Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à La Chaîne info le 18 mars 2005, sur les raisons de sa position pour le "non" au référendum sur la Constitution européenne.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Vous êtes en direct de Nantes, alors il y a eu un coup de tonnerre dans la campagne référendaire, avec le premier sondage qui donne le "non" à la Constitution européenne majoritaire. Est- ce que pour vous c'est un mouvement irréversible ?
R- Moi j'étais hier soir à un dîner-débat avec 500 couverts tout près d'ici, à Trémentines dans le Maine et Loire. J'ai écouté les gens, je sens le "non" effectivement qui monte lentement, et sûrement parce que les Français que je rencontre me disent : on sent que le "non" est utile, qu'il aura des effets immédiats, la suspension immédiate de la négociation sur l'entrée de la Turquie qui doit commencer le 3 octobre, l'enterrement de première classe de la directive Bolkestein et la renégociation d'un traité fondateur.
Q- Dans les trois points que vous donnez, Monsieur de Villiers, il n'y a que la renégociation qui découlerait du "non" au référendum, pas les négociations sur l'entrée de la Turquie, ni la directive Bolkestein qui est indépendante de la Constitution et qui est en débat.
R- Pas du tout, je vous réponds là dessus, la directive Bolkestein est inscrite dans l'article 144 de la Constitution et le rejet de la Constitution qui lui donne sa base juridique.
Q- Le rejet de la Constitution, naturellement, c'est le rejet de la directive Bolkestein.
R - Encore heureux, parce que, si on ne peut plus dire non face à la dictature des commissaires de Bruxelles, alors que deviendra-t-on ? Quant à la Turquie, il est bien évident que le "oui" ou le "non" c'est le "oui" ou le "non" à la politique européenne actuelle. Le 3 octobre prochain, si le "oui" l'emporte, c'est un encouragement, une caution pour l'ouverture de la négociation avec la Turquie et si le "non" l'emporte, J. Chirac d'ailleurs le sait bien, ça interromps la négociation. Toutes les chancelleries le disent entre elles et nous le disent : si le 3 octobre prochain, la France a voté "non", eh bien il n'y aura pas de négociations le 3 octobre prochain avec la Turquie. Donc c'est vraiment un "non" nécessaire.
Q- Ça, c'est vous qui le dites le "non" nécessaire. Vous avez demandé à J. Chirac de s'engager à voter "non", ce qui est un peu paradoxal. Hier soir, sur notre antenne, F. Hollande a demandé au chef de l'Etat de s'engager pour le "oui". Vous pensez qu'il a une chance d'arriver à convaincre les Français ?
R- D'abord j'ai dit à J. Chirac, si vous voulez rejeter la directive Bolkestein, plutôt que de protester comme vous le faites de manière apparemment inefficace puisque Monsieur Barroso vous réponds par des bras d'honneur, [...] il y a une solution toute trouvée, toute simple, vous votez "non" à la Constitution, et à ce moment là, ça sera un choc salutaire pour la Commission de Bruxelles qui comprendra qu'il faut arrêter cette dérive insensée et cet autisme des commissaires. J'ai effectivement entendu F. Hollande faire appel à J. Chirac. C'est le " Sos Corrèze ", j'ai écouté deux fois pour être sûr que j'avais bien entendu, F. Hollande fait appel à J. Chirac ! C'est extraordinaire. On a J. Chirac qui a choisi comme directeur de campagne, F. Hollande et maintenant, F. Hollande fait appel à J. Chirac. Alors moi j'adresse trois questions à J. Chirac : premièrement, est-ce que vous êtes d'accord pour faire campagne, pour le refus de l'entrée de la Turquie en Europe ? Si vous faites campagne, ça sera pourquoi ? Pour l'entrée de la Turquie ou pour la non entrée de la Turquie ? Deuxièmement, est-ce que vous êtes prêt à expliquer aux Français pourquoi vous avez donné pour instruction, le 13 janvier 2004 aux deux commissaires français le commissaire Lamy et le commissaire Barnier, qui est devenu votre ministre des affaires étrangères consigne de voter la directive Bolkestein ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ? Et enfin troisième question, est-ce que vous comprenez, comme nous, nous le comprenons, nous le sentons par l'intuition que si la France dit "non", c'est le premier pays qui dira "non", qui prendra la main.
Q- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
R- Tout le monde le dit.
Q- Tout le monde, oui mais enfin, si la France vote "non", la Constitution est par terre, donc elle ne prend pas la main.
R- Mais si, parce qu'on ne peut pas rester - J. Chirac me disait dans un récent entretien - avec le traité de Nice, donc il faut bien renégocier un traité fondateur de la nouvelle Europe, tourné vers les principes du respect des peuples et des démocraties nationales d'une part et le principe de la coopération libre, c'est-à-dire l'Europe de la modernité, l'Europe de la proximité, l'Europe de la souplesse, on ne peut pas rester comme ça avec cette Europe du passé, et donc pour avancer, il faut qu'il y ait un pays qui dise "non" et puis on repart sur des bases solides. Et le premier pays qui dira non sera, A. Hausser, le moteur de cette refondation de l'Europe. Si c'est l'Angleterre qui dit "non", si ce n'est pas la France, si c'est la Hollande, eh bien ça sera l'Europe à la Française.
Q- Vous ne bernez pas un peu les électeurs en disant : si c'est la France, ça sera une Europe française, franchement ?
R- Bien sûr, puisqu'il reviendra au président de la République - ça sera d'ailleurs son privilège, je l'encourage à s'y préparer - d'accueillir à Paris la conférence de Paris pour un nouveau traité fondateur. Ecoutez, des traités on en a plus beaucoup : il y a eu Schengen, il y a eu Maastricht, il y a eu Amsterdam, il y a eu Nice. A chaque fois, on nous dit c'est un bon traité, deux jours après on nous dit c'est un mauvais traité. Eh bien là il y aura un nouveau traité, j'espère que cette fois ci, ce sera le bon.
Q- Il y a un point sur lequel tout le monde était d'accord, c'est que le traité de Nice n'était pas un bon traité. Mais avec qui allez-vous faire campagne, P. de Villiers, tout seul ?
R- Avec les Français. D'ailleurs vous avez vu le sondage. Le référendum c'est une question. L'enjeu il est le suivant : face à chacune et chacun d'entre nous, c'est chaque Français qui est souverain, qui retrouve sa souveraineté, c'est la démocratie directe. L'enjeu il est le suivant : la France, la survie de la France en tant que Nation et l'identité de l'Europe en tant que civilisation, voilà. Moi, je suis un des porte-parole du "non"et puis je m'adresse aux Français.
Q- Pour vous, peu importe de vous afficher avec une personnalité connue de l'UMP ou indépendante sur une tribune, ça n'a pas d'importance ?
R- Vous remarquerez, A. Hausser, qu'il y a une grande différence entre le "oui" et le "non". Le "oui" est cacophonique, le "non" est polyphonique, chacun laboure son champ.
Q- Ça, c'est vous qui le dîtes encore une fois...
R- Moi je constate que le "oui" est un oui de résignation, c'est toujours "oui, virgule", alors que le "non" ne se gêne pas. Le "non" est un "non" offensif, un "non" de conviction, un "non" de liberté aussi. Vous pouvez le remarquer, tous ceux qui votent "non" par delà leur sensibilité, ça vient de leur cur, ça vient de leurs tripes et c'est la raison pour laquelle, ça s'entend et ça sonne juste.
Q- Est-ce que vous êtes satisfait des dispositions prises pour l'organisation du référendum ? Vous allez obtenir le financement public, vous aurez un temps de parole sur l'audiovisuel officiel ?
R- Il faut être objectif : il y a un effort incontestable qui a été fait par le président de la République et par le Gouvernement, et pour le temps de parole et pour les moyens de la campagne, mais qui est très insuffisant. Je vous donne un exemple. Pour le temps d'antenne des spots de la campagne officielle, c'est 65% pour le "oui", 35% pour le "non". Vous serez d'accord avec moi pour dire que ce n'est pas tout à fait la physionomie des derniers sondages. Ce qui aurait été logique c'est le "oui" 50, le "non" 50.
Q- Il fallait bien prendre une base, c'était le résultat des dernières élections européennes.
R- Oui, mais enfin la bonne base de la base de l'équité c'est 50 - 50, voilà. C'est un effort mais à mon avis, il était insuffisant. J'aurais souhaité que l'envoi de la Constitution soit accompagné d'une profession de foi pour le "oui" et pour le "non" plutôt que d'une synthèse pédagogique, ça sera plutôt une synthèse idéologique.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2005)