Texte intégral
Q- On arrive dans les dernières heures avant ce vote sur le traité constitutionnel européen. Auparavant, je voudrais m'adresser à l'ancien ministre de l'Economie et des Finances : vous avez entendu H. Gaymard hier, dire que le Gouvernement gardait le cap de l'hypothèse des 2,5 % de croissance pour l'année 2005. Est-ce que cela vous semble possible ? Est-ce que cela vous semble raisonnable ?
R- Il garde un cap qu'il n'atteindra pas, parce que la croissance est en train de faiblir en France. La consommation faiblit, les chefs d'entreprise n'ont pas le moral, les consommateurs non plus. Et donc, c'est une illusion, c'est l'héritage que lui aura laissé M .Sarkozy, qui a fait un grand show médiatique mais qui a un tout petit bilan ministériel. Et M. Gaymard devra faire avec ça. Ce qui veut dire que, malheureusement, la croissance va être plus faible que prévue, donc les déficits seront plus élevés et nous aurons des problèmes de chômage massif.
Q- Quels moyens nationaux et européens - vous voyez que je m'achemine vers l'Europe - a-t-on aujourd'hui pour pallier le fait d'avoir un dollar qui est de plus en plus bas par rapport à l'euro ?
R- Avec le régime actuel de la Banque centrale européenne, qu'il est proposé de constitutionnaliser, très peu de moyens. Et c'est une des raisons de mon opposition à cette Constitution. Il avait été dit, au moment du traité de Maastricht, quand il s'agissait de créer l'euro, que la Banque centrale était indépendante, sans impulsion politique, et que l'objectif principal était la stabilité des prix. Mais moi qui ai participé aux discussions entre F. Mitterrand et H. Kohl, je sais qu'il avait été dit cela avec exigence de revoir tout à la lumière de l'expérience, au bout de dix ans ; on est dix ans après. Et si on continue, comme c'est le cas dans le projet de Constitution, à dire que le seul objectif, c'est les prix, et que l'on ne s'occupe pas de la croissance et de l'emploi, et si on n'écoute pas les politiques, alors le rapport ne sera pas de 1,30 entre le dollar et l'euro, mais on va monter à 1,40 et 1,50. Et à chaque fois, cela veut dire que l'on perd des emplois. C'est donc une absurdité. Et quand on vous dit que l'économie n'a rien à voir avec la Constitution, c'est faux. Si on vote cette Constitution libérale, cela veut dire que les délocalisations vont s'accroître encore et que le chômage va augmenter.
Q- Si vous étiez à la place de M. Trichet aujourd'hui, que feriez-vous ?
R- Trichet est le défenseur de cette politique, il est donc là-dedans. Je ne suis pas à la place de M. Trichet, je suis un responsable politique. Mais je dis qu'il faut assouplir le Pacte de stabilité et modifier les règles de la Banque centrale, pour faire que la Banque centrale puisse être aussi souple qu'aux États-Unis. Quant au Pacte de stabilité, tout le monde dit qu'il est mauvais. Mais M. Barroso, le nouveau président de la Commission, vient de dire qu'il ne veut pas le changer fondamentalement, parce que, là aussi, il est repris dans la Constitution. Donc, le choix n'est pas du tout entre une France qui existe ou une France qui n'existe pas - ça, c'est une histoire racontée aux enfants -, le choix, c'est : ou bien on vote pour la Constitution et on aura une Europe libérale, dominée par les Britanniques et les Américains ; ou bien on veut une Europe sociale, et dans ce cas, il faut d'abord voter "non", et ensuite arriver à un texte un peu meilleur.
Q- Donc le "oui" ou le "non", ce sont deux visages de l'Europe, deux orientations économiques et politiques profondes ?
R- Exact. Et c'est une des raisons pour lesquelles je suggère à mes camarades socialistes de ne pas voter pour la même orientation de l'Europe que MM. Sarkozy et Seillière.
Q- Vous savez ce qu'ils vous répondent : ne votez pas pour la même
orientation que M. Le Pen ou que l'extrême gauche.
R- Il n'en est absolument pas question. Il n'y a pas de projet commun entre les socialistes et M. Le Pen. Là, il s'agit de s'opposer à un texte. Et quand je dis que si les Français, et d'abord les socialistes, votent pour ce texte, ils disent "nous sommes pour une Europe libérale". Or vous vous rappelez le résultat des élections européennes de juin, il y a six mois : nous avons remporté ces élections en disant "Oui à l'Europe sociale", et nous avons fait des propositions. Et ces propositions sont absolument infirmées, contredites par ce qu'il y a dans le projet de Constitution. Moi, je suis fidèle aux engagements socialistes.
Q- Je ne reprendrai pas le grief que vous a fait L. Jospin, qui a dit que "L. Fabius veut changer la donne au sein du Parti socialiste"...
R- Vous avez raison de ne pas le reprendre !
Q- Mais êtes-vous d'accord pour dire que vouloir changer la donne européenne, c'est en fait vouloir donner telle ou telle orientation au Parti socialiste ?
R- Sur ce point, bien sûr...
Q- Mais n'est-ce pas fondamental pour l'identité même du Parti socialiste ?
R- Dans toute cette campagne, avec les dizaines de milliers de militants qui sont pour le "non", je n'ai fait que reprendre les engagements du Parti socialiste, il n'y a aucune inflexion. Le Parti socialiste a toujours eu une orientation vers l'Europe sociale et c'est cela que nous reprenons. Ce n'est pas "pour ou contre l'Europe", comme on essaie de nous le faire croire. Évidemment, tout le monde est pour l'Europe, mais quelle Europe ? Nous sommes pour l'Europe sociale, on ne va pas nous faire voter pour une Europe libérale ; ça c'est un point. Deuxième point : cela a évidemment une conséquence sur la politique européenne du Parti socialiste, mais sur beaucoup d'autres sujets, cela n'a pas de conséquences. Que va-t-on faire en matière d'éducation, que va-t-on faire en matière de logements, en matière de santé, ce n'est pas contenu dans ce texte...
Q- Mais étant donnée l'importance dans la substance même du choix d'orientation, si demain, le "non" l'emporte, est-ce que vous reconnaissez qu'il faudra diriger le Parti socialiste avec d'autres personnes que F. Hollande ?
R- Certainement pas !
Q- Est-ce que vous imaginez F. Hollande, demain, être le gestionnaire d'un Parti socialiste, alors qu'il a été mis en minorité sur sa position ?!
R- Mais bien sûr ! Mais ça, c'est ce que vous et un certain nombre de vos collègues vous défendez depuis des mois ! Mais il a été dit, aussi bien par F. Hollande que par moi et par beaucoup d'autres, que c'est un référendum : ce n'est pas un plébiscite, ce n'est pas pour ou contre X ou Y. Il y a une direction du Parti socialiste, que dirige F. Hollande et dont je fais partie, ainsi que beaucoup d'autres, elle n'est absolument pas en cause. Donc ôtez-vous cela de l'esprit ! Sinon, on ne peut pas voter sur une orientation. La seule question qui est posée - aucune autre -, c'est est-ce que on veut être pour une Europe libérale - dans ce cas-là on vote "oui" - ou est-ce que l'on veut une Europe sociale - dans ce cas-là, on vote "non". C'est la seule question ! Et quoi qu'il arrive, évidemment, F. Hollande restera premier secrétaire.
Q- Un premier secrétaire du Parti socialiste qui aura opté pour une Europe libérale ?
R- F. Hollande a développé ses propositions. C'est maintenant aux militants de juger. Mais il n'y a aucun rapport entre le choix que feront les militants et la direction du Parti socialiste, il n'y a aucune raison d'en changer. Je vais vous donner un argument supplémentaire, si vous n'étiez pas convaincu : l'année prochaine, nous allons faire notre projet, c'est très important, il faut le faire dans l'unité. On aura des questions très importantes à régler, aussi compliquées que celle-là, sur quelle éducation, quelle réforme [inaud.]. On ne sera pas nécessairement d'accord sur tout. Si à chaque fois qu'il y a un désaccord, on change la direction, cela va devenir le tournis ! Donc, la direction est là, elle dirige, elle dirige bien ; nous avons gagné ensemble beaucoup d'élections récemment. Et puis, il y a cette question qui est posée aux militants, qui doivent librement trancher. Mais il y a une intox extraordinaire en ce moment, comme ces histoires de sondages ! Le seul sondage que je connaisse, c'est le dernier, en grandeur réelle, des Français qui, à plus de 30 %, avec un succès massif du Parti socialiste, ont dit "on est pour l'Europe sociale". Six mois après, on ne va pas leur faire avaler l'Europe libérale.
Q- A propos de la Côte d'Ivoire, êtes-vous de ceux qui souhaitent qu'il y ait une commission d'enquête parlementaire ?
R- Il faut que la clarté soit faite. Je pense que l'objectif numéro un, c'est évidemment d'assurer la sécurité de nos ressortissants, de ramener le calme dans ce pays - c'est très difficile -, d'appliquer les décisions internationales. Mais il faut que la clarté soit faite, parce que ce qui s'est passé est quand même grave et puis c'est la politique de la France. Donc la clarté, quelle que soit la modalité.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e décembre 2004)
R- Il garde un cap qu'il n'atteindra pas, parce que la croissance est en train de faiblir en France. La consommation faiblit, les chefs d'entreprise n'ont pas le moral, les consommateurs non plus. Et donc, c'est une illusion, c'est l'héritage que lui aura laissé M .Sarkozy, qui a fait un grand show médiatique mais qui a un tout petit bilan ministériel. Et M. Gaymard devra faire avec ça. Ce qui veut dire que, malheureusement, la croissance va être plus faible que prévue, donc les déficits seront plus élevés et nous aurons des problèmes de chômage massif.
Q- Quels moyens nationaux et européens - vous voyez que je m'achemine vers l'Europe - a-t-on aujourd'hui pour pallier le fait d'avoir un dollar qui est de plus en plus bas par rapport à l'euro ?
R- Avec le régime actuel de la Banque centrale européenne, qu'il est proposé de constitutionnaliser, très peu de moyens. Et c'est une des raisons de mon opposition à cette Constitution. Il avait été dit, au moment du traité de Maastricht, quand il s'agissait de créer l'euro, que la Banque centrale était indépendante, sans impulsion politique, et que l'objectif principal était la stabilité des prix. Mais moi qui ai participé aux discussions entre F. Mitterrand et H. Kohl, je sais qu'il avait été dit cela avec exigence de revoir tout à la lumière de l'expérience, au bout de dix ans ; on est dix ans après. Et si on continue, comme c'est le cas dans le projet de Constitution, à dire que le seul objectif, c'est les prix, et que l'on ne s'occupe pas de la croissance et de l'emploi, et si on n'écoute pas les politiques, alors le rapport ne sera pas de 1,30 entre le dollar et l'euro, mais on va monter à 1,40 et 1,50. Et à chaque fois, cela veut dire que l'on perd des emplois. C'est donc une absurdité. Et quand on vous dit que l'économie n'a rien à voir avec la Constitution, c'est faux. Si on vote cette Constitution libérale, cela veut dire que les délocalisations vont s'accroître encore et que le chômage va augmenter.
Q- Si vous étiez à la place de M. Trichet aujourd'hui, que feriez-vous ?
R- Trichet est le défenseur de cette politique, il est donc là-dedans. Je ne suis pas à la place de M. Trichet, je suis un responsable politique. Mais je dis qu'il faut assouplir le Pacte de stabilité et modifier les règles de la Banque centrale, pour faire que la Banque centrale puisse être aussi souple qu'aux États-Unis. Quant au Pacte de stabilité, tout le monde dit qu'il est mauvais. Mais M. Barroso, le nouveau président de la Commission, vient de dire qu'il ne veut pas le changer fondamentalement, parce que, là aussi, il est repris dans la Constitution. Donc, le choix n'est pas du tout entre une France qui existe ou une France qui n'existe pas - ça, c'est une histoire racontée aux enfants -, le choix, c'est : ou bien on vote pour la Constitution et on aura une Europe libérale, dominée par les Britanniques et les Américains ; ou bien on veut une Europe sociale, et dans ce cas, il faut d'abord voter "non", et ensuite arriver à un texte un peu meilleur.
Q- Donc le "oui" ou le "non", ce sont deux visages de l'Europe, deux orientations économiques et politiques profondes ?
R- Exact. Et c'est une des raisons pour lesquelles je suggère à mes camarades socialistes de ne pas voter pour la même orientation de l'Europe que MM. Sarkozy et Seillière.
Q- Vous savez ce qu'ils vous répondent : ne votez pas pour la même
orientation que M. Le Pen ou que l'extrême gauche.
R- Il n'en est absolument pas question. Il n'y a pas de projet commun entre les socialistes et M. Le Pen. Là, il s'agit de s'opposer à un texte. Et quand je dis que si les Français, et d'abord les socialistes, votent pour ce texte, ils disent "nous sommes pour une Europe libérale". Or vous vous rappelez le résultat des élections européennes de juin, il y a six mois : nous avons remporté ces élections en disant "Oui à l'Europe sociale", et nous avons fait des propositions. Et ces propositions sont absolument infirmées, contredites par ce qu'il y a dans le projet de Constitution. Moi, je suis fidèle aux engagements socialistes.
Q- Je ne reprendrai pas le grief que vous a fait L. Jospin, qui a dit que "L. Fabius veut changer la donne au sein du Parti socialiste"...
R- Vous avez raison de ne pas le reprendre !
Q- Mais êtes-vous d'accord pour dire que vouloir changer la donne européenne, c'est en fait vouloir donner telle ou telle orientation au Parti socialiste ?
R- Sur ce point, bien sûr...
Q- Mais n'est-ce pas fondamental pour l'identité même du Parti socialiste ?
R- Dans toute cette campagne, avec les dizaines de milliers de militants qui sont pour le "non", je n'ai fait que reprendre les engagements du Parti socialiste, il n'y a aucune inflexion. Le Parti socialiste a toujours eu une orientation vers l'Europe sociale et c'est cela que nous reprenons. Ce n'est pas "pour ou contre l'Europe", comme on essaie de nous le faire croire. Évidemment, tout le monde est pour l'Europe, mais quelle Europe ? Nous sommes pour l'Europe sociale, on ne va pas nous faire voter pour une Europe libérale ; ça c'est un point. Deuxième point : cela a évidemment une conséquence sur la politique européenne du Parti socialiste, mais sur beaucoup d'autres sujets, cela n'a pas de conséquences. Que va-t-on faire en matière d'éducation, que va-t-on faire en matière de logements, en matière de santé, ce n'est pas contenu dans ce texte...
Q- Mais étant donnée l'importance dans la substance même du choix d'orientation, si demain, le "non" l'emporte, est-ce que vous reconnaissez qu'il faudra diriger le Parti socialiste avec d'autres personnes que F. Hollande ?
R- Certainement pas !
Q- Est-ce que vous imaginez F. Hollande, demain, être le gestionnaire d'un Parti socialiste, alors qu'il a été mis en minorité sur sa position ?!
R- Mais bien sûr ! Mais ça, c'est ce que vous et un certain nombre de vos collègues vous défendez depuis des mois ! Mais il a été dit, aussi bien par F. Hollande que par moi et par beaucoup d'autres, que c'est un référendum : ce n'est pas un plébiscite, ce n'est pas pour ou contre X ou Y. Il y a une direction du Parti socialiste, que dirige F. Hollande et dont je fais partie, ainsi que beaucoup d'autres, elle n'est absolument pas en cause. Donc ôtez-vous cela de l'esprit ! Sinon, on ne peut pas voter sur une orientation. La seule question qui est posée - aucune autre -, c'est est-ce que on veut être pour une Europe libérale - dans ce cas-là on vote "oui" - ou est-ce que l'on veut une Europe sociale - dans ce cas-là, on vote "non". C'est la seule question ! Et quoi qu'il arrive, évidemment, F. Hollande restera premier secrétaire.
Q- Un premier secrétaire du Parti socialiste qui aura opté pour une Europe libérale ?
R- F. Hollande a développé ses propositions. C'est maintenant aux militants de juger. Mais il n'y a aucun rapport entre le choix que feront les militants et la direction du Parti socialiste, il n'y a aucune raison d'en changer. Je vais vous donner un argument supplémentaire, si vous n'étiez pas convaincu : l'année prochaine, nous allons faire notre projet, c'est très important, il faut le faire dans l'unité. On aura des questions très importantes à régler, aussi compliquées que celle-là, sur quelle éducation, quelle réforme [inaud.]. On ne sera pas nécessairement d'accord sur tout. Si à chaque fois qu'il y a un désaccord, on change la direction, cela va devenir le tournis ! Donc, la direction est là, elle dirige, elle dirige bien ; nous avons gagné ensemble beaucoup d'élections récemment. Et puis, il y a cette question qui est posée aux militants, qui doivent librement trancher. Mais il y a une intox extraordinaire en ce moment, comme ces histoires de sondages ! Le seul sondage que je connaisse, c'est le dernier, en grandeur réelle, des Français qui, à plus de 30 %, avec un succès massif du Parti socialiste, ont dit "on est pour l'Europe sociale". Six mois après, on ne va pas leur faire avaler l'Europe libérale.
Q- A propos de la Côte d'Ivoire, êtes-vous de ceux qui souhaitent qu'il y ait une commission d'enquête parlementaire ?
R- Il faut que la clarté soit faite. Je pense que l'objectif numéro un, c'est évidemment d'assurer la sécurité de nos ressortissants, de ramener le calme dans ce pays - c'est très difficile -, d'appliquer les décisions internationales. Mais il faut que la clarté soit faite, parce que ce qui s'est passé est quand même grave et puis c'est la politique de la France. Donc la clarté, quelle que soit la modalité.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1e décembre 2004)