Interviews de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Télégramme" le 22 avril 2005, "Marianne" le 25 et "L"Union" le 28, sur le climat politique et l'engagement de l'UDF pour le référendum sur la Constitution européenne.

Prononcé le

Média : Journal de l'Union interparlementaire - L'Union - Le Télégramme de Brest et de l'Ouest - Marianne

Texte intégral

Q - Au vu des sondages, ne regrettez-vous pas d'avoir réclamé un référendum, alors que la voie parlementaire ne présentait pas de risque ?
R - Le référendum, même s'il est risqué, est une idée juste. L'idée européenne a terriblement souffert d'être construite sans les gens, sans les citoyens. Alors, bien sûr, il y a un risque. Mais rien de grand ne se fait sans risque.
Cette fois-ci, comme ce fut le cas en 1992, il fallait que les Français fussent associés. Le référendum remet la décision à chaque Français. C'est une bonne chose. Cela dit, nous n'obtiendrons un résultat positif que si ceux qui militent pour l'idée européenne s'engagent personnellement et totalement.
Q - Il demeure que le " oui " est régulièrement distancé dans les sondages. À qui la faute ?
R - Les premiers responsables sont ceux qui, depuis des années et sous tous les gouvernements, ont mis sur le dos de l'Europe, sur le dos de Bruxelles, les sacrifices et les contraintes que la France a dû assumer pour faire face au nouvel état de la planète, pour répondre au défi de la mondialisation.
Ils ont fait de Bruxelles un bouc émissaire au lieu de montrer que l'Europe nous protégeait et nous protégera. Elle seule est en mesure d'adoucir les contraintes de la mondialisation.
J'ajoute que ceux qui, de tous bords et de tous métiers - et je n'exonère pas les journalistes -, ont contribué à faire que nos compatriotes ne se reconnaissent plus dans la France officielle ont, eux aussi, une part de responsabilité.
Q - Quels sont, à vos yeux, les arguments susceptibles d'inverser la tendance en faveur du " oui " ?
R - J'en vois trois. Le premier tient au fait que nous avons besoin d'une Europe unie et forte face aux Etats-Unis, à la Chine et aux puissances émergentes. Regardez la pression de l'immense Chine. Regardez la domination américaine. Sans l'Europe, sans la Constitution, nous serions dans une situation de soumission. C'est la première raison qui doit nous conduire à ne pas ignorer le besoin d'Europe.
Deuxième argument : jusqu'à maintenant, l'Europe était l'affaire des experts, des diplomates et des initiés. La Constitution donne pour la première fois la réalité du pouvoir aux citoyens.
Je suis enfin persuadé que beaucoup de Français ne sont pas des Européens tièdes ou résignés. Ceux-là doivent exprimer leur affection pour l'Europe.
Q - Tous les partisans du " oui " en font-ils assez ?
R - Nous ne sommes pas dans une cour de récréation. Je ne dirai donc pas que les difficultés du " oui " sont la faute de tel ou tel. Je ne jouerai pas au petit jeu délétère des critiques réciproques. Je refuse que les partisans du " oui " s'envoient des missiles en s'accusant d'être insuffisamment engagés dans cette bataille décisive. Nous avons tous assez à faire pour combattre les arguments des tenants du " non " pour nous éviter de dénoncer les éventuelles insuffisances du " oui ".
Q - Que vous inspire la bataille de polochons qui agite aujourd'hui le gouvernement Raffarin ?
R - À l'occasion d'un débat aussi important pour la France et l'Europe, on est en droit d'attendre des membres du gouvernement qu'ils évitent d'exposer, comme ils le font, leurs querelles intestines.
Q - Jacques Chirac a-t-il eu raison de découpler son sort du résultat du référendum ?
R - Plus le débat référendaire tournera autour de la politique intérieure, plus il se réduira à un vote pour ou contre le pouvoir exécutif, et plus le sens de cette consultation sera dénaturé. Il faut absolument découpler les questions de politique politicienne de ce grand débat européen; même si c'est difficile, même si le vote des Français sera obligatoirement influencé par le climat politique actuel dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas bon.
Q - Si la France vote " non ", un deuxième référendum (comme ce fut le cas pour le Danemark en 1992 et pour l'Irlande en 2001), est-il envisageable ?
R - Je crains qu'un " non " français le 29 mai, et peut-être un " non " néerlandais le 1 e r juin, ne soit infiniment plus grave. La France et les Pays-Bas sont des membres fondateurs de l'Europe. Ce n'était pas le cas du Danemark et de l'Irlande.
Q - L'UDF est le seul parti politique à militer de manière quasi-unanime en faveur du " oui ". Quelles seraient les conséquences d'un " non " français pour votre formation ?
R - L'UDF est en effet la seule formation politique unie dans ce débat. Dans nos rangs, l'idée européenne est un élément d'identité. C'est pourquoi, à un mois du scrutin, nous écartons toute idée de manuvre politicienne.
Le 29 mai, la France fera un choix historique. Pour elle-même, mais aussi pour les autres pays européens qui nous observent avec fascination et inquiétude. Je ne pèse ainsi ni les avantages ni les inconvénients politiques que nous pourrions recueillir de ce vote. Dans ce débat essentiel, l'UDF est totalement engagée en faveur du " oui " à l'Europe. Nous resterons mobilisés sur cet objectif jusqu'au bout.

Q - Comment réagissez-vous à l'élection de Joseph Ratzinger comme successeur de Jean-Paul II. L'élection d'un pape allemand est-elle un bon signe pour l'Europe ?
R - Pour moi, je sépare bien les choses. La vie de l'Eglise ne doit pas être mélangée à nos débats politiques. En tant que croyant, en tant que catholique, je vis cet événement comme un événement spirituel. Et comme tel je le vis avec espérance. L'Eglise parle aux chrétiens et peut-être aux autres hommes de leurs raisons de vivre. Et chacun ensuite traduit ses raisons de vivre dans ses choix de citoyen.
Propos recueillis par Philippe Reinhard
(Source http://www.udf-europe.net, le 27 avril 2005)
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["Marianne", 25 avril 05]
Q - Après avoir donné le oui largement majoritaire, les sondages sont depuis quatre semaines passés au non. Vous qui êtes un partisan de la constitution européenne, ça vous inquiète ?
R - Engagé pour le oui, j'étais très mal à l'aise quand les sondages étaient euphoriques. Je ne reconnaissais pas dans ces chiffres optimistes l'état du pays tel que je le ressentais, la profondeur de la crise sociale et politique. Aujourd'hui, les choses se révèlent. On doit donc se battre pour se qu'on croit.
Q - La non de gauche est très puissant
R - Et il vient de loin. La gauche française n'a jamais levé l'ambiguïté de son choix politique. Depuis 1981, elle a constamment eu une pratique politique réformiste et une rhétorique révolutionnaire. Elle a promu l'idéologie de la contestation radicale du marché, alors que, dans les autres pays européens, la social-démocratie privilégiait l'idée de régulation. Les spots du PS, lors de la dernière campagne européenne, en donnaient une illustration saisissante. L'Europe y était présentée comme le champ d'expansion du libéralisme sauvage. La première image était celle d'un jeune homme accidenté refoulé à l'entrée de l'hôpital parce qu'il n'avait pas sa carte Bleue Un jour, forcément, on récolte ce qu'on a semé.
Q - Et le non de droite ?
R - La droite est nationale dans son tréfonds. Il est très difficile pour elle d'accepter que l'idée de nation soit dépassée en une idée plus large, celle d'une nation de nations, d'un vrai peuple européen.
Q - Et puis il faut compter avec le malaise social
R - Les gouvernements successifs se sont toujours débarrassés sur l'Europe de la responsabilité des efforts que nous imposait l'évolution du monde. C'est un formidable détournement. Car l'Europe nous a plus souvent protégés que contraints. Imaginons, par exemple, à quelle brutalité d'adaptation nous aurions été soumis si l'euro ne nous avait pas protégés des chocs des dévaluations ! Bien des Français sont donc tentés de répondre au référendum comme ils le feraient à la question " est-ce que ça va ? " Et ils répondent massivement non. L'Europe, bouc émissaire de la modernité
Q - Nombre d' " autorités ", nationales et internationales, sont pourtant venues plaider la " raison " contre la " passion ".
R - Le temps de l'autorité qui tombe d'en haut est fini. Chaque fois que l'on prétend assener d'en haut des certitudes non démontrées se lèvera dans le peuple une contestation sourde et, parfois, violente. Il faut donc faire entrer la passion dans le camp du oui, comme elle se fait entendre dans le camp du non. Il y a beaucoup de Français qui croient à l'Europe, qui ne l'acceptent pas par résignation, ou au terme d'un raisonnement, mais qui y voient la seule grande aventure positive du siècle. Ceux-là ont besoin de trouver un oui d'émotion et d'idéal.
Q - Vous reprenez, dans votre livre-plaidoyer pour la constitution européenne, les arguments du oui. Quel est, selon vous, le plus puissant de ces arguments ?
R - Le monde est dominé par la puissance américaine, concurrencée par la puissance chinoise. Voulons-nous accepter la domination de ces empires, et leur modèle de société ? Ou voulons-nous compter, nous aussi, pour défendre nos valeurs ? Un sage de la politique m'a donné autrefois ce conseil précieux : " Quand tu ne sais pas ce que tu dois faire, demande-toi ce que tes adversaires voudraient que tu fasses, et fais le contraire. " Tous les adversaires de l'idée européenne rêvent de nous voir voter non, les milieux néoconservateurs américains, les conservateurs britanniques antieuropéens, l'extrême droite européenne et l'extrême gauche, Le Pen et Besancenot. Si l'on a un doute, il suffit de se demander qui, en France, en Europe et dans le monde, sablerait le champagne en cas de victoire du non
Q - Il manque Fabius à votre galerie
R - La responsabilité historique de Laurent Fabius, c'est qu'il essaie d'accréditer l'idée qu'on pourrait renégocier en cas de victoire du non pour obtenir une " meilleure " constitution. Comme il appartenait jusqu'à maintenant au camp des proeuropéens, cela fait douter des électeurs. On doit donc poser deux questions : renégocier avec qui ? Et renégocier dans quel sens ? Je lance un défi à ceux qui défendent cette idée fausse : qu'ils présentent aux Français un seul responsable politique issu d'un seul des 24 autres pays de l'Union qui vienne nous dire qu'un non français permettrait d'obtenir un texte plus européen ! Ils n'en trouveront pas. Et dans quel sens renégocier ? Dans le sens de M. Le Pen, de M. de Villiers, de Mme Buffet, de la LCR ou de M. Fabius ? Dans le non, il y aura une immense majorité d'antieuropéens viscéraux. Il faut être d'une mauvaise foi sans limites pour soutenir qu'une victoire du non apparaîtrait comme une demande de plus de fédéralisme en Europe !
Q - Et si le non l'emportait vraiment ?
R - Nous connaîtrions, cinquante ans après, le même scénario que pour la Communauté européenne de défense, voulue par la France, négociée par la France, adoptée par nos partenaires et, finalement, rejetée par la France. Cinquante et un ans après cet échec, nous n'avons toujours pas de défense européenne.
Q - Et sur le plan intérieur ?
R - Ce serait une remise en cause radicale de la légitimité de notre système politique, sans solution alternative. Songez que les partis qui soutiennent le oui représentent 90 % des parlementaires. Songez que cette crise interviendrait trois ans à peine après le mandat de 2002, donné par les Français à plus de 82 % des voix. Et imaginez l'écho que cette crise française aurait au-delà de nos frontières. En tout cas, il y aurait une victime immédiate : l'idée même d'union politique de l'Europe.
Propos recueillis par Anna Bitton et Nicolas Domenach
(Source http://www.udf-europe.net, le 27 avril 2005)
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["L'Union", 28 avril 05]
Q - Selon vous, qu'est ce qui peut faire remonter le oui ?
R - Je sens une mobilisation nouvelle des Français qui aiment l'Europe et veulent la défendre. Pendant toute une période, disons-le, ils ont assisté à la montée du non avec un sourire un peu goguenard.
Ils ont ensuite imaginé que l'intervention des autorités suffirait à rétablir la situation. Ayant vu que ce n'est pas le cas, ceux qui veulent la victoire du oui ont changé d'attitude : ils s'engagent maintenant personnellement dans leur entourage, dans leur famille, dans leur vie professionnelle.
Q - Vous les appelez à faire du militantisme ?
R - Il ne s'agit pas de militantisme partisan, mais d'intérêt général. Un enjeu si important ne sera pas sauvé sans un engagement personnel.
Q - Jusqu'ici, un seul sondage tempère la force du non.
R - J'ai souvent observé qu'entre le moment où on ressent un changement de climat et l'évolution des sondages, il se passe plusieurs semaines. Nous sommes dans ce temps de latence. Je suis moins gravement inquiet que je ne l'ai été pendant des mois.
Q - Vous citiez les Français qui aiment l'Europe et veulent la défendre. Cette définition n'est pas exclusive aux défenseurs du oui ?
R - Ceux qui se disent profondément européens en prônant le non sont ultra-minoritaires. Dans l'aréopage hétéroclite du non, les gros bataillons sont formés par les anti-européens : les Le Pen, de Villiers, l'extrême-gauche, les communistes. Faites le compte : à chaque échéance de la construction européenne, ceux-là ont toujours voté non sans aucune exception. D'ailleurs, qui se réjouira d'une victoire du non : évidemment les anti-européens !
Q - Réellement, un non va-t-il changer la vie des Français ?
R - Si non il y avait, et je ne m'y résous pas, ce sera pour la France qui a toujours porté le projet européen une perte de face, un recul extraordinaire, une chute d'influence immédiate de la France en Europe. Cela ouvrira sans doute une crise profonde de la politique française, mais cela ouvrira à coup sûr une crise de longue durée pour l'Europe, un mouvement vers sa division plutôt qu'un mouvement vers son unité.
Q - Cette constitution ne devait-elle pas se contenter de fixer le cadre de l'organisation des institutions et ne s'intéresser à l'économie ?
R - Elle aurait évidemment pu s'en passer et préparer un traité distinct. Mais c'était l'occasion de n'avoir plus qu'un seul texte de référence plutôt que les 15 ou 16 traités différents qui existent depuis 50 ans, ce qu'on appelle la partie III de la constitution. Pour autant, si on vote contre le texte à cause de cette partie III, il faut savoir que c'est la seule qui restera !
Q - On s'attend à un changement de Premier ministre et de gouvernement après le référendum. Souhaitez-vous davantage de ministres UDF ?
R - Je ne réponds à aucune question sur le gouvernement avant de savoir quel est son projet. Depuis des années, j'alerte les gouvernants sur le fossé qui se creuse avec l'opinion, sur les erreurs d'orientation.
Tant qu'il n'y aura pas de corrections sur le fond dont nous pourrions discuter, une participation plus importante au gouvernement ne changera rien. La crise française est politique, démocratique, sociale, économique, et morale. Voilà les secteurs sur lesquels il faut agir.
(Source http://www.udf-europe.net, le 28 avril 2005)