Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, nadans "Le Figaro" du 17 février 2003, sur la nécessité de préserver la biodiversité, intitulée "Pourquoi aller à Kuala Lumpour".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Pourquoi aller à Kuala Lumpur
La conférence des parties à la convention des Nations unies sur la biodiversité se tient en ce moment à Kuala Lumpur. C'est la septième réunion organisée sur cette convention née au Sommet de la Terre à Rio en 1992. Un grand chantier s'ouvrait alors : enrayer la perte de biodiversité de la planète. Douze ans après, le constat est accablant. Presque partout, en effet, la situation ne fait que s'aggraver : les forêts tropicales et les mangroves continuent de reculer, certaines des ressources vivantes de la mer sont menacées d'épuisement, les disparitions d'espèces animales et végétales rares ne se comptent plus.
L'horizon est tout aussi sombre, qu'il s'agisse de la destruction ou de la fragmentation d'habitats naturels, de la prolifération d'espèces envahissantes ou de l'impact du réchauffement climatique. Dans le monde, une espèce d'oiseaux sur huit et une espèce de mammifères sur quatre sont menacées d'extinction. Ne serait-ce que sur le territoire métropolitain, ce sont 10 % des espèces connues de flore et 35 % des espèces de mammifères qui sont considérées comme en danger ou vulnérables.
On pourrait croire que l'humanité s'en moque, lorsque, par exemple, les défenseurs des cétacés au sein de la Commission baleinière internationale doivent intervenir vigoureusement pour empêcher certains pays de reprendre une activité de chasse à la baleine, qui exterminerait les rares individus encore en vie en l'espace de quelques années. La préservation de la diversité biologique de la planète serait-elle une bataille déjà perdue ?
Aujourd'hui, les incantations ne suffisent plus. Il nous faut agir, maintenant plus que jamais. Bien sûr, le travail dans les instances internationales peut souvent sembler ingrat et de peu d'effet. Est-ce une raison pour capituler ? Il n'en est pas question. Je me suis rendue à Kuala Lumpur pour y porter la voix de la France et y redire notre conviction que cette tendance dangereuse n'est pas inéluctable. Elle peut et doit absolument être enrayée. Il appartient en effet à notre pays d'être un des moteurs de ce redressement international.
Jusqu'ici le souci de la préservation de la biodiversité était l'apanage de chercheurs et de passionnés, " amoureux de la nature ". Mais nous savons aujourd'hui que la richesse biologique de la nature est un support essentiel du développement. Nous pouvons même mesurer ce profit en termes économiques.
Ainsi, l'Assemblée nationale vient de voter un texte sur les zones humides pour restituer aux acteurs de terrain les bénéfices que notre société retire de celles-ci. Autre exemple : environ 15 % des touristes qui visitent la Guadeloupe affirment que l'existence d'un parc national sur cette île a influencé le choix de leur lieu de vacances. La biodiversité représente donc une valeur économique indéniable, aussi bien dans des espaces de " nature ordinaire " que dans des sites aussi emblématiques que nos parcs nationaux.
Cette nécessaire mise en valeur s'avère encore insuffisante, y compris en France. Ainsi en Guyane, le développement d'un tourisme durable en association avec les pays voisins d'Amazonie offre des perspectives extraordinaires. Nous n'avons pas le droit de manquer cette occasion, ne serait-ce que pour remplacer la mono-économie de l'orpaillage, dont l'effet peut être destructeur et toucher autant les hommes que la nature. La préservation des tortues luths sur les plages d'Avwala Yalimapo sera ainsi un des moteurs du développement local.
Au-delà de cet enjeu d'équilibre économique, la biodiversité est le trésor de notre planète, une merveilleuse bibliothèque de molécules susceptible d'apporter à notre pharmacopée une contribution majeure. Je n'en donnerai que deux exemples, le taxol et la vincamine, qui sont des médicaments prescrits dans le cadre de protocoles thérapeutiques anticancéreux et qui sont respectivement issus d'un if Taxus baccata, et de la pervenche de Madagascar.
Il faut parler enfin, et surtout, de la dimension culturelle qui s'attache à la biodiversité : partout dans le monde, en effet, à Madagascar comme en Guyane, dans le parc des Cévennes comme dans celui de Yellowstone, les cultures locales sont indissociables de la nature et participent de l'identité des populations locales. De la même façon, dans ma région des Pays de Loire j'ai tenu à préserver le patrimoine magique des lieux auxquels je suis attachée. C'est la raison pour laquelle je me suis battue pour obtenir l'inscription des rives de la Loire au patrimoine mondial de l'UNESCO. L'homme ne peut pas détruire ni laisser disparaître une partie de lui-même sans réagir vigoureusement !
La France est présente dans toutes les régions de la planète. Selon le modèle que nous a légué le général de Gaulle, notre pays a un rôle à jouer, une mission. Il ne s'agit évidemment pas de chercher à promouvoir un modèle français de développement. Nous devons trouver les voies qui permettront aux acteurs de terrain de faire de la biodiversité un de leurs outils de développement durable. La France doit jouer un rôle de sentinelle, apporter un soutien aux initiatives vertueuses et rester une référence. Cette exigence est d'autant plus forte que notre pays a des responsabilités immenses en la matière dans l'ensemble de ses territoires.
La France doit être de ceux qui battent le rappel pour mobiliser les savoirs et savoir-faire au service de la cause vitale de la biodiversité. Elle a le devoir de proclamer que le combat ne fait que commencer. Le renoncement n'est pas de mise. C'est bien ce que le président de la République a voulu en engageant notre pays dans l'élaboration d'une charte constitutionnelle de l'environnement.
Il peut apparaître ardu d'avancer dans le cadre d'une gouvernance mondiale régie par des conventions internationales très nombreuses et au contenu souvent trop flou. Et pourtant ce multilatéralisme difficile est la seule voie de la réussite pour traiter de sujets aussi complexes que la mise en réseau des aires protégées, le partage des bénéfices liés à l'exploitation de la biodiversité ou la sauvegarde des forêts primaires.
Prenons l'exemple de la lutte contre le changement climatique. Aujourd'hui, le monde entier a pris conscience du phénomène. Une coordination des outils de suivi scientifique et de prévision a été mise en place afin de travailler sur une base commune, préalable indispensable à toute action concrète d'envergure. C'est sur des principes comparables qu'il faut avancer en matière de biodiversité.
A Kuala Lumpur, je présenterai les objectifs et les orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité que le gouvernement vient de définir, et qui seront complétées par des plans d'action opérationnels d'ici à juin 2004. Mais je serai là-bas aussi pour proclamer que l'effort doit encore être accru à l'échelle de la planète, car c'est seulement à ce prix que nous laisserons à nos descendants une Terre dont notre génération n'aura pas à rougir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2004)