohérences européennes pour mutualiser les efforts, et mobiliser des énergies. L'immigration, la recherche, la défense - nos industries de défense sont aussi au cur de cet espace européen, aujourd'hui pertinent, pour l'exercice de notre souveraineté nationale.
C'est, je pense, l'objectif qu'il nous faut avoir pour les mois qui viennent, pour cette prochaine rencontre avec les Français sur l'Europe ; non pas un débat électoral, manichéen, mais une véritable refondation de notre pensée nationale équilibrant ce que sont les valeurs et les ambitions de la France à l'intérieur d'un espace européen que nous voulons partager. C'est cela notre projet.
Notre action, c'est d'être capables de construire aujourd'hui "la société du nouveau siècle". Puisque ces mouvements sont nombreux, il nous faut être capable, d'abord, de surmonter tous les blocages de la société, tous les blocages que nous ne pouvons surmonter que par les réformes.
Mon Gouvernement, s'est engagé dans une politique déterminée, de réformes pour la modernisation de la France. Nous voyons bien notre société piégée par l'histoire de son immobilisme. C'était vrai pour les retraites, pour l'assurance maladie. La France, a fait preuve de ses capacités réformatrices. Nous avons engagé une grande réforme de la décentralisation et vous trouverez, chaque jour davantage, à vos côtés, les collectivités territoriales pour participer à des initiatives internationales. Nous avons fait ces réformes, il y en a d'autres devant nous pour que la société française vive en harmonie avec le nouveau siècle. Il nous faut faire la réforme de l'Éducation pour plus de justice, plus encore de qualité. Je vous parlais tout à l'heure de la réforme de la recherche, je vous parlais aussi de la réforme de l'immigration ; ces réformes sont devant nous, elles sont nécessaires pour que la société française puisse assumer son avenir avec sérénité.
Surmonter les blocages par les réformes, mais aussi créer les conditions d'une croissance durable et justement partagée. Nous avons engagé cette action pour le retour de la croissance ; nous l'avons engagée par la baisse des charges, par la baisse des impôts, notamment, ces charges qui pèsent sur l'emploi. Et nous avons engagé une véritable stratégie de l'attractivité de la France.
Cette stratégie, associée au fait qu'un certain nombre de nuages des réformes perçues comme acceptables, on a pu ainsi dégager l'avenir et l'horizon du pays, et donner aux Français davantage confiance dans l'avenir. C'est notamment l'objet du plan de cohésion sociale, pour que le retour de cette croissance soit partagé par les Françaises et les Français. C'est toute la dynamique des projets que nous engageons - je pense aux grands projets internationaux : c'est le cas en matière nucléaire de l'EPR, c'est le cas d'ITER, pour cette énergie du nouveau siècle. Ce sont aussi les grands projets transnationaux d'infrastructures - routières, ferroviaires ou maritimes et qui font partie de notre mobilisation pour cette croissance durable et justement partagée.
On dit quelquefois, que la France n'est pas toujours le bon élève de l'Europe. Il y a un sujet sur lequel nous sommes le bon élève, c'est le sujet de la croissance, puisque certes la croissance trouve son origine dans l'accélération du commerce mondial. Mais nous avons dans la zone euro, un point de plus que les autres. C'est "le plus" français ; c'est ce "plus" par l'action de réformes ; c'est le plus par cette capacité à se mobiliser pour une croissance durable et que nous voulons partager.
Je vous demande que vous soyez les représentants de la France dans le monde ; que vous soyez entrepreneurs, créateurs - économiques, culturels, sociaux -, vous devez, tous, être des témoins engagés de la capacité réformatrice de la France. Trop souvent, la France a l'image de l'immobilisme. Il faut convaincre le monde de notre capacité réformatrice. Les Françaises et les Français veulent vivre dans leur siècle. Ils n'ont pas peur de la réforme. A nous, évidemment, dirigeants, d'être capables de construire des politiques de réformes acceptables. C'est ce que nous venons de faire avec l'assurance maladie, avec la capacité de trouver des solutions au vieillissement de notre société, à l'exercice de la solidarité nationale.
Nous voulons également pour assumer cette "société du nouveau siècle", davantage partager dans la société française, les fruits de la croissance, mais aussi, les valeurs qui nous rassemblent. Les valeurs républicaines évidemment ; ces valeurs auxquelles notre pays est attaché, qui permettent à notre pays d'être capable de se rassembler. Ces valeurs, nous l'avons vu à plusieurs reprises, sont celles, évidemment, de la République - Liberté, Égalité, Fraternité -, mais aussi, la laïcité, avec un débat parlementaire qui nous a permis de faire une loi, avec un très large consensus, et un débat approfondi, pour que la France puisse dire au monde sa spécificité. Nous ne sommes pas contre l'expression des religions ; nous ne sommes pas contre un siècle spirituel. Nous sommes pour que la politique - l'État - assume ses responsabilités, et nous faisons en sorte que, à l'intérieur de la République française il puisse y avoir cette séparation entre l'État et les Églises. C'est cela notre conviction ; cela fait partie de nos valeurs universelles que la France apporte au monde et auxquelles nous sommes tous très attachés. Il y a cette vieille valeur au cur de notre histoire.
Et puis, il y a ces valeurs plus nouvelles, qui sont liées, notamment, aux valeurs de la protection de la vie sur la planète, de la biodiversité. De tout ce qui, aujourd'hui, peut être la conscience de notre environnement et des menaces qui pèsent sur lui. Ces valeurs, sont celles de la société française, ce sont les valeurs de la voix française. Ce n'est pas une voix idéologique, ce n'est pas une voix partisane. Très souvent, on voudrait enferme le discours des dirigeants de notre pays, soit dans un choix social, libéral, soit avec une certaine vision du monde qui serait celle que l'on pourrait qualifier de "conservatisme" ou de "modernisme". Au fond, la France, quand elle réussit, quand elle est elle-même, c'est celle qui choisit la voie sociale pour rassembler, et la voie responsable pour créer. C'est cette voie raisonnable, cette voie qui est une voie, au fond, duale - c'est peut-être plus moderne que la troisième voie -, mais c'est cette voie à laquelle nous sommes attachés et qui est un peu le modèle français.
C'est cette société avec cette voie, à la fois, responsable et raisonnable, que nous voulons transformer pour qu'elle puisse faire face à ces mutations.
Un projet, notre destin franco-européen, un programme d'action pour une société à l'aise dans son siècle, et puis aussi, des alliances. D'abord, vos alliances professionnelles, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, avec les autres services de l'État, vos ministres vous en ont parlé. Le Préfet, R.-F. Le Brice, travaille sur ce sujet.
Je souhaite vraiment, que vous puissiez être ceux qui coordonnent, rassemblent l'action de la France à l'étranger. Je ne souhaite pas que nous soyons dispersés dans nos initiatives. Tout comme, je souhaite qu'à l'intérieur de nos frontières, le préfet ait la capacité d'être le représentant de l'État, et de pouvoir rassembler autour de lui tous les acteurs des différents ministères. Je souhaite que l'ambassadeur puisse rassembler sous son autorité aussi, l'ensemble des services de l'État. J'ai vu trop de situations où l'État parlait de plusieurs voix. L'État n'est qu'"un", il ne peut parler que d'une voix à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières.
Je souhaite donc, que nous puissions, ensemble, construire cette alliance professionnelle entre les services de l'État, autour de l'ambassadeur ; c'est ce que nous faisons notamment, pour donner plus de visibilité à notre politique pour l'aide au développement. Ce sont des initiatives que nous voulons renforcer, qui sont, Monsieur le Préfet, au cur de votre mission de réflexion. Et je pense qu'il y a là, dans le cadre de la réforme de l'État, la capacité, à la fois, simplifier notre organisation, et en même temps, à la rendre plus efficace.
Je souhaite qu'il y ait aussi une alliance nationale qui puisse être renforcée entre les représentants de l'État et la société civile, avec, évidemment, nos entreprises. Je salue, ici, les nombreux chefs d'entreprise qui représentent nos intérêts dans le monde, qui sont aussi, ceux qui créent les emplois, ceux qui gagnent des marchés. Je voudrais dire qu'ils peuvent compter sur la mobilisation des services de l'État dans leur dynamique. Ils sont aussi, ambassadeurs de France, tout comme les associations, les médias, les collectivités locales, les ONG, tous les créateurs aujourd'hui, les sportifs, médaillés ou non, qui sont capables de faire résonner La Marseillaise ou d'exprimer les valeurs ou les efforts de la France.
Je pense que ces alliances sont très importantes ; je pense que dans nos ambassades, dans l'ensemble des départements, Monsieur le Ministre, il faut que tous les Français puissent avoir vocation à être ambassadeurs de la France. Nous avons, je crois, dans notre pays, un peu trop d'histoire, et, quelquefois, la tentation de rester enfermés dans nos frontières. Il faut valoriser le goût d'entreprendre ; il faut aussi valoriser le goût de l'ouverture, le goût du voyage, le goût des relations internationales, le goût du monde. Et pour cela, faire en sorte que chacun se sente directement concerné par l'action internationale, notamment, je pense à l'ensemble de notre système éducatif qui doit massivement s'ouvrir sur l'extérieur. Nos universités sont menacées à 15 ou 20 ans si elles ne sont pas capables de s'ouvrir, de manière particulièrement dynamique, sur le monde. A la fois, en accueillant des étudiants étrangers, mais aussi, évidemment, en envoyant à l'extérieur un certain nombre d'"Ulysse" qui vont aller se former et qui reviendront le moment venu créer sur le territoire de France.
Il va de soi que nos alliances sont aussi, évidemment, géographiques et politiques, en Europe, en Afrique. Cela, vous le savez. Je voudrais insister sur nos alliances culturelles, autour, évidemment, de notre langue ; mais aussi de ces valeurs qui font aujourd'hui, le message que le président de la République fait résonner dans le monde. La France, aujourd'hui, est identifiée autour, d'un certain nombre de combats qui s'expriment par de fortes valeurs. C'est, nos alliances à l'ONU pour davantage de droits. L'ONU, source du droit. C'est, nos alliances à l'OMC pour un meilleur développement plus équilibré entre le Nord et le Sud. C'est, nos alliances avec nos partenaires de Kyoto pour une organisation mondiale de l'environnement. C'est aussi, nos alliances à l'UNESCO pour la diversité culturelle. C'est le message de Johannesburg. Ce sont, les messages que la France, aujourd'hui, exprime, et grâce auxquels elle peut construire les alliances qui font son influence.
Je pense que, dans toutes les formes de réseaux, il y a toujours des hiérarchies qui se créent. Aujourd'hui, la hiérarchie des réseaux est une structurée (sic) autour de l'intelligence créatrice. Et c'est cela la mission de la France aujourd'hui pour se placer en tête de ces réseaux, d'être capable, toujours, d'exprimer cette intelligence créatrice qui est dans les gènes de notre pays.
La France humaniste n'a pas vocation à être solitaire. Partout, dans le monde, il y a des visages qui espèrent nos messages. Ce n'est pas de l'arrogance de le penser. Je connais le combat du ministre des Affaires étrangères contre une certaine arrogance, perçue en tout cas comme telle. Ce n'est pas de l'arrogance que de penser que certains de nos messages sont attendus dans le monde. Mais c'est pour nous tous une exigence. C'est pour vous, l'exigence d'être proches de ceux qui, vous écoutant, entendent la voix de la France.
Alors, dans l'exercice de cette responsabilité, n'oubliez jamais Paul Eluard : "Un cur est juste quand il bat au rythme des autres curs".
Je vous remercie.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 août 2004)