Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, en réponse à la motion de censure déposée par le parti socialiste sur la politique sociale du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 2 mars 2004.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
L'opposition a décidé de mettre en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d'une motion de censure.
Merci de me donner l'occasion d'expliquer ma politique et de corriger les discours caricaturaux que les périodes électorales inspirent.
Aujourd'hui, c'est un esprit positif, un esprit constructif qui anime le Gouvernement pour son projet social :
Réforme des retraites, politique pour les personnes dépendantes, Droit individuel à la formation, décentralisation au sein de la Constitution, nouvelles chances pour les personnes surendettées, rénovation des quartiers
Les réformes sont nombreuses, la méthode est nouvelle : le dialogue social est rétabli. Nous sortons du social administré pour aller vers le social personnalisé.
Les choix faits par nos prédécesseurs ayant échoué aux yeux des Français, il fallait donc changer de politique pour améliorer la vie des Françaises et des Français.
Je lis dans le texte de cette motion de censure : " notre pays connaît une régression sociale de grande ampleur ".
En noircissant le tableau, certains espèrent sans doute se blanchir les mains.
Je ne crois pas que les Français se retrouveront dans les discours extrémistes, les discours sans nuances.
Souvenez-vous de Paul CLAUDEL " quand les gens intelligents se mêlent de ne point comprendre, ils y réussissent mieux que les sots".
Notre pays mérite mieux que des procès d'intention, cette lutte bloc contre bloc, clan contre clan, parti contre parti.
La " lutte des classes " n'est plus l'espoir des sociétés modernes.
Seul l'extrémisme aujourd'hui est le bénéficiaire de ces " simplismes ". Seul le gauchisme sera le bénéficiaire de votre stratégie d'" opposition frontale ".
Quant à votre posture sociale, je vous appelle à l'esprit de mesure : parce qu'en fait de social, c'est surtout du social à crédit, du social éphémère dont vous étiez les adeptes : le social-socialiste, ça n'a pas marché !
Je suis critique mais je suis lucide : La lutte contre le chômage et la pauvreté reste difficile.
Mais, la modestie n'est pas le renoncement.
Je me souviens d'un Président de la République qui disait dans les années 80, " contre le chômage, on a tout essayé ".
Nous ne sommes pas dans cet état d'esprit.
Nous proposons :
I - Une action claire fondée sur une pensée claire
Sur le plan des idées, entre l'opposition et la majorité, il y a de vraies différences : non seulement je les assume mais je les revendique.
Nous pouvons comparer nos convictions :
A. Le credo socialiste
Ce que je comprends de vos choix politiques aujourd'hui, c'est toujours plus d'intervention étatique et une méfiance profonde à l'égard des partenaires de l'Etat : partenaires sociaux ou échelons de décentralisation.
Cela vous a notamment conduit à privilégier le provisoire et la réduction administrée du temps de travail.
Ce que j'ai vu de votre méthode, c'est aussi beaucoup de dispositifs non financés comme l'A.P.A. (il manquait 1,2 milliards d'euros en 2003) ou la prime de Noël 2001 et 2002 des chômeurs (il manquait près de 600 millions d'euros).
Il est facile d'être généreux avec le budget des successeurs.
Ce que j'ai vu de vos résultats, c'est un bilan social et financier des 35 heures préoccupant, un service public et notamment l'hôpital ou La Poste affaibli, un Smic éclaté, un chômage qui remonte dès mars 2001 et une insécurité qui explose : 600 000 victimes supplémentaires en 5 ans, qui sont d'abord issues des milieux les plus fragiles.
Et je n'oublie pas les difficultés liées aux accidents économiques qui sont apparus de votre temps, et ce malgré la croissance, MOULINEX, VILVOORDE, LU ... Les blessures ne sont pas cicatrisées.
Vous avez sous-estimé l'insécurité sociale.
Pourtant, parce que je ne suis pas, comme vous, caricatural, je vois aussi des réussites : la loi sur la parité, malgré les disparités salariales entre les hommes et les femmes, ou la loi contre l'exclusion, mais ils manquaient les outils.
Aujourd'hui, quand je regarde en Europe, je me sens plus proche que vous de MM. Blair et Schröder que je croyais pourtant vos amis politiques.
Mais peut-être cela tient-il à votre place dans l'opposition ? Quand dans l'opposition, les gauches ne cherchent qu'à émouvoir, au pouvoir, elles ne peuvent que décevoir.
N'oubliez pas le 21 avril : vous avez fait une mauvaise chute, vous êtes tombés de haut, de l'idée que vous vous faisiez de votre action.
B. Mon credo
Mon credo se fonde sur des principes simples et pragmatiques.
Je crois en l'égalité, je refuse l'égalitarisme.
Je ne crois pas que l'on puisse étouffer les choix individuels dans des statuts globaux.
Je veux assurer le droit au mérite et à sa reconnaissance, dans le privé comme dans le public.
Je ne crois pas que l'on puisse traiter toutes les entreprises de la même manière.
Quand nous allégeons les charges et voulons baisser les taux de TVA dans l'hôtellerie restauration, nous ne satisfaisons pas des privilégiés, nous créons de l'emploi et de la croissance avec des moyens ciblés.
Si le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, employait autant de personnes en France, en proportion, qu'aux États-unis, le nombre total d'embauches serait égal au nombre total de nos chômeurs.
Et, c'est vraiment méconnaître la vie de ces Français qui travaillent très dur que de les qualifier de privilégiés !
Je crois aussi que la politique sociale se nourrit de la politique de sécurité parce que l'insécurité frappe toujours les plus fragiles.
Les résultats sont aussi encourageants : en 2003, l'insécurité a baissé de plus de 3 % (140.000 victimes en moins) et la mobilisation se poursuit. Notre objectif est de réduire l'insécurité de 20 % en 5 ans.
J'ai fait le choix également d'une économie fondée sur la création de richesses, parce que, avant de redistribuer de la richesse, il faut la créer.
Je crois également que les responsabilités sociales sont partagées, je crois en l'engagement des individus, des familles, des associations, des partenaires sociaux, des collectivités locales.
Je crois à la responsabilité première de l'État, garant de l'intérêt général.
Et je crois au dialogue social et je le pratique, avec la réforme des retraites et l'accord sur la formation, je le respecte, avec l'accord de fin 2002 des partenaires de l'Unedic.
II - La clé de la politique sociale, c'est le travail
A. La première politique sociale, c'est le soutien à l'activité
Parce qu'un point de croissance, c'est 150 000 emplois, nous soutenons l'activité et la consommation.
Nous avons eu raison de ne pas choisir une politique d'austérité car la France retrouve plus rapidement que prévu un taux de croissance créateur d'emplois.
Notre politique soutient la croissance :
- par la baisse de l'impôt sur le revenu qui n'est pas " un cadeau aux riches " mais un investissement pour la croissance ;
- par la baisse des charges sociales sur les bas salaires (1,7 mds cette année) qui n'est pas un " cadeau aux entreprises " mais une incitation à l'embauche ;
- par l'augmentation des salaires modestes avec la plus forte hausse du Smic depuis 20 ans et la revalorisation de la prime pour l'emploi : c'est un signal pour les plus modestes, c'est le choix de la valorisation du travail et d'une augmentation du pouvoir d'achat.
Les perspectives de la consommation semblent nous donner là aussi raison.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chaque jour, nous nous battons pour encourager le travail et la création.
C'est pourquoi nous avons assoupli les 35 heures qui empêchaient ceux qui voulaient travailler plus de gagner plus, c'est pourquoi nous avons encouragé la création d'entreprises avec des mesures simples et un nouvel état d'esprit.
Avec 200 000 créations d'entreprises nouvelles en 2003, avec plus de 25 000 créations d'entreprises en janvier 2004, nous sommes en avance sur nos objectifs, ces créations seront à l'origine d'au mois 500.000 emplois.
Nous continuerons dans cette voie en 2004 :
·* avec la réforme de la taxe professionnelle,
·* avec le soutien aux projets créateurs d'emplois comme les zones franches,
·* avec nos 50 " grands travaux " pour un aménagement durable du territoire,
·* avec la poursuite des simplifications des démarches,
·* avec le Titre emploi entreprises ou le chèque emploi associatif.
B. Favoriser l'accès à l'emploi
La deuxième ligne de force de mon action, c'est la volonté de favoriser l'accès à l'emploi.
Pour permettre aux jeunes de trouver un premier emploi, nous avons supprimé les charges pour les " Contrats jeunes en entreprise ".
Aujourd'hui, plus de 140 000 jeunes bénéficient de vrais contrats à durée indéterminée (CDI), dans une vraie entreprise : ils ont un présent, ils ont un avenir.
Nous complétons ce dispositif pour l'emploi des jeunes avec le CIVIS qui leur permet de faire d'un engagement personnel une réalité professionnelle. Près de 70 000 jeunes pourront bénéficier de ce contrat cette année.
Pour les seniors, nous permettons aux entreprises qui embauchent des chômeurs de plus de 50 ans de recevoir une prime de cinq cent euros par mois pendant cinq ans : c'est un effort sans précédent.
110 000 Contrats Initiative Emploi (CIE) sont prévus en 2004.
De même, 185 000 contrats aidés sont prévus en 2004 pour les plus éloignés de l'emploi.
Mais, l'accès à l'emploi, c'est aussi une formation mieux adaptée.
En relançant l'apprentissage, et en facilitant la transmission de petites entreprises artisanales et du savoir, nous travaillons pour l'emploi et pour l'avenir de nos territoires.
Au printemps prochain, nous poursuivrons l'action avec notamment la loi de mobilisation pour l'emploi voulue par le Chef de l'État.
C. Le travail plutôt que l'assistance
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le gouvernement refuse la précarité.
La régression est un mensonge.
L'accompagnement social du chômage fait partie de nos valeurs, mais il doit être au service de la reprise de l'activité et non de la rupture avec le monde du travail.
Mieux que l'assistance, le travail est un vecteur de promotion et d'intégration sociale.
Alors même qu'il y a plus 300 000 emplois non pourvus dans notre pays, il faut inciter à la reprise du travail.
C'est pourquoi nous préférons le RMA au RMI, le revenu minimal d'activité plutôt qu'un revenu minimal " d'insertion exclusion ".
Notre état d'esprit est celui de la Constitution de 1946 : " chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ".
Dans un monde qui change, avec des techniques qui évoluent, la meilleure garantie d'emploi, la meilleure assurance emploi, c'est la formation.
Nous avons créé cette assurance-emploi avec le droit individuel à la formation qui permettra à chaque salarié de bénéficier d'un droit d'accompagnement tout au long de la vie.
D. Malgré des difficultés réelles, les résultats sont là
Je n'occulte pas pour autant les difficultés : je mesure les conséquences humaines de l'augmentation du chômage l'an dernier.
J'ai lu le rapport de Jacques DELORS sur la pauvreté chez les enfants jusqu'en 1999.
Ces situations ne sont pas acceptables.
Mais, malgré un taux de croissance divisé par 2 chaque année entre 2000 et 2003, nous avons réussi cependant à maintenir stable l'emploi salarié.
Entre fin 2001 et fin 2003, il y a 67 000 Français de plus au travail.
Depuis septembre, le chômage est stabilisé. Il commence aujourd'hui à baisser.
La consommation et l'investissement repartent. La croissance sera proche de 2 % cette année. Les Français perçoivent qu'ils pourront récolter dès 2004 les fruits de leurs efforts.
III - Nous renforçons notre pacte social
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Notre République est sociale. Notre politique est fidèle à notre tradition sociale qui est une tradition de conquête de sécurité et de droits nouveaux.
A. Des vrais progrès sociaux
Avec la réforme décidée par le gouvernement et le Parlement, grâce à un effort partagé, nos retraites sont sauvées.
Pour la première fois, ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans, dans le secteur privé, pourront toucher une retraite à taux plein avant 60 ans. C'est une avancée sociale unique en Europe.
Pour la première fois également, les retraités les plus fragiles auront la garantie de toucher une retraite au moins égale à 85 % du SMIC net.
C'est un vrai progrès social.
Pour les personnes handicapées dont vous ne parlez que rarement, nous avons créé 40 000 places d'accueil et prévu 6 000 auxiliaires de vie scolaire.
Pour eux et pour les personnes âgées, nous avons mis en place un plan d'une envergure jamais vue depuis 1945.
Est-ce une régression ? Non, c'est un vrai progrès social.
Pour les accidentés de la vie, pour les habitants de ces quartiers-ghettos qui blessent notre République, nous avons mis en place une nouvelle politique, entièrement financée elle aussi, de lutte contre le surendettement, de rénovation urbaine et de création d'emplois dans 85 zones franches nouvelles.
Est-ce une régression ? Non, c'est un vrai progrès social.
Pour les familles, nous avons augmenté de 15 % l'aide pour la garde d'enfants. Pour les mères de famille, nous leur permettons de prendre un congé parental dès le premier enfant.
Est-ce une régression ? Non, c'est un vrai progrès social.
Contre l'exclusion, nous avons entamé la professionnalisation du secteur : plutôt que des actions au coup par coup, nous mettons en place des plans d'actions avec des moyens importants et nous finançons les centres d'accueil que les 35 heures menaçaient de faillite.
Nous relançons aussi une politique de logement social car la perte de logement est l'une des premières causes d'exclusion. On n'a jamais financé autant de logements sociaux depuis dix ans.
Est-ce une régression ? Non, c'est un vrai progrès social.
B. En 2004
Cette année, parce que notre système de santé est menacé par des causes structurelles, nous allons engager sa profonde adaptation.
Avec des principes simples : l'égalité d'accès au soin ; ni privatisation ni étatisation ; plus de responsabilité ; le meilleur de la santé pour tous.
Avec une méthode claire, le dialogue social.
Avec une ambition affichée : lever les hypothèques qui pèsent sur son avenir.
J'espère que comme, en Allemagne, nous pourrons nous rassembler, majorité et opposition, sur cette réforme de progrès.
Cette année également, nous nous mobilisons pour l'égalité des chances.
Pour les femmes avec une charte pour l'égalité négociée avec les partenaires sociaux.
Pour les enfants de l'immigration, avec une conférence nationale pour l'égalité des chances. Pensez qu'aucun comité interministériel à l'intégration n'a été réuni depuis 1990 ! Nous avons vu avec la question de la laïcité l'urgence de mettre en pratique les valeurs de la République.
Nous allons créer une autorité administrative indépendante de lutte contre les discriminations.
Notre action sociale se veut également tournée vers l'avenir.
Nous nous réjouissons que la France rattrape son retard en équipement informatique personnel. Nous favoriserons cette dynamique.
Au fur et à mesure que la croissance le permettra, nous investirons toujours davantage dans les choix modernes de la création, de la recherche et de l'innovation.
Ici comme ailleurs nous tiendrons nos engagements.
Conclusion
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Il y a entre les groupes politiques ici représentés de vraies différences politiques que nous revendiquons.
Sur le plan social, notre politique propose des formules innovantes, une volonté de simplification et une vraie personnalisation des prestations.
Mais, il y a encore beaucoup à faire, je le sais.
Permettez-moi de citer aujourd'hui Emmanuel Mounier qui voulait " l'individu pour la société, la société pour la personne " : nous revendiquons cet héritage de pensée.
Et je n'oublie pas notre devoir d'Europe qui exige de nous tous à la fois la mobilisation pour l'attractivité et la conscience de notre modèle social.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Républicain et démocrate, je souhaite le débat, je me réjouis même de la confrontation.
Mais je le dis avec gravité, majorité et opposition, nous avons la France en commun, son avenir entre nos mains.
Évitons donc, les uns et les autres, les réductions de la pensée.
Mesurons le temps nécessaire à l'action. André MALRAUX disait " l'intelligence, c'est la tentation vaine de se passer du temps ".
Mesurons les conséquences dans la société des caricatures voire des injures, du mépris, voire de la haine, " la politique se définit comme ce qui enlève à la haine son caractère éternel ".
Contre toutes les haines appelons la République et défendons ses valeurs au premier rang desquelles figure la cohésion sociale.
Je lis ici ou là des mots brutaux voire guerriers pour qualifier la politique française, ne prêtons pas le flanc à cette dérive.
Pour son avenir, la République Française doit rester un rassemblement.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 4 mars 2004)