Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Secrétaire d'État,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Chers Amis,
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être parmi nous aujourd'hui. C'est votre première participation au congrès de la FNSEA.
Je vous le dis d'emblée : vous avez de la chance.
Notre habitude, lorsque nous recevons le ministre de l'Agriculture, c'est de dresser le bilan de son action, sans complaisance.
Or, vous êtes ministre de l'Agriculture depuis quatre mois seulement.
Quatre mois, c'est un peu court pour dresser un bilan.
Cependant, je dois reconnaître que vous vous êtes plongé dans les dossiers avec détermination et que vous avez montré une qualité d'écoute et une capacité d'action que je tiens à saluer ici.
Pourvu que ça dure !
De son côté, la FNSEA s'est activée dès votre prise de fonction pour que vous ne chômiez pas. Et vous n'avez pas chômé.
Il faut dire aussi que l'actualité n'a laissé à personne le temps de souffler. De nombreuses questions restent en suspens, sur lesquelles vous aurez tout à l'heure des réponses à nous apporter.
Je commencerai par la réforme de la PAC.
[la réforme de la PAC]
Depuis l'accord de Luxembourg, la réforme de la PAC avance, et les incertitudes augmentent dans les exploitations. Tant et si bien que les paysans ne sont pas loin de penser que la réforme engagée n'est pas une politique pour l'agriculture mais contre l'agriculture.
Vous savez tout le mal que nous pensons de cet accord de Luxembourg. Et j'espère qu'un jour les dirigeants européens sauront corriger leurs erreurs flagrantes. Mais pour l'instant, la règle du jeu est celle-là. Et nous n'avons pas pour habitude, à la FNSEA, de mentir aux agriculteurs.
Cette réforme n'est pas la nôtre. Elle n'est pas non plus le résultat de votre action personnelle. Mais elle est celle d'un gouvernement dont vous êtes solidaire. Vous avez l'obligation de la mettre en uvre et de la rendre la moins douloureuse possible pour les agriculteurs.
[la conditionnalité]
Prenons la conditionnalité.
On a déjà tout dit sur l'incroyable complexité d'un système bureaucratique et paperassier. Mais le pire, c'est cette suspicion que ces contrôles à répétition font planer sur des agriculteurs qui ne font que leur métier. Les agriculteurs sont des citoyens comme les autres. Nous ne refusons pas les contrôles mais nous voulons être respectés.
Moi, quand je vais chez quelqu'un, je frappe avant d'entrer. J'attends des contrôleurs qu'ils nous préviennent avant de venir. Nos champs sont ouverts, mais ce n'est pas une raison pour y entrer comme dans un moulin.
Et où est la justice quand les amendes ne sont pas fonction de la gravité de la faute mais du montant des aides ? Vous croyez que beaucoup de citoyens trouveraient normal que l'amende pour stationnement interdit soit proportionnelle à leurs revenus ?
Monsieur le ministre, vous avez pris sur ce point toute la mesure de notre exaspération.
Vous avez reconnu la nécessité d'alléger les contrôles et accepté de ne pas sanctionner les exploitants en cas d'anomalies mineures. C'est un premier pas. Il faut aller plus loin en faisant de cette année 2005, une année d'application progressive de ces nouvelles règles et obtenir en 2006 la mise en place d'une franchise.
Et n'en rajoutez pas, sous prétexte de conditionnalité, pour durcir encore la réglementation, en particulier avec la directive Nitrates.
Alors remontez à la charge à Bruxelles. Et là-bas, n'hésitez pas à parler fort. Parce que sur la qualité de l'écoute, Bruxelles, c'est pire que le professeur Tournesol ! Je vous le dis à vous, qui êtes un passionné des albums de Tintin.
[les DPU]
Maintenant, parlons un peu de ces DPU.
Alors là, il y a des choses qui dépassent l'entendement du paysan moyen. Y compris celui du président de la FNSEA !
Il paraît que les textes communautaires ont pour effet de donner des DPU à des gens qui ne vont pas les utiliser parce qu'ils n'exploitent plus.
Je ne suis pas juriste, mais je sais que des DPU en moins, c'est du revenu en moins.
Alors, monsieur le ministre, faites comme vous voulez, mais ces DPU "dormants", vous avez intérêt à les réveiller !
Ces DPU, il faut qu'ils aillent à ceux qui produisent.
[la gestion des crises]
Quand il se justifiait d'avoir signé l'accord de Luxembourg, votre prédécesseur mettait en valeur le dispositif anti-crises qu'il avait arraché dans la négociation. Là, on allait voir ce qu'on allait voir !
Pour le moment, on n'a rien vu du tout.
Pour mettre en uvre la conditionnalité, la Commission n'a pas traîné. En deux mois, tout était bouclé.
Mais pour faire face aux crises agricoles, alors là, on chipote, on ergote, on mégote...bref on a tout son temps.
La vérité, c'est que sur ce sujet, pour les libéraux qui font la loi à Bruxelles, le meilleur dispositif anti-crises, c'est la loi du marché : s'il y a surproduction dans un secteur, il n'y a qu'à laisser faire : les prix vont baisser, des producteurs vont mettre la clé sous la porte, et après, on pourra repartir d'un bon pied.
Mais il semble y avoir une lueur d'espoir : les choses commencent à bouger, et vous n'y êtes pas pour rien.
Lors du dernier conseil des Ministres de l'agriculture, la Commission a enfin exposé des propositions qui vont dans le bon sens. Mais comme vous l'avez vous-même souligné, nous sommes encore loin du compte. Nos exploitations sont de plus en plus exposées à des risques de toute nature : climatique, économique, sanitaire. L'affaiblissement des OCM rend indispensable la mise en place d'outils de stabilisation de nos revenus.
Mais attention, vous le savez aussi bien que moi, la gestion de crise ne remplace pas une politique agricole : il faut avant tout savoir anticiper les crises et les éviter en régulant les marchés.
Alors :
Gestion de crise d'accord,
mais gestion des marchés d'abord !
[Les problèmes sectoriels]
J'en viens maintenant aux difficultés que rencontrent les différents secteurs de production.
[Les fruits et légumes]
D'abord les fruits et légumes. Voilà des productions qui sont ballottées de crise en crise, où les efforts d'organisation ne sont pas payés de retour, où quand on colmate une brèche ici, une autre s'ouvre plus loin.
Qu'est-ce qu'on veut ? Que ces productions se délocalisent vers des pays où le coût du travail est faible ? Mais alors, que deviendront les dizaines de milliers de salariés peu qualifiés qui occupent chez nous un emploi saisonnier ?
Monsieur le ministre, s'il est un secteur où il faut diminuer les charges et mettre fin aux abus de la grande distribution, c'est bien celui-là.
Et dans l'urgence, venez-en aide à toutes ces entreprises dont la trésorerie est exsangue et l'existence menacée.
[La viticulture]
Passons à la viticulture.
Elle traverse une des plus graves crises de son existence.
Elle est concurrencée par des produits issus de pays qui ne connaissent ni nos charges, ni nos contraintes, ni nos exigences de qualité.
La concurrence, oui ! Mais à condition qu'elle soit loyale !
La viticulture attend une politique viticole digne de ce nom, avec des mesures :
- de gestion des volumes,
- de baisses de charges,
- d'aides aux exploitations,
- de soutien à l'exportation.
Et comment rester impassible quand on constate que la viticulture est attaquée en permanence : On diabolise un produit qui fait partie de notre civilisation depuis plus de deux millénaires.
Où est la logique, quand on se bat en permanence pour fabriquer un produit toujours meilleur et qu'on nous interdit les moyens de communication qui nous permettraient de le faire savoir ?
Faudra-t-il attendre, pour réagir, que des reportages nostalgiques nous montrent que la vigne était belle et que le vin était bon ? Allons-nous accepter un mode de vie sans saveur, sans odeur et triste à mourir ?
[l'élevage]
Venons-en enfin au secteur de l'élevage.
Pas d'élevage sans éleveurs, mais pas d'élevage sans bâtiments !
Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage annoncé l'an dernier au congrès de la FNSEA a été bien reçu. Cependant, les besoins sont énormes et je compte sur vous et vos services pour accompagner tous les agriculteurs qui ont fait une demande.
Mais nous ne manquerons pas de faire le bilan de la première année d'utilisation à l'automne.
Vous étiez la semaine dernière en terre malouine au congrès des producteurs de lait.
Suite au souhait des laitiers, vous nous avez alors fait comprendre que le versement de l'aide directe laitière pourrait être avancé.
Vous avez reçu en ce sens un avis positif de la Commissaire européenne.
Sans m'avancer bien loin, vous recevrez également ici, en terre sarthoise, un avis positif des paysans si vous nous annonciez aujourd'hui que les aides pour tous les agriculteurs seront versées au plus tôt.
Et vous ne comprendriez pas, monsieur le Ministre, que je ne vous parle pas de l'équarrissage : c'est un sujet que nous évoquons chaque fois que je vous rencontre. Cela fait bientôt deux ans que votre prédécesseur nous avait assuré que les agriculteurs ne paieraient pas. Depuis, de décret en circulaire, de commission en groupe de travail, c'est un pas en avant et deux pas en arrière.
C'est le tango agricole !
Alors ça suffit ! Une décision a été prise. Il faut la mettre en uvre. Je compte sur vous et j'espère que l'an prochain, si je suis encore président de la FNSEA, si vous êtes toujours ministre de l'Agriculture, on pourra parler d'autre chose.
[Céréales]
Pour les céréaliers aussi la situation devient critique. Les prix sont toujours trop bas, la parité euro-dollar n'arrange rien et les exportations sont devenues très difficiles. Il faut que l'Union européenne intervienne pour éviter des stocks importants et ne pas compromettre la prochaine campagne. Nous avons besoin d'un ministre de l'Agriculture très offensif à Bruxelles sur ce sujet.
[Sucre]
Soyez aussi très vigilant pour éviter une réforme trop hâtive de l'OCM Sucre. Il faut maintenir un équilibre satisfaisant entre les niveaux de prix et les niveaux de production.
[MSA]
Quelques mots sur la MSA. Des élections viennent de s'y dérouler. Elles ont été un grand succès pour la FNSEA : la quasi-totalité des élus cantonaux sont issus de nos rangs.
Elles ont été un grand succès pour l'institution, confortée par un taux de participation de plus de 60 %, record absolu pour une élection professionnelle.
À l'heure où l'État laisse filer le déficit de la MSA tout en essayant, subrepticement, de regrouper les régimes, ce scrutin prend une signification éclatante : les agriculteurs sont profondément attachés à leur système de protection sociale et à sa gestion démocratique, le seul à prendre en compte les particularités de leur métier.
[Sécheresse]
Je ne peux pas terminer ce tour d'horizon de l'actualité sans vous parler de la sécheresse qui menace dans de nombreux départements.
D'ores et déjà, intervenez auprès de Bruxelles pour obtenir le pâturage des jachères. Cela montre une fois de plus la nécessité d'une gestion intelligente des ressources en eau.
[La loi d'orientation agricole]
Voilà monsieur le ministre, quelques unes des préoccupations quotidiennes des paysans.
Elles sont nombreuses et nous comptons sur vous pour nous aider à les résoudre.
Cet après-midi, les congressistes qui sont devant vous ont débattu de nos propositions pour la future loi d'orientation agricole.
Ils l'ont fait avec passion, et ceux qui se répandent en disant que la FNSEA est monolithique feraient bien de réviser leur jugement.
Cette loi d'orientation, le Premier ministre y reviendra plus longuement demain et je comprends que vous souhaitiez lui laisser la primeur d'un certain nombre d'annonces.
Mais cette loi sera d'abord votre loi, elle portera probablement votre nom, et sans déflorer le sujet, je souhaite vous entendre sur deux points en particulier.
[Les charges]
Tout d'abord les charges.
Redonner de la compétitivité à nos entreprises, c'est adapter notre assiette fiscale et sociale, c'est réduire les charges de main d'uvre, c'est s'attaquer à cet empilement de taxes de toute nature qui nous font perdre des marchés tous les jours : on ne s'aligne pas aux 24 heures du Mans en traînant une caravane !
Sur ce sujet, dans son discours de Murat, le Président de la République avait montré la voie en annonçant l'élimination progressive de la TFNB pour les exploitants agricoles.
J'attends que vous concrétisiez cette déclaration et que vous alliez plus loin en engageant une guerre sans merci contre ces charges qui pèsent sur l'agriculture.
Je sais bien que ce n'est pas facile, et vous allez me répondre : dépense publique, déficit budgétaire, pacte de stabilité... Je sais tout ça.
Mais enfin, dans ce pays, faut-il descendre dans la rue et paralyser les services publics pour que les cordons de la bourse se desserrent ? Si c'est la bonne méthode, je vous promets qu'on saura faire nous aussi !
[L'entreprise]
Deuxième point, l'entreprise.
Nous en avons fait l'un des axes de notre rapport d'orientation et j'aimerais que ce soit l'un des axes de votre loi.
Mettre en avant l'entreprise, ce n'est pas faire le choix du gigantisme, de la concentration et du libéralisme. Nous voulons simplement nous revendiquer pour ce que nous sommes, c'est à dire des entrepreneurs.
Des entrepreneurs et des paysans !
Nous risquons nos capitaux,
Nous créons des richesses,
Nous créons des emplois,
Nos exploitations sont des entreprises.
C'est pourquoi, il faut donner aux entreprises agricoles toute leur dimension au plan économique, juridique, social et fiscal.
Des entreprises qui savent s'adapter et toujours progresser, qui améliorent leurs pratiques, par exemple dans le cadre de l'agriculture raisonnée, pour répondre toujours mieux aux attentes de la société.
Des entreprises qui doivent être pérennes et transmissibles, quel que soit leur mode de faire-valoir. Ce qui implique d'aller vers la cessibilité du bail rural en restant dans le cadre du statut du fermage : il est hors de question pour la FNSEA d'accepter un bail dérogatoire au statut du fermage !
Pour faire tout cela, il faut bousculer certains mythes. Pas pour le plaisir de bousculer, mais parce qu'il faut rechercher de nouveaux équilibres cohérents avec une réalité qui a beaucoup changé et qui changera encore plus au cours des prochaines années.
Orienter, c'est s'extraire de l'urgence, c'est anticiper. Cela demande du courage et de la lucidité.
Je suis certain que vous n'en manquez pas.
[conclusion]
Monsieur le ministre,
En quatre mois, vous avez pu vous rendre compte que le ministère de l'Agriculture n'est pas un ministère où l'on se repose. Les questions y sont complexes, l'actualité toujours dense et les interlocuteurs exigeants.
C'est un grand ministère, et il ne tient qu'à vous d'attacher votre nom à une grande loi qui permettra aux agriculteurs de redresser la tête et de trouver de nouveaux repères.
En ce qui concerne la FNSEA, je peux vous assurer qu'elle sera pour vous un partenaire quelque fois rugueux mais toujours loyal.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 24 mars 2005)
Monsieur le Secrétaire d'État,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Chers Amis,
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'être parmi nous aujourd'hui. C'est votre première participation au congrès de la FNSEA.
Je vous le dis d'emblée : vous avez de la chance.
Notre habitude, lorsque nous recevons le ministre de l'Agriculture, c'est de dresser le bilan de son action, sans complaisance.
Or, vous êtes ministre de l'Agriculture depuis quatre mois seulement.
Quatre mois, c'est un peu court pour dresser un bilan.
Cependant, je dois reconnaître que vous vous êtes plongé dans les dossiers avec détermination et que vous avez montré une qualité d'écoute et une capacité d'action que je tiens à saluer ici.
Pourvu que ça dure !
De son côté, la FNSEA s'est activée dès votre prise de fonction pour que vous ne chômiez pas. Et vous n'avez pas chômé.
Il faut dire aussi que l'actualité n'a laissé à personne le temps de souffler. De nombreuses questions restent en suspens, sur lesquelles vous aurez tout à l'heure des réponses à nous apporter.
Je commencerai par la réforme de la PAC.
[la réforme de la PAC]
Depuis l'accord de Luxembourg, la réforme de la PAC avance, et les incertitudes augmentent dans les exploitations. Tant et si bien que les paysans ne sont pas loin de penser que la réforme engagée n'est pas une politique pour l'agriculture mais contre l'agriculture.
Vous savez tout le mal que nous pensons de cet accord de Luxembourg. Et j'espère qu'un jour les dirigeants européens sauront corriger leurs erreurs flagrantes. Mais pour l'instant, la règle du jeu est celle-là. Et nous n'avons pas pour habitude, à la FNSEA, de mentir aux agriculteurs.
Cette réforme n'est pas la nôtre. Elle n'est pas non plus le résultat de votre action personnelle. Mais elle est celle d'un gouvernement dont vous êtes solidaire. Vous avez l'obligation de la mettre en uvre et de la rendre la moins douloureuse possible pour les agriculteurs.
[la conditionnalité]
Prenons la conditionnalité.
On a déjà tout dit sur l'incroyable complexité d'un système bureaucratique et paperassier. Mais le pire, c'est cette suspicion que ces contrôles à répétition font planer sur des agriculteurs qui ne font que leur métier. Les agriculteurs sont des citoyens comme les autres. Nous ne refusons pas les contrôles mais nous voulons être respectés.
Moi, quand je vais chez quelqu'un, je frappe avant d'entrer. J'attends des contrôleurs qu'ils nous préviennent avant de venir. Nos champs sont ouverts, mais ce n'est pas une raison pour y entrer comme dans un moulin.
Et où est la justice quand les amendes ne sont pas fonction de la gravité de la faute mais du montant des aides ? Vous croyez que beaucoup de citoyens trouveraient normal que l'amende pour stationnement interdit soit proportionnelle à leurs revenus ?
Monsieur le ministre, vous avez pris sur ce point toute la mesure de notre exaspération.
Vous avez reconnu la nécessité d'alléger les contrôles et accepté de ne pas sanctionner les exploitants en cas d'anomalies mineures. C'est un premier pas. Il faut aller plus loin en faisant de cette année 2005, une année d'application progressive de ces nouvelles règles et obtenir en 2006 la mise en place d'une franchise.
Et n'en rajoutez pas, sous prétexte de conditionnalité, pour durcir encore la réglementation, en particulier avec la directive Nitrates.
Alors remontez à la charge à Bruxelles. Et là-bas, n'hésitez pas à parler fort. Parce que sur la qualité de l'écoute, Bruxelles, c'est pire que le professeur Tournesol ! Je vous le dis à vous, qui êtes un passionné des albums de Tintin.
[les DPU]
Maintenant, parlons un peu de ces DPU.
Alors là, il y a des choses qui dépassent l'entendement du paysan moyen. Y compris celui du président de la FNSEA !
Il paraît que les textes communautaires ont pour effet de donner des DPU à des gens qui ne vont pas les utiliser parce qu'ils n'exploitent plus.
Je ne suis pas juriste, mais je sais que des DPU en moins, c'est du revenu en moins.
Alors, monsieur le ministre, faites comme vous voulez, mais ces DPU "dormants", vous avez intérêt à les réveiller !
Ces DPU, il faut qu'ils aillent à ceux qui produisent.
[la gestion des crises]
Quand il se justifiait d'avoir signé l'accord de Luxembourg, votre prédécesseur mettait en valeur le dispositif anti-crises qu'il avait arraché dans la négociation. Là, on allait voir ce qu'on allait voir !
Pour le moment, on n'a rien vu du tout.
Pour mettre en uvre la conditionnalité, la Commission n'a pas traîné. En deux mois, tout était bouclé.
Mais pour faire face aux crises agricoles, alors là, on chipote, on ergote, on mégote...bref on a tout son temps.
La vérité, c'est que sur ce sujet, pour les libéraux qui font la loi à Bruxelles, le meilleur dispositif anti-crises, c'est la loi du marché : s'il y a surproduction dans un secteur, il n'y a qu'à laisser faire : les prix vont baisser, des producteurs vont mettre la clé sous la porte, et après, on pourra repartir d'un bon pied.
Mais il semble y avoir une lueur d'espoir : les choses commencent à bouger, et vous n'y êtes pas pour rien.
Lors du dernier conseil des Ministres de l'agriculture, la Commission a enfin exposé des propositions qui vont dans le bon sens. Mais comme vous l'avez vous-même souligné, nous sommes encore loin du compte. Nos exploitations sont de plus en plus exposées à des risques de toute nature : climatique, économique, sanitaire. L'affaiblissement des OCM rend indispensable la mise en place d'outils de stabilisation de nos revenus.
Mais attention, vous le savez aussi bien que moi, la gestion de crise ne remplace pas une politique agricole : il faut avant tout savoir anticiper les crises et les éviter en régulant les marchés.
Alors :
Gestion de crise d'accord,
mais gestion des marchés d'abord !
[Les problèmes sectoriels]
J'en viens maintenant aux difficultés que rencontrent les différents secteurs de production.
[Les fruits et légumes]
D'abord les fruits et légumes. Voilà des productions qui sont ballottées de crise en crise, où les efforts d'organisation ne sont pas payés de retour, où quand on colmate une brèche ici, une autre s'ouvre plus loin.
Qu'est-ce qu'on veut ? Que ces productions se délocalisent vers des pays où le coût du travail est faible ? Mais alors, que deviendront les dizaines de milliers de salariés peu qualifiés qui occupent chez nous un emploi saisonnier ?
Monsieur le ministre, s'il est un secteur où il faut diminuer les charges et mettre fin aux abus de la grande distribution, c'est bien celui-là.
Et dans l'urgence, venez-en aide à toutes ces entreprises dont la trésorerie est exsangue et l'existence menacée.
[La viticulture]
Passons à la viticulture.
Elle traverse une des plus graves crises de son existence.
Elle est concurrencée par des produits issus de pays qui ne connaissent ni nos charges, ni nos contraintes, ni nos exigences de qualité.
La concurrence, oui ! Mais à condition qu'elle soit loyale !
La viticulture attend une politique viticole digne de ce nom, avec des mesures :
- de gestion des volumes,
- de baisses de charges,
- d'aides aux exploitations,
- de soutien à l'exportation.
Et comment rester impassible quand on constate que la viticulture est attaquée en permanence : On diabolise un produit qui fait partie de notre civilisation depuis plus de deux millénaires.
Où est la logique, quand on se bat en permanence pour fabriquer un produit toujours meilleur et qu'on nous interdit les moyens de communication qui nous permettraient de le faire savoir ?
Faudra-t-il attendre, pour réagir, que des reportages nostalgiques nous montrent que la vigne était belle et que le vin était bon ? Allons-nous accepter un mode de vie sans saveur, sans odeur et triste à mourir ?
[l'élevage]
Venons-en enfin au secteur de l'élevage.
Pas d'élevage sans éleveurs, mais pas d'élevage sans bâtiments !
Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage annoncé l'an dernier au congrès de la FNSEA a été bien reçu. Cependant, les besoins sont énormes et je compte sur vous et vos services pour accompagner tous les agriculteurs qui ont fait une demande.
Mais nous ne manquerons pas de faire le bilan de la première année d'utilisation à l'automne.
Vous étiez la semaine dernière en terre malouine au congrès des producteurs de lait.
Suite au souhait des laitiers, vous nous avez alors fait comprendre que le versement de l'aide directe laitière pourrait être avancé.
Vous avez reçu en ce sens un avis positif de la Commissaire européenne.
Sans m'avancer bien loin, vous recevrez également ici, en terre sarthoise, un avis positif des paysans si vous nous annonciez aujourd'hui que les aides pour tous les agriculteurs seront versées au plus tôt.
Et vous ne comprendriez pas, monsieur le Ministre, que je ne vous parle pas de l'équarrissage : c'est un sujet que nous évoquons chaque fois que je vous rencontre. Cela fait bientôt deux ans que votre prédécesseur nous avait assuré que les agriculteurs ne paieraient pas. Depuis, de décret en circulaire, de commission en groupe de travail, c'est un pas en avant et deux pas en arrière.
C'est le tango agricole !
Alors ça suffit ! Une décision a été prise. Il faut la mettre en uvre. Je compte sur vous et j'espère que l'an prochain, si je suis encore président de la FNSEA, si vous êtes toujours ministre de l'Agriculture, on pourra parler d'autre chose.
[Céréales]
Pour les céréaliers aussi la situation devient critique. Les prix sont toujours trop bas, la parité euro-dollar n'arrange rien et les exportations sont devenues très difficiles. Il faut que l'Union européenne intervienne pour éviter des stocks importants et ne pas compromettre la prochaine campagne. Nous avons besoin d'un ministre de l'Agriculture très offensif à Bruxelles sur ce sujet.
[Sucre]
Soyez aussi très vigilant pour éviter une réforme trop hâtive de l'OCM Sucre. Il faut maintenir un équilibre satisfaisant entre les niveaux de prix et les niveaux de production.
[MSA]
Quelques mots sur la MSA. Des élections viennent de s'y dérouler. Elles ont été un grand succès pour la FNSEA : la quasi-totalité des élus cantonaux sont issus de nos rangs.
Elles ont été un grand succès pour l'institution, confortée par un taux de participation de plus de 60 %, record absolu pour une élection professionnelle.
À l'heure où l'État laisse filer le déficit de la MSA tout en essayant, subrepticement, de regrouper les régimes, ce scrutin prend une signification éclatante : les agriculteurs sont profondément attachés à leur système de protection sociale et à sa gestion démocratique, le seul à prendre en compte les particularités de leur métier.
[Sécheresse]
Je ne peux pas terminer ce tour d'horizon de l'actualité sans vous parler de la sécheresse qui menace dans de nombreux départements.
D'ores et déjà, intervenez auprès de Bruxelles pour obtenir le pâturage des jachères. Cela montre une fois de plus la nécessité d'une gestion intelligente des ressources en eau.
[La loi d'orientation agricole]
Voilà monsieur le ministre, quelques unes des préoccupations quotidiennes des paysans.
Elles sont nombreuses et nous comptons sur vous pour nous aider à les résoudre.
Cet après-midi, les congressistes qui sont devant vous ont débattu de nos propositions pour la future loi d'orientation agricole.
Ils l'ont fait avec passion, et ceux qui se répandent en disant que la FNSEA est monolithique feraient bien de réviser leur jugement.
Cette loi d'orientation, le Premier ministre y reviendra plus longuement demain et je comprends que vous souhaitiez lui laisser la primeur d'un certain nombre d'annonces.
Mais cette loi sera d'abord votre loi, elle portera probablement votre nom, et sans déflorer le sujet, je souhaite vous entendre sur deux points en particulier.
[Les charges]
Tout d'abord les charges.
Redonner de la compétitivité à nos entreprises, c'est adapter notre assiette fiscale et sociale, c'est réduire les charges de main d'uvre, c'est s'attaquer à cet empilement de taxes de toute nature qui nous font perdre des marchés tous les jours : on ne s'aligne pas aux 24 heures du Mans en traînant une caravane !
Sur ce sujet, dans son discours de Murat, le Président de la République avait montré la voie en annonçant l'élimination progressive de la TFNB pour les exploitants agricoles.
J'attends que vous concrétisiez cette déclaration et que vous alliez plus loin en engageant une guerre sans merci contre ces charges qui pèsent sur l'agriculture.
Je sais bien que ce n'est pas facile, et vous allez me répondre : dépense publique, déficit budgétaire, pacte de stabilité... Je sais tout ça.
Mais enfin, dans ce pays, faut-il descendre dans la rue et paralyser les services publics pour que les cordons de la bourse se desserrent ? Si c'est la bonne méthode, je vous promets qu'on saura faire nous aussi !
[L'entreprise]
Deuxième point, l'entreprise.
Nous en avons fait l'un des axes de notre rapport d'orientation et j'aimerais que ce soit l'un des axes de votre loi.
Mettre en avant l'entreprise, ce n'est pas faire le choix du gigantisme, de la concentration et du libéralisme. Nous voulons simplement nous revendiquer pour ce que nous sommes, c'est à dire des entrepreneurs.
Des entrepreneurs et des paysans !
Nous risquons nos capitaux,
Nous créons des richesses,
Nous créons des emplois,
Nos exploitations sont des entreprises.
C'est pourquoi, il faut donner aux entreprises agricoles toute leur dimension au plan économique, juridique, social et fiscal.
Des entreprises qui savent s'adapter et toujours progresser, qui améliorent leurs pratiques, par exemple dans le cadre de l'agriculture raisonnée, pour répondre toujours mieux aux attentes de la société.
Des entreprises qui doivent être pérennes et transmissibles, quel que soit leur mode de faire-valoir. Ce qui implique d'aller vers la cessibilité du bail rural en restant dans le cadre du statut du fermage : il est hors de question pour la FNSEA d'accepter un bail dérogatoire au statut du fermage !
Pour faire tout cela, il faut bousculer certains mythes. Pas pour le plaisir de bousculer, mais parce qu'il faut rechercher de nouveaux équilibres cohérents avec une réalité qui a beaucoup changé et qui changera encore plus au cours des prochaines années.
Orienter, c'est s'extraire de l'urgence, c'est anticiper. Cela demande du courage et de la lucidité.
Je suis certain que vous n'en manquez pas.
[conclusion]
Monsieur le ministre,
En quatre mois, vous avez pu vous rendre compte que le ministère de l'Agriculture n'est pas un ministère où l'on se repose. Les questions y sont complexes, l'actualité toujours dense et les interlocuteurs exigeants.
C'est un grand ministère, et il ne tient qu'à vous d'attacher votre nom à une grande loi qui permettra aux agriculteurs de redresser la tête et de trouver de nouveaux repères.
En ce qui concerne la FNSEA, je peux vous assurer qu'elle sera pour vous un partenaire quelque fois rugueux mais toujours loyal.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 24 mars 2005)