Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la nécessité d'un dialogue entre Européens et Américains pour gérer les tensions et les crises dans les relations internationales, Harvard le 11 mars 2005.

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Circonstance : Voyage aux Etats-Unis du 10 au 12 mars 2005-discours à Harvard (Cambridge, Etats-Unis) le 11

Texte intégral

Je suis honorée et heureuse d'être dans cette école prestigieuse et de pouvoir m'adresser à un auditoire averti.
Harvard symbolise pour les Européens l'excellence culturelle.
A la fois ancrée dans ses racines européennes et projetée vers l'avenir, cette université établit un pont entre les continents, spécialement entre l'Amérique et l'Europe.
Cet endroit est particulièrement adapté pour parler de compréhension mutuelle, de concertation, de partenariat.
A Bruxelles, le président Bush a récemment souligné la volonté de Washington de mieux se concerter avec les Européens et il a publiquement reconnu l'importance du rôle de l'UE.
Ce message a été bien perçu.
Il montre que l'on tourne la page du passé et que l'on prend en compte certaines réalités : les limites de l'action unilatérale, le potentiel de la construction européenne.
Après la visite du Président Bush, il y a une nouvelle atmosphère dans la relation transatlantique.
C'est important pour travailler ensemble efficacement.
La question que nous devons nous poser aujourd'hui est celle-ci : comment s'y prendre pour mettre en uvre ces bonnes intentions de part et d'autre ?
Commençons par écarter les malentendus sur les objectifs des uns et des autres
Disons le clairement : l'UE ne cherche pas à s'ériger en contrepoids des Etats-Unis. Ce soupçon n'a pas de fondement.
Les Etats-Unis et l'UE sont différents, mais ont beaucoup de choses en commun.
Il peut y avoir des différends ou de la concurrence, mais il n'y a pas de compétition de pouvoir.
La construction de la politique européenne de sécurité et de défense n'est pas un outil contre les Etats-Unis.
Les Européens cherchent simplement à mettre en commun leurs atouts pour mieux défendre leurs intérêts dans le monde globalisé.
Et dans beaucoup de domaines, ces intérêts convergent avec ceux des Etats-Unis, notamment en matière de sécurité.
L'Europe de la Défense n'est pas un substitut à l'OTAN
L'Alliance atlantique est une alliance de défense entre les Etats européens et nord-américains.
Sa mission première - faire face au Pacte de Varsovie - est achevée, mais elle conserve un engagement de sécurité collective qui est important pour tous : qui sait ce que seront les menaces dans 20-30 ans ?
L'OTAN est aussi un lieu utile de concertation transatlantique sur les questions de sécurité, ainsi qu'un instrument efficace de gestion des crises.
L'Europe de la Défense est une réalité incontournable depuis quelques années.
Elle a pour objet de permettre aux Européens d'assumer collectivement leurs responsabilités en matière de sécurité.
C'est normal : l'Union européenne a atteint le stade où elle doit être en mesure de faire respecter ses intérêts, au besoin par des moyens militaires.
C'est conforme au souhait de longue date des Etats-Unis qui veulent un partenaire européen responsable, capable d'assumer sa part dans la stabilité du monde.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
Ces deux dernières années, les Européens sont intervenus militairement en Macédoine et en République démocratique du Congo.
Dans ces deux cas, ils avaient des missions claires et s'y sont tenus.
En Bosnie, en décembre dernier, un contingent européen a pris la relève avec succès de l'OTAN.
Je pense que l'OTAN et l'UE sont désormais des partenaires sur le plan des opérations militaires.
La PESD est bien complémentaire de l'Alliance.
Une Europe forte n'est pas une menace pour les Etats-Unis.
Certains à Washington s'interrogent sur ce point.
Ils n'ont peut-être pas pris la mesure de la construction européenne et ont l'habitude de traiter avec les Etats européens individuellement.
Ils se méfient sans doute aussi du poids d'une Europe unie.
Premièrement, une Europe unie constitue un marché plus large de quelques 400 millions de personnes.
Deuxièmement, c'est une garantie de paix et de stabilité sur le continent.
Enfin, c'est la perspective d'un réel partenaire pour les Etats-Unis, en mesure de partager les responsabilités en matière de stabilité dans le monde.
C'est important à un moment où la fin du monde bipolaire a laissé la place à un monde incertain.
Nous devons nous entendre sur des objectifs communs et sur la façon de les réaliser
Un dialogue stratégique étroit et confiant est aujourd'hui indispensable pour mieux évaluer ensemble les risques liés à notre sécurité. Sans cette dernière, il n'y a pas de prospérité durable.
Nos priorités en matière de sécurité sont claires :
- faire aboutir le processus de paix au Proche-Orient ;
- favoriser une stabilisation de l'Iraq ;
- éviter la prolifération d'armes de destruction massive - notamment en Iran et en Corée du Nord ;
- prévenir la faillite de nombreux Etats africains ;
- développer un partenariat responsable avec la Russie et la Chine.
C'est notre responsabilité aux uns et aux autres.
Nous sommes les plus à même - du fait de notre potentiel - de peser sur les évolutions.
Nous devons raisonner en termes de complémentarité entre Américains et Européens. Chacun d'entre nous a des atouts spécifiques, des liens particuliers avec certains acteurs régionaux.
La France a par exemple une bonne connaissance de l'Afrique et du Moyen-Orient ; les Etats-Unis ont des liens historiques forts avec le Japon et l'Asie du sud-est.
Dialoguons entre nous pour nous assurer de la cohérence de nos actions respectives et agissons chacun là où nous sommes les mieux placés pour le faire.
Cette complémentarité me paraît évidente entre Américains et Européens dans l'approche qu'ils doivent avoir du problème nucléaire de l'Iran et du processus de paix au Proche-Orient.
Evitons par dessus tout de reproduire le schéma iraquien, où l'absence de concertation véritable explique pour une part la situation difficile où nous nous trouvons aujourd'hui. En d'autres termes, tâchons donc de faire mieux ensemble.
Nous devons enfin avoir une approche pragmatique sur les outils à utiliser.
Dans certains cas, l'Alliance atlantique sera la plus à même de réaliser nos objectifs : quand tous les Alliés voudront s'impliquer et qu'il s'agit d'une opération lourde.
Dans d'autres cas, l'Union Européenne sera le bon instrument, en utilisant les moyens de l'Alliance ou de façon autonome.
Dans d'autres cas enfin, seuls quelques pays voudront agir.
Il s'agit en réalité d'une question d'opportunité politique et de moyens disponibles. Ne cherchons pas à figer les choses à l'avance, avec une vision idéologique qui a peu de chance de coller aux événements.
Conclusion
C'est vrai, nous sommes aujourd'hui à un moment crucial où nous devons faire face ensemble à des défis majeurs.
Les intentions sont bonnes de part et d'autre.
Les difficultés du passé ont convaincu Américains et Européens qu'ils devaient mieux dialoguer pour mieux agir.
Les défis devant nous sont autant d'opportunités : au Moyen-Orient, en Asie et ailleurs.
Saisissons ces opportunités pour faire évoluer les choses dans un sens conforme à nos valeurs.
Ces dernières restent fondamentalement les mêmes.
Faisons-nous donc confiance car, après tout, nous faisons partie de la même famille. Une crise peut-être le prélude à de bonnes retrouvailles !
C'est à nous de décider, maintenant.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 15 mars 2005)