Texte intégral
Chers Amis, Chers Camarades,
Je veux remercier les organisateurs : Alain Claeys, qui a coordonné cette réunion ; toutes les commissions du parti, les délégués nationaux qui se sont mobilisés pour faire de notre réunion une synthèse entre Recherche et Enseignement supérieur ; nous ne sommes pas, d'ailleurs, au bout de cette synthèse. Je veux remercier surtout tous les participants ; ils ont été nombreux, divers (chercheurs, universitaires, personnels administratifs, syndicalistes, élus politiques) et c'est ce qui a fait la richesse de cette rencontre. J'ai forcément en mémoire la personnalité d'Hubert Curien qui, sur ces questions, nous aurait beaucoup apporté.
Le sens qu'il faut donner à cette réunion est clair : l'avènement de la société de la connaissance constituera l'objectif essentiel du projet des socialistes. Dans cette perspective, la Recherche est la réponse première aux défis que collectivement nous affrontons aujourd'hui. La science est la condition impérieuse du progrès ; la Recherche est un bien public majeur et il nous permet (ce bien public) de répondre aux impératifs d'une société démocratique :
* Maîtriser son destin : c'est la science qui permet d'y parvenir, à la fois à travers les mutations technologiques, à travers la réduction des inégalités, mais aussi à travers l'acceptation que la science doit être voulue démocratiquement, même si elle est poursuivie par des femmes et des hommes qui en ont fait leur métier.
* Maîtriser son environnement : s'il n'y a pas de progrès scientifique, il ne peut y avoir de maîtrise de nos énergies, de lutte contre le réchauffement de la planète et de prévention des risques majeurs. De la même manière, si nous ne mettons pas la science et la Recherche au premier rang de nos priorités, nous ne pouvons plus prétendre maîtriser le droit à la santé, c'est-à-dire à la lutte contre toutes les formes de maladie, de pandémies, à la douleur ou à la prévention des handicaps.
À partir de là, la Recherche permet les avancées, les conquêtes, les évolutions et les changements de mode de vie. Cette confiance en la science n'efface pas la conscience de ses risques. Nous en sommes tous partie prenante ; à la fois les chercheurs, les universitaires qui veulent avoir les moyens pour découvrir et les politiques qui doivent revendiquer les choix éthiques qui relèvent d'eux, au nom de l'intérêt général et du suffrage universel. Et la démocratie est donc partie prenante du débat scientifique. La demande qui est faite, et qui est légitime, est celle de l'information, de la transparence, de la vérification et de la confrontation.
La meilleure façon de vaincre les peurs est d'affirmer à la fois l'exigence du progrès et le contrôle par la démocratie de toutes les étapes qui y conduisent.
La Recherche, partant de là, n'est donc pas un choix -comme on voudrait nous le faire croire- où nous n'aurions à choisir qu'entre de la Recherche ou pas de Recherche du tout. D'ailleurs qui peut l'imaginer ? La Recherche est une obligation.
Et, pour un pays comme la France, pour un continent comme l'Europe, la Recherche est le fondement même de la réussite collective, dans le contexte de la mondialisation. Car, dans la compétition planétaire, il y a deux stratégies possibles :
- Une stratégie défensive, où il s'agirait de niveler les droits, les progrès, les protections, les garanties voire les salaires ;
- Une stratégie offensive qui est de fonder la réussite sur les dépenses d'avenir, c'est-à-dire sur l'Education, la formation, les services publics, les infrastructures et la Recherche, et d'abord la Recherche fondamentale. C'est elle qui permet de découvrir, de repousser les frontières, d'ouvrir le champ du savoir et, sans Recherche fondamentale, il n'y a pas d'innovation, il n'y a pas de Recherche finalisée et il n'y a pas de liberté de chercher et donc de trouver.
Une fois ces principes simples évoqués, nous devons reconnaître -et c'est bien qu'il en soit ainsi- que la Recherche est un sujet éminemment politique au meilleur sens du terme. Politique, parce qu'il s'agit du sort de tous. Politique, parce que c'est un enjeu qui suppose des priorités et donc des engagements. Politique, parce qu'il y a confrontation sur les questions de Recherche. Politique, parce que ce sera un élément programmatique pour le Parti socialiste.
Il est vrai que si le débat sur la Recherche est devenu un sujet politique, il faut en reconnaître le mérite premier au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. S'il n'avait pas mis autant d'obstination pour réduire les crédits, limiter les embauches, supprimer même les postes, il n'y aurait pas eu ce mouvement -même s'il ne faut pas toujours de mauvais gouvernements pour voir surgir des prises de conscience- qui a trouvé son paroxysme dans les " Actes de Grenoble " (mouvement " Sauver la Recherche "), mouvement qui a provoqué par son ampleur et la qualité de ses propositions une utile prise de conscience. Si cela n'avait été que la mobilisation des chercheurs, s'il n'y avait eu que l'implication des professionnels, je ne suis pas sûr que le sujet aurait pris cette dimension-là. Or, pour la première fois, sans doute, le grand public s'est senti directement concerné par la mobilisation des chercheurs. S'il y avait là une forme de satisfaction collective, c'est qu'il y a eu un acte de confiance entre les citoyens, les chercheurs et les universitaires.
Il faut donc, maintenant, en tirer toutes les leçons. La Recherche n'est plus une controverse entre spécialistes -encore que, ayant assisté à une partie des travaux, mon verdict est un peu rapide ; j'ai le sentiment que sur l'organisation, sur le financement, il y a encore du travail à faire ; faites le entre vous. Ne donnez pas le sentiment que, face à cet enjeu-là, il y aurait des catégories professionnelles qui défendraient leurs organismes ou leurs universités. Ne donnez pas ce sentiment d'une concurrence au sein même de la Recherche. Ce serait le plus mauvais service que vous pourriez rendre à la cause. Il faut, bien sûr, faire en sorte que la coordination se fasse, que les moyens soient bien accordés, que l'évaluation soit parfaite, que l'on puisse faire de la Recherche dans les universités (puisque c'est leur mission première) et que les chercheurs soient des enseignants. Mais, il va falloir que nous rentrions dans plus de détail.
La Recherche n'est donc plus une controverse entre spécialistes, parce que c'est une priorité largement partagée par les citoyens. Nous pourrions croire que le gouvernement en aurait pris la juste mesure, à travers l'annonce d'un projet de loi sur la Recherche qui est, d'ailleurs, apparu davantage un effet d'annonce que la réalité.
De la même manière, l'annonce d'une agence, par ailleurs souhaitable, paraît être plus une coquille vide plutôt -ainsi que nous pourrions l'espérer- qu'une pêche miraculeuse. Il y a donc, c'est vrai, de quoi déchanter. Il est vrai aussi que tout ne se réduit pas à une question de moyens ; c'est ce que disent, d'ailleurs, les gouvernements qui ne veulent rien " lâcher ". Mais, en même temps, s'il n'y a pas les moyens, les ressources, nous pourrons avoir les meilleures organisations, les meilleures synthèses, il ne sera pas possible d'avancer.
C'est pourquoi, je veux, au nom du Parti socialiste, prendre des engagements simples, mais que nous retrouverons au moment de l'élaboration de notre projet :
Premier engagement : il est politique, c'est la volonté de créer un Ministère de la Recherche, de l'Enseignement supérieur et des Technologies ; cela avait été souhaité par les " Actes de Grenoble " et je crois que c'est nécessaire ; cela ne veut pas dire qu'il suffirait d'avoir de grands ministères pour avoir, d'abord, de grands ministres et, en plus, de grandes politiques. C'est un préalable ;
Deuxième engagement : il est budgétaire, c'est l'objectif de 3 % de la richesse nationale pour les dépenses de Recherche. On dit d'ici 2010. Mais, si rien n'est fait suffisamment entre 2005 et 2007, et si la gauche revient aux responsabilités, il va falloir soit avoir un rythme plus élevé, soit reculer l'échéance. Or, il n'y a pas de temps à perdre, car cela suppose d'augmenter de 10% chaque année le budget de la Recherche. Et, tout retard qui sera constaté sera sans doute extrêmement lourd et difficile à rattraper. Quand on sait ce que font des pays parmi les plus libéraux en matière de Recherche, aussi bien les USA que la Grande-Bretagne, le Japon ou la Chine, le retard pris par la France est encore plus insupportable;
Troisième engagement : il est humain. Le constat est grave d'une désaffection alarmante des jeunes à l'égard des filières scientifiques. Si nous n'en prenons pas la mesure, on pourra trouver toutes les solutions pour les débouchés de demain, nous n'aurons pas finalement la ressource humaine nécessaire en matière de carrière scientifique. C'est donc d'abord l'orientation dans les filières scientifiques qu'il faut développer, c'est le goût de la science qu'il faut donner, de toutes les formes de science. Il faut d'abord redonner une volonté de faire sa vie dans la Recherche, dans la science, dans l'enseignement car, on ne peut pas accepter la pénurie de scientifiques qui est constatée. On ne peut pas tolérer le découragement des jeunes chercheurs à poursuivre leurs activités, alors qu'il y a eu des investissements importants qui leur ont été destinés. On ne peut pas plus admettre l'expatriation de bon nombre -aux USA ou ailleurs- de chercheurs. C'est insupportable de constater que ce sont les contribuables Français qui payent pour les Laboratoires étrangers. On n'arrive même pas aujourd'hui à attirer suffisamment d'étudiants étrangers, et notamment de chercheurs étrangers en France. Cela ne renvoie pas uniquement à des politiques budgétaires, mais à des politiques d'immigration totalement contradictoires avec l'objectif d'avoir les meilleurs chercheurs qui puissent se former, exercer en France, quitte à revenir ensuite dans leur pays d'origine.
Sur les emplois scientifiques : nous avons fixé l'objectif de 5 000 postes à travers des contrats durables, aussi bien pour les organismes de Recherche, les universités ou les grandes entreprises.
Sur les carrières : nous avons 10 000 doctorants par an ; j'ai conscience qu'il n'y a pas suffisamment de docteurs dans les entreprises, qu'il faut qu'ils puissent être reconnus dans les conventions collectives et qu'il faut une mobilisation des partenaires sociaux -et notamment du patronat- pour qu'il puisse y avoir davantage de doctorants dans les entreprises. Il en est de même pour la fonction publique ; il faudra imaginer des recrutements directs de chercheurs dans la haute fonction publique.
Il nous faut aussi aborder la question du lien entre Enseignement et Recherche. Partons des acquis. Nous sommes tous d'accord pour qu'il y ait une évaluation, que cette évaluation doit être sans doute " centralisée ", " unique ", car il faut bien qu'il y ait une évaluation partant des mêmes critères et pouvant attribuer les moyens correspondants.
Il faut rapprocher les organismes de Recherche, les universités et les grandes écoles dans des pôles. Là où les choses se compliquent, c'est quand il s'agit de déterminer ce que sont ces pôles, qui commande dans ces pôles et qui en fixe les budgets.
Disons donc d'abord qu'il faut des pôles et qu'il faut ensemble en fixer les moyens. Je crois que nous pouvons arriver, là, à un début de solution. Je pense aussi qu'il faut que les organismes de Recherche aient leur propre budget et qu'il faut -parallèlement- qu'il y ait une réforme de l'Enseignement supérieur. Parce que, s'il n'y a pas de réforme de l'Enseignement supérieur, on pourra faire tous les pôles que l'on voudra, tous les rapprochements, on aura toujours les mêmes difficultés, les mêmes contraintes dans les universités. C'est pourquoi, il ne peut pas y avoir de politique de la Recherche, s'il n'y a pas une politique de l'Enseignement supérieur. Il faut donc une réforme de l'Enseignement supérieur donnant plus d'autonomie aux universités, rendant plus facile leurs décisions -et notamment budgétaire, faisant en sorte qu'elles puissent avoir plus de ressources. On dépense plus pour un lycéen -cela ne veut pas dire que l'on dépense trop- que pour un étudiant ; on dépense deux fois plus pour un élève de grandes écoles que pour un étudiant ; il faut bien redonner aux universités ce qui leur manque et qu'au moins le coût d'un étudiant soit équivalent au coût d'un lycéen, ce serait déjà beaucoup.
Il faut sûrement des investissements massifs sur les locaux, sur les centres de ressources, sur les bibliothèques universitaires. C'est un point tout à fait décisif, si l'on veut que les étudiants puissent mener des activités de Recherche. Enfin, il faut avoir la volonté, au-delà de la Licence, de professionnaliser les filières et un plan social étudiant doit accompagner l'ensemble.
CONCLUSION
L'EUROPE
Je veux ici introduire la dimension européenne de la Recherche. Si L'Europe n'est pas au rendez-vous, elle aussi, de la Recherche, alors nous pourrons avoir tous les changements souhaitables en France, ce sera insuffisant. L'Europe, regardons la pour ce qu'elle est ou ce qu'elle n'est pas. Elle est, sur ce sujet-là, plus lucide que nous. Elle a fait des choix plus courageux que les nôtres. Et, si parfois, les moyens ne sont pas donnés dans le budget européen, c'est à cause de la France qui préfère dépenser plus pour son agriculture que pour sa Recherche, même si l'on peut faire aussi de la Recherche en agriculture ! Faisons donc en sorte que l'Europe soit, elle aussi, au rendez-vous, et nous avons notre responsabilité à prendre.
Ce qui veut dire que le Conseil européen de la Recherche doit définir des budgets, des grands programmes et des grands projets, car c'est ainsi que la Recherche pourra avancer en Europe. Il faut qu'il y ait -et il y a- de grandes universités européennes. Il faudrait que les universités françaises soient de grandes universités européennes. Il faudra, enfin, que les dépenses de Recherche, de développement soient écartées du calcul du Pacte de stabilité, et ce ne sera pas le plus dur à obtenir. Il est d'ailleurs parfois plus facile de changer des règles européennes que de changer nos propres règles administratives.
LA NOTION DE PROGRES
Nous sommes devant une société inquiète -on en a de multiples symptômes, sceptique -y compris par rapport à ce qui faisait consensus : la République, la Science, le progrès. Nous sommes devant une société frileuse, parfois même peureuse, et qui hésite à franchir le pas. Cette société peut finir par douter de l'essentiel, c'est-à-dire de l'idée même de progrès, au prétexte -par ailleurs réel- que ce progrès ne profiterait pas à tous, que ce progrès créerait de nouveaux risques, que se progrès pourrait même provoquer des inégalités.
Mettre en cause la notion de progrès, c'est mettre en cause son propre avenir. De la même manière qu'il y a, dans une société comme celle d'aujourd'hui, un doute sur le vecteur du progrès, c'est-à-dire la Recherche, qui pourrait conduire -parce qu'elle est marchandisée, car elle est, parce qu'elle est privatisée, utilisée par de grandes firmes- à mettre en cause ce que sont aussi ses résultats.
Il faut donc bien prendre conscience que si on ne réhabilite pas la notion de progrès, c'est le déclin qui nous touchera forcément et que d'autres auront d'autres conceptions du progrès, et pas forcément les nôtres. C'est pourquoi, le rôle de la gauche est de donner confiance dans l'avenir, c'est de ne pas utiliser la peur, mais au contraire de la vaincre pour montrer qu'il y a un espoir possible ; c'est de donner confiance dans la science, parce que c'est la condition de l'essentiel ; c'est donner confiance dans l'investissement public pour la connaissance et donc pour la Recherche. Néanmoins, à une condition : c'est de montrer que les progrès sont au service de tous, que les progrès sont partagés, que le progrès est maîtrisé et décidé démocratiquement. Alors, la Recherche sera la voie la plus sûre, mais aussi la plus exigeante pour atteindre le progrès que nous recherchons tous.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)
Je veux remercier les organisateurs : Alain Claeys, qui a coordonné cette réunion ; toutes les commissions du parti, les délégués nationaux qui se sont mobilisés pour faire de notre réunion une synthèse entre Recherche et Enseignement supérieur ; nous ne sommes pas, d'ailleurs, au bout de cette synthèse. Je veux remercier surtout tous les participants ; ils ont été nombreux, divers (chercheurs, universitaires, personnels administratifs, syndicalistes, élus politiques) et c'est ce qui a fait la richesse de cette rencontre. J'ai forcément en mémoire la personnalité d'Hubert Curien qui, sur ces questions, nous aurait beaucoup apporté.
Le sens qu'il faut donner à cette réunion est clair : l'avènement de la société de la connaissance constituera l'objectif essentiel du projet des socialistes. Dans cette perspective, la Recherche est la réponse première aux défis que collectivement nous affrontons aujourd'hui. La science est la condition impérieuse du progrès ; la Recherche est un bien public majeur et il nous permet (ce bien public) de répondre aux impératifs d'une société démocratique :
* Maîtriser son destin : c'est la science qui permet d'y parvenir, à la fois à travers les mutations technologiques, à travers la réduction des inégalités, mais aussi à travers l'acceptation que la science doit être voulue démocratiquement, même si elle est poursuivie par des femmes et des hommes qui en ont fait leur métier.
* Maîtriser son environnement : s'il n'y a pas de progrès scientifique, il ne peut y avoir de maîtrise de nos énergies, de lutte contre le réchauffement de la planète et de prévention des risques majeurs. De la même manière, si nous ne mettons pas la science et la Recherche au premier rang de nos priorités, nous ne pouvons plus prétendre maîtriser le droit à la santé, c'est-à-dire à la lutte contre toutes les formes de maladie, de pandémies, à la douleur ou à la prévention des handicaps.
À partir de là, la Recherche permet les avancées, les conquêtes, les évolutions et les changements de mode de vie. Cette confiance en la science n'efface pas la conscience de ses risques. Nous en sommes tous partie prenante ; à la fois les chercheurs, les universitaires qui veulent avoir les moyens pour découvrir et les politiques qui doivent revendiquer les choix éthiques qui relèvent d'eux, au nom de l'intérêt général et du suffrage universel. Et la démocratie est donc partie prenante du débat scientifique. La demande qui est faite, et qui est légitime, est celle de l'information, de la transparence, de la vérification et de la confrontation.
La meilleure façon de vaincre les peurs est d'affirmer à la fois l'exigence du progrès et le contrôle par la démocratie de toutes les étapes qui y conduisent.
La Recherche, partant de là, n'est donc pas un choix -comme on voudrait nous le faire croire- où nous n'aurions à choisir qu'entre de la Recherche ou pas de Recherche du tout. D'ailleurs qui peut l'imaginer ? La Recherche est une obligation.
Et, pour un pays comme la France, pour un continent comme l'Europe, la Recherche est le fondement même de la réussite collective, dans le contexte de la mondialisation. Car, dans la compétition planétaire, il y a deux stratégies possibles :
- Une stratégie défensive, où il s'agirait de niveler les droits, les progrès, les protections, les garanties voire les salaires ;
- Une stratégie offensive qui est de fonder la réussite sur les dépenses d'avenir, c'est-à-dire sur l'Education, la formation, les services publics, les infrastructures et la Recherche, et d'abord la Recherche fondamentale. C'est elle qui permet de découvrir, de repousser les frontières, d'ouvrir le champ du savoir et, sans Recherche fondamentale, il n'y a pas d'innovation, il n'y a pas de Recherche finalisée et il n'y a pas de liberté de chercher et donc de trouver.
Une fois ces principes simples évoqués, nous devons reconnaître -et c'est bien qu'il en soit ainsi- que la Recherche est un sujet éminemment politique au meilleur sens du terme. Politique, parce qu'il s'agit du sort de tous. Politique, parce que c'est un enjeu qui suppose des priorités et donc des engagements. Politique, parce qu'il y a confrontation sur les questions de Recherche. Politique, parce que ce sera un élément programmatique pour le Parti socialiste.
Il est vrai que si le débat sur la Recherche est devenu un sujet politique, il faut en reconnaître le mérite premier au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. S'il n'avait pas mis autant d'obstination pour réduire les crédits, limiter les embauches, supprimer même les postes, il n'y aurait pas eu ce mouvement -même s'il ne faut pas toujours de mauvais gouvernements pour voir surgir des prises de conscience- qui a trouvé son paroxysme dans les " Actes de Grenoble " (mouvement " Sauver la Recherche "), mouvement qui a provoqué par son ampleur et la qualité de ses propositions une utile prise de conscience. Si cela n'avait été que la mobilisation des chercheurs, s'il n'y avait eu que l'implication des professionnels, je ne suis pas sûr que le sujet aurait pris cette dimension-là. Or, pour la première fois, sans doute, le grand public s'est senti directement concerné par la mobilisation des chercheurs. S'il y avait là une forme de satisfaction collective, c'est qu'il y a eu un acte de confiance entre les citoyens, les chercheurs et les universitaires.
Il faut donc, maintenant, en tirer toutes les leçons. La Recherche n'est plus une controverse entre spécialistes -encore que, ayant assisté à une partie des travaux, mon verdict est un peu rapide ; j'ai le sentiment que sur l'organisation, sur le financement, il y a encore du travail à faire ; faites le entre vous. Ne donnez pas le sentiment que, face à cet enjeu-là, il y aurait des catégories professionnelles qui défendraient leurs organismes ou leurs universités. Ne donnez pas ce sentiment d'une concurrence au sein même de la Recherche. Ce serait le plus mauvais service que vous pourriez rendre à la cause. Il faut, bien sûr, faire en sorte que la coordination se fasse, que les moyens soient bien accordés, que l'évaluation soit parfaite, que l'on puisse faire de la Recherche dans les universités (puisque c'est leur mission première) et que les chercheurs soient des enseignants. Mais, il va falloir que nous rentrions dans plus de détail.
La Recherche n'est donc plus une controverse entre spécialistes, parce que c'est une priorité largement partagée par les citoyens. Nous pourrions croire que le gouvernement en aurait pris la juste mesure, à travers l'annonce d'un projet de loi sur la Recherche qui est, d'ailleurs, apparu davantage un effet d'annonce que la réalité.
De la même manière, l'annonce d'une agence, par ailleurs souhaitable, paraît être plus une coquille vide plutôt -ainsi que nous pourrions l'espérer- qu'une pêche miraculeuse. Il y a donc, c'est vrai, de quoi déchanter. Il est vrai aussi que tout ne se réduit pas à une question de moyens ; c'est ce que disent, d'ailleurs, les gouvernements qui ne veulent rien " lâcher ". Mais, en même temps, s'il n'y a pas les moyens, les ressources, nous pourrons avoir les meilleures organisations, les meilleures synthèses, il ne sera pas possible d'avancer.
C'est pourquoi, je veux, au nom du Parti socialiste, prendre des engagements simples, mais que nous retrouverons au moment de l'élaboration de notre projet :
Premier engagement : il est politique, c'est la volonté de créer un Ministère de la Recherche, de l'Enseignement supérieur et des Technologies ; cela avait été souhaité par les " Actes de Grenoble " et je crois que c'est nécessaire ; cela ne veut pas dire qu'il suffirait d'avoir de grands ministères pour avoir, d'abord, de grands ministres et, en plus, de grandes politiques. C'est un préalable ;
Deuxième engagement : il est budgétaire, c'est l'objectif de 3 % de la richesse nationale pour les dépenses de Recherche. On dit d'ici 2010. Mais, si rien n'est fait suffisamment entre 2005 et 2007, et si la gauche revient aux responsabilités, il va falloir soit avoir un rythme plus élevé, soit reculer l'échéance. Or, il n'y a pas de temps à perdre, car cela suppose d'augmenter de 10% chaque année le budget de la Recherche. Et, tout retard qui sera constaté sera sans doute extrêmement lourd et difficile à rattraper. Quand on sait ce que font des pays parmi les plus libéraux en matière de Recherche, aussi bien les USA que la Grande-Bretagne, le Japon ou la Chine, le retard pris par la France est encore plus insupportable;
Troisième engagement : il est humain. Le constat est grave d'une désaffection alarmante des jeunes à l'égard des filières scientifiques. Si nous n'en prenons pas la mesure, on pourra trouver toutes les solutions pour les débouchés de demain, nous n'aurons pas finalement la ressource humaine nécessaire en matière de carrière scientifique. C'est donc d'abord l'orientation dans les filières scientifiques qu'il faut développer, c'est le goût de la science qu'il faut donner, de toutes les formes de science. Il faut d'abord redonner une volonté de faire sa vie dans la Recherche, dans la science, dans l'enseignement car, on ne peut pas accepter la pénurie de scientifiques qui est constatée. On ne peut pas tolérer le découragement des jeunes chercheurs à poursuivre leurs activités, alors qu'il y a eu des investissements importants qui leur ont été destinés. On ne peut pas plus admettre l'expatriation de bon nombre -aux USA ou ailleurs- de chercheurs. C'est insupportable de constater que ce sont les contribuables Français qui payent pour les Laboratoires étrangers. On n'arrive même pas aujourd'hui à attirer suffisamment d'étudiants étrangers, et notamment de chercheurs étrangers en France. Cela ne renvoie pas uniquement à des politiques budgétaires, mais à des politiques d'immigration totalement contradictoires avec l'objectif d'avoir les meilleurs chercheurs qui puissent se former, exercer en France, quitte à revenir ensuite dans leur pays d'origine.
Sur les emplois scientifiques : nous avons fixé l'objectif de 5 000 postes à travers des contrats durables, aussi bien pour les organismes de Recherche, les universités ou les grandes entreprises.
Sur les carrières : nous avons 10 000 doctorants par an ; j'ai conscience qu'il n'y a pas suffisamment de docteurs dans les entreprises, qu'il faut qu'ils puissent être reconnus dans les conventions collectives et qu'il faut une mobilisation des partenaires sociaux -et notamment du patronat- pour qu'il puisse y avoir davantage de doctorants dans les entreprises. Il en est de même pour la fonction publique ; il faudra imaginer des recrutements directs de chercheurs dans la haute fonction publique.
Il nous faut aussi aborder la question du lien entre Enseignement et Recherche. Partons des acquis. Nous sommes tous d'accord pour qu'il y ait une évaluation, que cette évaluation doit être sans doute " centralisée ", " unique ", car il faut bien qu'il y ait une évaluation partant des mêmes critères et pouvant attribuer les moyens correspondants.
Il faut rapprocher les organismes de Recherche, les universités et les grandes écoles dans des pôles. Là où les choses se compliquent, c'est quand il s'agit de déterminer ce que sont ces pôles, qui commande dans ces pôles et qui en fixe les budgets.
Disons donc d'abord qu'il faut des pôles et qu'il faut ensemble en fixer les moyens. Je crois que nous pouvons arriver, là, à un début de solution. Je pense aussi qu'il faut que les organismes de Recherche aient leur propre budget et qu'il faut -parallèlement- qu'il y ait une réforme de l'Enseignement supérieur. Parce que, s'il n'y a pas de réforme de l'Enseignement supérieur, on pourra faire tous les pôles que l'on voudra, tous les rapprochements, on aura toujours les mêmes difficultés, les mêmes contraintes dans les universités. C'est pourquoi, il ne peut pas y avoir de politique de la Recherche, s'il n'y a pas une politique de l'Enseignement supérieur. Il faut donc une réforme de l'Enseignement supérieur donnant plus d'autonomie aux universités, rendant plus facile leurs décisions -et notamment budgétaire, faisant en sorte qu'elles puissent avoir plus de ressources. On dépense plus pour un lycéen -cela ne veut pas dire que l'on dépense trop- que pour un étudiant ; on dépense deux fois plus pour un élève de grandes écoles que pour un étudiant ; il faut bien redonner aux universités ce qui leur manque et qu'au moins le coût d'un étudiant soit équivalent au coût d'un lycéen, ce serait déjà beaucoup.
Il faut sûrement des investissements massifs sur les locaux, sur les centres de ressources, sur les bibliothèques universitaires. C'est un point tout à fait décisif, si l'on veut que les étudiants puissent mener des activités de Recherche. Enfin, il faut avoir la volonté, au-delà de la Licence, de professionnaliser les filières et un plan social étudiant doit accompagner l'ensemble.
CONCLUSION
L'EUROPE
Je veux ici introduire la dimension européenne de la Recherche. Si L'Europe n'est pas au rendez-vous, elle aussi, de la Recherche, alors nous pourrons avoir tous les changements souhaitables en France, ce sera insuffisant. L'Europe, regardons la pour ce qu'elle est ou ce qu'elle n'est pas. Elle est, sur ce sujet-là, plus lucide que nous. Elle a fait des choix plus courageux que les nôtres. Et, si parfois, les moyens ne sont pas donnés dans le budget européen, c'est à cause de la France qui préfère dépenser plus pour son agriculture que pour sa Recherche, même si l'on peut faire aussi de la Recherche en agriculture ! Faisons donc en sorte que l'Europe soit, elle aussi, au rendez-vous, et nous avons notre responsabilité à prendre.
Ce qui veut dire que le Conseil européen de la Recherche doit définir des budgets, des grands programmes et des grands projets, car c'est ainsi que la Recherche pourra avancer en Europe. Il faut qu'il y ait -et il y a- de grandes universités européennes. Il faudrait que les universités françaises soient de grandes universités européennes. Il faudra, enfin, que les dépenses de Recherche, de développement soient écartées du calcul du Pacte de stabilité, et ce ne sera pas le plus dur à obtenir. Il est d'ailleurs parfois plus facile de changer des règles européennes que de changer nos propres règles administratives.
LA NOTION DE PROGRES
Nous sommes devant une société inquiète -on en a de multiples symptômes, sceptique -y compris par rapport à ce qui faisait consensus : la République, la Science, le progrès. Nous sommes devant une société frileuse, parfois même peureuse, et qui hésite à franchir le pas. Cette société peut finir par douter de l'essentiel, c'est-à-dire de l'idée même de progrès, au prétexte -par ailleurs réel- que ce progrès ne profiterait pas à tous, que ce progrès créerait de nouveaux risques, que se progrès pourrait même provoquer des inégalités.
Mettre en cause la notion de progrès, c'est mettre en cause son propre avenir. De la même manière qu'il y a, dans une société comme celle d'aujourd'hui, un doute sur le vecteur du progrès, c'est-à-dire la Recherche, qui pourrait conduire -parce qu'elle est marchandisée, car elle est, parce qu'elle est privatisée, utilisée par de grandes firmes- à mettre en cause ce que sont aussi ses résultats.
Il faut donc bien prendre conscience que si on ne réhabilite pas la notion de progrès, c'est le déclin qui nous touchera forcément et que d'autres auront d'autres conceptions du progrès, et pas forcément les nôtres. C'est pourquoi, le rôle de la gauche est de donner confiance dans l'avenir, c'est de ne pas utiliser la peur, mais au contraire de la vaincre pour montrer qu'il y a un espoir possible ; c'est de donner confiance dans la science, parce que c'est la condition de l'essentiel ; c'est donner confiance dans l'investissement public pour la connaissance et donc pour la Recherche. Néanmoins, à une condition : c'est de montrer que les progrès sont au service de tous, que les progrès sont partagés, que le progrès est maîtrisé et décidé démocratiquement. Alors, la Recherche sera la voie la plus sûre, mais aussi la plus exigeante pour atteindre le progrès que nous recherchons tous.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)