Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Ouest-France" le 20 février 2004, sur les priorités de l'action gouvernementale, notamment la politique de la recherche et l'emploi, et sur la préparation des élections régionales de mars.

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Média : Ouest France

Texte intégral

Q. Premier ministre mais aussi chef de la majorité, vous êtes en campagne ?
R. Je suis en effet beaucoup sur le terrain, mais je prépare surtout activement le travail législatif pour le printemps, après les élections. J'ai 3 priorités avant l'été : l'emploi, la santé et la dépendance, et aussi l'environnement. L'emploi avec la loi de mobilisation annoncée par le chef de l'État. Le dossier " santé-dépendance " en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, avec un plan de 9 milliards d'euros et bien sûr la réforme de l'assurance maladie. Le tout devant être fait avant les vacances. Et la charte de l'environnement que nous allons adosser à la Constitution pour développer notre conscience des grands enjeux de l'environnement et ainsi participer à une meilleure protection de la planète.
Q. Êtes-vous inquiet d'un éventuel record d'abstentions et du vote FN ?
R. Le scrutin qui est devant nous est avant tout régional et départemental. Je souhaite que nos régions soient gouvernables et gouvernées. Les votes dispersés, l'abstention, la division, jouent contre l'efficacité de la démocratie locale. Le Front national tente de nationaliser ces élections. Mais ce n'est pas rendre service aux régions et à leurs projets.
Q. François Bayrou, lui aussi, a tort ?
R. Je suis plus Girondin que lui. Je suis pour que nos régions, comme en Espagne, en Allemagne et en Italie, votent à des jours différents au cours de l'année. Le vote, le même jour, nationalise forcément les débats. Ce qui compte ce sont les enjeux régionaux : quels projets ? Quels impôts ? Quelles équipes ?...
Q. On vous prête l'idée d'un changement de date pour le congrès de l'UMP. Aura-il lieu à l'automne ou au printemps ?
R. Aujourd'hui, il n'y a aucune raison de changer le calendrier établi. Ma mission est l'action. Elle passe par l'union. La division est nuisible. Quand je regarde l'Europe, je vois des pays qui avancent et des pays encalminés. Les seconds sont souvent dirigés par des coalitions plurielles ralenties dans leur action au niveau national ou régional d'ailleurs.
Q. Venons-en à vos priorités. Sur le chantier emploi il y a du travail, vu les dégâts en 2003 et votre retard à réagir, disent vos adversaires ?
R. J'ai dû faire avec un héritage très difficile : une croissance en rupture depuis l'an 2000, les dégâts des 35 heures, des entreprises publiques très endettées, une situation internationale défavorable marquée par la guerre en Irak et le terrorisme. Malgré ces difficultés, à la fin 2003 il y avait 67 000 français de plus au travail qu'à la fin 2001. Ce n'est pas en une année qu'on peut changer toutes les choses. Mais je considère que j'ai sorti le pays d'un certain nombre d'impasses et notamment pour les retraites. La France appartient aujourd'hui aux pays réformistes d'Europe. Nous avons créé les conditions pour profiter du retour de la croissance. Nos résultats (+ 0,5 %) au dernier trimestre sont encourageants, c'est le rythme qu'il nous faut pour créer de l'emploi.
Q. Mais la casse industrielle est inquiétante ?
R. Il y a un problème européen de désindustrialisation face à ce qui se passe en Chine ou en Inde. Nous apportons des réponses : au niveau national c'est par exemple l'exonération de taxe professionnelle pour les investissements productifs et d'allègement des charges. En Europe c'est l'initiative de croissance avec un programme de grands chantiers.
Q. Initiative de croissance qui est en panne ?
R. C'est vrai que l'Europe est parfois lente mais les orientations sont prises, les projets retenus. Cela ira mieux avec des institutions nouvelles.
Q. Pour 2004 ne faut-il pas craindre une reprise modérée sans création d'emplois ?
R. Je suis persuadé que nous aurons une reprise avec emploi, grâce tout particulièrement aux créations d'entreprises. Avec 26 000 créations en janvier nous venons de battre un record, après les 200 000 enregistrées en 2003. On oublie ces chiffres dans les comptes de l'emploi salarié, mais ces 200 000 entreprises suscitent au moins 500 000 emplois supplémentaires. En fait nous avons une stabilisation du chômage depuis septembre. Dans un contexte de bonne consommation, de redémarrage des investissements, je pense qu'on inversera la courbe du chômage au deuxième semestre 2004. Et je l'espère même plus tôt
Q. Où en êtes-vous de l'élaboration de la loi de mobilisation pour l'emploi ?
R. Cette loi va nous permettre d'accompagner en 2004 une baisse significative du chômage. Une priorité est donnée aux jeunes. L'objectif est clair : un contrat pour chaque jeune. Que ce soit contrat d'apprentissage (nous en voulons 500 000), contrat " jeune en entreprise " (145 000 actuellement), formation Civis Pour les jeunes sans qualification, il est impératif de leur donner une deuxième chance, un capital formation pour leur permettre d'avoir accès à un contrat. Donner une deuxième chance à tous ceux qui en ont besoin sera un axe fort de la loi. Tous les chômeurs qui sont sortis sans diplôme du système éducatif et qui sont en fin de droits se verront proposer un capital formation.
Q. La création d'un contrat de mission, intermédiaire entre contrat à durée indéterminée (CDI) et déterminée (CDD), est-elle définitivement abandonnée ?
R. Je ne veux pas mettre en place des systèmes de précarisation. Si pour certaines missions spécifiques il y a un accord entre les partenaires sociaux au niveau de la branche nous en discuterons. Notre politique sociale vise à construire des parcours personnalisés d'intégration dans l'emploi. C'est l'objet du droit individuel à la formation ou du revenu minimum d'activités (RMA). Au total, le socialisme n'a pas été social. Mon gouvernement avec l'augmentation du SMIC, les nouveaux droits à la retraite, l'aide contre le surendettement, et de nombreuses autres initiatives est plus social que mon prédécesseur.
Q. L'indemnisation des chômeurs sera-t-elle bientôt liée aux efforts que font ceux-ci pour trouver un emploi, comme le suggère le ministre de l'Emploi ?
R. Nous ne voulons pas culpabiliser la personne au chômage. Elle est une victime, pas une coupable. L'idée n'est donc pas de mettre une pression sur elle mais de l'aider à intégrer le monde du travail. Il faut inventer un humanisme social, un social durable en partant de l'idée que les revenus du travail sont supérieurs aux revenus d'assistance. Cela passe aussi par un service public de l'emploi modernisé et personnalisé. L'ANPE et l'Unedic font du bon travail séparément mais cela doit être plus rassemblé.
Q. Les chercheurs sont inquiets. Ils vous reprochent de ne pas investir dans la matière grise ?
R. J'entends cette inquiétude. La stratégie de la France est de miser sur l'intelligence, l'innovation, la recherche, la matière grise. Il nous faut une recherche fondamentale forte. Mais je dois aussi veiller à la bonne gouvernance de nos organismes de recherche et au développement de la recherche industrielle. Nous avons sur ce point beaucoup de retard. Voilà pourquoi nous avons cette année décidé de multiplier par sept le nombre des entreprises éligibles au crédit impôt recherche. Les moyens publics ne font l'objet d'aucun gel ni annulation. Nous allons ainsi développer des entreprises innovantes, et nous tiendrons l'engagement de consacrer 3 % du PIB à la recherche d'ici 2010.
Q. Mais les coupes budgétaires en 2003 ont été brutales ?
R. Les budgets de la recherche sont supérieurs aujourd'hui à ce qu'ils étaient sous M. Allègre. Cela dit, il nous faut des moyens supplémentaires, et c'est vrai pour l'Europe entière. Nous venons d'en parler avec nos amis allemands qui ont évoqué les différents moyens de financement. Mais il faut aussi que nos investissements s'accompagnent d'une organisation plus cohérente de notre dispositif de recherche. Ce que nous comptons faire en consacrant une loi spécifique à la recherche et aux universités.
Q. Que dîtes-vous aux directeurs de recherche qui menacent de démissionner de leurs postes administratifs ?
R. Je ne souhaite pas une situation de renoncement. Nous avons pris des mesures de " dégel " budgétaires et nous sommes d'accord pour travailler sur leurs propositions. Nous sortirons des difficultés budgétaires actuelles avec la croissance. Je m'engage à tenir compte de cette puissante expression des chercheurs dans notre projet de loi d'orientation et de programmation prévu au second semestre de cette année. Je les appelle à reprendre confiance.
Q. Reparlons des personnes âgées et de votre plan dépendance. Comment le financez- vous ? Le choix d'un jour férié travaillé est maintenu ?
R. Oui, cela permettra de collecter 1, 8 milliard d'euros par an, soit 9 milliards sur cinq ans. Je pense que cela suffira à faire face aux nouveaux droits nécessaires aux personnes handicapées et aux pays, conséquences du vieillissement en matière de santé et de dépendance. Ce que nous n'avons pas voulu c'est faire appel à l'impôt. Nous avons préféré la création de richesse par le travail. Cela me semble la vraie logique de fraternité. Chacun participe, chacun s'engage.
Q. Le dossier de l'assurance maladie est au stade de la concertation. Certains vous soupçonnent de reculer pour ne pas sauter la haie de la réforme ?
R. Je ne recule pas. Et je prends l'engagement formel de faire cette réforme avant l'été. Avec esprit de justice.
Q. Avec une augmentation de la CSG ?
R. La CSG n'est en aucune façon un préalable. Elle signifierait " non réforme ". Il ne s'agit pas de boucher un trou mais d'organiser la Sécurité sociale pour les 20 ans à venir. Nous verrons le moment venu comment l'État assume sa contribution.
Q. Comment appréciez-vous la campagne polémique du groupe Leclerc sur l'évolution du pouvoir d'achat ?
R. La publicité c'est plus fait pour vendre, que pour dire la vérité. Il ne faut pas confondre le message d'intérêt général et celui de l'intérêt privé qui est celui du groupe concerné.
Q. Vous comprenez le conflit des aiguilleurs du ciel ?
R. Je suis favorable au dialogue, pas au blocage. La France se fragilise lorsqu'elle se bloque. C'est pour cela que nous valorisons le dialogue social et les accords signés entre les partenaires sociaux. Je crois qu'il serait utile de remettre la Nation au premier rang de nos préoccupations. En nous rassemblant autour de l'intérêt du pays, on peut équilibrer l'intérêt général et les demandes catégorielles. Partageons l'envie d'avenir.
Q. Eventuellement question TVA ?
R. Je tiens nos engagements. Les allemands ont entendu notre déception. Ils ont levé leur veto. Nous construisons donc un plan d'allègement de charges, de l'ordre de 400 euros par mois pour un salaire de 1 700 euros par exemple, à partir du 1er juillet 2004 et jusqu'à la mise en uvre de la TVA à 5,5 %. Il y a 40 000 emplois de plus avec cette initiative. C'est pour cela qu'avec Jacques CHIRAC nous nous battrons.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 février 2004)