Texte intégral
Je suis très fier de cette journée, je remercie tous ceux qui se sont exprimés et tous ceux qui ne l'ont pas fait. Christian Blanc, par exemple, qui m'a dit " Le temps de parole que je devais prendre, donne-le à nos amis ". De cette communion que nous avons ressentie tout au long de la journée, je voudrais en quelques mots faire apparaître un ou deux traits qui ont, me semble-t-il, traversé, servi de trait d'union à cette journée.
Le premier de ces traits sera sans doute surprenant pour qui a suivi la campagne électorale française : nous avons passé une pleine journée de débats, d'interventions, d'interpellations, de réflexions, de discours, sans qu'il y ait une seule allusion à la politique intérieure. Et je ne connais pas d'autre formation politique qui ait conduit ainsi le débat sur le sujet, c'est-à-dire la Constitution européenne, ce que cette Constitution signifie pour nous tous.
L'Europe a besoin du Oui de la France
Très brièvement, qu'est-ce qui est apparu tout au long des discours ? C'est que le sujet dont nous débattons et le vote que nous allons émettre font peser sur nos épaules une très lourde responsabilité.
J'ai abordé ce sujet dans mon introduction ce matin, un certain nombre d'entre vous n'étaient pas arrivés, mais je ne veux pas me répéter. Comme chacun des orateurs français et européens l'a dit à la tribune, le vote du 29 mai et dont nous avons la responsabilité ne concerne pas que nous-mêmes, il concerne autour de nous les 24 autres partenaires européens car, selon l'issue de ce vote, le visage de l'Europe sera changé et, à proprement parler, l'Europe existera ou n'existera pas encore.
Cette réalité est naturellement une réalité lourde, une responsabilité lourde à l'égard de ce qu'attend chacun des 24 autres pays.
Avez-vous jamais le souvenir d'avoir vu tant de responsables politiques en charge des affaires ou de leaders éminents dans d'autres pays européens venir à ce point participer à un débat politique français ? C'est que le débat n'est qu'en apparence un débat français. Il est en réalité le premier acte, l'acte fondateur de ce que recherche la Constitution et qu'elle crée en ayant permis l'organisation d'un débat autour de sa ratification, l'acte fondateur de la démocratie européenne.
Nous vivons ensemble le premier acte de notre nouvelle démocratie européenne. Au lieu de voir l'Europe extérieure aux citoyens, voilà qu'elle devient l'objet des citoyens. Au lieu d'avoir un débat national hexagonal, enfermé dans nos frontières, tout à coup le débat déborde les frontières et implique le destin des autres Européens.
C'est formidable de voir cela, car ce n'est pas autre chose que ce que voulait créer dans son texte la Constitution européenne. L'ayant créé dans son texte, elle le crée aujourd'hui dans le débat sur sa ratification. Elle en fait le premier événement de la démocratie européenne.
Le rêve européen
Deuxième observation, Marielle de Sarnez l'a faite, il n'y a pas que les 24 autres pays qui sont concernés par ce choix, il y a de par le monde, très loin ou très près, au Soudan, au Darfour évoqué et dont nous rentrons Francesco Rutelli et moi, il y a en Arménie, il y a chez les voisins et chez les peuples plus éloignés, une immense attente d'Europe car, selon que nous répondrons oui ou non à la Constitution, le visage de l'Europe ne sera pas le même mais, selon que l'Europe existera ou pas, le visage du monde ne sera pas le même, les valeurs défendues dans le monde ne seront pas les mêmes, les projets de société proposés à la planète ne seront pas les mêmes.
Nous connaissons des projets de société très impérieux, en développement puissant. Je pense naturellement à l'Amérique et à la Chine. Ils sont radicalement différents des nôtres.
Le projet de solidarité européen porte un très joli nom, il s'appelle " solidarité ". Il porte le nom emblématique, dans ses valeurs, du syndicat qui a libéré l'est de l'Europe, la Pologne et les pays qui l'entourent, qui a été le combat emblématique que vous avez mené en notre nom, vous les Polonais de Solidarnosc, vous avez mené un combat pour nous, tous les citoyens européens et du monde.
Aujourd'hui, le référendum d'une certaine manière porte sa part de combat pour vous les citoyens polonais et européens, ces valeurs sont explicitement énoncées dans la Constitution.
L'économie de marché dont pour la première fois on formule la vocation sociale. Cette idée que l'économie n'est pas une fin en soi, qu'elle est au service de l'Homme et de son épanouissement et qu'elle a comme but le plein emploi, un haut niveau de protection, le développement durable. Jean-Marie Pelt, tout ceci est un modèle qui ne ressemble pas aux autres et j'ai été frappé dans tous les discours de ce matin que les valeurs qui s'exprimaient, culturelles, morales, économiques, la recherche si j'osais je dirais spirituelles, que ces valeurs forment un ensemble, une architecture, un projet proposable à tous les peuples européens et, au travers d'eux, qui est un projet universel.
Cette Europe-là existe, l'Europe du projet existe, l'Europe morale, elle existe, il me semble que c'était frappant au travers de toutes les interventions de ce matin et ce projet n'est proposé nulle part ailleurs dans le monde, nulle part ailleurs sur la planète.
Nous sommes les détenteurs d'un projet à vocation universelle et ce projet n'aura pas la même portée ni la même force selon qu'il sera bâti sur une volonté politique, une union de citoyens, une démocratie européenne.
Voilà la conviction qui a traversé tous les discours ce matin, à une condition qui me semble-t-il est l'une des conditions du choix français pour l'Europe, c'est de considérer que l'Europe se fait avec les Européens et pas sans eux, c'est de considérer que nous avons beaucoup apporté au monde, à la planète. Et le monde à l'époque, c'était l'Europe, essentiellement. Nous avons notre tradition, notre charge d'Histoire et ce n'est pas quelqu'un qui est l'ami d'Henri IV qui va dire le contraire.
Nous avons vécu les grandeurs de la monarchie, la force et aussi la violence de la Révolution, l'édification de l'unité française sous les deux, sous la République et sous la monarchie, et tout cela n'était pas rien, mais les autres ont fait un chemin également respectable et admirable et il est impossible pour le peuple français, avec son héritage, son patrimoine, son ouverture au monde, de considérer que, désormais, tout ce qui va se faire en Europe doit se faire dans le moule français, hexagonal.
C'est un défaut de pensée, une perte d'intelligence française et c'est vrai en matière culturelle, sociale, économique et c'est vrai pour les services publics. Ceux qui nous entourent on fait du chemin, ce chemin est respectable et peut - et doit - nous apporter quelque chose à nous Français.
La France a besoin de l'Europe
Il me semble qu'il y a là deux réflexions à conduire dont la première concerne cette fameuse affaire de " Plan B ". Je suis extrêmement perplexe quant à l'expression, car je ne sais pas ce que pour un Français non familier de la langue diplomatique ou militaire des états-majors cela peut bien signifier. Disons un plan de rechange.
Existe-t-il une Constitution de rechange derrière cette Constitution ? Allons-nous tout recommencer ?
Quand on me pose cette question, je fais semblant - je n'ai pas beaucoup à me forcer - d'être idiot et je dis, Madame, Monsieur, je comprends très bien ce que vous dites. Vous êtes en train de nous dire que si on vote "oui", il va falloir que nous renégocions. Là on me dit, mais pas du tout. Si on vote oui la question est réglée, on ne renégocie pas le traité. Je dis excusez-moi, il y a dix pays qui ont déjà voté "oui" et dix autres qui s'apprêtent à le faire et personne ne peut rayer d'un trait de plume l'immense travail d'élaboration du traité et les dix - bientôt vingt - débats de ratifications qui ont eu lieu à l'intérieur des pays partenaires, voisins et égaux, pour recommencer tout le processus. Simplement en raison d'un refus de la France !
Il y a en effet un plan de rechange et je le dis très simplement : c'est celui de Nice.
Voter contre la Constitution, c'est voter pour le traité de Nice, ce n'est pas voter pour une autre Constitution, ou alors à très long terme, cinq ou dix ans. Je ne sais pas combien de temps il faudrait pour reprendre cet ouvrage et le remettre sur le métier en commençant par la convocation d'une convention nouvelle, par le choix d'un président dont je vous laisse à imaginer le nombre de chances existant qu'il puisse être Français après un " non " de la France !...
Vous avez apporté la réponse en dessinant un cercle avec vos doigts : zéro chance évidemment.
Il y a une raison, il me semble qu'il faut aller plus loin, il y a une raison qui devrait s'imposer à nous. C'est que cette Constitution à laquelle nous avons apporté le crayon de l'architecte, c'est nous qui l'avons voulue, nous avons voulu qu'il y ait un président, qu'il fût élu, c'est nous qui avons insisté pour que la Commission fut l'émanation du suffrage universel par députés interposés, c'est nous qui avons insisté, nous les premiers qui sommes ici à cette tribune, insisté pour que les délibérations deviennent transparentes, qu'il y ait un agenda, que désormais plus aucun vote ne puisse être émis sans que cela soit au vu et au su des citoyens européens, et nous avons d'emblée accepté l'idée que la Commission pourrait partager, d'une certaine manière, son pouvoir d'initiative avec les citoyens européens s'ils se réunissent au nombre d'un million.
Les autres ont également apporté une part de leurs attentes, par exemple qu'il y ait la troisième partie. Oui, nous voulons que l'Europe soit démocratique, mais oui nous voulons que soient garanties les politiques qui ont pragmatiquement réalisé l'Union.
Les demandes des autres sont aussi légitimes que les nôtres sinon il n'y a pas d'Europe. Si nous abandonnons ce principe de l'égale dignité et légitimité des demandes formulées par tous les partenaires européens, alors nous abandonnons le principe fondateur de l'Union européenne et il y a ainsi dans cette demande du " non " français à partir duquel on recommencerait tout, quelque chose en rupture avec l'idée européenne elle-même.
Cela signifie " il n'y a de raison que française et les autres, excusez nous, vous allez suivre les injonctions que nous allons donner ". Naturellement, c'est totalement irréaliste et dans son principe extrêmement choquant, et nous sommes là pour défendre également - nous qui avons cette idée de l'homme universel - l'égale légitimité de toutes les cultures européennes, l'égale légitimité face à la légitimité française, la légitimité allemande, britannique et espagnole
Unis dans la diversité
C'est avec les autres Européens que l'on fera l'Europe et pas sans eux. Si on veut la faire sans eux, il n'y aura pas d'Europe, point à la ligne !....
Cette idée de l'autre, cet oubli du respect de l'autre, il prend un tour particulièrement odieux dans la campagne qui a été lancée sur la présence en France de travailleurs européens qui viendraient prendre l'emploi des Français à des conditions que les Français n'accepteraient pas.
Je le dis à Bronislaw Geremek et à beaucoup de titres.... Il a eu tout à l'heure une formule bienveillante : " Vous nous avez acceptés dans l'espace européen ". C'est faux. L'espace européen, Bronislaw, c'est le vôtre autant que le nôtre. Vous êtes des Européens à l'égard des Français. Vous êtes, vous l'Europe orientale, des Européens à l'égal de l'Europe occidentale et si vous n'avez pas été au même rythme dans le développement de la société, de l'économie, de la richesse, de la liberté individuelle, des avantages que nos sociétés ont reçus très tôt, alors à l'Historien qu'est Bronislaw Geremek, je dis qu'il faut se souvenir que c'est de notre responsabilité. Je veux dire que quand la Pologne, en particulier, s'est retrouvée sous la dictature, quand nous avons acquiescé à Yalta, aucun des dirigeants européens n'ignorait, j'imagine, ce qui s'était passé à Katyn. Aucun des dirigeants européens n'ignorait que la Russie soviétique avait voulu éradiquer l'élite polonaise en tuant un par un et d'une balle dans la tête 21 857 officiers polonais, élites de la nation polonaise avant de les enterrer dans des fosses communes et de les faire disparaître ainsi de la mémoire du monde pour près de cinquante ans.
Aucun d'entre nous ne l'ignorait et cette tragédie polonaise était une tragédie européenne, et cette tragédie historique devint, le jour de Yalta, une tragédie politique.
Nous portons une responsabilité dans l'abandon de ces pays à la dictature soviétique et je n'ai pas envie que cette responsabilité soit oubliée, et lorsque des gens qui se prétendent de gauche parlent du " plombier polonais " il me semble qu'il devrait y avoir, dans la conscience collective de la gauche, comme un reproche devant cette honte qui ne devrait pas pouvoir être acceptée par des responsables politiques qui se veulent de premier plan.
Il y avait très longtemps en France, et on croyait cette période révolue, que l'on n'avait pas agité l'épouvantail des étrangers qui viennent prendre le travail des Français.
Pour mille raisons, d'abord d'intérêt général et des raisons de fond, de réalité, c'est que cette idée qu'il y aurait en France des personnes qui travailleraient avec des contrats étrangers pour des entreprises françaises, dans des entreprises françaises, cette idée est illégale et si la Constitution est adoptée, elle est inconstitutionnelle, point à la ligne. Il suffit de lire l'article 133 pour vérifier que n'importe qui pourra déférer devant n'importe quel tribunal des chefs d'entreprises qui se permettraient ainsi d'embaucher à des conditions particulières des travailleurs d'une autre nationalité.
C'est interdit dans la Constitution, c'était interdit dans le traité de Rome, car l'article 133 n'est pas autre chose que l'article 48 du traité de Rome écrit d'une autre manière. C'est illégal et de surcroît impossible.
Excusez-moi de vous le dire, il suffit d'ouvrir les yeux. Nous sommes réunis très nombreux dans cette salle. Combien d'entre vous connaissent des entreprises dans lesquelles un plombier polonais serait embauché à des conditions différentes d'un français ? Vous tous qui fréquentez les artisans, les plâtriers, les maçons et les peintres, connaissez vous quelque part une situation de cet ordre ?
C'est une réalité, c'est un fantasme agité à des fins politiques. Nous pouvons en parler, nous sommes des frontaliers, j'ai vu l'Espagne et le Portugal à côté de chez nous et je peux vous assurer qu'il n'y a pas de plombier espagnol en Béarn, pas plus de plombier espagnol et d'artisans espagnols, alors que nous sommes à cinquante kilomètres de la frontière, pour une raison simple : parce que l'Espagne s'est développée à vitesse grand V et que les niveaux des salaires espagnols ont augmenté en quelques années. Quant aux chauffeurs routiers, il est totalement faux qu'une entreprise française puisse embaucher des chauffeurs d'une autre nationalité pour les faire travailler chez elle. Quelquefois, il peut y avoir des contrats de cabotage, c'est possible. Il n'y a qu'à changer la législation si les choses ne vont pas. C'est de notre responsabilité, car la législation actuelle, c'est la France qui l'a voulue, ratifiée et signée.
Il y a des moments où il faut nous mettre devant notre propre responsabilité.
Je recevais le commissaire aux Affaires sociales, au travail tchèque, hier, et il me disait ceci : les salaires en République tchèque ont augmenté depuis trois ans de 30 % et il me disait qu'en Pologne, depuis le 1er mai 2004, date de l'adhésion de la Pologne et de l'ouverture des frontières, les salaires ont déjà augmenté de beaucoup plus de 10 %. C'est le chiffre qu'a avancé pour moi le commissaire au Travail.
L'adhésion à l'Europe, c'est le développement et le développement des uns, c'est la chance des autres.
Le double miracle européen
Je veux finir avec cette idée que vous connaissez bien. Il y a eu un double miracle européen au moment de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal qui ont connu la faveur et la chance d'une admirable élévation des niveaux de vie, des salaires et des conditions sociales, et c'est la France qui a été le principal bénéficiaire de cette élévation, car, dès l'instant que le niveau de vie des Espagnols a monté, ils ont acheté individuellement et collectivement des équipements, des biens et des services et ils les ont acheté à leur voisin le plus proche plus développé qu'eux : la France.
Les derniers chiffres connus : l'an dernier, nous avons acheté à l'Espagne 24 milliards d'euros de marchandises et de services et vendu à l'Espagne 32,5 milliards d'euros de marchandises et de services, soit 8 milliards d'euros d'excédent. Et depuis que les frontières sont ouvertes, c'est 1,5 milliard d'excédent avec les nouveaux entrants.
C'est une chance réciproque et il faut la défendre comme telle. Au lieu de considérer que l'élargissement, il aurait fallu le faire plus tard et autrement, que nous le regrettons, qu'il aurait fallu soumettre à débat, je vous propose de le défendre devant les Français, car il est historiquement juste et que c'est une chance pour notre développement économique et nos échanges. C'est une chance pour eux et pour nous.
Dernière idée. Il y aurait, si le non l'emportait, une conséquence évidente, c'est que la grande idée de Constitution européenne serait, non pas abandonnée je l'espère et le crois, mais retardée pendant très longtemps, le temps que le processus de ratification aille à son terme. Car il ira et doit aller à son terme, le temps que le trouble se dissipe, le temps que quelqu'un reprenne le flambeau et que quelque chose d'autre soit rebâti et proposé à nouveau aux 25 peuples, et au peuple français.
Je ne sais pas, cinq ans, dix ans Il y a une certitude pour qui regarde le monde, c'est que nous ne pouvons pas accepter de perdre cinq ou dix ans pour que l'Europe se construise. Les années que nous vivons sont cruciales. L'équilibre de la planète qui se construit, mal ou bien, il le fait dans les années mêmes que nous sommes en train de vivre.
On a vu ce qui se passait avec la Chine, mais ceux qui imaginent que la Chine se contentera de faire de la filature et de fabriquer des vêtements ne voient pas exactement la situation. Je voudrais vous donner un chiffre : en 2003, la Chine a fait sortir de ces universités deux millions de diplômés de l'enseignement supérieur. En 2004, elle en a sorti trois millions et pour 2006, dans un an, elle prévoit d'en sortir quatre millions. 2003, 2004, 2005, 2006, cela fait douze millions au moins de diplômés qui sortiront des universités chinoises.
Regardez ce que signifie cet effort prolongé sur le long terme. Comme la Chine - je dis cela à mes anciens amis du ministère de l'Education nationale - n'a pas, elle, de problèmes moraux avec la sélection, ces ingénieurs sont habitués à la performance, au très haut niveau et à la réactivité.
Si l'on ne voit pas que l'état du monde, l'équilibre de la planète se construisent aujourd'hui, que les programmes de recherche européens c'est aujourd'hui qu'il faut les construire, que la puissance politique pour soutenir l'industrie européenne c'est aujourd'hui qu'il faut la construire, que les nouveaux modèles de développement c'est aujourd'hui qu'il faut les mettre en place Nous avons besoin de l'union politique de l'Europe et de la démocratie européenne pour les citoyens en 2005, 2006, 2007 et nous ne pouvons pas attendre dix ans.
Si nous faisions cela, nous nous rendrions coupables de non assistance, sans doute à Europe en danger, mais surtout à planète en danger de déséquilibres. Les défis qui sont devant nous sont très grands.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que le siècle sera gentil. Si on regarde les crispations en marche sur la planète, les tensions internes à l'Islam, par exemple, interne et externe, mais internes à l'Islam. En Irak, on a assassiné avant-hier quarante-six personnes qui appartenaient toutes à la même sensibilité de l'Islam. Elles ont été tuées au poignard.
Quelque chose est en marche sur la planète à quoi nous avons le devoir de faire attention. L'Europe peu nous aider à bâtir un nouvel équilibre. C'est aujourd'hui que nous en avons besoin.
La responsabilité de la France
Je finis par une dernière considération : personne dans cette salle n'ignore l'état réel de la société française. Nous avons, à temps et à contretemps, dénoncé la profondeur de la crise. C'est même la raison pour laquelle nous avons refusé si souvent de siéger au gouvernement. Nous avons, à temps et à contretemps, mesuré que le gouffre entre les gouvernants et les citoyens, bien loin de ce combler, se creusait.
Nous avons, à temps et à contretemps, indiqué que le gouvernement n'avait pas pris, selon nous, la mesure exacte du défi qui était devant lui, ni ce gouvernement, mes chers amis, ni le précédent. A temps et à contretemps, nous avons dit que les raisons qui expliquaient la désillusion à l'égard du gouvernement Raffarin était exactement les mêmes qui expliquaient la désillusion à l'égard du gouvernement Jospin.
A temps et à contretemps, nous avons averti et éclairé les enjeux.
Je comprends très bien les inquiétudes et les incertitudes. Il y a une chose que nous pouvons dire sans risque de nous tromper : dans vingt-cinq ans, en 2030, quelle que soit l'issue de nos crispations internes, plus personne ne pensera au gouvernement Raffarin, en tout cas pas tous les jours, plus personne ne pensera au lundi de Pentecôte 2005, plus personne ne pensera aux difficultés récurrentes rencontrées par les décisions gouvernementales, par les projets plus ou moins opportuns de loi ou de décret, mais, avec certitude, nos concitoyens vérifieront tous les jours dans leur vie et penseront que le nouvel état du monde a été créé par un référendum qui aura lieu le 29 mai 2005, selon que nous répondrons " oui " ou " non ".
L'état de la France et de l'Europe ne sera pas le même.
Je voudrais que chacun d'entre nous mesure et face mesurer autour de lui ce déséquilibre. Beaucoup de Français veulent voter pour des raisons actuelles et internes. Or, le vrai enjeu n'est pas d'actualité, il est pour les enfants et pour que les enfants de nos enfants, pour que la planète prenne un autre visage et que nous ayons enfin un porte-voix pour peser sur l'avenir du monde.
C'est une énorme responsabilité. Est-ce que le signe que nous allons faire est que l'Europe choisit un pas en avant ou en arrière. Choisissons-nous d'être les héritiers et de confirmer l'héritage de cette grande entreprise, grande ambition, grande aventure conçue par les Français ou au contraire nous désengageons-nous ?
Je veux vous dire simplement, et il me semble qu'elle est partagée, notre confiance. Tout le monde a senti l'inquiétude, mais je voudrais que tout le monde sente la confiance. Les élections modernes se jouent dans les derniers jours et même de plus en plus dans les dernières heures.
C'est la que se forme et se forge la volonté des citoyens. C'est auprès de l'obstacle que l'on voit les conséquences de ses choix.
Maurice Leroy disait autrefois, c'est au pied du mur que l'on voit le mieux le mur. C'est le 29 mai que nous allons mesurer l'importance et les conséquences du choix que nous allons faire.
Notre confiance est que les Français, mesurant les difficultés qui sont celles de leur vie de tous les jours, et leurs insatisfactions et leurs problèmes, et quelquefois leur colère et parfois leur rage, et ayant largement ces dernières semaines exprimé ce sentiment, vont cependant se sentir en charge, en leur nom, au nom de leur enfant, des autres européens, de l'avenir de l'Union européenne qu'ils ont construite, voulue, définie, je ne doute pas et nous ne doutons pas, ensemble, qu'ayant pris la mesure de ce choix, leur réponse sera OUI.
Je vous remercie.
(Source http://www.udf-europe.net, le 25 mai 2005)
Le premier de ces traits sera sans doute surprenant pour qui a suivi la campagne électorale française : nous avons passé une pleine journée de débats, d'interventions, d'interpellations, de réflexions, de discours, sans qu'il y ait une seule allusion à la politique intérieure. Et je ne connais pas d'autre formation politique qui ait conduit ainsi le débat sur le sujet, c'est-à-dire la Constitution européenne, ce que cette Constitution signifie pour nous tous.
L'Europe a besoin du Oui de la France
Très brièvement, qu'est-ce qui est apparu tout au long des discours ? C'est que le sujet dont nous débattons et le vote que nous allons émettre font peser sur nos épaules une très lourde responsabilité.
J'ai abordé ce sujet dans mon introduction ce matin, un certain nombre d'entre vous n'étaient pas arrivés, mais je ne veux pas me répéter. Comme chacun des orateurs français et européens l'a dit à la tribune, le vote du 29 mai et dont nous avons la responsabilité ne concerne pas que nous-mêmes, il concerne autour de nous les 24 autres partenaires européens car, selon l'issue de ce vote, le visage de l'Europe sera changé et, à proprement parler, l'Europe existera ou n'existera pas encore.
Cette réalité est naturellement une réalité lourde, une responsabilité lourde à l'égard de ce qu'attend chacun des 24 autres pays.
Avez-vous jamais le souvenir d'avoir vu tant de responsables politiques en charge des affaires ou de leaders éminents dans d'autres pays européens venir à ce point participer à un débat politique français ? C'est que le débat n'est qu'en apparence un débat français. Il est en réalité le premier acte, l'acte fondateur de ce que recherche la Constitution et qu'elle crée en ayant permis l'organisation d'un débat autour de sa ratification, l'acte fondateur de la démocratie européenne.
Nous vivons ensemble le premier acte de notre nouvelle démocratie européenne. Au lieu de voir l'Europe extérieure aux citoyens, voilà qu'elle devient l'objet des citoyens. Au lieu d'avoir un débat national hexagonal, enfermé dans nos frontières, tout à coup le débat déborde les frontières et implique le destin des autres Européens.
C'est formidable de voir cela, car ce n'est pas autre chose que ce que voulait créer dans son texte la Constitution européenne. L'ayant créé dans son texte, elle le crée aujourd'hui dans le débat sur sa ratification. Elle en fait le premier événement de la démocratie européenne.
Le rêve européen
Deuxième observation, Marielle de Sarnez l'a faite, il n'y a pas que les 24 autres pays qui sont concernés par ce choix, il y a de par le monde, très loin ou très près, au Soudan, au Darfour évoqué et dont nous rentrons Francesco Rutelli et moi, il y a en Arménie, il y a chez les voisins et chez les peuples plus éloignés, une immense attente d'Europe car, selon que nous répondrons oui ou non à la Constitution, le visage de l'Europe ne sera pas le même mais, selon que l'Europe existera ou pas, le visage du monde ne sera pas le même, les valeurs défendues dans le monde ne seront pas les mêmes, les projets de société proposés à la planète ne seront pas les mêmes.
Nous connaissons des projets de société très impérieux, en développement puissant. Je pense naturellement à l'Amérique et à la Chine. Ils sont radicalement différents des nôtres.
Le projet de solidarité européen porte un très joli nom, il s'appelle " solidarité ". Il porte le nom emblématique, dans ses valeurs, du syndicat qui a libéré l'est de l'Europe, la Pologne et les pays qui l'entourent, qui a été le combat emblématique que vous avez mené en notre nom, vous les Polonais de Solidarnosc, vous avez mené un combat pour nous, tous les citoyens européens et du monde.
Aujourd'hui, le référendum d'une certaine manière porte sa part de combat pour vous les citoyens polonais et européens, ces valeurs sont explicitement énoncées dans la Constitution.
L'économie de marché dont pour la première fois on formule la vocation sociale. Cette idée que l'économie n'est pas une fin en soi, qu'elle est au service de l'Homme et de son épanouissement et qu'elle a comme but le plein emploi, un haut niveau de protection, le développement durable. Jean-Marie Pelt, tout ceci est un modèle qui ne ressemble pas aux autres et j'ai été frappé dans tous les discours de ce matin que les valeurs qui s'exprimaient, culturelles, morales, économiques, la recherche si j'osais je dirais spirituelles, que ces valeurs forment un ensemble, une architecture, un projet proposable à tous les peuples européens et, au travers d'eux, qui est un projet universel.
Cette Europe-là existe, l'Europe du projet existe, l'Europe morale, elle existe, il me semble que c'était frappant au travers de toutes les interventions de ce matin et ce projet n'est proposé nulle part ailleurs dans le monde, nulle part ailleurs sur la planète.
Nous sommes les détenteurs d'un projet à vocation universelle et ce projet n'aura pas la même portée ni la même force selon qu'il sera bâti sur une volonté politique, une union de citoyens, une démocratie européenne.
Voilà la conviction qui a traversé tous les discours ce matin, à une condition qui me semble-t-il est l'une des conditions du choix français pour l'Europe, c'est de considérer que l'Europe se fait avec les Européens et pas sans eux, c'est de considérer que nous avons beaucoup apporté au monde, à la planète. Et le monde à l'époque, c'était l'Europe, essentiellement. Nous avons notre tradition, notre charge d'Histoire et ce n'est pas quelqu'un qui est l'ami d'Henri IV qui va dire le contraire.
Nous avons vécu les grandeurs de la monarchie, la force et aussi la violence de la Révolution, l'édification de l'unité française sous les deux, sous la République et sous la monarchie, et tout cela n'était pas rien, mais les autres ont fait un chemin également respectable et admirable et il est impossible pour le peuple français, avec son héritage, son patrimoine, son ouverture au monde, de considérer que, désormais, tout ce qui va se faire en Europe doit se faire dans le moule français, hexagonal.
C'est un défaut de pensée, une perte d'intelligence française et c'est vrai en matière culturelle, sociale, économique et c'est vrai pour les services publics. Ceux qui nous entourent on fait du chemin, ce chemin est respectable et peut - et doit - nous apporter quelque chose à nous Français.
La France a besoin de l'Europe
Il me semble qu'il y a là deux réflexions à conduire dont la première concerne cette fameuse affaire de " Plan B ". Je suis extrêmement perplexe quant à l'expression, car je ne sais pas ce que pour un Français non familier de la langue diplomatique ou militaire des états-majors cela peut bien signifier. Disons un plan de rechange.
Existe-t-il une Constitution de rechange derrière cette Constitution ? Allons-nous tout recommencer ?
Quand on me pose cette question, je fais semblant - je n'ai pas beaucoup à me forcer - d'être idiot et je dis, Madame, Monsieur, je comprends très bien ce que vous dites. Vous êtes en train de nous dire que si on vote "oui", il va falloir que nous renégocions. Là on me dit, mais pas du tout. Si on vote oui la question est réglée, on ne renégocie pas le traité. Je dis excusez-moi, il y a dix pays qui ont déjà voté "oui" et dix autres qui s'apprêtent à le faire et personne ne peut rayer d'un trait de plume l'immense travail d'élaboration du traité et les dix - bientôt vingt - débats de ratifications qui ont eu lieu à l'intérieur des pays partenaires, voisins et égaux, pour recommencer tout le processus. Simplement en raison d'un refus de la France !
Il y a en effet un plan de rechange et je le dis très simplement : c'est celui de Nice.
Voter contre la Constitution, c'est voter pour le traité de Nice, ce n'est pas voter pour une autre Constitution, ou alors à très long terme, cinq ou dix ans. Je ne sais pas combien de temps il faudrait pour reprendre cet ouvrage et le remettre sur le métier en commençant par la convocation d'une convention nouvelle, par le choix d'un président dont je vous laisse à imaginer le nombre de chances existant qu'il puisse être Français après un " non " de la France !...
Vous avez apporté la réponse en dessinant un cercle avec vos doigts : zéro chance évidemment.
Il y a une raison, il me semble qu'il faut aller plus loin, il y a une raison qui devrait s'imposer à nous. C'est que cette Constitution à laquelle nous avons apporté le crayon de l'architecte, c'est nous qui l'avons voulue, nous avons voulu qu'il y ait un président, qu'il fût élu, c'est nous qui avons insisté pour que la Commission fut l'émanation du suffrage universel par députés interposés, c'est nous qui avons insisté, nous les premiers qui sommes ici à cette tribune, insisté pour que les délibérations deviennent transparentes, qu'il y ait un agenda, que désormais plus aucun vote ne puisse être émis sans que cela soit au vu et au su des citoyens européens, et nous avons d'emblée accepté l'idée que la Commission pourrait partager, d'une certaine manière, son pouvoir d'initiative avec les citoyens européens s'ils se réunissent au nombre d'un million.
Les autres ont également apporté une part de leurs attentes, par exemple qu'il y ait la troisième partie. Oui, nous voulons que l'Europe soit démocratique, mais oui nous voulons que soient garanties les politiques qui ont pragmatiquement réalisé l'Union.
Les demandes des autres sont aussi légitimes que les nôtres sinon il n'y a pas d'Europe. Si nous abandonnons ce principe de l'égale dignité et légitimité des demandes formulées par tous les partenaires européens, alors nous abandonnons le principe fondateur de l'Union européenne et il y a ainsi dans cette demande du " non " français à partir duquel on recommencerait tout, quelque chose en rupture avec l'idée européenne elle-même.
Cela signifie " il n'y a de raison que française et les autres, excusez nous, vous allez suivre les injonctions que nous allons donner ". Naturellement, c'est totalement irréaliste et dans son principe extrêmement choquant, et nous sommes là pour défendre également - nous qui avons cette idée de l'homme universel - l'égale légitimité de toutes les cultures européennes, l'égale légitimité face à la légitimité française, la légitimité allemande, britannique et espagnole
Unis dans la diversité
C'est avec les autres Européens que l'on fera l'Europe et pas sans eux. Si on veut la faire sans eux, il n'y aura pas d'Europe, point à la ligne !....
Cette idée de l'autre, cet oubli du respect de l'autre, il prend un tour particulièrement odieux dans la campagne qui a été lancée sur la présence en France de travailleurs européens qui viendraient prendre l'emploi des Français à des conditions que les Français n'accepteraient pas.
Je le dis à Bronislaw Geremek et à beaucoup de titres.... Il a eu tout à l'heure une formule bienveillante : " Vous nous avez acceptés dans l'espace européen ". C'est faux. L'espace européen, Bronislaw, c'est le vôtre autant que le nôtre. Vous êtes des Européens à l'égard des Français. Vous êtes, vous l'Europe orientale, des Européens à l'égal de l'Europe occidentale et si vous n'avez pas été au même rythme dans le développement de la société, de l'économie, de la richesse, de la liberté individuelle, des avantages que nos sociétés ont reçus très tôt, alors à l'Historien qu'est Bronislaw Geremek, je dis qu'il faut se souvenir que c'est de notre responsabilité. Je veux dire que quand la Pologne, en particulier, s'est retrouvée sous la dictature, quand nous avons acquiescé à Yalta, aucun des dirigeants européens n'ignorait, j'imagine, ce qui s'était passé à Katyn. Aucun des dirigeants européens n'ignorait que la Russie soviétique avait voulu éradiquer l'élite polonaise en tuant un par un et d'une balle dans la tête 21 857 officiers polonais, élites de la nation polonaise avant de les enterrer dans des fosses communes et de les faire disparaître ainsi de la mémoire du monde pour près de cinquante ans.
Aucun d'entre nous ne l'ignorait et cette tragédie polonaise était une tragédie européenne, et cette tragédie historique devint, le jour de Yalta, une tragédie politique.
Nous portons une responsabilité dans l'abandon de ces pays à la dictature soviétique et je n'ai pas envie que cette responsabilité soit oubliée, et lorsque des gens qui se prétendent de gauche parlent du " plombier polonais " il me semble qu'il devrait y avoir, dans la conscience collective de la gauche, comme un reproche devant cette honte qui ne devrait pas pouvoir être acceptée par des responsables politiques qui se veulent de premier plan.
Il y avait très longtemps en France, et on croyait cette période révolue, que l'on n'avait pas agité l'épouvantail des étrangers qui viennent prendre le travail des Français.
Pour mille raisons, d'abord d'intérêt général et des raisons de fond, de réalité, c'est que cette idée qu'il y aurait en France des personnes qui travailleraient avec des contrats étrangers pour des entreprises françaises, dans des entreprises françaises, cette idée est illégale et si la Constitution est adoptée, elle est inconstitutionnelle, point à la ligne. Il suffit de lire l'article 133 pour vérifier que n'importe qui pourra déférer devant n'importe quel tribunal des chefs d'entreprises qui se permettraient ainsi d'embaucher à des conditions particulières des travailleurs d'une autre nationalité.
C'est interdit dans la Constitution, c'était interdit dans le traité de Rome, car l'article 133 n'est pas autre chose que l'article 48 du traité de Rome écrit d'une autre manière. C'est illégal et de surcroît impossible.
Excusez-moi de vous le dire, il suffit d'ouvrir les yeux. Nous sommes réunis très nombreux dans cette salle. Combien d'entre vous connaissent des entreprises dans lesquelles un plombier polonais serait embauché à des conditions différentes d'un français ? Vous tous qui fréquentez les artisans, les plâtriers, les maçons et les peintres, connaissez vous quelque part une situation de cet ordre ?
C'est une réalité, c'est un fantasme agité à des fins politiques. Nous pouvons en parler, nous sommes des frontaliers, j'ai vu l'Espagne et le Portugal à côté de chez nous et je peux vous assurer qu'il n'y a pas de plombier espagnol en Béarn, pas plus de plombier espagnol et d'artisans espagnols, alors que nous sommes à cinquante kilomètres de la frontière, pour une raison simple : parce que l'Espagne s'est développée à vitesse grand V et que les niveaux des salaires espagnols ont augmenté en quelques années. Quant aux chauffeurs routiers, il est totalement faux qu'une entreprise française puisse embaucher des chauffeurs d'une autre nationalité pour les faire travailler chez elle. Quelquefois, il peut y avoir des contrats de cabotage, c'est possible. Il n'y a qu'à changer la législation si les choses ne vont pas. C'est de notre responsabilité, car la législation actuelle, c'est la France qui l'a voulue, ratifiée et signée.
Il y a des moments où il faut nous mettre devant notre propre responsabilité.
Je recevais le commissaire aux Affaires sociales, au travail tchèque, hier, et il me disait ceci : les salaires en République tchèque ont augmenté depuis trois ans de 30 % et il me disait qu'en Pologne, depuis le 1er mai 2004, date de l'adhésion de la Pologne et de l'ouverture des frontières, les salaires ont déjà augmenté de beaucoup plus de 10 %. C'est le chiffre qu'a avancé pour moi le commissaire au Travail.
L'adhésion à l'Europe, c'est le développement et le développement des uns, c'est la chance des autres.
Le double miracle européen
Je veux finir avec cette idée que vous connaissez bien. Il y a eu un double miracle européen au moment de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal qui ont connu la faveur et la chance d'une admirable élévation des niveaux de vie, des salaires et des conditions sociales, et c'est la France qui a été le principal bénéficiaire de cette élévation, car, dès l'instant que le niveau de vie des Espagnols a monté, ils ont acheté individuellement et collectivement des équipements, des biens et des services et ils les ont acheté à leur voisin le plus proche plus développé qu'eux : la France.
Les derniers chiffres connus : l'an dernier, nous avons acheté à l'Espagne 24 milliards d'euros de marchandises et de services et vendu à l'Espagne 32,5 milliards d'euros de marchandises et de services, soit 8 milliards d'euros d'excédent. Et depuis que les frontières sont ouvertes, c'est 1,5 milliard d'excédent avec les nouveaux entrants.
C'est une chance réciproque et il faut la défendre comme telle. Au lieu de considérer que l'élargissement, il aurait fallu le faire plus tard et autrement, que nous le regrettons, qu'il aurait fallu soumettre à débat, je vous propose de le défendre devant les Français, car il est historiquement juste et que c'est une chance pour notre développement économique et nos échanges. C'est une chance pour eux et pour nous.
Dernière idée. Il y aurait, si le non l'emportait, une conséquence évidente, c'est que la grande idée de Constitution européenne serait, non pas abandonnée je l'espère et le crois, mais retardée pendant très longtemps, le temps que le processus de ratification aille à son terme. Car il ira et doit aller à son terme, le temps que le trouble se dissipe, le temps que quelqu'un reprenne le flambeau et que quelque chose d'autre soit rebâti et proposé à nouveau aux 25 peuples, et au peuple français.
Je ne sais pas, cinq ans, dix ans Il y a une certitude pour qui regarde le monde, c'est que nous ne pouvons pas accepter de perdre cinq ou dix ans pour que l'Europe se construise. Les années que nous vivons sont cruciales. L'équilibre de la planète qui se construit, mal ou bien, il le fait dans les années mêmes que nous sommes en train de vivre.
On a vu ce qui se passait avec la Chine, mais ceux qui imaginent que la Chine se contentera de faire de la filature et de fabriquer des vêtements ne voient pas exactement la situation. Je voudrais vous donner un chiffre : en 2003, la Chine a fait sortir de ces universités deux millions de diplômés de l'enseignement supérieur. En 2004, elle en a sorti trois millions et pour 2006, dans un an, elle prévoit d'en sortir quatre millions. 2003, 2004, 2005, 2006, cela fait douze millions au moins de diplômés qui sortiront des universités chinoises.
Regardez ce que signifie cet effort prolongé sur le long terme. Comme la Chine - je dis cela à mes anciens amis du ministère de l'Education nationale - n'a pas, elle, de problèmes moraux avec la sélection, ces ingénieurs sont habitués à la performance, au très haut niveau et à la réactivité.
Si l'on ne voit pas que l'état du monde, l'équilibre de la planète se construisent aujourd'hui, que les programmes de recherche européens c'est aujourd'hui qu'il faut les construire, que la puissance politique pour soutenir l'industrie européenne c'est aujourd'hui qu'il faut la construire, que les nouveaux modèles de développement c'est aujourd'hui qu'il faut les mettre en place Nous avons besoin de l'union politique de l'Europe et de la démocratie européenne pour les citoyens en 2005, 2006, 2007 et nous ne pouvons pas attendre dix ans.
Si nous faisions cela, nous nous rendrions coupables de non assistance, sans doute à Europe en danger, mais surtout à planète en danger de déséquilibres. Les défis qui sont devant nous sont très grands.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que le siècle sera gentil. Si on regarde les crispations en marche sur la planète, les tensions internes à l'Islam, par exemple, interne et externe, mais internes à l'Islam. En Irak, on a assassiné avant-hier quarante-six personnes qui appartenaient toutes à la même sensibilité de l'Islam. Elles ont été tuées au poignard.
Quelque chose est en marche sur la planète à quoi nous avons le devoir de faire attention. L'Europe peu nous aider à bâtir un nouvel équilibre. C'est aujourd'hui que nous en avons besoin.
La responsabilité de la France
Je finis par une dernière considération : personne dans cette salle n'ignore l'état réel de la société française. Nous avons, à temps et à contretemps, dénoncé la profondeur de la crise. C'est même la raison pour laquelle nous avons refusé si souvent de siéger au gouvernement. Nous avons, à temps et à contretemps, mesuré que le gouffre entre les gouvernants et les citoyens, bien loin de ce combler, se creusait.
Nous avons, à temps et à contretemps, indiqué que le gouvernement n'avait pas pris, selon nous, la mesure exacte du défi qui était devant lui, ni ce gouvernement, mes chers amis, ni le précédent. A temps et à contretemps, nous avons dit que les raisons qui expliquaient la désillusion à l'égard du gouvernement Raffarin était exactement les mêmes qui expliquaient la désillusion à l'égard du gouvernement Jospin.
A temps et à contretemps, nous avons averti et éclairé les enjeux.
Je comprends très bien les inquiétudes et les incertitudes. Il y a une chose que nous pouvons dire sans risque de nous tromper : dans vingt-cinq ans, en 2030, quelle que soit l'issue de nos crispations internes, plus personne ne pensera au gouvernement Raffarin, en tout cas pas tous les jours, plus personne ne pensera au lundi de Pentecôte 2005, plus personne ne pensera aux difficultés récurrentes rencontrées par les décisions gouvernementales, par les projets plus ou moins opportuns de loi ou de décret, mais, avec certitude, nos concitoyens vérifieront tous les jours dans leur vie et penseront que le nouvel état du monde a été créé par un référendum qui aura lieu le 29 mai 2005, selon que nous répondrons " oui " ou " non ".
L'état de la France et de l'Europe ne sera pas le même.
Je voudrais que chacun d'entre nous mesure et face mesurer autour de lui ce déséquilibre. Beaucoup de Français veulent voter pour des raisons actuelles et internes. Or, le vrai enjeu n'est pas d'actualité, il est pour les enfants et pour que les enfants de nos enfants, pour que la planète prenne un autre visage et que nous ayons enfin un porte-voix pour peser sur l'avenir du monde.
C'est une énorme responsabilité. Est-ce que le signe que nous allons faire est que l'Europe choisit un pas en avant ou en arrière. Choisissons-nous d'être les héritiers et de confirmer l'héritage de cette grande entreprise, grande ambition, grande aventure conçue par les Français ou au contraire nous désengageons-nous ?
Je veux vous dire simplement, et il me semble qu'elle est partagée, notre confiance. Tout le monde a senti l'inquiétude, mais je voudrais que tout le monde sente la confiance. Les élections modernes se jouent dans les derniers jours et même de plus en plus dans les dernières heures.
C'est la que se forme et se forge la volonté des citoyens. C'est auprès de l'obstacle que l'on voit les conséquences de ses choix.
Maurice Leroy disait autrefois, c'est au pied du mur que l'on voit le mieux le mur. C'est le 29 mai que nous allons mesurer l'importance et les conséquences du choix que nous allons faire.
Notre confiance est que les Français, mesurant les difficultés qui sont celles de leur vie de tous les jours, et leurs insatisfactions et leurs problèmes, et quelquefois leur colère et parfois leur rage, et ayant largement ces dernières semaines exprimé ce sentiment, vont cependant se sentir en charge, en leur nom, au nom de leur enfant, des autres européens, de l'avenir de l'Union européenne qu'ils ont construite, voulue, définie, je ne doute pas et nous ne doutons pas, ensemble, qu'ayant pris la mesure de ce choix, leur réponse sera OUI.
Je vous remercie.
(Source http://www.udf-europe.net, le 25 mai 2005)