Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à La Chaîne info le 10 février 2004, sur le débat concernant le projet de loi sur la laïcité à l'école publique.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. On va parler de la loi sur la laïcité qui va recueillir une large majorité cet après-midi à l'Assemblée nationale. Au départ, vous étiez plutôt réservé pour une loi, finalement vous avez été convaincu. Pourquoi ?
R- "J'étais plutôt pour la loi, mais je souhaitais, et je crois que c'est ce qui arrive, un vrai consensus. Et c'est, de ce point de vue-là, un vrai succès pour le président de la République. Je crois que la commission qui a eu lieu auparavant a largement déminé les inquiétudes. Je pense aussi que c'est un sujet qui est de mieux en mieux compris par nos compatriotes musulmans qui pouvaient y voir quand même un signe négatif à leur égard."
Q- Vous pensez à la manifestation de samedi qui a eu beaucoup moins de succès.
R- "Par exemple, qui a été un échec absolu. Et je pense aussi à ce qu'ont dit les différents responsables musulmans, les différents membres du CFCM, je pense au recteur Boubakeur, je pense même à l'UOIF. C'est quelque chose qui est assez bien accepté."
Q- Vous voulez dire que l'UOIF maintenant accepte la loi ?
R- "Je crois que oui. Je crois que, les déclarations de ce point de vue-là ont été plutôt rassurantes. Et donc, c'est une loi qui peut faire consensus, et qui préserve cette originalité française qui est notre manière de vivre ensemble. La France est un vrai pays d'intégration, et un pays d'intégration qui, depuis plus de 100 ans, même le XIXème siècle, a vraiment réussi à faire vivre ensemble des gens d'origines diverses, avec parfois de fortes différences. Et la loi sur la laïcité, le principe de laïcité, qui a été très douloureux pour les catholiques au début du siècle, il ne faut pas oublier cela - on a nationalisé les églises, c'est ce qui s'est passé -, c'est une loi qui, au bout du compte, avec le temps, a été une manière pour chacun de respecter la différence de l'autre. Elle pose des limites, elle organise notre coexistence. On voit à l'Assemblée nationale, finalement, c'est plutôt bien. J.-P. Raffarin a été vraiment très efficace. Il a su trouver le consensus, y compris avec le PS et je pense que c'est bien."
Q- La loi ne résout rien, disent ses opposants. Le dialogue c'est ce qui va permettre justement de sauvegarder l'unité, de résoudre les cas difficiles...
R- "La loi résout un certain nombre de choses. Vous savez comment cette affaire a commencé : elle a commencé quand le Conseil d'Etat, en 1992, a, à l'inverse de ce qu'il faisait jusque-là, voulu vérifier la légalité des règlements des lycées et collèges. Et il a interdit, le Conseil d'Etat, l'interdiction du port du voile dans les établissements publics. Il a interdit l'interdiction plus exactement. Et la loi va permettre l'interdiction. Naturellement, cela doit se faire dans la souplesse, dans le dialogue, comme cela se faisait avant 1992, c'est-à-dire que les enseignants..."
Q- En fait, il faut une loi pour contrer le Conseil d'Etat ?
R- "Il faut une loi pour poser un principe. C'est le rôle du législateur, quand il n'est pas d'accord avec le juge, il pose sa règle."
Q- Il y a consensus sur les grands principes mais pas sur tous les sujets en France, on le voit avec le jugement qui condamne A. Juppé. Par-delà l'émotion provoquée dans les rangs de l'UMP, il y a une polémique, d'ailleurs vous avez participé de cette polémique, à propos des réactions. R.-G. Schwartzenberg, qui est député PRG, mais qui est aussi professeur de droit constitutionnel, réclame des sanctions contre les ministres qui ont critiqué le jugement.
R- "Il n'est pas professeur de droit pénal, ce malheureux R.-G. Schwartzenberg..."
Q- Il n'a pas l'air si "malheureux" que ça...
R- "Je vais vous dire : l'article 534-25 qu'il invoque, il en invoque l'alinéa 1er, qui interdit de jeter le discrédit sur une décision de justice. Mais l'alinéa 2, celui qui vient juste après - il aurait dû poursuivre sa lecture - dit que l'alinéa qu'il cite ne s'applique pas quand il y a eu appel. Donc, franchement, il a manqué une bonne occasion de se taire."
Q- Donc, la liberté d'expression existe.
R- "Fort heureusement. D'ailleurs, on se souvient de ceux qui demandent le pourvoi en révision, l'affaire Seznek, chaque fois qu'il y a une grande émotion publique sur une affaire pénale, et qu'il y a un pourvoi en cassation, un appel, une demande en révision, la liberté d'expression est totale. On se souvient de Zola, qui avait été condamné pour son "J'accuse". Fort heureusement, ce temps est révolu. Et, en matière de justice, le meilleur tribunal c'est encore le tribunal de l'opinion quand il y a le sentiment d'une injustice. Or, ce n'est pas le cas d'A. Juppé."
Q- Vous voulez dire l'opinion ou le suffrage universel ?
R- "Non, non. Je dis que l'appel à l'opinion est un recours qui existe, d'une manière générale, dans une démocratie. Les juges ont jugé comme ils l'entendaient, en leur âme et conscience, et il n'y a pas de reproche à leur faire de ce point de vue-là. Simplement, on a le droit de faire appel. Et quand on fait appel, c'est parce qu'on n'est pas content du jugement, et on le critique nécessairement. Et il faut accepter, c'est le principe d'une démocratie."
Q- Vous parlez de liberté. L'opposition, qui se réveille un peu tardivement, il faut le dire, contre la loi Perben II qui doit être adoptée demain à l'Assemblée définitivement, dit : c'est une loi "liberticide". Et ceux qui s'opposent à cette loi disent : de toute façon, le Conseil constitutionnel va la rejeter.
R- "On verra bien. Je n'ai pas suivi ce texte. Il faut demander à D. Perben."
Q- L'avocat que vous êtes n'a pas suivi...
R- "Mais je suis dans mon projet de texte sur les responsabilités locales qui passe dans peu de jours. Et je laisserai à D. Perben le soin de défendre un texte pour lequel il a beaucoup travaillé."
Q- Votre texte justement sur la décentralisation, est-ce que la décentralisation va nécessiter plus de fonctionnaires territoriaux ou moins de fonctionnaires territoriaux ? Et dans ce cas-là, est-ce que l'idée d'une prime au départ est une bonne idée ?
R- "La prime au départ est prévue pour des fonctionnaires d'Etat, d'administration centrale. C'est simplement une possibilité de plus qu'on leur offre. Ils peuvent rester dans leur administration d'origine, aller dans un autre service, entrer dans une entreprise qui va exercer maintenant les compétences, ou avoir une prime au départ. Donc, c'est une liberté de plus qui leur est donnée."
Q- Je reviens à la politique. Dimanche, vous vous êtes affiché "ostensiblement", on peut le dire, aux côtés de N. Sarkozy, au congrès de l'UMP...
R- "Attendez ! D'abord, N. Sarkozy est mon ami. Ensuite, je travaille avec lui au ministère de l'Intérieur, je suis son ministre délégué, et enfin nous sommes tous les deux élus des Hauts-de-Seine. Donc, vous n'imaginez tout de même pas que..."
Q- Je n'imagine rien, je constate.
R- "...que je puisse passer à un congrès sans être près de lui, être avec lui. Nous avons une histoire ancienne et je ne vois pas ce que cela peut avoir de choquant."
Q- Et vous avez l'intention de rester à ses côtés dans la conquête de l'UMP, puisque les candidatures sont ouvertes ?
R- "Nous verrons cela, le temps n'est pas encore arrivé. Mais c'est sûr que Nicolas a beaucoup de talent, que ce talent, la France en a besoin, et que, d'une certaine manière, quand je regarde les sondages, même s'il faut avoir un peu de scepticisme sur les sondages, ceci est reconnu quand même par beaucoup de Français, au-delà d'ailleurs des frontières partisanes, au-delà même de l'UMP. On a plutôt besoin de lui, et comme A. Juppé a annoncé son départ, c'est une chance pour l'UMP d'avoir des talents comme cela."
Q- Et donc, vous souhaitez qu'il soit candidat à la présidence ?
R- "C'est à lui d'en juger. Mais cela pourrait être un bon président."
Q- Et vous lancez un appel dans ce sens ?
R- "Je ne lance aucun appel. Vous savez, Nicolas est assez grand pour prendre ses décisions tout seul."
Q- Le matin "en se rasant"...?
R- "Même sans se raser."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2004)