Texte intégral
(Intervention de Michel Barnier lors du Troisième Sommet du Conseil de l'Europe, à Varsovie le 16 mai 2005)
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Premiers Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de l'Assemblée parlementaire,
Monsieur le Secrétaire général,
Permettez-moi d'abord de remercier d'un mot les autorités polonaises pour la qualité de leur accueil a l'occasion de ce troisième Sommet du Conseil de l'Europe, et au-delà pour ce rendez-vous de Varsovie, ville plus que jamais symbole au lendemain des célébrations du 60ème anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et au lendemain de la disparition de Jean-Paul II dont la France veut saluer le rôle majeur pour l'unité de l'Europe.
Etre ici à Varsovie nous ramène à la fois aux origines du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire à la volonté des Européens de prévenir la guerre, et à son nouveau visage : celui de la seule organisation qui ait su accueillir, après la chute du mur de Berlin, la totalité de la famille démocratique européenne du continent. Et je saisis cette occasion pour inviter le Belarus, qui manque encore à l'appel, à faire les efforts indispensables pour rejoindre les 46 Etats du Conseil de l'Europe.
La France est heureuse d'avoir, depuis le début, participé à cette démarche de démocratie, de paix et d'unité des Européens.
Elle est fière d'accueillir le Conseil de l'Europe à Strasbourg, dont Jean-Claude Juncker disait devant notre assemblée parlementaire il y a quelques jours qu'elle est "la capitale européenne par excellence, ville symbole de la réconciliation franco-allemande".
La France salue l'oeuvre du Conseil depuis 1949, ses presque deux cents conventions qui ont changé la vie des Européens, et la protection concrète qu'il a apporté aux droits des citoyens grâce à l'action de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Les gens ne le savent souvent pas, mais c'est grâce au Conseil de l'Europe que des questions centrales de nos sociétés peuvent avancer : biomédecine, diversité culturelle, cadre de vie, développement grâce notamment à la Banque du Conseil, lutte contre la cybercriminalité, le racisme et la xénophobie et la traite des êtres humains.
Mais nous sommes moins ici pour parler du passé, que pour préparer l'avenir. Il reste beaucoup à faire : lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée, enraciner la démocratie dans certains pays, combattre la résurgence des discriminations, de l'intolérance et de l'antisémitisme, prendre garde à des conflits toujours sans solution... La liste est longue.
Comment le Conseil de l'Europe peut-il continuer à aider les pays européens à agir ensemble dans ces différents domaines ?
Cette question me paraît être au coeur de ce sommet, et tant le plan d'action que la déclaration qui nous sont soumis aujourd'hui l'abordent avec justesse. Je pense par exemple aux ambitions que nous nous fixons pour combattre les violences faites aux enfants.
La France est profondément attachée au Conseil de l'Europe et en même temps profondément engagée dans l'Union européenne, et elle s'associe aux déclarations de la présidence luxembourgeoise de l'Union.
Et cela me permet de vous faire part de trois convictions.
La première est que ce serait une erreur de mettre de côté les principes essentiels qui animent l'action du Conseil depuis l'origine : la protection et la promotion des Droits de l'Homme, la consolidation de la démocratie et le respect de l'Etat de droit. Il nous faut inlassablement continuer à défendre et à appliquer ces principes. Rien n'est acquis, rien n'est définitif. Si notre objectif commun est bien la constitution d'une Europe sans clivages, stable et pacifique, elle passe avant tout par la réalisation d'une Europe des valeurs.
Ma deuxième conviction est qu'il faut dire, franchement, que dans l'Europe d'aujourd'hui, le Conseil de l'Europe ne peut plus, à lui seul, répondre à l'ensemble de nos attentes. Nos pays participent également aux importants travaux de l'OSCE. Et nombre d'entre nous ici sont également membres de l'Union européenne, ou entendent le devenir. Il est donc de notre responsabilité devant les citoyens de construire une architecture européenne claire, fondée sur un réseau d'institutions efficaces. Le Conseil de l'Europe doit agir en synergie et en complémentarité tant avec l'Union européenne qu'avec l'OSCE.
Il s'agit sans aucun doute d'un travail de longue haleine. Mais cette synergie n'est pas une utopie, des exemples de bonne coopération existent.
Le Conseil de l'Europe a déjà donné à l'Union européenne ses "critères de Copenhague", et lui a inspiré la Charte des Droits fondamentaux intégrée dans le Préambule de la Constitution européenne. Cette complémentarité peut s'amplifier, pour peu que les institutions prennent l'habitude d'échanger - je pense, par exemple, aux thématiques qui pourraient intéresser conjointement le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et son président René van der Linden, dont la qualité des travaux est unanimement reconnue.
S'agissant de l'OSCE, qui concentre ses travaux sur les questions de sécurité et une approche plus politique que juridique, la complémentarité doit être plus finement organisée. Il est utile qu'un mémorandum formalisant les méthodes et les domaines de coopération (traite des êtres humains, Roms et Sinti, lutte contre tous les phénomènes d'intolérance, terrorisme...) soit adopté en marge de ce sommet.
Enfin, ma troisième et dernière conviction sera pour nous fixer collectivement l'obligation de l'efficacité. Convenons-en : ce serait un bien mauvais service à rendre à l'Europe que de lui faire promettre beaucoup aux citoyens et de lui permettre de faire peu.
Voilà pourquoi il est essentiel de contrôler politiquement le respect de nos valeurs communes. Je tiens à souligner le très bon travail accompli par des organismes de contrôle reconnus, notamment le comité de prévention de la torture, la commission européenne contre le racisme et l'intolérance, et la commission de Venise.
Je veux aussi saluer, au nom de la France, le travail accompli par le premier commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. Il a su faire respecter cette fonction nouvelle, créée lors de notre dernier sommet.
Voilà pourquoi nous devons veiller à l'efficacité du contrôle juridictionnel de nos engagements communs, et particulièrement par la Cour européenne des Droits de l'Homme. Disons-le clairement : la Cour est aujourd'hui victime de son succès, avec près de 60 000 requêtes en instance. Nous devons relever ce défi à court terme, en ratifiant au plus vite le Protocole 14. Pour l'avenir, la création d'un Comité des sages doit alimenter notre réflexion commune.
Mesdames et Messieurs,
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire, au nom de la France, la confiance que nous plaçons dans l'avenir du Conseil de l'Europe.
Ce sommet, par nos travaux, par les documents qui en résulteront, va nous aider à un diagnostic commun. Je veux en remercier à nouveau la présidence polonaise, qui a guidé notre effort collectif, et souhaiter bonne chance à la présidence portugaise à qui reviendra la grande responsabilité de donner vie, concrètement, à nos différentes propositions.
Mon dernier mot sera une recommandation. Certes, le Conseil de l'Europe repose sur la coopération et l'engagement des Etats. Sans eux, comment animer la réflexion politique du Conseil ? Comment mettre en uvre ses normes ? Comment financer ses actions ?
Mais cet engagement des Etats, plus que jamais nécessaire, ne me paraît plus forcément suffisant. L'intérêt du Conseil de l'Europe me paraît être de s'ouvrir, plus qu'aujourd'hui, à la société civile.
Nous ne devons pas commettre l'erreur de faire l'Europe des valeurs pour les citoyens, mais sans eux.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2005)
(Entretien de Michel Barnier avec des médias lors du Troisiéme sommet du Conseil de l'Europe, à Varsovie le 16 mai 2005)
Q - (A propos du sommet du Conseil de l'Europe)
R - C'est un sommet très important et bien organisé par le gouvernement et les autorités polonaises. Et je trouve très important qu'il ait lieu aujourd'hui, quelques jours après le 60ème anniversaire de la libération des camps. C'est une étape importante, une nouvelle étape pour la construction d'une Europe pacifique et réunifiée, le fait que nous soyons tous ici, les 46 pays membres du Conseil de l'Europe, pour faire le point de ce que nous faisons déjà pour la démocratie, les Droits de l'Homme, le respect, la tolérance, la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
Et puis des nouveaux défis sont devant nous, parce que la société évolue. Je pense à la cybercriminalité, à la protection des enfants, je pense à la protection de l'être humain avec la bioéthique. Donc, des tâches toujours fondamentales et il faut toujours rester vigilant pour la protection des Droits de l'Homme et des droits des citoyens et en même temps les nouveaux défis qui sont liés à la société d'aujourd'hui.
Q - Le Conseil de l'Europe est-il toujours efficace ?
R - Je pense que cette réunion le prouve, qu'on a besoin d'être ensemble. On a des raisons d'être ensemble. Et on voit bien que les idées démocratiques progressent, y compris chez nous en Europe mais restons vigilants. Il y a des pays comme la Biélorussie où il y a tant à faire. Mais je pense, en effet, qu'on peut continuer à améliorer les méthodes de fonctionnement entre nous pour donner plus d'efficacité à notre action.
Q - Comment s'articule l'action du Conseil de l'Europe avec celle de l'OSCE ?
R - Entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, il y a naturellement des champs communs, puisque nous parlons de la démocratie, des Droits de l'Homme et des droits des citoyens. Le Conseil de l'Europe, on l'a vu avec la création de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui est très importante et très utile, a une vocation juridique, normative. L'OSCE, qui regroupe plus de pays encore, a une vocation plus politique et de prévention, notamment de surveillance de l'organisation des élections. Donc ce sont deux organisations qui ont la même ambition, les mêmes objectifs, celui de la progression, du renforcement de la démocratie sur notre grand continent. Mais leurs vocations et leurs missions sont complémentaires.
Q - Le Conseil de l'Europe est-il encore utile aujourd'hui ?
R - Cela fait quand même quelques années que le Conseil de l'Europe a prouvé son utilité. C'est le premier forum, avec aujourd'hui 46 pays qui se retrouvent pour faire le point des progrès de la démocratie sur notre grand continent. Et on voit que ces progrès existent : en Ukraine, avec cette idée démocratique européenne qui a servi de référence. Donc, faisons le point de ce qu'il nous reste à faire, de la vigilance nécessaire, je pense à la tolérance, à la lutte contre le racisme et contre l'antisémitisme. Mais restons vigilants et prudents. Et puis il y a de nouveaux défis auxquels nous devons faire face, qui accompagnent l'évolution de la société : la cybercriminalité, la protection des enfants par exemple, la protection de l'être humain avec la bioéthique. Donc, on a de nouveaux défis aujourd'hui : les défis traditionnels qui exigent notre vigilance, et de nouveaux défis de société.
Q - Vous avez l'impression que ces nouveaux défis sont plus du ressort du Conseil de l'Europe que des autres institutions européennes ?
R - Le Conseil de l'Europe a toujours eu, sur le thème de la démocratie, du respect des Droits de l'Homme, du respect des citoyens, une vocation normative, d'établir des règles. On l'a vu d'ailleurs, avec la création de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui a tant de travail et tant d'utilité aujourd'hui. Donc, sur tous ces sujets que je viens d'évoquer, par exemple la cybercriminalité, il a une vocation, une mission normative et réglementaire, et donc c'est bien la vocation du Conseil de l'Europe.
Q - Avant le sommet, on disait que c'était soit un sommet pour rien, soit le sommet de la dernière chance. De quoi dépend le succès de ce sommet ?
R - Le fait qu'il y ait 46 Etats représentés, beaucoup, beaucoup de chefs de gouvernement, donc un très haut niveau de participation, prouve qu'on a besoin de ce forum. On voit bien que les progrès de la démocratie ne sont pas achevés sur notre continent ; un Etat comme la Biélorussie est encore à l'écart de ce progrès. D'autres nous ont rejoints comme l'Ukraine ; et, même chez nous, dans des pays qui ont fait ce choix de la démocratie ou de la république depuis très longtemps, on le voit bien avec la résurgence de l'antisémitisme où apparaît une certaine forme de racisme et de xénophobie, il faut toujours rester vigilant. Donc on a toujours besoin d'être vigilants ensemble, d'aider ceux qui arrivent dans ce mouvement démocratique et puis, encore une fois, de faire face aux nouveaux défis de la société.
Q - Vous ne trouvez donc pas qu'il y a lieu de parler de rivalité, comme on l'a souvent entendu, entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ?
R - Non, ce sont des institutions très différentes. L'Union européenne est fondée sur la paix et la démocratie. Voilà pourquoi tous les pays européens, comme le Premier ministre Juncker l'a dit aujourd'hui, sont naturellement dans le Conseil de l'Europe. Nous avons une vocation, en plus de cela, à être une communauté solidaire entre nous, pays de l'Union, à être un marché organisé et régulé, et puis à être un acteur politique dans le monde. Donc, ce sont des vocations différentes.
Q - Une petite question. Souvent les choses se passent en coulisses lors de ces sommets. Est-ce que la France joue un rôle particulier dans le rapprochement entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie ?
R - J'ai participé à cette réunion hier, avec les deux présidents de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie et mon collègue russe, le représentant américain, dans le cadre du groupe de Minsk qui favorise le dialogue. On sait bien que ce dialogue est difficile. Il est très très fragile, je l'ai encore vu hier soir, pour que l'on arrive à traiter politiquement, par le dialogue, la question du Haut Karabakh. Oui, nous avons joué notre rôle. J'ai participé à cette réunion hier soir.
Q - Que vous inspirent les événements d'Ouzbékistan ?
R - Nous suivons, comme tous nos partenaires européens, ce qui se passe en Ouzbékistan avec beaucoup d'attention et de vigilance, après les incidents très graves qui se sont déroulés. Et ce que je peux simplement dire devant une telle situation, c'est qu'il n'y a pas d'issue par la violence. Il n'y a d'issue que par le dialogue politique
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2005)
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Premiers Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de l'Assemblée parlementaire,
Monsieur le Secrétaire général,
Permettez-moi d'abord de remercier d'un mot les autorités polonaises pour la qualité de leur accueil a l'occasion de ce troisième Sommet du Conseil de l'Europe, et au-delà pour ce rendez-vous de Varsovie, ville plus que jamais symbole au lendemain des célébrations du 60ème anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et au lendemain de la disparition de Jean-Paul II dont la France veut saluer le rôle majeur pour l'unité de l'Europe.
Etre ici à Varsovie nous ramène à la fois aux origines du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire à la volonté des Européens de prévenir la guerre, et à son nouveau visage : celui de la seule organisation qui ait su accueillir, après la chute du mur de Berlin, la totalité de la famille démocratique européenne du continent. Et je saisis cette occasion pour inviter le Belarus, qui manque encore à l'appel, à faire les efforts indispensables pour rejoindre les 46 Etats du Conseil de l'Europe.
La France est heureuse d'avoir, depuis le début, participé à cette démarche de démocratie, de paix et d'unité des Européens.
Elle est fière d'accueillir le Conseil de l'Europe à Strasbourg, dont Jean-Claude Juncker disait devant notre assemblée parlementaire il y a quelques jours qu'elle est "la capitale européenne par excellence, ville symbole de la réconciliation franco-allemande".
La France salue l'oeuvre du Conseil depuis 1949, ses presque deux cents conventions qui ont changé la vie des Européens, et la protection concrète qu'il a apporté aux droits des citoyens grâce à l'action de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Les gens ne le savent souvent pas, mais c'est grâce au Conseil de l'Europe que des questions centrales de nos sociétés peuvent avancer : biomédecine, diversité culturelle, cadre de vie, développement grâce notamment à la Banque du Conseil, lutte contre la cybercriminalité, le racisme et la xénophobie et la traite des êtres humains.
Mais nous sommes moins ici pour parler du passé, que pour préparer l'avenir. Il reste beaucoup à faire : lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée, enraciner la démocratie dans certains pays, combattre la résurgence des discriminations, de l'intolérance et de l'antisémitisme, prendre garde à des conflits toujours sans solution... La liste est longue.
Comment le Conseil de l'Europe peut-il continuer à aider les pays européens à agir ensemble dans ces différents domaines ?
Cette question me paraît être au coeur de ce sommet, et tant le plan d'action que la déclaration qui nous sont soumis aujourd'hui l'abordent avec justesse. Je pense par exemple aux ambitions que nous nous fixons pour combattre les violences faites aux enfants.
La France est profondément attachée au Conseil de l'Europe et en même temps profondément engagée dans l'Union européenne, et elle s'associe aux déclarations de la présidence luxembourgeoise de l'Union.
Et cela me permet de vous faire part de trois convictions.
La première est que ce serait une erreur de mettre de côté les principes essentiels qui animent l'action du Conseil depuis l'origine : la protection et la promotion des Droits de l'Homme, la consolidation de la démocratie et le respect de l'Etat de droit. Il nous faut inlassablement continuer à défendre et à appliquer ces principes. Rien n'est acquis, rien n'est définitif. Si notre objectif commun est bien la constitution d'une Europe sans clivages, stable et pacifique, elle passe avant tout par la réalisation d'une Europe des valeurs.
Ma deuxième conviction est qu'il faut dire, franchement, que dans l'Europe d'aujourd'hui, le Conseil de l'Europe ne peut plus, à lui seul, répondre à l'ensemble de nos attentes. Nos pays participent également aux importants travaux de l'OSCE. Et nombre d'entre nous ici sont également membres de l'Union européenne, ou entendent le devenir. Il est donc de notre responsabilité devant les citoyens de construire une architecture européenne claire, fondée sur un réseau d'institutions efficaces. Le Conseil de l'Europe doit agir en synergie et en complémentarité tant avec l'Union européenne qu'avec l'OSCE.
Il s'agit sans aucun doute d'un travail de longue haleine. Mais cette synergie n'est pas une utopie, des exemples de bonne coopération existent.
Le Conseil de l'Europe a déjà donné à l'Union européenne ses "critères de Copenhague", et lui a inspiré la Charte des Droits fondamentaux intégrée dans le Préambule de la Constitution européenne. Cette complémentarité peut s'amplifier, pour peu que les institutions prennent l'habitude d'échanger - je pense, par exemple, aux thématiques qui pourraient intéresser conjointement le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et son président René van der Linden, dont la qualité des travaux est unanimement reconnue.
S'agissant de l'OSCE, qui concentre ses travaux sur les questions de sécurité et une approche plus politique que juridique, la complémentarité doit être plus finement organisée. Il est utile qu'un mémorandum formalisant les méthodes et les domaines de coopération (traite des êtres humains, Roms et Sinti, lutte contre tous les phénomènes d'intolérance, terrorisme...) soit adopté en marge de ce sommet.
Enfin, ma troisième et dernière conviction sera pour nous fixer collectivement l'obligation de l'efficacité. Convenons-en : ce serait un bien mauvais service à rendre à l'Europe que de lui faire promettre beaucoup aux citoyens et de lui permettre de faire peu.
Voilà pourquoi il est essentiel de contrôler politiquement le respect de nos valeurs communes. Je tiens à souligner le très bon travail accompli par des organismes de contrôle reconnus, notamment le comité de prévention de la torture, la commission européenne contre le racisme et l'intolérance, et la commission de Venise.
Je veux aussi saluer, au nom de la France, le travail accompli par le premier commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. Il a su faire respecter cette fonction nouvelle, créée lors de notre dernier sommet.
Voilà pourquoi nous devons veiller à l'efficacité du contrôle juridictionnel de nos engagements communs, et particulièrement par la Cour européenne des Droits de l'Homme. Disons-le clairement : la Cour est aujourd'hui victime de son succès, avec près de 60 000 requêtes en instance. Nous devons relever ce défi à court terme, en ratifiant au plus vite le Protocole 14. Pour l'avenir, la création d'un Comité des sages doit alimenter notre réflexion commune.
Mesdames et Messieurs,
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire, au nom de la France, la confiance que nous plaçons dans l'avenir du Conseil de l'Europe.
Ce sommet, par nos travaux, par les documents qui en résulteront, va nous aider à un diagnostic commun. Je veux en remercier à nouveau la présidence polonaise, qui a guidé notre effort collectif, et souhaiter bonne chance à la présidence portugaise à qui reviendra la grande responsabilité de donner vie, concrètement, à nos différentes propositions.
Mon dernier mot sera une recommandation. Certes, le Conseil de l'Europe repose sur la coopération et l'engagement des Etats. Sans eux, comment animer la réflexion politique du Conseil ? Comment mettre en uvre ses normes ? Comment financer ses actions ?
Mais cet engagement des Etats, plus que jamais nécessaire, ne me paraît plus forcément suffisant. L'intérêt du Conseil de l'Europe me paraît être de s'ouvrir, plus qu'aujourd'hui, à la société civile.
Nous ne devons pas commettre l'erreur de faire l'Europe des valeurs pour les citoyens, mais sans eux.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2005)
(Entretien de Michel Barnier avec des médias lors du Troisiéme sommet du Conseil de l'Europe, à Varsovie le 16 mai 2005)
Q - (A propos du sommet du Conseil de l'Europe)
R - C'est un sommet très important et bien organisé par le gouvernement et les autorités polonaises. Et je trouve très important qu'il ait lieu aujourd'hui, quelques jours après le 60ème anniversaire de la libération des camps. C'est une étape importante, une nouvelle étape pour la construction d'une Europe pacifique et réunifiée, le fait que nous soyons tous ici, les 46 pays membres du Conseil de l'Europe, pour faire le point de ce que nous faisons déjà pour la démocratie, les Droits de l'Homme, le respect, la tolérance, la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.
Et puis des nouveaux défis sont devant nous, parce que la société évolue. Je pense à la cybercriminalité, à la protection des enfants, je pense à la protection de l'être humain avec la bioéthique. Donc, des tâches toujours fondamentales et il faut toujours rester vigilant pour la protection des Droits de l'Homme et des droits des citoyens et en même temps les nouveaux défis qui sont liés à la société d'aujourd'hui.
Q - Le Conseil de l'Europe est-il toujours efficace ?
R - Je pense que cette réunion le prouve, qu'on a besoin d'être ensemble. On a des raisons d'être ensemble. Et on voit bien que les idées démocratiques progressent, y compris chez nous en Europe mais restons vigilants. Il y a des pays comme la Biélorussie où il y a tant à faire. Mais je pense, en effet, qu'on peut continuer à améliorer les méthodes de fonctionnement entre nous pour donner plus d'efficacité à notre action.
Q - Comment s'articule l'action du Conseil de l'Europe avec celle de l'OSCE ?
R - Entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, il y a naturellement des champs communs, puisque nous parlons de la démocratie, des Droits de l'Homme et des droits des citoyens. Le Conseil de l'Europe, on l'a vu avec la création de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui est très importante et très utile, a une vocation juridique, normative. L'OSCE, qui regroupe plus de pays encore, a une vocation plus politique et de prévention, notamment de surveillance de l'organisation des élections. Donc ce sont deux organisations qui ont la même ambition, les mêmes objectifs, celui de la progression, du renforcement de la démocratie sur notre grand continent. Mais leurs vocations et leurs missions sont complémentaires.
Q - Le Conseil de l'Europe est-il encore utile aujourd'hui ?
R - Cela fait quand même quelques années que le Conseil de l'Europe a prouvé son utilité. C'est le premier forum, avec aujourd'hui 46 pays qui se retrouvent pour faire le point des progrès de la démocratie sur notre grand continent. Et on voit que ces progrès existent : en Ukraine, avec cette idée démocratique européenne qui a servi de référence. Donc, faisons le point de ce qu'il nous reste à faire, de la vigilance nécessaire, je pense à la tolérance, à la lutte contre le racisme et contre l'antisémitisme. Mais restons vigilants et prudents. Et puis il y a de nouveaux défis auxquels nous devons faire face, qui accompagnent l'évolution de la société : la cybercriminalité, la protection des enfants par exemple, la protection de l'être humain avec la bioéthique. Donc, on a de nouveaux défis aujourd'hui : les défis traditionnels qui exigent notre vigilance, et de nouveaux défis de société.
Q - Vous avez l'impression que ces nouveaux défis sont plus du ressort du Conseil de l'Europe que des autres institutions européennes ?
R - Le Conseil de l'Europe a toujours eu, sur le thème de la démocratie, du respect des Droits de l'Homme, du respect des citoyens, une vocation normative, d'établir des règles. On l'a vu d'ailleurs, avec la création de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui a tant de travail et tant d'utilité aujourd'hui. Donc, sur tous ces sujets que je viens d'évoquer, par exemple la cybercriminalité, il a une vocation, une mission normative et réglementaire, et donc c'est bien la vocation du Conseil de l'Europe.
Q - Avant le sommet, on disait que c'était soit un sommet pour rien, soit le sommet de la dernière chance. De quoi dépend le succès de ce sommet ?
R - Le fait qu'il y ait 46 Etats représentés, beaucoup, beaucoup de chefs de gouvernement, donc un très haut niveau de participation, prouve qu'on a besoin de ce forum. On voit bien que les progrès de la démocratie ne sont pas achevés sur notre continent ; un Etat comme la Biélorussie est encore à l'écart de ce progrès. D'autres nous ont rejoints comme l'Ukraine ; et, même chez nous, dans des pays qui ont fait ce choix de la démocratie ou de la république depuis très longtemps, on le voit bien avec la résurgence de l'antisémitisme où apparaît une certaine forme de racisme et de xénophobie, il faut toujours rester vigilant. Donc on a toujours besoin d'être vigilants ensemble, d'aider ceux qui arrivent dans ce mouvement démocratique et puis, encore une fois, de faire face aux nouveaux défis de la société.
Q - Vous ne trouvez donc pas qu'il y a lieu de parler de rivalité, comme on l'a souvent entendu, entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ?
R - Non, ce sont des institutions très différentes. L'Union européenne est fondée sur la paix et la démocratie. Voilà pourquoi tous les pays européens, comme le Premier ministre Juncker l'a dit aujourd'hui, sont naturellement dans le Conseil de l'Europe. Nous avons une vocation, en plus de cela, à être une communauté solidaire entre nous, pays de l'Union, à être un marché organisé et régulé, et puis à être un acteur politique dans le monde. Donc, ce sont des vocations différentes.
Q - Une petite question. Souvent les choses se passent en coulisses lors de ces sommets. Est-ce que la France joue un rôle particulier dans le rapprochement entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie ?
R - J'ai participé à cette réunion hier, avec les deux présidents de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie et mon collègue russe, le représentant américain, dans le cadre du groupe de Minsk qui favorise le dialogue. On sait bien que ce dialogue est difficile. Il est très très fragile, je l'ai encore vu hier soir, pour que l'on arrive à traiter politiquement, par le dialogue, la question du Haut Karabakh. Oui, nous avons joué notre rôle. J'ai participé à cette réunion hier soir.
Q - Que vous inspirent les événements d'Ouzbékistan ?
R - Nous suivons, comme tous nos partenaires européens, ce qui se passe en Ouzbékistan avec beaucoup d'attention et de vigilance, après les incidents très graves qui se sont déroulés. Et ce que je peux simplement dire devant une telle situation, c'est qu'il n'y a pas d'issue par la violence. Il n'y a d'issue que par le dialogue politique
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2005)