Texte intégral
(Intervention à Londres, le 1er mars 2005) :
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement le Premier ministre du Royaume-Uni, M. Tony Blair, et aussi Jack Straw et leurs équipes.
Après quatre ans de violences et de désespoir, l'espoir est à nouveau là. Il est fragile. On l'a vu avec l'odieux attentat de Tel Aviv.
Je suis revenu début février d'Israël et des Territoires palestiniens avec la conviction qu'il y a un vrai courage des deux côtés et la volonté de coopérer. Mais les deux côtés ont besoin de la communauté internationale.
Nous savons les gestes positifs qui ont eu lieu.
Du côté palestinien, la renonciation officielle à l'intifada armée et les premiers remaniements dans les services de sécurité.
Du côté israélien, la libération de quelques centaines de prisonniers palestiniens, l'annonce du transfert du contrôle sécuritaire des villes de Cisjordanie, la retenue observée dans les activités militaires et, enfin, la confirmation du plan de retrait de Gaza.
Kofi Annan nous l'a dit : "nous devons consolider, encourager, aller plus loin, ici, en particulier, aux côtés de l'Autorité palestinienne".
Vous avez, Monsieur le Président, un programme de réformes courageuses et nous voulons vous appuyer.
Le chantier de la gouvernance, d'abord.
Vous préparez l'Etat palestinien qui doit être notre horizon proche. Nous ne pourrons demander aux Palestiniens de mettre en place des structures étatiques idéales avant même d'avoir un Etat. Toutes ces étapes sont importantes : les élections municipales sur l'ensemble de l'année et législatives le 17 juillet. Mon pays enverra des observateurs.
Il y a la réforme de la justice et de la fonction publique.
Là encore, mon pays concentrera son appui à vos efforts : formation des cadres, création d'un centre de droit à l'université de Bir Zeit, formation des juges.
Le chantier de la sécurité, ensuite.
Nous savons tous que c'est là le point clé. Vous avez engagé des réformes sécuritaires. Une équipe européenne de soutien à la police est en place à Ramallah et à Gaza. Ne peut-on mettre en place un mécanisme de surveillance sur le modèle de celui créé en 1996 à la frontière israélo-libanaise ?
Il y a la vie quotidienne.
La population vit dans des conditions économiques, humanitaires et sociales difficiles, indignes. J'ai pu le voir à Gaza.
Changer cette situation exige vos efforts, d'abord ; les efforts d'Israël, ensuite, pour alléger les obstacles à la circulation, pour ouvrir les Territoires vers la terre, vers la mer, dans les airs ; la contribution financière de la communauté internationale ; les investissements privés (conférence de levée de fonds avec la Banque mondiale).
Mon pays est prêt à coopérer pour relancer le projet du port de Gaza. Il y a aussi l'aéroport. Nous souhaitons que ces infrastructures soient préservées, protégées, garanties.
Tout cela constitue le programme et les obligations des Palestiniens au titre de la première phase de la Feuille de route.
Le rôle des autorités israéliennes est donc essentiel pour améliorer la situation humanitaire dans les Territoires palestiniens et pour aller vers un retrait des Territoires sur les lignes de septembre 2000. Le gel de la colonisation doit également être réel. Il faut aussi que le mur, actuellement construit par Israël, coïncide avec la ligne verte comme la loi internationale le demande.
Voilà les conditions pour franchir dans un esprit de confiance les six prochains mois. Nous avons un horizon : deux Etats, nous avons un moyen avec la Feuille de route.
Une dynamique a été lancée à Charm el-Cheikh. La conférence de Londres s'inscrit dans cette dynamique. Il sera ensuite temps de réunir une conférence internationale pour étudier les moyens de passer rapidement à la deuxième et à la troisième phase de la Feuille de route afin de relancer à brève échéance les négociations sur le statut final. Il faudra, avec vous et Ariel Sharon, suivre ces étapes, accompagner ensemble ces reformes et organiser ce nouveau rendez-vous à l'automne. Cette conférence pourrait être réunie au deuxième semestre 2005, après le désengagement de Gaza et du Nord de la Cisjordanie.
Le président Bush a dit à Bruxelles quelque chose que je crois juste depuis longtemps : la paix au Proche-Orient doit être en tête de l'agenda de la nouvelle relation entre l'Europe et les Etats-Unis.
Nous sommes co-responsables de cette dynamique ; c'est ce que signifie la réunion d'aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2005)
(Entretien avec RFI à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Monsieur le Ministre, on a donc vu cette cassette où on voit la journaliste française Florence Aubenas lancer un appel à l'aide notamment au début lorsqu'elle évoque Didier Julia Quelle est votre réaction ?
R - Nous avons pris connaissance de ces images, qui ne sont d'ailleurs pas datées, qui confirment - c'est très important - que Florence Aubenas est vivante et c'est une bonne nouvelle. Nous avons eu d'autres preuves de vie de Florence Aubenas il y a plusieurs jours et j'avais l'occasion de montrer à sa famille, il y a quelques jours au Quai d'Orsay, les images de Florence. Nous analysons toutes ces images, nous devons vérifier leur chronologie. Nous devons analyser les images, dans toutes leurs dimensions. C'est vrai qu'il lui a été demandé, dans ces dernières images, de lancer un appel pour sa propre libération, et elle a cité le nom d'un parlementaire français qui s'est dit à la disposition des autorités françaises et du gouvernement. Nous allons maintenant prendre le temps d'analyser ces images, d'en faire l'expertise le plus sérieusement possible. Et nous prendrons ensuite la décision qui s'impose. Le seul souci, que nous gardons depuis le premier jour où elle a disparu - comme cela été le cas pendant toute la période où nous nous sommes occupés d'obtenir la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot - le seul souci que nous devons avoir, je vous remercie de le comprendre, c'est celui de sa sécurité.
Q - Sur le Liban, vous avez fait une déclaration importante avec votre homologue américain Condoleezza Rice. Le ton du communiqué est assez menaçant vis à vis de la Syrie. C'est un dernier avertissement avant éventuellement des mesures plus concrètes contre Damas ?
R - Il n'y a pas de menaces. Notre seul souci, c'est que tout le monde comprenne, en Syrie en particulier, que le Liban doit être libre, que le Liban doit retrouver sa souveraineté. Et c'est ce que disent les Libanais eux-mêmes dans la rue, avec beaucoup de dignité, avec beaucoup de force, avec beaucoup de courage. Ils en ont assez de ne pas être maîtres de leur propre destin. Nous devons répondre à cette aspiration. Il y a une espérance au Liban, on le voit dans la rue aujourd'hui à Beyrouth. Cette espérance passe par des élections libres et transparentes. Et c'est tout !
Tout ce que nous demandons dans cette résolution 1559 que les Américains et les Français ont soutenue - mais que toute la communauté internationale a soutenue également - c'est que la Syrie retire ses troupes et ses services spéciaux, pour que des élections libres et transparentes puissent avoir lieu au Liban au printemps prochain, et que le Liban, que les Libanais, puissent être maîtres de leur destin.
Q - Le délai est donc proche... ?
R - Le moment de vérité sera celui des élections législatives. Nous avons dit cela avant l'assassinat de Rafic Hariri, et nous le demandons avec la même détermination, en même temps que nous demandons - Kofi Annan est très soucieux de cela - que la vérité soit faite sur ceux qui ont perpétré, qui ont commandité cet assassinat.
Q - Sur le sujet même de la conférence d'aujourd'hui, quels sont les principales avancées ? Comment qualifieriez-vous cette conférence et ses résultats ?
R - Tout le monde est là aujourd'hui à Londres. Tous les pays, et le Secrétaire général des Nations unies, qui peuvent aider, d'une manière où d'une autre, l'Autorité palestinienne, puisque c'est de cela qu'il s'agit, autour de Mahmoud Abbas, le nouveau président palestinien et de son gouvernement. Nous devons aider l'Autorité palestinienne à réussir ses réformes, à rétablir la sécurité, à créer les conditions du développement économique, et une meilleure gouvernance aussi. Il y a de progrès, beaucoup de progrès à faire de la part de l'Autorité palestinienne. Et les dirigeants, que nous avons rencontrés aujourd'hui, sont prêts.
Mais ils ne peuvent pas y parvenir tous seuls, ils ont besoin des Israéliens sur certains sujets, ils ont besoin de la communauté internationale. Aujourd'hui, nous sommes venus dire à tout le monde que ce Processus de paix, cette nouvelle dynamique qui est enclenchée depuis quelques semaines, nous en sommes, co-responsables. Et c'est tellement important que la paix revienne entre les Israéliens et les Palestiniens. Cela nous concerne tous. Cette conférence est la première preuve que les choses vont mieux. Il en faudrait d'autres dans les prochains mois, avant, nous l'espérons, une conférence internationale, où se retrouveront les dirigeants israéliens et les dirigeants palestiniens, j'espère avant la fin de l'année.
Q - Et dans l'immédiat, il y aura bientôt une conférence des donateurs ?
R - Il faut une conférence des donateurs, avec la Banque Mondiale, pour voir comment aider au développement économique, à la reconstruction des Territoires palestiniens, à leur viabilité. Le peuple palestinien a besoin d'un avenir, les jeunes Palestiniens ont besoin d'un futur, et c'est cela qui est en cause.
Q - Et tout le monde est là sauf les Israéliens. Est-ce que cela a été pénalisant ?
R - Mais l'objet de cette conférence, dont Tony Blair a eu l'initiative, était de l'organiser autour de et avec l'Autorité palestinienne, parce que c'est elle qui a le plus de problèmes en même temps à régler. Et puis, on doit régler un certain nombre de problèmes aussi pour le Processus de paix, comme celui de la sécurité. Donc, c'était la règle du jeu aujourd'hui d'aider et d'entourer l'Autorité palestinienne, de lui demander de prendre des engagements et de l'aider à tenir ses engagements pour que l'on puisse, étape par étape, remettre en marche cette Feuille de route et aboutir à ce que nous souhaitons tous, c'est-à-dire un Etat d'Israël vivant en sécurité - et la France ne transigera jamais avec la sécurité d'Israël - et un Etat palestinien lui aussi viable et démocratique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)
(Entretien avec BBC World, à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Comment évaluez-vous ce qui a été accompli aujourd'hui ? Le texte est long, ce qui suggère que beaucoup de questions concrètes ont été abordées.
R - C'est très important qu'une telle Conférence ait lieu à Londres, aujourd'hui, pour accompagner l'Autorité palestinienne et le président Mahmoud Abbas, qui prend des décisions courageuses, difficiles comme d'ailleurs, de l'autre côté, Ariel Sharon prend des décisions courageuses en se retirant de Gaza. Nous voulons accompagner ces réformes et les encourager. Naturellement, ce sont les premières étapes. Elles doivent être articulées, comme la Feuille de route le prévoit, avec d'autres étapes pour conduire ces deux Etats à vivre côte à côte en sécurité.
Q - Mahmoud Abbas est le président de l'Autorité palestinienne depuis assez peu de temps. Avez-vous déjà eu l'occasion de vous forger une image positive de l'homme ? Vous semble-t-il très différent de son prédécesseur, croyez-vous que vous pourrez travailler avec lui plus efficacement ?
R - Ce n'est pas la première fois que je rencontre Mahmoud Abbas. Je l'avais vu à Paris lorsque le président Arafat était hospitalisé. Je l'ai revu à Ramallah où j'ai dîné avec lui il y a quelques jours, début février. C'est un homme qui a non seulement du courage personnel, mais aussi du courage politique, une vraie autorité. D'ailleurs, son autorité est consolidée par un vote populaire qu'il ne faut pas oublier. Les Palestiniens ont donné la preuve d'une vraie maturité, d'une vraie responsabilité par leur vote démocratique. Et je pense qu'il a la capacité d'être le partenaire de la paix pour Israël et pour nous tous.
Q - Alors, vers quoi allons-nous maintenant ? Mahmoud Abbas a dit que c'était très bien de parler de la sécurité mais que, sans perspective politique adéquat, on pouvait aboutir à un échec. Souhaitez-vous une reprise urgente des négociations avec Israël sur le statut final ?
R - Aujourd'hui, nous avons parlé de sécurité. C'est un point clé. Nous avons parlé de gouvernance, même si ce ne sera pas idéal, il faut construire les premières structures d'un Etat palestinien. Et puis, nous avons parlé de la vie quotidienne des Palestiniens qui ont besoin de vivre autrement que dans la misère. Il faut améliorer la vie quotidienne, il faut que les gens retrouvent l'espoir, les jeunes, un futur, un emploi. Nous avons parlé de faire revivre le premier territoire qui va être libéré, Gaza, avec un port et un aéroport.
A partir d'aujourd'hui, il faut franchir les étapes une à une, les réformes en Palestine, le retrait de Gaza, l'élection en Palestine au mois de juillet. Je pense qu'assez vite après, lorsque ces toutes premières étapes auront été franchies, le moment viendra, à la fin de l'année 2005, d'organiser une conférence internationale avec tout le monde autour de la table, Israéliens, Palestiniens et toute la communauté internationale, pour remettre en route complètement la Feuille de route.
Q - Une dernière question à propos du Liban : vous avez parlé avec Condoleezza Rice de la crise qui s'y déroule en ce moment. Que souhaitez-vous pour le Liban ?
R - La seule chose que nous souhaitons, c'est un Liban souverain et démocratique. C'est la seule volonté de notre pays qui ne peut pas, qui ne sera jamais indifférent à ce qui s'y passe, parce que nous avons trop de liens fraternels avec le Liban. C'est notre seul souci. Notre seul agenda, qui est d'ailleurs celui de toute la communauté internationale, c'est que le peuple libanais, qui s'exprime avec beaucoup de courage, beaucoup de dignité dans la rue, retrouve, à l'occasion des prochaines élections - qui doivent être des élections démocratiques, transparentes, rigoureuses - sa souveraineté et sa liberté.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)
(Entretien avec CNN International, à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Tout d'abord, merci de nous accorder cet entretien. Je voudrais d'abord vous interroger sur votre conversation avec la secrétaire d'Etat Rice aujourd'hui et, en particulier, si vous avez évoqué l'Iran, avez-vous obtenu, des idées, un message, un engagement des Etats-Unis ? Sur ce sujet, pourrait-il y avoir des incitations offertes aux Iraniens en retour pour une coopération sur la question nucléaire ?
R - Nous parlons avec les Américains depuis longtemps de notre dialogue, de notre négociation avec l'Iran. Nous n'en avons pas parlé particulièrement aujourd'hui. Nous l'avions fait davantage à Bruxelles, il y a quelques jours, avec le président Bush et Condi Rice, pour demander aux Américains de bien comprendre notre démarche, qui est une démarche politique et qui vaut mieux que toutes les autres options. Pour nous aider à réussir cette démarche, qui vise clairement à obtenir de l'Iran, l'interruption, le renoncement, à toutes les activités pouvant conduire à l'arme nucléaire et, en même temps, à proposer à l'Iran un dialogue économique, politique, commercial, une coopération, y compris dans le domaine de l'énergie nucléaire civile, nous avons besoin de la compréhension et du soutien des Américains dans cette démarche, comme des Russes ou des Chinois, comme nous avons déjà celui de tous les autres Européens.
Q - Avez-vous reçu aujourd'hui des signes que les Etats-Unis vous aideraient dans le sens que vous avez suggéré, par des incitations de toute sorte, dans le domaine commercial, par exemple en soutenant la candidature de l'Iran à l'OMC, y a-t-il quelque chose de précis aujourd'hui ?
R - Nous avons, à l'occasion de notre rencontre avec le président Bush à Bruxelles, évoqué le soutien que nous demandons aux Américains, notamment pour les négociations de l'Iran avec l'Organisation mondiale du commerce et également cette coopération, dont nous avons besoin, dont l'Iran a besoin, pour l'aviation civile. Je sais que les Etats-Unis étudient ces demandes et voient comment, et dans quel esprit, ils peuvent nous aider à réussir cette négociation sur tous ces plans. Nous n'avons pas évoqué aujourd'hui les réponses des Etats-Unis. Les Américains étudient leurs réponses.
Q - Vous n'en avez même pas parlé aujourd'hui ? Le sujet n'a pas été abordé ?
R - Je vous ai déjà répondu à deux reprises que nous n'avions pas évoqué ce sujet.
Q - Si vous n'en avez pas parlé aujourd'hui, dans quels délais pensez-vous qu'il est nécessaire d'en parler et d'obtenir une réponse, pour avoir, sur la table, des éléments incitatifs en quelque sorte ?
R - Nous sommes avec l'Iran dans une négociation qui a commencé il y a plus d'un an, avec une étape importante au mois de novembre lorsque nous avons obtenu un premier accord intermédiaire. Nous sommes en train de discuter d'un arrangement définitif avec l'Iran qui portera à la fois sur le renoncement à l'arme nucléaire et puis sur des avancées dont ce grand pays a besoin pour son énergie, son développement économique et la place qu'il peut tenir dans cette région pour la stabilité. Donc, c'est dans les prochaines semaines que nous devrons continuer à avancer. Nous avons reçu le docteur Rohani à Paris il y a quelques jours, nous continuons à travailler avec l'Iran, avec notamment nos collègues allemands et anglais.
Q - Etes-vous, les trois pays européens, prêts à imposer des sanctions à l'Iran si celui-ci ne respecte pas ses obligations et les promesses qu'il vous a faites ?
R - Prenons les choses dans l'ordre et donnons à cette négociation politique, diplomatique toutes les chances de réussite. C'est cela l'état d'esprit qui est le nôtre avant d'imaginer autre chose. Donc, je ne répondrai pas à votre question, sauf pour dire que les Iraniens savent très précisément que, si nous échouons dans cette négociation politique et diplomatique, alors nous serons tous d'accord, les Européens et les autres, pour poser cette question au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - S'agissant de la conférence d'aujourd'hui, et des autres événements qui se déroulent au Moyen-Orient en ce moment, ce qui se passe au Liban, en Syrie, ce qui se passe en Egypte où le président a parlé pour la première fois d'élections multipartites, les élections en Irak, y a-t-il un vent nouveau de démocratie dans l'air ? La vision du président Bush a-t-elle commencé à porter ses fruits ?
R - Nous avons été très heureux d'entendre cet appel du président Bush à la démocratie dans le monde. Les Européens ne sont pas surpris par ces appels, puisque c'est l'essence même du projet européen que d'être un projet démocratique. On voit en Ukraine et dans les anciens pays de l'Europe centrale, orientale et baltique, que ce modèle démocratique européen conduit à un progrès vers la démocratie. Nous avons été, je le rappelle, les Européens, à l'origine de la Déclaration des Droits de l'Homme. Donc, tout ce qui peut conduire les autres régions du monde à aller vers la démocratie va dans le bon sens et nous pouvons aller avec les Américains dans cette direction avec, peut-être, notre propre culture qui est de dire : respectons ces peuples, ne plaquons pas la démocratie de l'extérieur, faisons confiance aux peuples, comme on le voit en Ukraine, comme on le voit au Togo, comme on le voit au Liban. Les peuples doivent être respectés, encouragés vers la démocratie. Et puis, il y a aussi pour consolider la démocratie un autre enjeu, qui est celui de la justice. Je crois que la démocratie a plus de chance quand il y a davantage de justice.
Q - Sur la conférence elle-même, que voulez-vous en voir sortir pour le soutien aux Palestiniens et au Processus de paix au Proche-Orient ?
R - Cette Conférence à Londres, que Tony Blair a organisée, est faite pour accompagner l'Autorité palestinienne, le nouveau président Mahmoud Abbas qui a été élu, je le rappelle, de manière démocratique, légitime et qui fait preuve de beaucoup de courage, comme d'ailleurs, de l'autre côté, Ariel Sharon lui aussi en se retirant de Gaza. Cette conférence de Londres est faite pour réussir, avec l'Autorité palestinienne, les premières étapes, les premières réformes. Puis, le moment va venir, lorsqu'il y aura les élections palestiniennes, lorsque le retrait de Gaza sera opérationnel, de prévoir une conférence plus large. Voilà ce que j'attends : une conférence plus large, une conférence internationale, avec toute la communauté internationale autour, et avec les Israéliens et les Palestiniens.
Q - Ce n'est pas un secret que la France et les Etats-Unis ont eu des divergences sur la guerre en Irak. Mais pensez-vous, maintenant que les élections ont eu lieu, que le projet démocratique marche en Irak ?
R - Le seul moyen de sortir l'Irak de cette tragédie, c'est la démocratie, c'est la politique, c'est un processus politique que nous avons voulu et souhaité dans le cadre des Nations unies. J'ai travaillé avec Colin Powell à la résolution 1546 qui jalonne les différentes étapes de ce processus politique. Mon pays a contribué aux décisions du Club de Paris pour la dette irakienne. J'ai participé à la Conférence de Charm el-Cheikh avec tous les pays de la région pour prévoir l'organisation de ces élections. Nous avons été heureux qu'elles aient eu lieu et que le peuple irakien démontre ce courage et cette détermination. C'est la première marche et maintenant, il faut préparer la seconde marche, la Constitution, l'organisation territoriale de l'Irak, de nouveaux votes. On ne sortira de cette tragédie que par les élections et la démocratie.
Q - S'agissant du Liban, que pensez-vous qu'il sortira de ces manifestations dans les rues auxquelles on assiste ? Que fait la France à ce propos pour voir comment se jouera le résultat ?
R - Notre seul agenda, notre seule ambition pour le Liban, c'est qu'il retrouve sa liberté et sa souveraineté politique, dont il a été privé en raison de l'occupation par des soldats étrangers, par des services étrangers. C'est ce que nous avons voulu faire avec les Américains, et toute la communauté internationale, à travers une résolution des Nations unies qui a été approuvée à l'unanimité et qui demande le retrait des forces et des services étrangers. C'était avant l'assassinat de Rafic Hariri et, aujourd'hui, nous avons la même détermination, dans le cadre des Nations unies, à obtenir la liberté, la démocratie et la souveraineté du Liban. Et c'est au fond ce que demande le peuple libanais. Il le fait, avec beaucoup de courage et de dignité, dans la rue et le moment de vérité, ce sera dans quelques semaines les élections qui doivent être démocratiques et libres.
Q - Ce pouvoir du peuple est une surprise, ces manifestations dans les rues sont une surprise, croyez-vous que cela entraînera une réaction de la Syrie, pensez-vous que cela puisse aller aussi loin ?
R - Je crois que l'assassinat épouvantable de Rafic Hariri, et de beaucoup d'autres gens qui l'entouraient, a provoqué un vrai choc et que la population, le peuple du Liban, veut dire : "ça suffit, ça suffit, nous voulons être libres, nous voulons être maîtres de notre destin". Et je pense que tous les pays, notamment la Syrie, doivent faire très attention à cette volonté populaire qui s'exprime. Ce qui est encourageant, c'est qu'elle s'exprime là comme elle s'est exprimée dans d'autres endroits et dans d'autres circonstances. Il y a un mouvement que l'Europe a toujours souhaité, encouragé pour la souveraineté des peuples et leur liberté.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement le Premier ministre du Royaume-Uni, M. Tony Blair, et aussi Jack Straw et leurs équipes.
Après quatre ans de violences et de désespoir, l'espoir est à nouveau là. Il est fragile. On l'a vu avec l'odieux attentat de Tel Aviv.
Je suis revenu début février d'Israël et des Territoires palestiniens avec la conviction qu'il y a un vrai courage des deux côtés et la volonté de coopérer. Mais les deux côtés ont besoin de la communauté internationale.
Nous savons les gestes positifs qui ont eu lieu.
Du côté palestinien, la renonciation officielle à l'intifada armée et les premiers remaniements dans les services de sécurité.
Du côté israélien, la libération de quelques centaines de prisonniers palestiniens, l'annonce du transfert du contrôle sécuritaire des villes de Cisjordanie, la retenue observée dans les activités militaires et, enfin, la confirmation du plan de retrait de Gaza.
Kofi Annan nous l'a dit : "nous devons consolider, encourager, aller plus loin, ici, en particulier, aux côtés de l'Autorité palestinienne".
Vous avez, Monsieur le Président, un programme de réformes courageuses et nous voulons vous appuyer.
Le chantier de la gouvernance, d'abord.
Vous préparez l'Etat palestinien qui doit être notre horizon proche. Nous ne pourrons demander aux Palestiniens de mettre en place des structures étatiques idéales avant même d'avoir un Etat. Toutes ces étapes sont importantes : les élections municipales sur l'ensemble de l'année et législatives le 17 juillet. Mon pays enverra des observateurs.
Il y a la réforme de la justice et de la fonction publique.
Là encore, mon pays concentrera son appui à vos efforts : formation des cadres, création d'un centre de droit à l'université de Bir Zeit, formation des juges.
Le chantier de la sécurité, ensuite.
Nous savons tous que c'est là le point clé. Vous avez engagé des réformes sécuritaires. Une équipe européenne de soutien à la police est en place à Ramallah et à Gaza. Ne peut-on mettre en place un mécanisme de surveillance sur le modèle de celui créé en 1996 à la frontière israélo-libanaise ?
Il y a la vie quotidienne.
La population vit dans des conditions économiques, humanitaires et sociales difficiles, indignes. J'ai pu le voir à Gaza.
Changer cette situation exige vos efforts, d'abord ; les efforts d'Israël, ensuite, pour alléger les obstacles à la circulation, pour ouvrir les Territoires vers la terre, vers la mer, dans les airs ; la contribution financière de la communauté internationale ; les investissements privés (conférence de levée de fonds avec la Banque mondiale).
Mon pays est prêt à coopérer pour relancer le projet du port de Gaza. Il y a aussi l'aéroport. Nous souhaitons que ces infrastructures soient préservées, protégées, garanties.
Tout cela constitue le programme et les obligations des Palestiniens au titre de la première phase de la Feuille de route.
Le rôle des autorités israéliennes est donc essentiel pour améliorer la situation humanitaire dans les Territoires palestiniens et pour aller vers un retrait des Territoires sur les lignes de septembre 2000. Le gel de la colonisation doit également être réel. Il faut aussi que le mur, actuellement construit par Israël, coïncide avec la ligne verte comme la loi internationale le demande.
Voilà les conditions pour franchir dans un esprit de confiance les six prochains mois. Nous avons un horizon : deux Etats, nous avons un moyen avec la Feuille de route.
Une dynamique a été lancée à Charm el-Cheikh. La conférence de Londres s'inscrit dans cette dynamique. Il sera ensuite temps de réunir une conférence internationale pour étudier les moyens de passer rapidement à la deuxième et à la troisième phase de la Feuille de route afin de relancer à brève échéance les négociations sur le statut final. Il faudra, avec vous et Ariel Sharon, suivre ces étapes, accompagner ensemble ces reformes et organiser ce nouveau rendez-vous à l'automne. Cette conférence pourrait être réunie au deuxième semestre 2005, après le désengagement de Gaza et du Nord de la Cisjordanie.
Le président Bush a dit à Bruxelles quelque chose que je crois juste depuis longtemps : la paix au Proche-Orient doit être en tête de l'agenda de la nouvelle relation entre l'Europe et les Etats-Unis.
Nous sommes co-responsables de cette dynamique ; c'est ce que signifie la réunion d'aujourd'hui.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2005)
(Entretien avec RFI à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Monsieur le Ministre, on a donc vu cette cassette où on voit la journaliste française Florence Aubenas lancer un appel à l'aide notamment au début lorsqu'elle évoque Didier Julia Quelle est votre réaction ?
R - Nous avons pris connaissance de ces images, qui ne sont d'ailleurs pas datées, qui confirment - c'est très important - que Florence Aubenas est vivante et c'est une bonne nouvelle. Nous avons eu d'autres preuves de vie de Florence Aubenas il y a plusieurs jours et j'avais l'occasion de montrer à sa famille, il y a quelques jours au Quai d'Orsay, les images de Florence. Nous analysons toutes ces images, nous devons vérifier leur chronologie. Nous devons analyser les images, dans toutes leurs dimensions. C'est vrai qu'il lui a été demandé, dans ces dernières images, de lancer un appel pour sa propre libération, et elle a cité le nom d'un parlementaire français qui s'est dit à la disposition des autorités françaises et du gouvernement. Nous allons maintenant prendre le temps d'analyser ces images, d'en faire l'expertise le plus sérieusement possible. Et nous prendrons ensuite la décision qui s'impose. Le seul souci, que nous gardons depuis le premier jour où elle a disparu - comme cela été le cas pendant toute la période où nous nous sommes occupés d'obtenir la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot - le seul souci que nous devons avoir, je vous remercie de le comprendre, c'est celui de sa sécurité.
Q - Sur le Liban, vous avez fait une déclaration importante avec votre homologue américain Condoleezza Rice. Le ton du communiqué est assez menaçant vis à vis de la Syrie. C'est un dernier avertissement avant éventuellement des mesures plus concrètes contre Damas ?
R - Il n'y a pas de menaces. Notre seul souci, c'est que tout le monde comprenne, en Syrie en particulier, que le Liban doit être libre, que le Liban doit retrouver sa souveraineté. Et c'est ce que disent les Libanais eux-mêmes dans la rue, avec beaucoup de dignité, avec beaucoup de force, avec beaucoup de courage. Ils en ont assez de ne pas être maîtres de leur propre destin. Nous devons répondre à cette aspiration. Il y a une espérance au Liban, on le voit dans la rue aujourd'hui à Beyrouth. Cette espérance passe par des élections libres et transparentes. Et c'est tout !
Tout ce que nous demandons dans cette résolution 1559 que les Américains et les Français ont soutenue - mais que toute la communauté internationale a soutenue également - c'est que la Syrie retire ses troupes et ses services spéciaux, pour que des élections libres et transparentes puissent avoir lieu au Liban au printemps prochain, et que le Liban, que les Libanais, puissent être maîtres de leur destin.
Q - Le délai est donc proche... ?
R - Le moment de vérité sera celui des élections législatives. Nous avons dit cela avant l'assassinat de Rafic Hariri, et nous le demandons avec la même détermination, en même temps que nous demandons - Kofi Annan est très soucieux de cela - que la vérité soit faite sur ceux qui ont perpétré, qui ont commandité cet assassinat.
Q - Sur le sujet même de la conférence d'aujourd'hui, quels sont les principales avancées ? Comment qualifieriez-vous cette conférence et ses résultats ?
R - Tout le monde est là aujourd'hui à Londres. Tous les pays, et le Secrétaire général des Nations unies, qui peuvent aider, d'une manière où d'une autre, l'Autorité palestinienne, puisque c'est de cela qu'il s'agit, autour de Mahmoud Abbas, le nouveau président palestinien et de son gouvernement. Nous devons aider l'Autorité palestinienne à réussir ses réformes, à rétablir la sécurité, à créer les conditions du développement économique, et une meilleure gouvernance aussi. Il y a de progrès, beaucoup de progrès à faire de la part de l'Autorité palestinienne. Et les dirigeants, que nous avons rencontrés aujourd'hui, sont prêts.
Mais ils ne peuvent pas y parvenir tous seuls, ils ont besoin des Israéliens sur certains sujets, ils ont besoin de la communauté internationale. Aujourd'hui, nous sommes venus dire à tout le monde que ce Processus de paix, cette nouvelle dynamique qui est enclenchée depuis quelques semaines, nous en sommes, co-responsables. Et c'est tellement important que la paix revienne entre les Israéliens et les Palestiniens. Cela nous concerne tous. Cette conférence est la première preuve que les choses vont mieux. Il en faudrait d'autres dans les prochains mois, avant, nous l'espérons, une conférence internationale, où se retrouveront les dirigeants israéliens et les dirigeants palestiniens, j'espère avant la fin de l'année.
Q - Et dans l'immédiat, il y aura bientôt une conférence des donateurs ?
R - Il faut une conférence des donateurs, avec la Banque Mondiale, pour voir comment aider au développement économique, à la reconstruction des Territoires palestiniens, à leur viabilité. Le peuple palestinien a besoin d'un avenir, les jeunes Palestiniens ont besoin d'un futur, et c'est cela qui est en cause.
Q - Et tout le monde est là sauf les Israéliens. Est-ce que cela a été pénalisant ?
R - Mais l'objet de cette conférence, dont Tony Blair a eu l'initiative, était de l'organiser autour de et avec l'Autorité palestinienne, parce que c'est elle qui a le plus de problèmes en même temps à régler. Et puis, on doit régler un certain nombre de problèmes aussi pour le Processus de paix, comme celui de la sécurité. Donc, c'était la règle du jeu aujourd'hui d'aider et d'entourer l'Autorité palestinienne, de lui demander de prendre des engagements et de l'aider à tenir ses engagements pour que l'on puisse, étape par étape, remettre en marche cette Feuille de route et aboutir à ce que nous souhaitons tous, c'est-à-dire un Etat d'Israël vivant en sécurité - et la France ne transigera jamais avec la sécurité d'Israël - et un Etat palestinien lui aussi viable et démocratique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)
(Entretien avec BBC World, à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Comment évaluez-vous ce qui a été accompli aujourd'hui ? Le texte est long, ce qui suggère que beaucoup de questions concrètes ont été abordées.
R - C'est très important qu'une telle Conférence ait lieu à Londres, aujourd'hui, pour accompagner l'Autorité palestinienne et le président Mahmoud Abbas, qui prend des décisions courageuses, difficiles comme d'ailleurs, de l'autre côté, Ariel Sharon prend des décisions courageuses en se retirant de Gaza. Nous voulons accompagner ces réformes et les encourager. Naturellement, ce sont les premières étapes. Elles doivent être articulées, comme la Feuille de route le prévoit, avec d'autres étapes pour conduire ces deux Etats à vivre côte à côte en sécurité.
Q - Mahmoud Abbas est le président de l'Autorité palestinienne depuis assez peu de temps. Avez-vous déjà eu l'occasion de vous forger une image positive de l'homme ? Vous semble-t-il très différent de son prédécesseur, croyez-vous que vous pourrez travailler avec lui plus efficacement ?
R - Ce n'est pas la première fois que je rencontre Mahmoud Abbas. Je l'avais vu à Paris lorsque le président Arafat était hospitalisé. Je l'ai revu à Ramallah où j'ai dîné avec lui il y a quelques jours, début février. C'est un homme qui a non seulement du courage personnel, mais aussi du courage politique, une vraie autorité. D'ailleurs, son autorité est consolidée par un vote populaire qu'il ne faut pas oublier. Les Palestiniens ont donné la preuve d'une vraie maturité, d'une vraie responsabilité par leur vote démocratique. Et je pense qu'il a la capacité d'être le partenaire de la paix pour Israël et pour nous tous.
Q - Alors, vers quoi allons-nous maintenant ? Mahmoud Abbas a dit que c'était très bien de parler de la sécurité mais que, sans perspective politique adéquat, on pouvait aboutir à un échec. Souhaitez-vous une reprise urgente des négociations avec Israël sur le statut final ?
R - Aujourd'hui, nous avons parlé de sécurité. C'est un point clé. Nous avons parlé de gouvernance, même si ce ne sera pas idéal, il faut construire les premières structures d'un Etat palestinien. Et puis, nous avons parlé de la vie quotidienne des Palestiniens qui ont besoin de vivre autrement que dans la misère. Il faut améliorer la vie quotidienne, il faut que les gens retrouvent l'espoir, les jeunes, un futur, un emploi. Nous avons parlé de faire revivre le premier territoire qui va être libéré, Gaza, avec un port et un aéroport.
A partir d'aujourd'hui, il faut franchir les étapes une à une, les réformes en Palestine, le retrait de Gaza, l'élection en Palestine au mois de juillet. Je pense qu'assez vite après, lorsque ces toutes premières étapes auront été franchies, le moment viendra, à la fin de l'année 2005, d'organiser une conférence internationale avec tout le monde autour de la table, Israéliens, Palestiniens et toute la communauté internationale, pour remettre en route complètement la Feuille de route.
Q - Une dernière question à propos du Liban : vous avez parlé avec Condoleezza Rice de la crise qui s'y déroule en ce moment. Que souhaitez-vous pour le Liban ?
R - La seule chose que nous souhaitons, c'est un Liban souverain et démocratique. C'est la seule volonté de notre pays qui ne peut pas, qui ne sera jamais indifférent à ce qui s'y passe, parce que nous avons trop de liens fraternels avec le Liban. C'est notre seul souci. Notre seul agenda, qui est d'ailleurs celui de toute la communauté internationale, c'est que le peuple libanais, qui s'exprime avec beaucoup de courage, beaucoup de dignité dans la rue, retrouve, à l'occasion des prochaines élections - qui doivent être des élections démocratiques, transparentes, rigoureuses - sa souveraineté et sa liberté.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)
(Entretien avec CNN International, à Londres le 1er mars 2005) :
Q - Tout d'abord, merci de nous accorder cet entretien. Je voudrais d'abord vous interroger sur votre conversation avec la secrétaire d'Etat Rice aujourd'hui et, en particulier, si vous avez évoqué l'Iran, avez-vous obtenu, des idées, un message, un engagement des Etats-Unis ? Sur ce sujet, pourrait-il y avoir des incitations offertes aux Iraniens en retour pour une coopération sur la question nucléaire ?
R - Nous parlons avec les Américains depuis longtemps de notre dialogue, de notre négociation avec l'Iran. Nous n'en avons pas parlé particulièrement aujourd'hui. Nous l'avions fait davantage à Bruxelles, il y a quelques jours, avec le président Bush et Condi Rice, pour demander aux Américains de bien comprendre notre démarche, qui est une démarche politique et qui vaut mieux que toutes les autres options. Pour nous aider à réussir cette démarche, qui vise clairement à obtenir de l'Iran, l'interruption, le renoncement, à toutes les activités pouvant conduire à l'arme nucléaire et, en même temps, à proposer à l'Iran un dialogue économique, politique, commercial, une coopération, y compris dans le domaine de l'énergie nucléaire civile, nous avons besoin de la compréhension et du soutien des Américains dans cette démarche, comme des Russes ou des Chinois, comme nous avons déjà celui de tous les autres Européens.
Q - Avez-vous reçu aujourd'hui des signes que les Etats-Unis vous aideraient dans le sens que vous avez suggéré, par des incitations de toute sorte, dans le domaine commercial, par exemple en soutenant la candidature de l'Iran à l'OMC, y a-t-il quelque chose de précis aujourd'hui ?
R - Nous avons, à l'occasion de notre rencontre avec le président Bush à Bruxelles, évoqué le soutien que nous demandons aux Américains, notamment pour les négociations de l'Iran avec l'Organisation mondiale du commerce et également cette coopération, dont nous avons besoin, dont l'Iran a besoin, pour l'aviation civile. Je sais que les Etats-Unis étudient ces demandes et voient comment, et dans quel esprit, ils peuvent nous aider à réussir cette négociation sur tous ces plans. Nous n'avons pas évoqué aujourd'hui les réponses des Etats-Unis. Les Américains étudient leurs réponses.
Q - Vous n'en avez même pas parlé aujourd'hui ? Le sujet n'a pas été abordé ?
R - Je vous ai déjà répondu à deux reprises que nous n'avions pas évoqué ce sujet.
Q - Si vous n'en avez pas parlé aujourd'hui, dans quels délais pensez-vous qu'il est nécessaire d'en parler et d'obtenir une réponse, pour avoir, sur la table, des éléments incitatifs en quelque sorte ?
R - Nous sommes avec l'Iran dans une négociation qui a commencé il y a plus d'un an, avec une étape importante au mois de novembre lorsque nous avons obtenu un premier accord intermédiaire. Nous sommes en train de discuter d'un arrangement définitif avec l'Iran qui portera à la fois sur le renoncement à l'arme nucléaire et puis sur des avancées dont ce grand pays a besoin pour son énergie, son développement économique et la place qu'il peut tenir dans cette région pour la stabilité. Donc, c'est dans les prochaines semaines que nous devrons continuer à avancer. Nous avons reçu le docteur Rohani à Paris il y a quelques jours, nous continuons à travailler avec l'Iran, avec notamment nos collègues allemands et anglais.
Q - Etes-vous, les trois pays européens, prêts à imposer des sanctions à l'Iran si celui-ci ne respecte pas ses obligations et les promesses qu'il vous a faites ?
R - Prenons les choses dans l'ordre et donnons à cette négociation politique, diplomatique toutes les chances de réussite. C'est cela l'état d'esprit qui est le nôtre avant d'imaginer autre chose. Donc, je ne répondrai pas à votre question, sauf pour dire que les Iraniens savent très précisément que, si nous échouons dans cette négociation politique et diplomatique, alors nous serons tous d'accord, les Européens et les autres, pour poser cette question au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - S'agissant de la conférence d'aujourd'hui, et des autres événements qui se déroulent au Moyen-Orient en ce moment, ce qui se passe au Liban, en Syrie, ce qui se passe en Egypte où le président a parlé pour la première fois d'élections multipartites, les élections en Irak, y a-t-il un vent nouveau de démocratie dans l'air ? La vision du président Bush a-t-elle commencé à porter ses fruits ?
R - Nous avons été très heureux d'entendre cet appel du président Bush à la démocratie dans le monde. Les Européens ne sont pas surpris par ces appels, puisque c'est l'essence même du projet européen que d'être un projet démocratique. On voit en Ukraine et dans les anciens pays de l'Europe centrale, orientale et baltique, que ce modèle démocratique européen conduit à un progrès vers la démocratie. Nous avons été, je le rappelle, les Européens, à l'origine de la Déclaration des Droits de l'Homme. Donc, tout ce qui peut conduire les autres régions du monde à aller vers la démocratie va dans le bon sens et nous pouvons aller avec les Américains dans cette direction avec, peut-être, notre propre culture qui est de dire : respectons ces peuples, ne plaquons pas la démocratie de l'extérieur, faisons confiance aux peuples, comme on le voit en Ukraine, comme on le voit au Togo, comme on le voit au Liban. Les peuples doivent être respectés, encouragés vers la démocratie. Et puis, il y a aussi pour consolider la démocratie un autre enjeu, qui est celui de la justice. Je crois que la démocratie a plus de chance quand il y a davantage de justice.
Q - Sur la conférence elle-même, que voulez-vous en voir sortir pour le soutien aux Palestiniens et au Processus de paix au Proche-Orient ?
R - Cette Conférence à Londres, que Tony Blair a organisée, est faite pour accompagner l'Autorité palestinienne, le nouveau président Mahmoud Abbas qui a été élu, je le rappelle, de manière démocratique, légitime et qui fait preuve de beaucoup de courage, comme d'ailleurs, de l'autre côté, Ariel Sharon lui aussi en se retirant de Gaza. Cette conférence de Londres est faite pour réussir, avec l'Autorité palestinienne, les premières étapes, les premières réformes. Puis, le moment va venir, lorsqu'il y aura les élections palestiniennes, lorsque le retrait de Gaza sera opérationnel, de prévoir une conférence plus large. Voilà ce que j'attends : une conférence plus large, une conférence internationale, avec toute la communauté internationale autour, et avec les Israéliens et les Palestiniens.
Q - Ce n'est pas un secret que la France et les Etats-Unis ont eu des divergences sur la guerre en Irak. Mais pensez-vous, maintenant que les élections ont eu lieu, que le projet démocratique marche en Irak ?
R - Le seul moyen de sortir l'Irak de cette tragédie, c'est la démocratie, c'est la politique, c'est un processus politique que nous avons voulu et souhaité dans le cadre des Nations unies. J'ai travaillé avec Colin Powell à la résolution 1546 qui jalonne les différentes étapes de ce processus politique. Mon pays a contribué aux décisions du Club de Paris pour la dette irakienne. J'ai participé à la Conférence de Charm el-Cheikh avec tous les pays de la région pour prévoir l'organisation de ces élections. Nous avons été heureux qu'elles aient eu lieu et que le peuple irakien démontre ce courage et cette détermination. C'est la première marche et maintenant, il faut préparer la seconde marche, la Constitution, l'organisation territoriale de l'Irak, de nouveaux votes. On ne sortira de cette tragédie que par les élections et la démocratie.
Q - S'agissant du Liban, que pensez-vous qu'il sortira de ces manifestations dans les rues auxquelles on assiste ? Que fait la France à ce propos pour voir comment se jouera le résultat ?
R - Notre seul agenda, notre seule ambition pour le Liban, c'est qu'il retrouve sa liberté et sa souveraineté politique, dont il a été privé en raison de l'occupation par des soldats étrangers, par des services étrangers. C'est ce que nous avons voulu faire avec les Américains, et toute la communauté internationale, à travers une résolution des Nations unies qui a été approuvée à l'unanimité et qui demande le retrait des forces et des services étrangers. C'était avant l'assassinat de Rafic Hariri et, aujourd'hui, nous avons la même détermination, dans le cadre des Nations unies, à obtenir la liberté, la démocratie et la souveraineté du Liban. Et c'est au fond ce que demande le peuple libanais. Il le fait, avec beaucoup de courage et de dignité, dans la rue et le moment de vérité, ce sera dans quelques semaines les élections qui doivent être démocratiques et libres.
Q - Ce pouvoir du peuple est une surprise, ces manifestations dans les rues sont une surprise, croyez-vous que cela entraînera une réaction de la Syrie, pensez-vous que cela puisse aller aussi loin ?
R - Je crois que l'assassinat épouvantable de Rafic Hariri, et de beaucoup d'autres gens qui l'entouraient, a provoqué un vrai choc et que la population, le peuple du Liban, veut dire : "ça suffit, ça suffit, nous voulons être libres, nous voulons être maîtres de notre destin". Et je pense que tous les pays, notamment la Syrie, doivent faire très attention à cette volonté populaire qui s'exprime. Ce qui est encourageant, c'est qu'elle s'exprime là comme elle s'est exprimée dans d'autres endroits et dans d'autres circonstances. Il y a un mouvement que l'Europe a toujours souhaité, encouragé pour la souveraineté des peuples et leur liberté.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2005)