Texte intégral
(Intervention à New York le 24 janvier 2005) :
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général des Nations unies,
Cher Elie Wiesel,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Il y a soixante ans, alors que les Alliés prenaient en tenaille les territoires du Reich, aux horreurs des combats venait s'ajouter l'épouvante de la découverte des camps. Tous ceux qui ont alors croisé le regard fiévreux des survivants, découvert les monceaux de cadavres décharnés, assisté à l'agonie pathétique de ceux pour qui la libération arrivait trop tard, ont été marqués à vie par l'impensable et l'indicible.
Depuis les premiers jours de son accession au pouvoir en 1933, le régime nazi avait construit un système de répression implacable et cruel. A mesure que s'agrandissait l'Europe hitlérienne s'allongeait la liste des lieux de supplice. Belzec : 600.000 morts ; Sobibor, 250.000 ; Majdanek, 230.000 ; Treblinka, 800.000 ; Auschwitz, plus d'un million...
Dans ces lieux de mort, les premières victimes furent allemandes : opposants politiques, syndicalistes, intellectuels. Les Juifs, poursuivis d'une haine particulière, furent soumis d'emblée à un traitement spécial : leur fiche mentionnait "retour non souhaité". 90 % des Juifs allemands ont péri. Aux Nazis, rien ne devait résister. Ni les handicapés, qui souillaient le "sang allemand", ni les Tsiganes ou les homosexuels, qu'ils stérilisèrent par milliers. Femmes, enfants, vieillards ont nourri l'effroyable brasier.
Avec l'occupation de l'Europe, la barbarie trouvait un champ plus vaste encore. Les Juifs qui avaient fui l'Allemagne et ceux des pays asservis, furent traqués, enfermés, envoyés vers la mort. Avec, souvent, la collaboration d'une partie de l'appareil d'Etat.
Cela a été le cas en France où, comme l'a dit le président Chirac solennellement dans son discours du Vel d'Hiv en juillet 1995, "la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français". Face à cette trahison, répondant à l'appel de Charles de Gaulle, la Résistance s'est levée alors que, devinant le destin qui attendait les déportés, des citoyens exemplaires - les "Justes" - cachaient et sauvaient des milliers de Juifs.
Eux-mêmes pourchassés, ces soldats de l'ombre comme ces héros anonymes furent à leur tour jetés dans les convois de "nuit et brouillard" - s'ils n'étaient pas morts sous la torture ou les balles de pelotons d'exécution.
L'entreprise nazie a été celle de la négation de l'homme. La "race inférieure" devait disparaître. Le Juif, par-dessus tout, cristallisait cette obsession exterminatrice. A l'horreur de la barbarie érigée en système, les nazis ont ajouté le génocide et la "solution finale". Au-delà de la fin de souffrances extrêmes, la libération des camps restitue aux déportés, morts ou vivants, leur identité, leur dignité d'être humain.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames, Messieurs,
Notre Organisation des Nations unies est née d'un conflit sans précédent par son étendue géographique, par son effrayant bilan de 55 millions de morts, majoritairement civils, mais aussi par le caractère unique du génocide. Les nations unies contre cette barbarie l'ont emporté. Elles se sont promis, en créant une organisation mondiale fondée sur le droit, d'éviter au monde un nouveau cataclysme.
Au chapitre des espoirs concrétisés, des promesses tenues, je veux citer d'abord les immenses développements du droit international : l'usage légitime de la force est encadré ; les Droits de l'Homme sont reconnus par une déclaration universelle - un texte dont, symboliquement, le principal inspirateur, René Cassin, prix Nobel de la Paix, était à la fois un Juif, un grand blessé de la Première Guerre mondiale et un résistant de la première heure.
La démocratie exemplaire, Joschka Fischer vient d'en parler, qui s'est établie au lendemain de la guerre en République fédérale d'Allemagne est un second motif de réconfort, après la déviation abjecte d'un régime qui honnissait tout ce que cette grande culture européenne avait apporté au monde. Et puis, l'Europe, meurtrie, a su s'engager vers l'union, c'est-à-dire vers la paix. Et cette promesse de paix a été constamment tenue depuis1950. Cette marche sans équivalent se poursuit aujourd'hui.
Le peuple juif, enfin, que les nazis avaient tenté d'éliminer, a pu, par la décision de cette Assemblée, par le courage et la valeur des pionniers qui l'ont fondé, établir son refuge, son Etat, sur la terre d'Israël.
Mais depuis 60 ans, combien, aussi, à travers le monde de promesses non tenues, d'engagements ignorés ! De civils massacrés, combien de droits bafoués ! Concentrations de femmes, d'hommes, d'enfants, massacres au Cambodge, au Rwanda, dans les Balkans et ailleurs.
Que cette commémoration nous rappelle le serment que chacun de nos Etats a fait en adhérant à notre Organisation et aux principes de notre Charte : préserver les générations futures du fléau de la guerre ; proclamer notre foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes ; instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun.
Monsieur le Président,
La France, comme tous ses partenaires européens, a vigoureusement appuyé la tenue de cette session extraordinaire, qui honore cette Assemblée. Car la libération des camps est celle de toute l'humanité ; et toute l'humanité doit se souvenir, rester vigilante. C'est ce que nous faisons ici aujourd'hui. C'est ce que nous serons nombreux à faire jeudi à Auschwitz.
Mais l'humanité doit tout autant rester vigilante. Cette vigilance est le devoir que nous prescrit le souvenir de la multitude abandonnée à la sauvagerie méthodique des nazis. Vigilance, intransigeance contre ceux qui ont encore nié le crime. Vigilance, intransigeance implacable contre l'antisémitisme, contre toutes les formes de racisme. C'est en citant un pasteur allemand, déporté durant sept ans par d'autres Allemands, que je voudrais conclure. En quelques vers, Martin Niemuller nous rappelle où le totalitarisme peut mener chacun d'entre nous :
"Comment cela a-t-il été possible !
Quand les nazis sont venus chercher les communistes
Je n'ai rien dit.
En effet, je n'étais pas communiste.
Quand ils ont jeté en prison des sociaux-démocrates,
Je n'ai rien dit.
En effet, je n'étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n'ai pas protesté.
En effet, je n'étais pas catholique.
Quand ils sont venus me chercher,
Il n'y avait plus personne pour protester."
Monsieur le Président, n'oublions jamais : lorsque les premiers signes sur lesquels Elie Wiesel s'interrogeait tout à l'heure, les prémices de la persécution des Juifs annonçant la Shoah se sont produits, combien se sont levés ? Combien se sont exprimés ?
Le devoir de mémoire nous unit aujourd'hui. Il nous oblige à la vigilance. Il nous engage à l'action.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)
(Point de presse à New York le 24 janvier 2005) :
Je voulais vous dire à quel point il était important pour moi de venir apporter ici, lors de cette session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, le message de mon pays.
Tout à l'heure, on parlait de l'émotion, du respect qui est dû à tous les survivants. On a entendu des témoignages avec cette émotion et ce respect et j'ajouterai, en ce qui me concerne, beaucoup d'humilité, moi qui suis né bien après la Deuxième Guerre mondiale, en 1951, au moment même, d'ailleurs, où s'engageait le projet européen, qui est un projet, comme je l'ai dit à la tribune, de paix et de stabilité, qui a tenu ses promesses. Je tenais beaucoup à apporter le message de la France. Je serai également aux côtés du président Jacques Chirac à Auschwitz le 27 janvier.
Dans les propos que j'ai tenus, j'ai parlé du devoir de mémoire qui nous unit. J'ai également parlé du devoir de vigilance. Et l'on voit bien dans toutes nos sociétés, y compris la société française, à quel point il faut être vigilant et intransigeant contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, qui guettent toujours. Vigilant aussi pour que, dans le cadre des Nations unies, dans le cadre de ce lieu unique du débat politique mondial, du droit international, nous gardions les moyens d'agir.
Je saisirai enfin l'occasion de ma présence à New York pour continuer le dialogue que j'ai entrepris il y a quelques mois avec les organisations juives américaines, que je rencontrerai cet après-midi.
Q - Sur le Darfour, faudrait-il imposer des sanctions ? Faudrait-il que ceux qui commettent des crimes soient traduits devant la Cour pénale internationale ?
R - Il y a une tragédie qui est engagée au Darfour depuis longtemps, qui touche des centaines de milliers de personnes déplacées ou réfugiées. Il y a eu des exactions innommables, provoquant des mouvements de population au Soudan et, je le précise, au Tchad : deux cent mille personnes sont aujourd'hui de l'autre côté de la frontière.
Je suis allé moi-même au Darfour, dans le camp d'El Facher, au mois de juillet, à une époque où l'on pouvait déjà craindre le pire. J'ai dit ma conviction que l'on ne règlerait pas ce drame sans le Soudan ou contre le Soudan. Et c'est le sens de la médiation, des efforts politiques qui ont été faits dans le cadre des Nations unies, notamment par l'Union africaine. Nous en sommes là. Nous attendons le rapport de la commission d'enquête internationale au Secrétaire général des Nations unies, qui qualifiera la situation. Et je retiendrai la qualification proposée sur la nature des crimes et des exactions. Il faudra naturellement que ceux qui ont commis ces exactions ou ces crimes soient punis. En attendant, je veux dire un mot de remerciement à toutes les ONG qui font un travail formidable et difficile dans l'ensemble du Darfour. Nous continuerons, en ce qui nous concerne, nous Français, nous Européens, à appuyer les efforts des Nations unies et de l'Union africaine.
Q - Les criminels devraient-ils être traduits devant la Cour pénale internationale ?
R - Ministre des Affaires étrangères d'un pays qui a toujours soutenu la Cour, je n'ai pas de difficultés pour dire que tous ceux qui commettent des crimes jugés au niveau international, comme des atteintes aux Droits de l'Homme ou à la dignité des personnes, devront être jugés par la Cour.
Q - J'ai deux questions. La première porte sur le génocide arménien. Cette session ouvre la voie à des commémorations similaires. Quelle serait la position de la France si les Arméniens demandaient une session extraordinaire ? La deuxième question porte sur le Liban : où en sont les pourparlers avec le gouvernement du Liban sur l'application de la résolution 1559 ?
R - Sur la première question, une loi a été votée en France, à l'unanimité. Ce dont il est maintenant question, je l'ai redit lorsque nous avons décidé d'engager des négociations avec la Turquie pour son adhésion éventuelle à l'Union européenne, c'est que ce grand pays fasse ce travail de mémoire. Le projet européen auquel veut adhérer la Turquie est basé sur l'idée même de la réconciliation. Pour se réconcilier avec les autres, il faut également se réconcilier avec soi-même. Donc, je souhaite que la Turquie fasse ce travail de mémoire.
Sur la résolution 1559, nous avons travaillé, et je veux simplement dire que nous sommes soucieux de sa mise en oeuvre, de son respect par tous ceux qu'elle concerne. Le souci que nous avons voulu exprimer par cette résolution et la déclaration présidentielle qui a suivi, c'est que le Liban retrouve progressivement sa pleine souveraineté. On en aura une première preuve à l'occasion des prochaines élections générales au printemps.
Q - Ne voyez-vous pas une certaine ironie aujourd'hui quand on parle de lutte contre le racisme, notamment si l'on considère la situation des Palestiniens, qui sont privés de droit au retour, du fait de leur nationalité et de leur religion ?
R - Non, je n'ai pas vu d'ironie et, franchement, je ne comprendrais pas que l'on puisse utiliser un mot comme celui-ci, s'agissant de ce moment particulier, très grave, que nous vivons, qui est simplement celui du soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz et de la fin des camps de concentration. Je crois que tout le monde était d'accord pour que ce moment soit un moment particulier de mémoire, de vigilance et d'action, et qu'on ne le lie pas à d'autres situations.
Puisque vous parlez d'un conflit qui, pour moi, reste le conflit central, celui qui oppose Israéliens et Palestiniens, je veux dire l'espoir du gouvernement français et des Européens que 2005 soit l'année de la paix. Et la paix, c'est la création d'un Etat palestinien, c'est la garantie pour Israël de vivre en sécurité, c'est la Feuille de route, qu'il faut faire repartir. Il me semble qu'il y a aujourd'hui un contexte qui permet cela, avec un nouveau président de l'Autorité palestinienne et bientôt d'autres élections qui renforceront la légitimité de cette Autorité, des élections municipales et législatives, avec un nouveau gouvernement présidé par Ariel Sharon en Israël, avec un engagement pour l'action du président des Etats-Unis, un engagement unanime de la part des Européens et, de la même manière, des Russes et des pays arabes. Il y a un sentiment d'urgence et, en même temps, une disponibilité assez unanime en ce moment. C'est assez rare pour espérer que l'on saisira ce moment pour faire repartir le Processus de paix et la Feuille de route.
Toutes les questions que vous avez évoquées ne trouveront de solutions que dans la Feuille de route et dans la création de cet Etat palestinien, vivant aux côtés de l'Etat d'Israël dans la sécurité. Voilà ce à quoi nous voulons travailler.
J'ai même été un peu plus loin en disant, puisque l'on parle beaucoup de nouvel état d'esprit entre Américains et Européens, de nouvelle relations transatlantiques, puisque nous souhaitons regarder devant nous, qu'il faut mettre le Processus de paix au Proche-Orient au coeur de cette nouvelle relation, comme une priorité.
Q - Quelles sont vos vues sur les chances d'avoir des élections crédibles en Irak ? Ces élections pourront-elles conduire à une participation française sur le terrain afin de stabiliser le pays ?
R - Nous avons souhaité que l'on sorte de la tragédie et de cette guerre en Irak par la démocratie, par un processus politique, dans le cadre du droit international. C'est dans ce cadre et dans cet état d'esprit que nous travaillons depuis la résolution 1546. J'ai beaucoup travaillé à cette résolution, car elle fixait le chemin d'une sortie politique de cette tragédie, de ce "trou noir" comme je l'ai dit. Nous avons toujours su que ce serait difficile, que les étapes seraient longues, mais nous y sommes : une résolution fixe le chemin et des étapes, y compris celles du retrait des troupes étrangères en Irak, à la fin 2005, des élections, d'une Constitution. Voilà pourquoi nous avons soutenu ce processus politique, sincèrement, quel qu'ait été notre désaccord sur cette guerre et son déclenchement.
La résolution 1546, le tour de table du Club de Paris auquel nous avons participé pour l'allègement de la dette, la préparation de la Conférence de Charm el-Cheik, à laquelle j'ai également beaucoup travaillé, ce processus est fragile, mais nous voulons qu'il réussisse et nous souhaitons donc que, le 30 janvier, les élections soient le plus crédibles possible. Puis il y aura d'autres étapes. Voilà ce que je peux souhaiter.
Quant à la France, nous l'avons dit au président irakien qui est venu en visite la semaine dernière à Paris, elle participera à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Il faudra naturellement que les conditions de sécurité soient rétablies et nous sommes prêts également à participer à la formation de gendarmes irakiens, en dehors du territoire irakien. Je précise, par ailleurs, que nous n'enverrons pas de soldats français, ni maintenant ni plus tard en Irak. Cela étant dit, je confirme notre disponibilité pour participer, avec d'autres pays européens, à la reconstruction politique et économique de ce pays, car il en va de la stabilité du Moyen-Orient et cette stabilité, c'est aussi notre stabilité en Europe.
Q - Pouvez-vous nous donner des détails sur votre offre de former des forces irakiennes en dehors du territoire irakien ?
R - Nous avons fait cette proposition il y a maintenant quelques mois. Il nous semble que les autorités irakiennes l'étudient depuis quelques jours ou quelques semaines de manière attentive. C'est aux autorités irakiennes de nous répondre, mais nous sommes prêts, dans la région, à créer une structure pour participer à la formation de forces de gendarmerie irakiennes, mais je ne peux pas dire aujourd'hui dans quel pays. Les modalités de cette formation devront donc être étudiées en liaison avec les autorités irakiennes.
Q - Que répondriez-vous à la plupart des Juifs américains qui pensent que l'ONU est contre les Juifs et contre Israël ?
R - Je ne comprends pas cette critique. Les Nations unies - et quand nous nous exprimons en tant qu'Européens, c'est le même état d'esprit - appliquent le droit et respectent des principes. Et il n'y a pas de position qui soit anti-israélienne a priori. Alors qu'Israël est né d'une décision des Nations unies, je l'ai rappelé tout à l'heure à la tribune, il ne faut pas transiger avec l'existence d'Israël, avec la sécurité d'Israël. En même temps, il faut aboutir à la création de l'Etat palestinien le plus vite possible. C'est la condition de l'avenir des jeunes Palestiniens, qui ont droit à un avenir pacifique et à un futur. C'est également la condition de la stabilité au Proche-Orient que d'avoir ces deux Etats vivant côte à côte.
Je l'avais dit au mois de septembre à la tribune des Nations Unies, c'est la première responsabilité de notre génération aujourd'hui que de mettre fin à ce conflit central.
Q - Que répondriez-vous à ceux qui disent que ce qui est arrivé aux Juifs durant l'holocauste arrive aujourd'hui aux Palestiniens ?
R - J'ai dit que le génocide avait été unique à l'époque, et c'est bien le sens de cette manifestation. Il y a eu d'autres génocides qui ont été reconnus. On a parlé du Rwanda, du Cambodge. Il faut faire attention quand on utilise ces mots. Mais au-delà des mots, il y a une situation que nous ne pouvons pas accepter. Le peuple palestinien, les jeunes de ce peuple, doit avoir un avenir, doit avoir le droit de vivre en sécurité, comme Israël a le droit de vivre définitivement en sécurité. En tant que ministre des Affaires étrangères, mon souci est de travailler à changer la situation d'aujourd'hui, à faire redémarrer ce Processus de paix et à donner, à travers ce Processus de paix et la création d'un Etat palestinien, un avenir et une sécurité au peuple palestinien, à côté de l'Etat d'Israël. Voilà ce qui m'intéresse.
Q - Monsieur le Ministre, comment l'application de la Feuille de route sera-t-elle possible avec l'avancée de la construction du mur ?
R - Les Nations unies se sont exprimées non pas sur l'existence de ce mur de protection, mais sur son tracé. Les Européens ont dit également ce qu'il pensaient de ce tracé. Je crois que le moment est là, où nous pouvons regarder devant nous. Il faut saisir ce moment. L'engagement courageux pris par M. Sharon de se retirer d'un premier territoire, Gaza, et de réussir ce retrait, c'est l'enjeu des prochaines semaines ou des prochains mois. Le soutien que nous voulons apporter à l'Autorité palestinienne dans son effort de réforme et de réorganisation sera l'objet de la Conférence de Londres, à laquelle je participerai. Et puis ensuite, on sait ce qu'il faut faire. Il y a cette Feuille de route et toutes les étapes et toutes les conditions qu'elle contient. Donc, mon souhait c'est que l'on prenne les choses une par une, que l'on soutienne cette Autorité palestinienne dans ces premiers efforts, et que l'on fasse attention aux élections suivantes en Palestine. Car il y a aura d'autres élections, je l'ai dit, municipales et législatives, qui conforteront la légitimité de cette Autorité. Je rappelle que l'élection présidentielle fut démocratique et qu'elle a donné une belle preuve de maturité et de responsabilité des Palestiniens.
Ces étapes franchies, le moment viendra où, sans précipitation, mais avec volontarisme, l'on devra encourager Israéliens et Palestiniens à se retrouver autour d'une table pour décider, avec le soutien des membres du Quartet, qui reste le cadre du soutien mondial à ce Processus de paix, de remettre en route cette Feuille de route et de la concrétiser. Toutes les questions que vous évoquez, les uns ou les autres, doivent trouver une solution, dans ce nouvel état d'esprit et le redémarrage du dialogue entre Israéliens et Palestiniens, et la remise en oeuvre de cette Feuille de route.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)
(Entretien avec Radio France internationale à New York le 24 janvier 2005) :
Q - Monsieur Le Ministre, l'Assemblée générale de l'ONU est connue pour ses condamnations rituelles d'Israël. Aujourd'hui, pour la première fois de son histoire, elle organise une séance de commémoration. C'est une journée importante pour vous ?
R - Oui, c'est une journée importante et dans une ambiance très grave. Il a été convenu de faire cette commémoration de la libération de camps d'Auschwitz et des autres camps de concentration, en la déconnectant de toutes les autres situations que nous vivons aujourd'hui.
Donc, vivons ce moment comme un moment de mémoire, en pensant à ces 55 millions de morts durant la Deuxième Guerre mondiale, à ces millions de déportés qui ont été exterminés. "N'oublions jamais !", comme l'a dit avec force Elie Wiesel. Et puis, au-delà du devoir de mémoire, n'oublions pas le devoir de vigilance, contre toutes les formes de racisme, contre l'antisémitisme, contre ceux qui ont nié le crime et l'holocauste. Et gardons, dans cette enceinte exceptionnelle du droit international, la possibilité d'intervenir et d'agir, y compris par la force, y compris contre toutes les crises, toutes les guerres ou tout ce qui remet en cause la liberté humaine, on l'a vu malheureusement au Cambodge, dans les Balkans ou au Rwanda.
Q - Kofi Annan a fait un lien avec ces questions. Il a dit que le monde a laissé faire des génocides. Aujourd'hui, il y a la question du Darfour. Il attend un rapport à ce sujet. Pensez-vous qu'il est temps pour le Conseil de sécurité d'intervenir ?
R - Le Conseil de sécurité est déjà intervenu au Darfour en appui de l'Union africaine. Et nous-mêmes, Européens, sommes intervenus pour appuyer l'Union africaine et pour stabiliser une situation qui pourrait aggraver une tragédie et un drame humanitaire, avec plus d'un million de personnes déplacées ou réfugiées. Donc, oui, nous attendons le rapport au Secrétaire général des Nations unies. Oui, nous devons qualifier les crimes qui ont été commis au Darfour et sanctionner les coupables.
Q - Si la commission d'enquête internationale détermine qu'il y a eu un génocide, serez-vous en faveur d'une intervention militaire ?
R - C'est une chose de qualifier cette tragédie et ce drame, d'en sanctionner les responsables, mais il ne faut pas attendre cette qualification pour agir. Nous sommes déjà intervenus. Il y a actuellement des troupes dans le cadre de l'Union africaine, il y a des observateurs. Il y a des efforts qui sont déployés pour que chacun tienne ses engagements, aussi bien les autorités soudanaises que les rebelles. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est que l'on oblige tous ceux qui ont une responsabilité dans cette crise à tenir leur parole et leurs engagements.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25janvier 2005)
(Entretien avec France-Info à New York le 24 janvier 2005) :
Q - Cette commémoration de l'holocauste est une première aux Nations unies. Elle se fait 60 ans après la libération des camps. Cela vous étonne t-il que cela se fasse si tard ? Quelle signification y voyez-vous ?
R - En effet, c'est une session exceptionnelle des Nations unies, mais les moments n'ont pas manqué pour se souvenir de la libération des camps, de la tragédie des déportés. J'ai participé l'an dernier aux commémorations du Vel'd'Hiv', je me souviens du grand discours de Jacques Chirac en 1995. Il y a eu pour les Européens, pour l'humanité, beaucoup d'occasions de se souvenir. Je trouve important que 60 ans après, aujourd'hui aux Nations unies et dans quelques jours à Auschwitz, on se souvienne de ce qui s'est passé, de ce qui était à la fois impensable et indicible : des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, déportés pour être exterminés, que l'on fasse ce travail de mémoire et que l'on ait aussi un devoir de vigilance pour l'avenir.
Q - L'Assemblée générale de l'ONU condamne régulièrement Israël dans le cadre du dossier palestinien. L'ambassadeur d'Israël à l'ONU a déclaré que cette session spéciale était peut-être la preuve que les temps changeaient. Avez-vous cette impression ?
R - C'est une chose très particulière d'être unanimes pour se souvenir de l'holocauste, de la Shoah, pour en tirer ce devoir de mémoire et de vigilance. Cela en est une autre de se prononcer sur les chemins de la paix, sur la manière de faire redémarrer le Processus de paix, d'aboutir, au Proche-Orient, à la création d'un Etat palestinien aux côtés de l'Etat d'Israël, sans transiger, à aucun moment, avec la sécurité d'Israël, pour établir un futur, un avenir pour ces peuples. Donc ne mélangeons pas les choses ! Il avait été convenu de ne pas les mélanger. Aujourd'hui, c'est un moment particulier de mémoire et de vigilance aussi.
Q - Vous allez rencontrer, cet après-midi, les associations juives américaines. Quel message allez-vous leur faire passer, alors qu'elles disent depuis deux ans qu'il y a une recrudescence d'antisémitisme en France ?
R - Je vais continuer mon dialogue avec ces associations. Je les ai déjà rencontrées longuement à Paris quand elles sont venues et à New York au mois de septembre. Je leur ai promis que ce dialogue continuerait, et donc je tiens ma promesse. La dernière fois que je les ai vues, elles m'ont donné acte, comme d'ailleurs le gouvernement israélien l'a fait de son côté lorsque je me suis rendu à Jérusalem et à Tel Aviv, de l'effort intransigeant que nous faisons comme le président Jacques Chirac l'a souhaité. Le gouvernement français est déterminé à lutter contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, par des lois, par la répression, par l'éducation. Donc, je vais leur rendre compte de ces efforts que nous continuons, et je vais leur parler de tous les sujets d'actualité, notamment de la paix au Proche-Orient.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général des Nations unies,
Cher Elie Wiesel,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Il y a soixante ans, alors que les Alliés prenaient en tenaille les territoires du Reich, aux horreurs des combats venait s'ajouter l'épouvante de la découverte des camps. Tous ceux qui ont alors croisé le regard fiévreux des survivants, découvert les monceaux de cadavres décharnés, assisté à l'agonie pathétique de ceux pour qui la libération arrivait trop tard, ont été marqués à vie par l'impensable et l'indicible.
Depuis les premiers jours de son accession au pouvoir en 1933, le régime nazi avait construit un système de répression implacable et cruel. A mesure que s'agrandissait l'Europe hitlérienne s'allongeait la liste des lieux de supplice. Belzec : 600.000 morts ; Sobibor, 250.000 ; Majdanek, 230.000 ; Treblinka, 800.000 ; Auschwitz, plus d'un million...
Dans ces lieux de mort, les premières victimes furent allemandes : opposants politiques, syndicalistes, intellectuels. Les Juifs, poursuivis d'une haine particulière, furent soumis d'emblée à un traitement spécial : leur fiche mentionnait "retour non souhaité". 90 % des Juifs allemands ont péri. Aux Nazis, rien ne devait résister. Ni les handicapés, qui souillaient le "sang allemand", ni les Tsiganes ou les homosexuels, qu'ils stérilisèrent par milliers. Femmes, enfants, vieillards ont nourri l'effroyable brasier.
Avec l'occupation de l'Europe, la barbarie trouvait un champ plus vaste encore. Les Juifs qui avaient fui l'Allemagne et ceux des pays asservis, furent traqués, enfermés, envoyés vers la mort. Avec, souvent, la collaboration d'une partie de l'appareil d'Etat.
Cela a été le cas en France où, comme l'a dit le président Chirac solennellement dans son discours du Vel d'Hiv en juillet 1995, "la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français". Face à cette trahison, répondant à l'appel de Charles de Gaulle, la Résistance s'est levée alors que, devinant le destin qui attendait les déportés, des citoyens exemplaires - les "Justes" - cachaient et sauvaient des milliers de Juifs.
Eux-mêmes pourchassés, ces soldats de l'ombre comme ces héros anonymes furent à leur tour jetés dans les convois de "nuit et brouillard" - s'ils n'étaient pas morts sous la torture ou les balles de pelotons d'exécution.
L'entreprise nazie a été celle de la négation de l'homme. La "race inférieure" devait disparaître. Le Juif, par-dessus tout, cristallisait cette obsession exterminatrice. A l'horreur de la barbarie érigée en système, les nazis ont ajouté le génocide et la "solution finale". Au-delà de la fin de souffrances extrêmes, la libération des camps restitue aux déportés, morts ou vivants, leur identité, leur dignité d'être humain.
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames, Messieurs,
Notre Organisation des Nations unies est née d'un conflit sans précédent par son étendue géographique, par son effrayant bilan de 55 millions de morts, majoritairement civils, mais aussi par le caractère unique du génocide. Les nations unies contre cette barbarie l'ont emporté. Elles se sont promis, en créant une organisation mondiale fondée sur le droit, d'éviter au monde un nouveau cataclysme.
Au chapitre des espoirs concrétisés, des promesses tenues, je veux citer d'abord les immenses développements du droit international : l'usage légitime de la force est encadré ; les Droits de l'Homme sont reconnus par une déclaration universelle - un texte dont, symboliquement, le principal inspirateur, René Cassin, prix Nobel de la Paix, était à la fois un Juif, un grand blessé de la Première Guerre mondiale et un résistant de la première heure.
La démocratie exemplaire, Joschka Fischer vient d'en parler, qui s'est établie au lendemain de la guerre en République fédérale d'Allemagne est un second motif de réconfort, après la déviation abjecte d'un régime qui honnissait tout ce que cette grande culture européenne avait apporté au monde. Et puis, l'Europe, meurtrie, a su s'engager vers l'union, c'est-à-dire vers la paix. Et cette promesse de paix a été constamment tenue depuis1950. Cette marche sans équivalent se poursuit aujourd'hui.
Le peuple juif, enfin, que les nazis avaient tenté d'éliminer, a pu, par la décision de cette Assemblée, par le courage et la valeur des pionniers qui l'ont fondé, établir son refuge, son Etat, sur la terre d'Israël.
Mais depuis 60 ans, combien, aussi, à travers le monde de promesses non tenues, d'engagements ignorés ! De civils massacrés, combien de droits bafoués ! Concentrations de femmes, d'hommes, d'enfants, massacres au Cambodge, au Rwanda, dans les Balkans et ailleurs.
Que cette commémoration nous rappelle le serment que chacun de nos Etats a fait en adhérant à notre Organisation et aux principes de notre Charte : préserver les générations futures du fléau de la guerre ; proclamer notre foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes ; instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun.
Monsieur le Président,
La France, comme tous ses partenaires européens, a vigoureusement appuyé la tenue de cette session extraordinaire, qui honore cette Assemblée. Car la libération des camps est celle de toute l'humanité ; et toute l'humanité doit se souvenir, rester vigilante. C'est ce que nous faisons ici aujourd'hui. C'est ce que nous serons nombreux à faire jeudi à Auschwitz.
Mais l'humanité doit tout autant rester vigilante. Cette vigilance est le devoir que nous prescrit le souvenir de la multitude abandonnée à la sauvagerie méthodique des nazis. Vigilance, intransigeance contre ceux qui ont encore nié le crime. Vigilance, intransigeance implacable contre l'antisémitisme, contre toutes les formes de racisme. C'est en citant un pasteur allemand, déporté durant sept ans par d'autres Allemands, que je voudrais conclure. En quelques vers, Martin Niemuller nous rappelle où le totalitarisme peut mener chacun d'entre nous :
"Comment cela a-t-il été possible !
Quand les nazis sont venus chercher les communistes
Je n'ai rien dit.
En effet, je n'étais pas communiste.
Quand ils ont jeté en prison des sociaux-démocrates,
Je n'ai rien dit.
En effet, je n'étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n'ai pas protesté.
En effet, je n'étais pas catholique.
Quand ils sont venus me chercher,
Il n'y avait plus personne pour protester."
Monsieur le Président, n'oublions jamais : lorsque les premiers signes sur lesquels Elie Wiesel s'interrogeait tout à l'heure, les prémices de la persécution des Juifs annonçant la Shoah se sont produits, combien se sont levés ? Combien se sont exprimés ?
Le devoir de mémoire nous unit aujourd'hui. Il nous oblige à la vigilance. Il nous engage à l'action.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)
(Point de presse à New York le 24 janvier 2005) :
Je voulais vous dire à quel point il était important pour moi de venir apporter ici, lors de cette session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, le message de mon pays.
Tout à l'heure, on parlait de l'émotion, du respect qui est dû à tous les survivants. On a entendu des témoignages avec cette émotion et ce respect et j'ajouterai, en ce qui me concerne, beaucoup d'humilité, moi qui suis né bien après la Deuxième Guerre mondiale, en 1951, au moment même, d'ailleurs, où s'engageait le projet européen, qui est un projet, comme je l'ai dit à la tribune, de paix et de stabilité, qui a tenu ses promesses. Je tenais beaucoup à apporter le message de la France. Je serai également aux côtés du président Jacques Chirac à Auschwitz le 27 janvier.
Dans les propos que j'ai tenus, j'ai parlé du devoir de mémoire qui nous unit. J'ai également parlé du devoir de vigilance. Et l'on voit bien dans toutes nos sociétés, y compris la société française, à quel point il faut être vigilant et intransigeant contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, qui guettent toujours. Vigilant aussi pour que, dans le cadre des Nations unies, dans le cadre de ce lieu unique du débat politique mondial, du droit international, nous gardions les moyens d'agir.
Je saisirai enfin l'occasion de ma présence à New York pour continuer le dialogue que j'ai entrepris il y a quelques mois avec les organisations juives américaines, que je rencontrerai cet après-midi.
Q - Sur le Darfour, faudrait-il imposer des sanctions ? Faudrait-il que ceux qui commettent des crimes soient traduits devant la Cour pénale internationale ?
R - Il y a une tragédie qui est engagée au Darfour depuis longtemps, qui touche des centaines de milliers de personnes déplacées ou réfugiées. Il y a eu des exactions innommables, provoquant des mouvements de population au Soudan et, je le précise, au Tchad : deux cent mille personnes sont aujourd'hui de l'autre côté de la frontière.
Je suis allé moi-même au Darfour, dans le camp d'El Facher, au mois de juillet, à une époque où l'on pouvait déjà craindre le pire. J'ai dit ma conviction que l'on ne règlerait pas ce drame sans le Soudan ou contre le Soudan. Et c'est le sens de la médiation, des efforts politiques qui ont été faits dans le cadre des Nations unies, notamment par l'Union africaine. Nous en sommes là. Nous attendons le rapport de la commission d'enquête internationale au Secrétaire général des Nations unies, qui qualifiera la situation. Et je retiendrai la qualification proposée sur la nature des crimes et des exactions. Il faudra naturellement que ceux qui ont commis ces exactions ou ces crimes soient punis. En attendant, je veux dire un mot de remerciement à toutes les ONG qui font un travail formidable et difficile dans l'ensemble du Darfour. Nous continuerons, en ce qui nous concerne, nous Français, nous Européens, à appuyer les efforts des Nations unies et de l'Union africaine.
Q - Les criminels devraient-ils être traduits devant la Cour pénale internationale ?
R - Ministre des Affaires étrangères d'un pays qui a toujours soutenu la Cour, je n'ai pas de difficultés pour dire que tous ceux qui commettent des crimes jugés au niveau international, comme des atteintes aux Droits de l'Homme ou à la dignité des personnes, devront être jugés par la Cour.
Q - J'ai deux questions. La première porte sur le génocide arménien. Cette session ouvre la voie à des commémorations similaires. Quelle serait la position de la France si les Arméniens demandaient une session extraordinaire ? La deuxième question porte sur le Liban : où en sont les pourparlers avec le gouvernement du Liban sur l'application de la résolution 1559 ?
R - Sur la première question, une loi a été votée en France, à l'unanimité. Ce dont il est maintenant question, je l'ai redit lorsque nous avons décidé d'engager des négociations avec la Turquie pour son adhésion éventuelle à l'Union européenne, c'est que ce grand pays fasse ce travail de mémoire. Le projet européen auquel veut adhérer la Turquie est basé sur l'idée même de la réconciliation. Pour se réconcilier avec les autres, il faut également se réconcilier avec soi-même. Donc, je souhaite que la Turquie fasse ce travail de mémoire.
Sur la résolution 1559, nous avons travaillé, et je veux simplement dire que nous sommes soucieux de sa mise en oeuvre, de son respect par tous ceux qu'elle concerne. Le souci que nous avons voulu exprimer par cette résolution et la déclaration présidentielle qui a suivi, c'est que le Liban retrouve progressivement sa pleine souveraineté. On en aura une première preuve à l'occasion des prochaines élections générales au printemps.
Q - Ne voyez-vous pas une certaine ironie aujourd'hui quand on parle de lutte contre le racisme, notamment si l'on considère la situation des Palestiniens, qui sont privés de droit au retour, du fait de leur nationalité et de leur religion ?
R - Non, je n'ai pas vu d'ironie et, franchement, je ne comprendrais pas que l'on puisse utiliser un mot comme celui-ci, s'agissant de ce moment particulier, très grave, que nous vivons, qui est simplement celui du soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz et de la fin des camps de concentration. Je crois que tout le monde était d'accord pour que ce moment soit un moment particulier de mémoire, de vigilance et d'action, et qu'on ne le lie pas à d'autres situations.
Puisque vous parlez d'un conflit qui, pour moi, reste le conflit central, celui qui oppose Israéliens et Palestiniens, je veux dire l'espoir du gouvernement français et des Européens que 2005 soit l'année de la paix. Et la paix, c'est la création d'un Etat palestinien, c'est la garantie pour Israël de vivre en sécurité, c'est la Feuille de route, qu'il faut faire repartir. Il me semble qu'il y a aujourd'hui un contexte qui permet cela, avec un nouveau président de l'Autorité palestinienne et bientôt d'autres élections qui renforceront la légitimité de cette Autorité, des élections municipales et législatives, avec un nouveau gouvernement présidé par Ariel Sharon en Israël, avec un engagement pour l'action du président des Etats-Unis, un engagement unanime de la part des Européens et, de la même manière, des Russes et des pays arabes. Il y a un sentiment d'urgence et, en même temps, une disponibilité assez unanime en ce moment. C'est assez rare pour espérer que l'on saisira ce moment pour faire repartir le Processus de paix et la Feuille de route.
Toutes les questions que vous avez évoquées ne trouveront de solutions que dans la Feuille de route et dans la création de cet Etat palestinien, vivant aux côtés de l'Etat d'Israël dans la sécurité. Voilà ce à quoi nous voulons travailler.
J'ai même été un peu plus loin en disant, puisque l'on parle beaucoup de nouvel état d'esprit entre Américains et Européens, de nouvelle relations transatlantiques, puisque nous souhaitons regarder devant nous, qu'il faut mettre le Processus de paix au Proche-Orient au coeur de cette nouvelle relation, comme une priorité.
Q - Quelles sont vos vues sur les chances d'avoir des élections crédibles en Irak ? Ces élections pourront-elles conduire à une participation française sur le terrain afin de stabiliser le pays ?
R - Nous avons souhaité que l'on sorte de la tragédie et de cette guerre en Irak par la démocratie, par un processus politique, dans le cadre du droit international. C'est dans ce cadre et dans cet état d'esprit que nous travaillons depuis la résolution 1546. J'ai beaucoup travaillé à cette résolution, car elle fixait le chemin d'une sortie politique de cette tragédie, de ce "trou noir" comme je l'ai dit. Nous avons toujours su que ce serait difficile, que les étapes seraient longues, mais nous y sommes : une résolution fixe le chemin et des étapes, y compris celles du retrait des troupes étrangères en Irak, à la fin 2005, des élections, d'une Constitution. Voilà pourquoi nous avons soutenu ce processus politique, sincèrement, quel qu'ait été notre désaccord sur cette guerre et son déclenchement.
La résolution 1546, le tour de table du Club de Paris auquel nous avons participé pour l'allègement de la dette, la préparation de la Conférence de Charm el-Cheik, à laquelle j'ai également beaucoup travaillé, ce processus est fragile, mais nous voulons qu'il réussisse et nous souhaitons donc que, le 30 janvier, les élections soient le plus crédibles possible. Puis il y aura d'autres étapes. Voilà ce que je peux souhaiter.
Quant à la France, nous l'avons dit au président irakien qui est venu en visite la semaine dernière à Paris, elle participera à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Il faudra naturellement que les conditions de sécurité soient rétablies et nous sommes prêts également à participer à la formation de gendarmes irakiens, en dehors du territoire irakien. Je précise, par ailleurs, que nous n'enverrons pas de soldats français, ni maintenant ni plus tard en Irak. Cela étant dit, je confirme notre disponibilité pour participer, avec d'autres pays européens, à la reconstruction politique et économique de ce pays, car il en va de la stabilité du Moyen-Orient et cette stabilité, c'est aussi notre stabilité en Europe.
Q - Pouvez-vous nous donner des détails sur votre offre de former des forces irakiennes en dehors du territoire irakien ?
R - Nous avons fait cette proposition il y a maintenant quelques mois. Il nous semble que les autorités irakiennes l'étudient depuis quelques jours ou quelques semaines de manière attentive. C'est aux autorités irakiennes de nous répondre, mais nous sommes prêts, dans la région, à créer une structure pour participer à la formation de forces de gendarmerie irakiennes, mais je ne peux pas dire aujourd'hui dans quel pays. Les modalités de cette formation devront donc être étudiées en liaison avec les autorités irakiennes.
Q - Que répondriez-vous à la plupart des Juifs américains qui pensent que l'ONU est contre les Juifs et contre Israël ?
R - Je ne comprends pas cette critique. Les Nations unies - et quand nous nous exprimons en tant qu'Européens, c'est le même état d'esprit - appliquent le droit et respectent des principes. Et il n'y a pas de position qui soit anti-israélienne a priori. Alors qu'Israël est né d'une décision des Nations unies, je l'ai rappelé tout à l'heure à la tribune, il ne faut pas transiger avec l'existence d'Israël, avec la sécurité d'Israël. En même temps, il faut aboutir à la création de l'Etat palestinien le plus vite possible. C'est la condition de l'avenir des jeunes Palestiniens, qui ont droit à un avenir pacifique et à un futur. C'est également la condition de la stabilité au Proche-Orient que d'avoir ces deux Etats vivant côte à côte.
Je l'avais dit au mois de septembre à la tribune des Nations Unies, c'est la première responsabilité de notre génération aujourd'hui que de mettre fin à ce conflit central.
Q - Que répondriez-vous à ceux qui disent que ce qui est arrivé aux Juifs durant l'holocauste arrive aujourd'hui aux Palestiniens ?
R - J'ai dit que le génocide avait été unique à l'époque, et c'est bien le sens de cette manifestation. Il y a eu d'autres génocides qui ont été reconnus. On a parlé du Rwanda, du Cambodge. Il faut faire attention quand on utilise ces mots. Mais au-delà des mots, il y a une situation que nous ne pouvons pas accepter. Le peuple palestinien, les jeunes de ce peuple, doit avoir un avenir, doit avoir le droit de vivre en sécurité, comme Israël a le droit de vivre définitivement en sécurité. En tant que ministre des Affaires étrangères, mon souci est de travailler à changer la situation d'aujourd'hui, à faire redémarrer ce Processus de paix et à donner, à travers ce Processus de paix et la création d'un Etat palestinien, un avenir et une sécurité au peuple palestinien, à côté de l'Etat d'Israël. Voilà ce qui m'intéresse.
Q - Monsieur le Ministre, comment l'application de la Feuille de route sera-t-elle possible avec l'avancée de la construction du mur ?
R - Les Nations unies se sont exprimées non pas sur l'existence de ce mur de protection, mais sur son tracé. Les Européens ont dit également ce qu'il pensaient de ce tracé. Je crois que le moment est là, où nous pouvons regarder devant nous. Il faut saisir ce moment. L'engagement courageux pris par M. Sharon de se retirer d'un premier territoire, Gaza, et de réussir ce retrait, c'est l'enjeu des prochaines semaines ou des prochains mois. Le soutien que nous voulons apporter à l'Autorité palestinienne dans son effort de réforme et de réorganisation sera l'objet de la Conférence de Londres, à laquelle je participerai. Et puis ensuite, on sait ce qu'il faut faire. Il y a cette Feuille de route et toutes les étapes et toutes les conditions qu'elle contient. Donc, mon souhait c'est que l'on prenne les choses une par une, que l'on soutienne cette Autorité palestinienne dans ces premiers efforts, et que l'on fasse attention aux élections suivantes en Palestine. Car il y a aura d'autres élections, je l'ai dit, municipales et législatives, qui conforteront la légitimité de cette Autorité. Je rappelle que l'élection présidentielle fut démocratique et qu'elle a donné une belle preuve de maturité et de responsabilité des Palestiniens.
Ces étapes franchies, le moment viendra où, sans précipitation, mais avec volontarisme, l'on devra encourager Israéliens et Palestiniens à se retrouver autour d'une table pour décider, avec le soutien des membres du Quartet, qui reste le cadre du soutien mondial à ce Processus de paix, de remettre en route cette Feuille de route et de la concrétiser. Toutes les questions que vous évoquez, les uns ou les autres, doivent trouver une solution, dans ce nouvel état d'esprit et le redémarrage du dialogue entre Israéliens et Palestiniens, et la remise en oeuvre de cette Feuille de route.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)
(Entretien avec Radio France internationale à New York le 24 janvier 2005) :
Q - Monsieur Le Ministre, l'Assemblée générale de l'ONU est connue pour ses condamnations rituelles d'Israël. Aujourd'hui, pour la première fois de son histoire, elle organise une séance de commémoration. C'est une journée importante pour vous ?
R - Oui, c'est une journée importante et dans une ambiance très grave. Il a été convenu de faire cette commémoration de la libération de camps d'Auschwitz et des autres camps de concentration, en la déconnectant de toutes les autres situations que nous vivons aujourd'hui.
Donc, vivons ce moment comme un moment de mémoire, en pensant à ces 55 millions de morts durant la Deuxième Guerre mondiale, à ces millions de déportés qui ont été exterminés. "N'oublions jamais !", comme l'a dit avec force Elie Wiesel. Et puis, au-delà du devoir de mémoire, n'oublions pas le devoir de vigilance, contre toutes les formes de racisme, contre l'antisémitisme, contre ceux qui ont nié le crime et l'holocauste. Et gardons, dans cette enceinte exceptionnelle du droit international, la possibilité d'intervenir et d'agir, y compris par la force, y compris contre toutes les crises, toutes les guerres ou tout ce qui remet en cause la liberté humaine, on l'a vu malheureusement au Cambodge, dans les Balkans ou au Rwanda.
Q - Kofi Annan a fait un lien avec ces questions. Il a dit que le monde a laissé faire des génocides. Aujourd'hui, il y a la question du Darfour. Il attend un rapport à ce sujet. Pensez-vous qu'il est temps pour le Conseil de sécurité d'intervenir ?
R - Le Conseil de sécurité est déjà intervenu au Darfour en appui de l'Union africaine. Et nous-mêmes, Européens, sommes intervenus pour appuyer l'Union africaine et pour stabiliser une situation qui pourrait aggraver une tragédie et un drame humanitaire, avec plus d'un million de personnes déplacées ou réfugiées. Donc, oui, nous attendons le rapport au Secrétaire général des Nations unies. Oui, nous devons qualifier les crimes qui ont été commis au Darfour et sanctionner les coupables.
Q - Si la commission d'enquête internationale détermine qu'il y a eu un génocide, serez-vous en faveur d'une intervention militaire ?
R - C'est une chose de qualifier cette tragédie et ce drame, d'en sanctionner les responsables, mais il ne faut pas attendre cette qualification pour agir. Nous sommes déjà intervenus. Il y a actuellement des troupes dans le cadre de l'Union africaine, il y a des observateurs. Il y a des efforts qui sont déployés pour que chacun tienne ses engagements, aussi bien les autorités soudanaises que les rebelles. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est que l'on oblige tous ceux qui ont une responsabilité dans cette crise à tenir leur parole et leurs engagements.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25janvier 2005)
(Entretien avec France-Info à New York le 24 janvier 2005) :
Q - Cette commémoration de l'holocauste est une première aux Nations unies. Elle se fait 60 ans après la libération des camps. Cela vous étonne t-il que cela se fasse si tard ? Quelle signification y voyez-vous ?
R - En effet, c'est une session exceptionnelle des Nations unies, mais les moments n'ont pas manqué pour se souvenir de la libération des camps, de la tragédie des déportés. J'ai participé l'an dernier aux commémorations du Vel'd'Hiv', je me souviens du grand discours de Jacques Chirac en 1995. Il y a eu pour les Européens, pour l'humanité, beaucoup d'occasions de se souvenir. Je trouve important que 60 ans après, aujourd'hui aux Nations unies et dans quelques jours à Auschwitz, on se souvienne de ce qui s'est passé, de ce qui était à la fois impensable et indicible : des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, déportés pour être exterminés, que l'on fasse ce travail de mémoire et que l'on ait aussi un devoir de vigilance pour l'avenir.
Q - L'Assemblée générale de l'ONU condamne régulièrement Israël dans le cadre du dossier palestinien. L'ambassadeur d'Israël à l'ONU a déclaré que cette session spéciale était peut-être la preuve que les temps changeaient. Avez-vous cette impression ?
R - C'est une chose très particulière d'être unanimes pour se souvenir de l'holocauste, de la Shoah, pour en tirer ce devoir de mémoire et de vigilance. Cela en est une autre de se prononcer sur les chemins de la paix, sur la manière de faire redémarrer le Processus de paix, d'aboutir, au Proche-Orient, à la création d'un Etat palestinien aux côtés de l'Etat d'Israël, sans transiger, à aucun moment, avec la sécurité d'Israël, pour établir un futur, un avenir pour ces peuples. Donc ne mélangeons pas les choses ! Il avait été convenu de ne pas les mélanger. Aujourd'hui, c'est un moment particulier de mémoire et de vigilance aussi.
Q - Vous allez rencontrer, cet après-midi, les associations juives américaines. Quel message allez-vous leur faire passer, alors qu'elles disent depuis deux ans qu'il y a une recrudescence d'antisémitisme en France ?
R - Je vais continuer mon dialogue avec ces associations. Je les ai déjà rencontrées longuement à Paris quand elles sont venues et à New York au mois de septembre. Je leur ai promis que ce dialogue continuerait, et donc je tiens ma promesse. La dernière fois que je les ai vues, elles m'ont donné acte, comme d'ailleurs le gouvernement israélien l'a fait de son côté lorsque je me suis rendu à Jérusalem et à Tel Aviv, de l'effort intransigeant que nous faisons comme le président Jacques Chirac l'a souhaité. Le gouvernement français est déterminé à lutter contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme, par des lois, par la répression, par l'éducation. Donc, je vais leur rendre compte de ces efforts que nous continuons, et je vais leur parler de tous les sujets d'actualité, notamment de la paix au Proche-Orient.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2005)