Texte intégral
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
A mon tour de vous dire combien je suis heureux de vous voir réunis aujourd'hui et de pouvoir m'adresser directement à vous. Cette conférence annuelle des ambassadeurs, dont le principe avait été lancé par Alain Juppé, est pour moi une première. J'espère qu'elle ne sera pas un bizutage. Sachez que je suis fier de servir la France ici, désormais, avec vous. Mais notre réunion m'est essentielle aussi parce que, au cours de l'année qui vient, le sujet du développement sera au coeur de l'agenda international.
Disons d'abord un mot du thème de réflexion de cette année, qui concerne les "stratégies d'influence". Un mauvais esprit pourrait suggérer qu'à défaut d'influence, il reste la stratégie. Mais que faut-il entendre par cette notion "d'influence" ? Il s'agit bien sûr de notre capacité à faire autorité dans le concert des puissances, c'est-à-dire à y faire entendre et comprendre notre voix, tout en résistant à des ambitions que nous jugeons inacceptables.
Mais l'influence ne se mesure pas à des faits, à des chiffres ou à des partis pris. Illusion ou non, nous savons que la France rayonne d'un éclat qui va bien au-delà de ses moyens réels, et pas seulement en Afrique. Victor Hugo comparait ses Misérables à la "vocation française" : "la fraternité pour base et le progrès pour cime".
Je voudrais vous convaincre que les trois domaines de compétence qui sont les miens, donc les vôtres au quotidien - coopération, développement et francophonie - sont des vecteurs majeurs d'influence. Parfois marginalisés entre l'urgence politique et la routine diplomatique, ces domaines sont au coeur de notre politique étrangère. Ils fournissent des instruments précieux au service de nos objectifs politiques et économiques.
Tout d'abord, la coopération.
La coopération n'est pas la charité, même si elle suppose bien sûr générosité et ouverture aux autres. Il s'agit d'échanger avec l'étranger, ce qui implique un véritable partenariat. Nous voulons défendre nos valeurs, voire nos intérêts, mais nous le ferons avec plus d'efficacité si nous nous adaptons aux priorités du pays d'accueil. Trop souvent, dans une logique d'offre, nous exportons des modèles de projets, alors que nous devrions privilégier l'innovation et la souplesse. Exercer une influence, c'est savoir être attentif, flexible et adaptable. Pour coopérer, soyons coopératifs plutôt que doctrinaux. Dans cette dynamique de réelle coopération, votre rôle est évidemment primordial. Mais cette conception s'étend aussi aux autres donateurs. Pour mieux exercer notre influence, nous devons coordonner les aides, voire nous imposer comme chef de file de donateurs. Quand les moyens ne sont pas infinis, il nous faut fixer des priorités, et nous en faire les concepteurs et les animateurs. Votre engagement est ici déterminant.
Deuxième mot : le développement.
Nous avons un cap: les objectifs du Millénaire pour le développement, qui visent à réduire de moitié la pauvreté d'ici 2015. Il nous faut défendre notre méthode pour parvenir à cet objectif. Il y a une vision française du développement, qui conjugue augmentation des volumes d'aide et croissance du secteur privé, en particulier des petites entreprises du Sud. Sur les volumes d'aide, vous savez les engagements ambitieux que la France a pris - 0,5 % du PIB en 2007, 0,7 % en 2012 -, mais il faut maintenant trouver d'autres ressources dans le monde et encourager les autres à suivre notre exemple.
S'agissant de nos actions de terrain, n'ayons pas trop d'états d'âme et acceptons une logique de résultat. Je pense en particulier aux pays qui sont proches de la France, l'Afrique francophone au premier chef. Ne laissons pas nos zones traditionnelles d'influence se marginaliser dans l'économie mondiale. Cessons de nous faire plaisir avec des projets à l'efficacité incertaine. Privilégions les pays les mieux gérés, en augmentant pour eux les appuis budgétaires et les projets. Le Ghana, que j'ai visité il y a peu, a bien compris son intérêt à afficher ses performances, il s'est remarquablement bien préparé à la revue par les pairs du NEPAD. Trouvez et suscitez des exemples, notamment en zone francophone.
Troisième mot : la Francophonie.
La Francophonie, me semble-t-il, ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France même, alors qu'ailleurs elle attire de plus en plus d'Etats et de peuples soucieux de soutenir une autre mondialisation. C'est d'abord en cultivant cette différence, et non en se plaçant en position défensive qu'elle continuera d'être attrayante. Nous devons nous efforcer de mettre en lumière la plus-value dont elle est porteuse dans le traitement des grandes questions politiques, économiques et culturelles.
A quelques semaines du Sommet de Ouagadougou, qui dessinera une vision de la Francophonie pour les dix ans à venir, n'hésitons pas à multiplier les initiatives. Certains d'entre vous, par exemple, ont créé des clubs des ambassadeurs francophones. C'est une excellente idée que je vous invite tous à reprendre. Avec l'OIF, nous soutiendrons l'ambition politique d'un espace francophone, comme lieu d'épanouissement de l'Etat de droit et des valeurs démocratiques.
Voilà le triptyque. Mais pour quoi faire ?
Quels sont les chantiers de l'année à venir ? A mon sens, cette année sera d'abord celle du développement. Comme vous le savez, nos amis britanniques qui présideront l'an prochain à la fois le G8 et l'Union européenne ont décidé de placer le développement et l'Afrique au coeur de leurs préoccupations. Par ailleurs, le sommet de chefs d'Etat à l'ONU, en septembre 2005, fera un point sur la réalisation des objectifs du Millénaire. Vous le voyez, l'enthousiasme du président de la République pour le développement trouvera dans toutes ces initiatives un terreau fertile.
J'ai retenu cinq priorités pour votre action au cours de l'année qui vient.
La première est de réformer notre dispositif d'aide au développement en vue d'une plus grande efficacité.
Le comité interministériel de la Coopération internationale et du Développement vient de décider que le ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie serait, sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, le chef de file de l'aide publique française au développement. Cette affirmation claire du rôle de notre Département et, sur le terrain, de celui des ambassadeurs dans le pilotage de l'APD, il nous appartient maintenant de la mettre en oeuvre et de la faire vivre ensemble. Les conclusions du CICID constituent notre feuille de route commune et je demande au directeur général, M. Claude Blanchemaison, de coordonner l'ensemble de cette mise en oeuvre.
Pour lancer cette dynamique, je présiderai moi-même chaque trimestre une conférence d'orientation stratégique et de programmation de l'APD qui, à partir des documents-cadres de partenariat que vous aurez préparés, définira nos grandes priorités et la programmation des ressources par pays et par secteur. Je ne verrais que des avantages à ce que deux ou trois ambassadeurs soient membres de cette conférence : nous réfléchissons à cette hypothèse et je serais heureux de savoir ce que vous en pensez.
Je note que les décisions du gouvernement, tant en ce qui concerne le pilotage stratégique de l'APD que la nouvelle répartition des responsabilités entre le ministère et l'Agence française de développement, ne peuvent que renforcer nos stratégies d'influence et de rayonnement. Notre Département garde en effet la maîtrise des leviers et des moyens essentiels de l'influence française : la gouvernance, la définition des politiques publiques et, bien sûr, l'action culturelle au sens large.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'ai besoin de votre engagement sans réserve dans ce processus de rénovation ambitieuse de l'aide publique française.
La deuxième priorité est de favoriser l'influence de la France par la formation des élites étrangères.
Un mot d'abord d'un sujet qui m'est cher : sans équivalent dans le monde, le réseau scolaire français à l'étranger est et doit demeurer un atout essentiel du rayonnement français.
Pour que nos établissements continuent d'exercer leur attrait auprès des milieux d'influence du pays où ils sont implantés, ils doivent sans cesse se moderniser, s'adapter, s'ouvrir davantage à la coopération éducative. Le rapport de l'inspection générale pour l'année 2003 fait en ce sens d'utiles suggestions. Je m'exprimerai moi-même à l'automne en Conseil des ministres sur l'évolution de notre réseau.
Cependant il ne suffit pas de former de brillants élèves étrangers dans nos lycées ; il faut aussi parvenir à les attirer dans notre système d'enseignement supérieur. Or les résultats dans ce domaine ne sont pas pleinement satisfaisants. Sans doute les effectifs d'étudiants étrangers en France se sont-ils accrus de façon spectaculaire - + 75 % en 5 ans -, mais aujourd'hui il convient d'attirer des étudiants dont les projets présentent le meilleur potentiel de réussite. Le Premier ministre a fixé le cap dans son discours de La Baule en juin 2003 : "La France doit devenir le premier pays d'accueil en Europe des étudiants étrangers, en particulier ceux des deuxièmes et troisièmes cycles dans les domaines scientifiques, techniques, financiers et managériaux".
L'année qui s'ouvre devra nous permettre, en coopération avec les ministres concernés et en particulier avec François Fillon qui animera cet après-midi un atelier sur cette question, de définir les termes d'une politique claire et ambitieuse en la matière. En liaison avec vous, je compte apporter ma contribution à ce grand chantier de l'influence française.
Je voudrais aussi saluer et encourager toutes les initiatives de jumelage et de coopération entre les établissements d'enseignement supérieur français et étrangers que vous prenez ou favorisez. Quel meilleur investissement pour la France et ses intérêts que de créer à Pékin, en Chine, une école d'ingénieurs francophone, fonctionnant sur le modèle des écoles centrales françaises ou de soutenir, en collaboration avec l'Institut catholique d'arts et métiers, le projet d'implantation d'une formation d'ingénieurs par apprentissage au Cameroun ? Convaincu depuis fort longtemps que l'éducation et la culture sont les meilleurs atouts de la France dans la compétition internationale, je serai toujours à vos côtés pour soutenir les projets que vous souhaitez lancer dans ce domaine.
Troisième priorité : investir les lieux d'influence.
Il ne saurait y avoir de réforme sérieuse de notre aide au développement sans une présence française accrue dans les lieux d'influence. J'ai déjà dit, lors des Journées du réseau du mois de juillet, mon attachement au maintien sur le terrain d'une assistance technique forte et de qualité. Celle-ci est irremplaçable, en particulier dans les appuis institutionnels que nous apportons aux gouvernements partenaires et j'attends avec beaucoup d'intérêt les résultats de l'étude que nous avons commandée sur ce sujet.
Mais il ne fait pas de doute que la multilatéralisation croissante de l'aide au développement nous impose d'être plus présents au sein des organisations internationales afin d'en suivre, d'en orienter et, si nécessaire, d'en infléchir les actions et les interventions. Veiller à placer des hommes, par exemple de "jeunes experts associés", au sein de ces organisations, mettre en place des fonds d'affectation spéciale pour soutenir, par exemple, la lutte contre le péril acridien ou financer de l'expertise et du savoir-faire français par les contributions liées aux financements multilatéraux : vous connaissez tous l'éventail des interventions et de l'influence françaises.
Toutefois, rien de tout cela ne peut être efficace sans une connaissance précise du terrain par les postes et le suivi attentif des actions conduites par ces différentes organisations. Il vous appartient à cet égard de faire part au Département de vos appréciations sur ces actions et sur le degré de visibilité française qu'elles comportent.
D'autre part, je souscris volontiers aux analyses qu'un certain nombre d'entre vous nous ont proposées dans leurs télégrammes de préparation de cette conférence : en France, le débat d'idées international devrait se nourrir davantage des travaux menés dans les milieux de la recherche et de l'expertise ; c'est un lieu commun - trop commun peut-être - de déplorer la pauvreté de notre pays en cercles de réflexions, fondations et autres "think tanks".
Vos suggestions en la matière me seraient précieuses. Je réfléchis, pour ma part, à l'instauration de journées annuelles de la coopération et du développement afin d'animer en France la réflexion sur ces sujets et d'y intéresser, plus vivement qu'aujourd'hui, l'opinion publique.
Quatrième priorité : travailler davantage avec les acteurs non-étatiques, qu'il s'agisse des ONG, des collectivités locales comme des entreprises.
Parmi les orientations données par le Premier ministre figure "le partenariat entre l'Etat et les organisations non gouvernementales de solidarité internationale". Oui : nous avons besoin de nous appuyer davantage sur les réseaux de la société civile, où les ONG occupent une place prépondérante. Vous êtes d'ailleurs tous à même d'évaluer sur place le travail effectué par ces organisations qui, souvent, vont là où nos agents ne vont plus, qu'il s'agisse d'apporter une aide humanitaire, d'attirer notre attention sur des crises ou de mettre en uvre des projets de développement rural ou sanitaire.
C'est la raison pour laquelle j'ai présenté au Parlement un projet de loi sur le volontariat de solidarité internationale, dont j'espère qu'il sera adopté en deuxième lecture cet automne. Dans cet esprit, je souhaite également dans le courant de cette année améliorer le dialogue que nous conduisons avec ces acteurs, mais aussi avec les entreprises. N'hésitez pas à le faire de votre côté : pour être influent, il faut être engageant.
Enfin, la cinquième priorité est de convaincre nos partenaires que nos positions sur le développement durable sont pertinentes.
Vous le savez, on estime qu'il faudrait trouver environ 50 milliards d'euros d'aide supplémentaire chaque année pour financer les objectifs du Millénaire partout dans le monde. Pour ce faire, l'idée d'une taxation internationale commence à faire son chemin. Le président de la République y tient. Un rapport vient de lui être remis. Il compte également se rendre à la réunion organisée par le président Lula le 20 septembre prochain à New York. Comme l'opposition à cette proposition pourrait être importante - la réticence des Etats-Unis est forte -, il vous appartiendra de convaincre nos partenaires.
Cet apostolat s'entend aussi pour l'environnement. Toute politique de développement s'inscrit désormais dans la durabilité. Aussi le développement durable doit-il être l'une de vos missions essentielles. L'influence passe aussi par la promotion de valeurs fortes. La défense des Droits de l'Homme a fait la force de la diplomatie française, celle du développement durable doit aujourd'hui s'y adjoindre. La création d'une Organisation des Nations unies de l'Environnement, que le président de la République appelle de ses voeux, est une étape de ce processus, qu'il vous appartiendra de défendre auprès de vos partenaires.
Il importe également de vous engager dans la construction d'une diplomatie environnementale cohérente, ayant pour priorité la promotion de l'accès à l'eau et l'énergie, clé du développement des pays les moins avancés, mais aussi la protection du climat et de la biodiversité. Là encore, il vous reviendra de convaincre vos interlocuteurs que, dans un monde globalisé, l'environnement doit être le souci de tous. Le réseau des correspondants environnement, qui a connu un formidable essor au cours de ces dernières années, vous sera sans aucun doute précieux dans cette entreprise, au même titre que les ONG et les entreprises qui sont nos partenaires sur le terrain.
En conclusion :
Croyons à notre influence et nous l'exercerons. Entre la mondialisation et la fragmentation, la France refuse une conjoncture planétaire qui ferait du monde une nouvelle Babel, car ce n'est pas à la puissance économique d'organiser cyniquement les échanges internationaux.
Notre patriotisme se confond avec un universalisme. Il renvoie non à une idéologie mais à un idéalisme, notamment celui des Lumières et des Droits de l'Homme, par essence universaliste. Partout, vous croisez des gens qui sont devenus amoureux de la France et qui ont appris le français par adhésion à notre culture ou à nos valeurs. Disons-le sans arrogance ou chauvinisme : même dans des pays où la langue française n'a plus d'usage économique, nos établissements scolaires sont fréquentés par l'élite autochtone, pour laquelle la conception française du savoir et des arts reste un modèle insurpassable.
Il peut en aller de même pour tous les secteurs. Ces journées vont le démontrer et nous donner une feuille de route, car notre zone d'influence ambitionne d'être universelle.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 2004)
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
A mon tour de vous dire combien je suis heureux de vous voir réunis aujourd'hui et de pouvoir m'adresser directement à vous. Cette conférence annuelle des ambassadeurs, dont le principe avait été lancé par Alain Juppé, est pour moi une première. J'espère qu'elle ne sera pas un bizutage. Sachez que je suis fier de servir la France ici, désormais, avec vous. Mais notre réunion m'est essentielle aussi parce que, au cours de l'année qui vient, le sujet du développement sera au coeur de l'agenda international.
Disons d'abord un mot du thème de réflexion de cette année, qui concerne les "stratégies d'influence". Un mauvais esprit pourrait suggérer qu'à défaut d'influence, il reste la stratégie. Mais que faut-il entendre par cette notion "d'influence" ? Il s'agit bien sûr de notre capacité à faire autorité dans le concert des puissances, c'est-à-dire à y faire entendre et comprendre notre voix, tout en résistant à des ambitions que nous jugeons inacceptables.
Mais l'influence ne se mesure pas à des faits, à des chiffres ou à des partis pris. Illusion ou non, nous savons que la France rayonne d'un éclat qui va bien au-delà de ses moyens réels, et pas seulement en Afrique. Victor Hugo comparait ses Misérables à la "vocation française" : "la fraternité pour base et le progrès pour cime".
Je voudrais vous convaincre que les trois domaines de compétence qui sont les miens, donc les vôtres au quotidien - coopération, développement et francophonie - sont des vecteurs majeurs d'influence. Parfois marginalisés entre l'urgence politique et la routine diplomatique, ces domaines sont au coeur de notre politique étrangère. Ils fournissent des instruments précieux au service de nos objectifs politiques et économiques.
Tout d'abord, la coopération.
La coopération n'est pas la charité, même si elle suppose bien sûr générosité et ouverture aux autres. Il s'agit d'échanger avec l'étranger, ce qui implique un véritable partenariat. Nous voulons défendre nos valeurs, voire nos intérêts, mais nous le ferons avec plus d'efficacité si nous nous adaptons aux priorités du pays d'accueil. Trop souvent, dans une logique d'offre, nous exportons des modèles de projets, alors que nous devrions privilégier l'innovation et la souplesse. Exercer une influence, c'est savoir être attentif, flexible et adaptable. Pour coopérer, soyons coopératifs plutôt que doctrinaux. Dans cette dynamique de réelle coopération, votre rôle est évidemment primordial. Mais cette conception s'étend aussi aux autres donateurs. Pour mieux exercer notre influence, nous devons coordonner les aides, voire nous imposer comme chef de file de donateurs. Quand les moyens ne sont pas infinis, il nous faut fixer des priorités, et nous en faire les concepteurs et les animateurs. Votre engagement est ici déterminant.
Deuxième mot : le développement.
Nous avons un cap: les objectifs du Millénaire pour le développement, qui visent à réduire de moitié la pauvreté d'ici 2015. Il nous faut défendre notre méthode pour parvenir à cet objectif. Il y a une vision française du développement, qui conjugue augmentation des volumes d'aide et croissance du secteur privé, en particulier des petites entreprises du Sud. Sur les volumes d'aide, vous savez les engagements ambitieux que la France a pris - 0,5 % du PIB en 2007, 0,7 % en 2012 -, mais il faut maintenant trouver d'autres ressources dans le monde et encourager les autres à suivre notre exemple.
S'agissant de nos actions de terrain, n'ayons pas trop d'états d'âme et acceptons une logique de résultat. Je pense en particulier aux pays qui sont proches de la France, l'Afrique francophone au premier chef. Ne laissons pas nos zones traditionnelles d'influence se marginaliser dans l'économie mondiale. Cessons de nous faire plaisir avec des projets à l'efficacité incertaine. Privilégions les pays les mieux gérés, en augmentant pour eux les appuis budgétaires et les projets. Le Ghana, que j'ai visité il y a peu, a bien compris son intérêt à afficher ses performances, il s'est remarquablement bien préparé à la revue par les pairs du NEPAD. Trouvez et suscitez des exemples, notamment en zone francophone.
Troisième mot : la Francophonie.
La Francophonie, me semble-t-il, ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France même, alors qu'ailleurs elle attire de plus en plus d'Etats et de peuples soucieux de soutenir une autre mondialisation. C'est d'abord en cultivant cette différence, et non en se plaçant en position défensive qu'elle continuera d'être attrayante. Nous devons nous efforcer de mettre en lumière la plus-value dont elle est porteuse dans le traitement des grandes questions politiques, économiques et culturelles.
A quelques semaines du Sommet de Ouagadougou, qui dessinera une vision de la Francophonie pour les dix ans à venir, n'hésitons pas à multiplier les initiatives. Certains d'entre vous, par exemple, ont créé des clubs des ambassadeurs francophones. C'est une excellente idée que je vous invite tous à reprendre. Avec l'OIF, nous soutiendrons l'ambition politique d'un espace francophone, comme lieu d'épanouissement de l'Etat de droit et des valeurs démocratiques.
Voilà le triptyque. Mais pour quoi faire ?
Quels sont les chantiers de l'année à venir ? A mon sens, cette année sera d'abord celle du développement. Comme vous le savez, nos amis britanniques qui présideront l'an prochain à la fois le G8 et l'Union européenne ont décidé de placer le développement et l'Afrique au coeur de leurs préoccupations. Par ailleurs, le sommet de chefs d'Etat à l'ONU, en septembre 2005, fera un point sur la réalisation des objectifs du Millénaire. Vous le voyez, l'enthousiasme du président de la République pour le développement trouvera dans toutes ces initiatives un terreau fertile.
J'ai retenu cinq priorités pour votre action au cours de l'année qui vient.
La première est de réformer notre dispositif d'aide au développement en vue d'une plus grande efficacité.
Le comité interministériel de la Coopération internationale et du Développement vient de décider que le ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie serait, sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, le chef de file de l'aide publique française au développement. Cette affirmation claire du rôle de notre Département et, sur le terrain, de celui des ambassadeurs dans le pilotage de l'APD, il nous appartient maintenant de la mettre en oeuvre et de la faire vivre ensemble. Les conclusions du CICID constituent notre feuille de route commune et je demande au directeur général, M. Claude Blanchemaison, de coordonner l'ensemble de cette mise en oeuvre.
Pour lancer cette dynamique, je présiderai moi-même chaque trimestre une conférence d'orientation stratégique et de programmation de l'APD qui, à partir des documents-cadres de partenariat que vous aurez préparés, définira nos grandes priorités et la programmation des ressources par pays et par secteur. Je ne verrais que des avantages à ce que deux ou trois ambassadeurs soient membres de cette conférence : nous réfléchissons à cette hypothèse et je serais heureux de savoir ce que vous en pensez.
Je note que les décisions du gouvernement, tant en ce qui concerne le pilotage stratégique de l'APD que la nouvelle répartition des responsabilités entre le ministère et l'Agence française de développement, ne peuvent que renforcer nos stratégies d'influence et de rayonnement. Notre Département garde en effet la maîtrise des leviers et des moyens essentiels de l'influence française : la gouvernance, la définition des politiques publiques et, bien sûr, l'action culturelle au sens large.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'ai besoin de votre engagement sans réserve dans ce processus de rénovation ambitieuse de l'aide publique française.
La deuxième priorité est de favoriser l'influence de la France par la formation des élites étrangères.
Un mot d'abord d'un sujet qui m'est cher : sans équivalent dans le monde, le réseau scolaire français à l'étranger est et doit demeurer un atout essentiel du rayonnement français.
Pour que nos établissements continuent d'exercer leur attrait auprès des milieux d'influence du pays où ils sont implantés, ils doivent sans cesse se moderniser, s'adapter, s'ouvrir davantage à la coopération éducative. Le rapport de l'inspection générale pour l'année 2003 fait en ce sens d'utiles suggestions. Je m'exprimerai moi-même à l'automne en Conseil des ministres sur l'évolution de notre réseau.
Cependant il ne suffit pas de former de brillants élèves étrangers dans nos lycées ; il faut aussi parvenir à les attirer dans notre système d'enseignement supérieur. Or les résultats dans ce domaine ne sont pas pleinement satisfaisants. Sans doute les effectifs d'étudiants étrangers en France se sont-ils accrus de façon spectaculaire - + 75 % en 5 ans -, mais aujourd'hui il convient d'attirer des étudiants dont les projets présentent le meilleur potentiel de réussite. Le Premier ministre a fixé le cap dans son discours de La Baule en juin 2003 : "La France doit devenir le premier pays d'accueil en Europe des étudiants étrangers, en particulier ceux des deuxièmes et troisièmes cycles dans les domaines scientifiques, techniques, financiers et managériaux".
L'année qui s'ouvre devra nous permettre, en coopération avec les ministres concernés et en particulier avec François Fillon qui animera cet après-midi un atelier sur cette question, de définir les termes d'une politique claire et ambitieuse en la matière. En liaison avec vous, je compte apporter ma contribution à ce grand chantier de l'influence française.
Je voudrais aussi saluer et encourager toutes les initiatives de jumelage et de coopération entre les établissements d'enseignement supérieur français et étrangers que vous prenez ou favorisez. Quel meilleur investissement pour la France et ses intérêts que de créer à Pékin, en Chine, une école d'ingénieurs francophone, fonctionnant sur le modèle des écoles centrales françaises ou de soutenir, en collaboration avec l'Institut catholique d'arts et métiers, le projet d'implantation d'une formation d'ingénieurs par apprentissage au Cameroun ? Convaincu depuis fort longtemps que l'éducation et la culture sont les meilleurs atouts de la France dans la compétition internationale, je serai toujours à vos côtés pour soutenir les projets que vous souhaitez lancer dans ce domaine.
Troisième priorité : investir les lieux d'influence.
Il ne saurait y avoir de réforme sérieuse de notre aide au développement sans une présence française accrue dans les lieux d'influence. J'ai déjà dit, lors des Journées du réseau du mois de juillet, mon attachement au maintien sur le terrain d'une assistance technique forte et de qualité. Celle-ci est irremplaçable, en particulier dans les appuis institutionnels que nous apportons aux gouvernements partenaires et j'attends avec beaucoup d'intérêt les résultats de l'étude que nous avons commandée sur ce sujet.
Mais il ne fait pas de doute que la multilatéralisation croissante de l'aide au développement nous impose d'être plus présents au sein des organisations internationales afin d'en suivre, d'en orienter et, si nécessaire, d'en infléchir les actions et les interventions. Veiller à placer des hommes, par exemple de "jeunes experts associés", au sein de ces organisations, mettre en place des fonds d'affectation spéciale pour soutenir, par exemple, la lutte contre le péril acridien ou financer de l'expertise et du savoir-faire français par les contributions liées aux financements multilatéraux : vous connaissez tous l'éventail des interventions et de l'influence françaises.
Toutefois, rien de tout cela ne peut être efficace sans une connaissance précise du terrain par les postes et le suivi attentif des actions conduites par ces différentes organisations. Il vous appartient à cet égard de faire part au Département de vos appréciations sur ces actions et sur le degré de visibilité française qu'elles comportent.
D'autre part, je souscris volontiers aux analyses qu'un certain nombre d'entre vous nous ont proposées dans leurs télégrammes de préparation de cette conférence : en France, le débat d'idées international devrait se nourrir davantage des travaux menés dans les milieux de la recherche et de l'expertise ; c'est un lieu commun - trop commun peut-être - de déplorer la pauvreté de notre pays en cercles de réflexions, fondations et autres "think tanks".
Vos suggestions en la matière me seraient précieuses. Je réfléchis, pour ma part, à l'instauration de journées annuelles de la coopération et du développement afin d'animer en France la réflexion sur ces sujets et d'y intéresser, plus vivement qu'aujourd'hui, l'opinion publique.
Quatrième priorité : travailler davantage avec les acteurs non-étatiques, qu'il s'agisse des ONG, des collectivités locales comme des entreprises.
Parmi les orientations données par le Premier ministre figure "le partenariat entre l'Etat et les organisations non gouvernementales de solidarité internationale". Oui : nous avons besoin de nous appuyer davantage sur les réseaux de la société civile, où les ONG occupent une place prépondérante. Vous êtes d'ailleurs tous à même d'évaluer sur place le travail effectué par ces organisations qui, souvent, vont là où nos agents ne vont plus, qu'il s'agisse d'apporter une aide humanitaire, d'attirer notre attention sur des crises ou de mettre en uvre des projets de développement rural ou sanitaire.
C'est la raison pour laquelle j'ai présenté au Parlement un projet de loi sur le volontariat de solidarité internationale, dont j'espère qu'il sera adopté en deuxième lecture cet automne. Dans cet esprit, je souhaite également dans le courant de cette année améliorer le dialogue que nous conduisons avec ces acteurs, mais aussi avec les entreprises. N'hésitez pas à le faire de votre côté : pour être influent, il faut être engageant.
Enfin, la cinquième priorité est de convaincre nos partenaires que nos positions sur le développement durable sont pertinentes.
Vous le savez, on estime qu'il faudrait trouver environ 50 milliards d'euros d'aide supplémentaire chaque année pour financer les objectifs du Millénaire partout dans le monde. Pour ce faire, l'idée d'une taxation internationale commence à faire son chemin. Le président de la République y tient. Un rapport vient de lui être remis. Il compte également se rendre à la réunion organisée par le président Lula le 20 septembre prochain à New York. Comme l'opposition à cette proposition pourrait être importante - la réticence des Etats-Unis est forte -, il vous appartiendra de convaincre nos partenaires.
Cet apostolat s'entend aussi pour l'environnement. Toute politique de développement s'inscrit désormais dans la durabilité. Aussi le développement durable doit-il être l'une de vos missions essentielles. L'influence passe aussi par la promotion de valeurs fortes. La défense des Droits de l'Homme a fait la force de la diplomatie française, celle du développement durable doit aujourd'hui s'y adjoindre. La création d'une Organisation des Nations unies de l'Environnement, que le président de la République appelle de ses voeux, est une étape de ce processus, qu'il vous appartiendra de défendre auprès de vos partenaires.
Il importe également de vous engager dans la construction d'une diplomatie environnementale cohérente, ayant pour priorité la promotion de l'accès à l'eau et l'énergie, clé du développement des pays les moins avancés, mais aussi la protection du climat et de la biodiversité. Là encore, il vous reviendra de convaincre vos interlocuteurs que, dans un monde globalisé, l'environnement doit être le souci de tous. Le réseau des correspondants environnement, qui a connu un formidable essor au cours de ces dernières années, vous sera sans aucun doute précieux dans cette entreprise, au même titre que les ONG et les entreprises qui sont nos partenaires sur le terrain.
En conclusion :
Croyons à notre influence et nous l'exercerons. Entre la mondialisation et la fragmentation, la France refuse une conjoncture planétaire qui ferait du monde une nouvelle Babel, car ce n'est pas à la puissance économique d'organiser cyniquement les échanges internationaux.
Notre patriotisme se confond avec un universalisme. Il renvoie non à une idéologie mais à un idéalisme, notamment celui des Lumières et des Droits de l'Homme, par essence universaliste. Partout, vous croisez des gens qui sont devenus amoureux de la France et qui ont appris le français par adhésion à notre culture ou à nos valeurs. Disons-le sans arrogance ou chauvinisme : même dans des pays où la langue française n'a plus d'usage économique, nos établissements scolaires sont fréquentés par l'élite autochtone, pour laquelle la conception française du savoir et des arts reste un modèle insurpassable.
Il peut en aller de même pour tous les secteurs. Ces journées vont le démontrer et nous donner une feuille de route, car notre zone d'influence ambitionne d'être universelle.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 2004)