Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les relations franco-espagnoles et sur les apports de la Constitution européenne, à Barcelone le 31 janvier 2005.

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Circonstance : Déplacement en Espagne-déjeuner-débat organisé par "Tribuna-Barcelona", le 31 janvier 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
"Amigos todos",
"Estimats amics",
Avant d'ouvrir le dialogue avec vous tous, je voudrais remercier Tribuna-Barcelona, la ville de Barcelone et la Generalitat de Catalunya pour m'avoir offert l'opportunité de cette nouvelle visite en Catalogne. Barcelone, toujours en changement, toujours plus belle, toujours plus ouverte sur le monde, est une ville que je suis toujours heureuse de retrouver. Particulièrement lorsque, comme aujourd'hui, cette visite intervient à un moment essentiel, à la fois dans l'histoire de notre amitié commune, et dans celle de l'Europe.
Cette amitié commune est d'abord celle de nos peuples, de part et d'autre de nos frontières communes et malgré ces frontières. La Catalogne y occupe naturellement une place centrale. C'est une langue, une histoire, un patrimoine que nous partageons. Ce sont des échanges permanents à travers les Pyrénées : hier la France était une terre d'exil pour des milliers de Catalans victimes de la guerre civile et de ses conséquences ; aujourd'hui, dans la paix retrouvée, vous accueillez des Français toujours plus jeunes et nombreux qui viennent étudier et vivre en Catalogne, grâce à l'Europe. Et puis, et je dirai même surtout, la Catalogne c'est un projet commun. Elle est au coeur de coopérations toujours plus étroites qui contribuent de façon exemplaire à la construction de l'espace européen. Le futur train à grande vitesse qui, en 2009, abolira la distance entre Barcelone et Perpignan, le projet d'hôpital transfrontalier de Puigcerda en sont des exemples. Ces projets partagés, l'Eurorégion dont vous avez eu l'initiative, permettra de les multiplier dans tous les domaines, économiques, universitaires, culturels. C'est une illustration remarquable du rôle pionnier de notre coopération, à l'avant-garde d'une Europe des régions en plein essor.
Car cette Europe, le couple franco-espagnol est appelé à y jouer de plus en plus actif, de plus en plus central.
La France et l'Espagne sont aujourd'hui plus proches peut-être que jamais. Il y a à cela des raisons qui tiennent aux circonstances politiques. Les tensions entre gouvernements suscitées par le conflit en Irak ou par les débats sur la Constitution européenne ont été surmontées ; mieux, ces sujets sont devenus pour nos deux pays des terrains d'entente.
Mais ce rapprochement va bien au-delà des aléas de l'histoire immédiate. L'Espagne s'est progressivement imposée, par son dynamisme, par sa capacité spectaculaire à se moderniser, comme l'un des grands de l'Europe. Votre pays doit certes beaucoup à l'Europe, qui a fortement contribué à son essor ; mais l'Union lui doit en retour d'être devenu l'un des moteurs de la construction européenne. Et c'est en tant que deux grands pays partageant les mêmes valeurs et la même ambition pour l'Union que la France et l'Espagne sont appelées ensemble à construire l'Europe de demain, aux côtés, notamment, de l'Allemagne. C'est dans cet esprit que nos deux pays coopèrent étroitement en matière de justice et de sécurité, de lutte contre le terrorisme, ou encore d'infrastructures. C'est au service d'une même vision de la place de l'Union dans le monde qu'elles oeuvrent depuis dix ans au renforcement du partenariat euro-méditerranéen.
Ainsi, dans un même mouvement, l'Europe renforce notre coopération qui à son tour construit l'Europe. Cette dynamique nous impose un devoir d'exemplarité.
Dans quelques semaines pour vous, dans quelques mois pour la France, nos deux pays vont devoir s'acquitter d'une mission qui engagera l'avenir de l'Union tout entière : celle d'inaugurer les consultations populaires qui décideront du sort de la Constitution européenne. Le 20 février, vous serez les précurseurs de ce mouvement. En France, nous suivons avec une grande attention et un grand espoir les étapes qui vous mèneront au référendum. Nous savons que les Espagnols, et parmi eux les Catalans, sont des Européens convaincus. Mais nous connaissons aussi les interrogations que soulèvent la Constitution européenne parmi certains d'entre vous, particulièrement en Catalogne, et les débats qu'elle suscite. Tout comme en France, ces débats sont souvent liés aux grands enjeux de la politique intérieure espagnole, aux spécificités de votre modèle national, et je ne veux pas y interférer. Mais c'est en tant que ministre en charge des Affaires européennes, parce que j'ai participé à Bruxelles à la négociation du traité constitutionnel, puis à Rome à sa signature, que je voudrais vous transmettre ma conviction intime. Ce traité est bon pour l'Europe et pour nos deux pays ; il est bon pour la Catalogne.
Depuis une dizaine d'années, la physionomie de l'Union a été bouleversée : le nombre d'Etats membres a doublé, les compétences de l'Union se sont multipliées et approfondies. Bien au-delà du marché intérieur sur lequel elle s'était construite, l'Union intervient aujourd'hui dans des domaines aussi politiques que la monnaie, la sécurité, la justice et l'immigration, la politique étrangère et de défense. Ainsi, la défense européenne a fait en dix ans des progrès spectaculaires, qui la rendent capable aujourd'hui de mener des opérations autonomes de maintien de la paix, comme l'opération Artemis en République démocratique du Congo en 2003, ou d'assurer la relève de l'OTAN en Bosnie-Herzégovine.
Mais cette Europe politique, voulue dès l'origine par ses fondateurs, est encore en gestation. Elle représente aujourd'hui le vrai défi de la construction européenne, un projet ambitieux et difficile parce que nous devons convaincre beaucoup de nos partenaires. Elle ne peut voir le jour que si nous lui donnons des moyens nouveaux, à la hauteur de son ambition. L'objet de la Constitution européenne, c'est précisément de poser les fondations de l'Europe politique. Elle y parvient essentiellement de quatre façons.
- La Constitution permettra d'identifier les responsables politiques de l'Union. C'est la raison d'être de la nouvelle présidence du Conseil européen, qui disposera désormais de la durée nécessaire pour assumer son rôle de pilote ; du président de la Commission européenne, élu désormais par le Parlement européen sur une base politique ; du ministre européen des Affaires étrangères, qui incarnera et animera, en la personne de votre compatriote M. Solana, l'action extérieure de l'Union.
- La Constitution identifiera également les responsabilités, en les encadrant. Pour la première fois, les frontières entre les responsabilités de l'Union et celles des Etats membres sont définies. Pour la première fois également, les Parlements nationaux en sont les gardiens. Avec la Charte des droits fondamentaux, les responsables européens seront tenus au respect d'un ensemble de droits et de valeurs qui leur seront opposables.
- La Constitution renforcera les contre-pouvoirs au sein de l'Union, comme doit le faire toute constitution démocratique. J'ai parlé du rôle des Parlements nationaux, mais il faut y ajouter un Parlement européen considérablement renforcé, véritable co-législateur, une société civile mieux associée, et surtout un citoyen désormais partie prenante à la prise de décision grâce au droit d'initiative citoyenne.
- En contrepartie, la Constitution donnera à l'Union les moyens d'être plus efficace. En modifiant les règles de vote, en donnant à l'Europe de nouvelles compétences, elle renforcera l'intégration européenne au moment où l'Union s'élargit.
En d'autres termes, mon sentiment est que ce traité, sans être parfait, a le grand mérite de rendre l'Europe plus forte tout en la soumettant, dans un même mouvement, à un plus grand contrôle des citoyens et de leurs représentants, qu'ils soient nationaux ou européens.
Ces avancées, elles vous bénéficieront pleinement, en tant qu'Espagnols, en tant que Catalans. Non seulement parce qu'une Europe plus efficace, plus démocratique et plus présente dans le monde profite à tous, mais aussi parce que la Constitution marque de réels progrès dans deux domaines fondamentaux sur lesquels je voudrais m'arrêter un moment. Il s'agit de la sécurité et de l'immigration d'une part, de la diversité culturelle et du droit des minorités d'autre part.
1. Comme la France, l'Espagne est devenue terre d'immigration. Elle rencontre aujourd'hui les mêmes problèmes en termes d'entrée, d'accueil et d'intégration de populations non européennes, immigrés économiques ou demandeurs d'asile. Une partie des réponses à ces problèmes doit être trouvée au niveau européen, parce qu'au sein de l'espace Schengen, ce sont les mêmes populations qui circulent librement à travers les frontières intérieures de l'Union. Or, la politique d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières est le domaine où la Constitution introduit les progrès les plus substantiels. Elle renforce considérablement les moyens de l'Union et crée les conditions d'une véritable politique commune dans ces matières.
La même solidarité européenne s'impose en matière de justice et de sécurité, notamment de lutte contre le terrorisme. Je l'ai dit, il s'agit là d'un domaine clef de la coopération franco-espagnole. Nos deux pays luttent ensemble contre le terrorisme au sein d'équipes communes de policiers et de magistrats. Ils mettent en place, avec l'Allemagne, ce qui pourrait devenir plus tard un véritable casier judiciaire européen. Ici encore, la Constitution européenne devrait faciliter considérablement nos efforts communs, en rapprochant les législations pénales des Etats membres, en renforçant la coopération judiciaire au sein d'Eurojust, en introduisant une clause de solidarité entre les Etats, notamment en cas d'attaque terroriste.
2. Nous avons vu que la Constitution donne à l'Europe de nouveaux moyens pour relever deux défis majeurs, qui peuvent sembler parfois contradictoires : celui de l'efficacité d'une part, de la démocratie d'autre part. Mais pour être légitime, l'Europe doit relever encore un troisième défi : celui de la diversité, du respect des cultures et des spécificités nationales, régionales et locales. Car le risque est grand qu'une Union toujours plus forte, toujours plus présente, ne devienne du même coup toujours plus standardisée et homogène.
Dans ce domaine, dont je sais qu'il est particulièrement important pour vous, la Constitution permet des progrès qui doivent être salués.
J'ai dit que la Constitution encadrait et orientait l'action de l'Union en définissant pour la première fois ses objectifs et ses valeurs. Parmi celles-ci, figure en bonne place, au deuxième article du traité, le respect des droits des personnes appartenant à des minorités. De même, en intégrant la Charte des droits fondamentaux, le traité constitutionnel donne, pour la première fois, valeur obligatoire au respect de la diversité culturelle et linguistique. La Constitution elle-même contient une première application concrète de ce principe, en prévoyant pour la première fois sa traduction dans les différentes langues officielles de chaque Etat, dont le catalan.
De la même façon, la Constitution consolide la place et le rôle des régions au sein de l'Union. Il en va ainsi du renforcement du Comité des régions : il lui sera désormais possible de saisir la Cour de justice pour faire respecter ses prérogatives et pour que l'Union n'empiète pas sur les compétences des régions. Son rôle sera accru dans de nombreux domaines tels que la coopération transfrontalière, la cohésion économique, sociale et territoriale, l'emploi, l'environnement, la santé publique ou la culture.
Enfin, j'ai déjà évoqué le mécanisme créé par la Constitution pour permettre aux Parlements nationaux de s'opposer à une loi européenne qui dépasserait les compétences de l'Union. Ce mécanisme bénéficiera non seulement aux Etats mais également aux régions, puisque ce sont aussi leurs compétences qui seront ainsi protégées de tout empiètement par les institutions européennes.
J'arrête là ces considérations un peu techniques, mais je voulais vous montrer que la Constitution, ce ne sont pas seulement des institutions, c'est aussi et surtout beaucoup de changements concrets dans des domaines qui font notre quotidien. Avant de répondre à vos questions, je voudrais finir ces propos introductifs sur un dernier message. En France comme en Espagne, les enquêtes d'opinion montrent un faible intérêt de la part des citoyens pour la Constitution européenne. Ce désintérêt ne concerne pas seulement le traité constitutionnel mais, malheureusement, l'Europe en général, comme l'ont montré les dernières élections au Parlement européen. C'est devenu un lieu commun que de déplorer le déficit démocratique de l'Union. Mais pour y remédier, encore faut-il que nous prenions nos propres responsabilités. La première est de voter. Notre participation est particulièrement nécessaire aujourd'hui, parce que le texte sur lequel nous devons nous prononcer doit précisément permettre d'ouvrir davantage l'Europe à ses citoyens. Ne manquons pas cette chance.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 février 2005)