Déclaration de Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur la réforme des droits sociaux des handicapés, l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Paris le 24 février 2004.

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Circonstance : Projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées au Sénat le 24 février 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est particulièrement attendu.
Il l'est par les intéressés, leurs familles, les professionnels, les associations mais aussi par un nombre grandissant de nos concitoyens. Le handicap nous devient familier. Nous sommes peut-être en train de prendre conscience de notre vulnérabilité et de l'extrême précarité de notre condition
Ce projet veut satisfaire une demande sociale de plus en plus forte que le Président de la République a anticipé en faisant de l'intégration des personnes handicapées un de ses trois chantiers présidentiels pour ce quinquennat, ce dont je lui suis profondément reconnaissante.
Avec Jean-François MATTEI, j'ai commencé à y répondre en accélérant de manière significative depuis deux ans, la création de places nouvelles en établissements et dans les services. Il nous faut aller plus loin et plus vite !
La loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées, en affirmant l'obligation nationale de solidarité à leur égard avait permis de franchir une étape décisive dans la prise en compte de leur situation.
Depuis bientôt trente ans, les attentes ont beaucoup évolué. Les besoins de protection, d'accompagnement sont toujours aussi pressants, notamment chez les personnes lourdement handicapées.
Mais on constate des aspirations nouvelles, très diversifiées, qui se sont particulièrement exprimées au cours des nombreuses manifestations et forums qui ont ponctué, dans notre pays, l'année européenne des personnes handicapées. Elles ont comme dénominateur commun la recherche et l'acquisition de toutes les autonomies que permet notre société moderne et la volonté de s'intégrer au mieux et au plus dans le milieu dit ordinaire.
Le législateur a déjà tenu compte de certaines de ces demandes en enrichissant la loi de 1975 par différents textes relatifs à l'emploi, à l'éducation, à l'accessibilité ou encore en posant le principe du droit à compensation.
Mais malgré les efforts réalisés, des insuffisances graves subsistent dans de nombreux domaines. Elles choquent de plus en plus une opinion tous les jours mieux informée et davantage sensibilisée
Permettez-moi d'évoquer sobrement mais douloureusement deux cas parmi les nombreux rencontrés : celui de cet homme de 40 ans lourdement handicapé, sans famille qui est resté deux ans dans le CHU d'une grande ville faute de place en maison d'accueil spécialisée (MAS), et surtout celui de ces parents ayant depuis quinze ans la charge 24/24 heures, sans aucun répit, d'un enfant autiste avec handicaps associés et qui usés, épuisés envisageaient des solutions extrêmes.
Ce sont ces situations et bien d'autres, tout aussi difficiles, que nous avons eu constamment à l'esprit au cours de l'élaboration du projet de loi que Jean-François MATTEI et moi-même nous vous présentons aujourd'hui.
Nous y travaillons depuis 20 mois. C'est beaucoup, disent certains, par rapport aux autres chantiers présidentiels de la lutte pour la sécurité routière et contre le cancer qui avancent bien et dont on peut apprécier déjà les premiers résultats bénéfiques.
Mais le chantier du handicap est d'une toute autre nature car il s'agit d'élaborer une nouvelle loi, et il nous a fallu nous presser lentement afin d'impliquer toutes les parties concernées.
Je voudrais, à ce sujet, citer et remercier en premier lieu les membres du gouvernement qui se sont mobilisés derrière le Premier Ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, et qui ont activement participé à l'élaboration de cette loi. Plus particulièrement, mon ministre de tutelle, Jean-François MATTEI a suivi ce projet pas à pas avec beaucoup d'attention, et je lui suis profondément reconnaissante de ses conseils et de ses encouragements, en un mot de son amitié. Je salue chaleureusement l'action de coordination du Délégué Interministériel, Patrick GOHET. Je veux aussi souligner l'implication de nombre de parlementaires et d'élus locaux, de l'association des départements de France présidée par Jean PUECH et du président de sa commission sociale, Michel MERCIER mais aussi des maires par l'intermédiaire de l'association des maires de France et de son président, Daniel HOEFFEL. Le Conseil économique et social a, de son côté, apporté une contribution très appréciée à la réflexion préparatoire. Je pense également aux partenaires sociaux, aux représentants des organismes sociaux mais aussi aux associations de personnes handicapées. Leur travail, notamment au sein du CNCPH sous la présidence de Jean-Marie SCHLERET, a été important et très fructueux.
Particulièrement précieux aussi m'ont été les témoignages, les interrogations, les suggestions des nombreux intéressés eux-mêmes au hasard de mes entretiens et des nombreuses lettres échangées.
D'une manière plus générale, je voudrais associer toutes les personnes qui se sont exprimées à l'occasion de multiples rencontres sur le terrain, de débats, de consultations initiés par les Préfets et, encore une fois des diverses manifestations organisées au cours de l'année européenne des personnes handicapées.
Mais je voudrais revenir sur le travail de votre haute assemblée et plus particulièrement de la commission des affaires sociales et de son Président, Nicolas ABOUT, lui dire toute ma gratitude pour son implication de longue date dans cette grande cause et pour son rapport d'information de 2002. La proposition de loi portée par vous-même, Monsieur le Président et Monsieur le Rapporteur, a également nourri notre réflexion et inspiré diverses dispositions législatives que je vous présente aujourd'hui. Je voudrais insister spécialement sur l'intervention en commission des affaires sociales, le mercredi 11 février dernier, de Monsieur le Rapporteur Paul BLANC et le remercier pour son " intelligence " du texte, la rigueur et tout à la fois la générosité de son analyse, et pour ses propositions qui confortent ou complètent le projet de loi du gouvernement.
Permettez-moi de vous présenter en premier lieu
Les fondements de cette nouvelle loi
Quelles que soient les modifications que vous apporterez à ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous ne pouvez pas ne pas être d'accord sur tous les bancs avec ses fondements. Ils sont au nombre de deux.
Le premier s'adresse à l'ensemble de la société : c'est le principe de non discrimination élément essentiel de cohésion sociale qu'illustre bien Alexandre JOLLIEN, philosophe infirme moteur cérébral quand il s'écrit : " Une seule fierté m'habite : être un homme avec des droits et des devoirs égaux, partager la même condition, ses souffrances, ses joies, son exigence. Cette fierté nous rassemble tous, le sourd comme le boiteux, l'Ethiopien comme le bec-de-lièvre, le juif comme le cul-de-jatte, l'aveugle comme le trisomique, le musulman comme le SDF, vous comme moi. Nous sommes des Hommes ! ".
Le second concerne plus directement les personnes handicapées et consacre le principe du libre choix du projet de vie et la recherche systématique du maximum d'autonomie.
C'est un tournant par rapport à une logique d'assistance qui ne résultait pas de la loi de 1975 mais plutôt de dérives, de pratiques conduisant trop souvent à considérer la personne handicapée comme un objet et non comme une personne à part entière.
Mais comment rendre effective cette politique nouvelle ?
Par la compensation du handicap d'abord
Il est normal que la société fasse preuve de solidarité vis-à-vis des dépenses parfois importantes que doit faire une personne handicapée du fait de son handicap et que n'a pas à faire une personne valide. Ce droit à compensation, plusieurs fois affirmé par le Président de la République, inscrit dans la loi de modernisation sociale de 2002 est resté jusqu'à ce jour sans contenu.
Je vous propose de lui en donner un, grâce à l'instauration de la prestation de compensation qui couvrira l'ensemble des aides possibles : les aides humaines bien sûr, mieux et plus que l'actuelle allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), mais aussi les aides techniques, l'aménagement du logement et des dépenses particulières pour répondre à des besoins bien précis. Le champ de la compensation inclut également les moyens et prestations accompagnant la mise en uvre de la protection juridique. Elle apportera des réponses adaptées à l'accueil et à l'accompagnement de ceux et de celles qui ne peuvent exprimer seuls leurs besoins, notamment les personnes polyhandicapées.
Pour la première fois, enfin l'aide aux aidants est prise en compte de façon explicite et ceci est fondamental pour reconnaître et soulager la solidarité familiale.
Il s'agit d'une prestation universelle dont l'accès n'est conditionné par aucun critère de ressources.
La référence à un taux d'incapacité fait, à juste titre, l'objet de réserves. Je pense effectivement qu'à terme, une fois ajustées les méthodes d'évaluation, la prestation de compensation devra être attribuée en tenant compte plutôt des besoins concrets, de la personne handicapée.
En revanche, il est logique qu'elle varie en fonction de la nature de la dépense et des ressources des bénéficiaires, comme d'autres prestations universelles, l'objectif étant bien sûr de donner plus à ceux qui en ont le plus besoin, notamment aux personnes lourdement handicapées qui ont à faire face à des frais élevés.
Cette prestation qui pourra être conservée après 60 ans, si l'intéressé le souhaite, sort résolument du champ de l'aide sociale puisque son attribution n'est pas subordonnée à l'obligation alimentaire et ne fait l'objet d'aucune récupération sur succession. Nous sommes donc bien là dans le champ de la protection sociale, d'autant plus qu'une part de son financement reposera sur la solidarité nationale.
En effet, avant même le vote de ce texte, une autre loi va créer la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, dotée de ressources identifiées provenant à la fois d'une augmentation des charges sociales patronales des entreprises qui travailleront un jour férié à partir de 2005, et d'un prélèvement supplémentaire sur les revenus du capital.
Cette caisse disposera ainsi à partir de 2005 de 850 millions d'euros, soit près de 6 milliards de francs pour la compensation du handicap, montant qui va permettre de doubler l'actuel budget consacré sous une forme ou sous une autre à la compensation. Jamais un effort financier d'une telle ampleur n'avait été réalisé sur le long terme. C'est bien là une preuve, et non des moindres, de la volonté du gouvernement de rendre la loi effective.
Votre rapporteur et certaines associations posent à juste titre la question de l'articulation de cette prestation avec l'Allocation d'Education Spécialisée (AES) et ses compléments, attribuée aux parents d'enfants handicapés d'une part, avec la majoration pour tiers personne des adultes d'autre part.
L'AES a été réformée il y a moins de deux ans, et me semble à quelques exceptions près donner satisfaction en l'état, au moins en ce qui concerne les aides humaines. Je pense par contre qu'il faut rapidement améliorer les modalités de remboursement des aides techniques et spécifiques, ainsi que de l'aménagement du logement. C'est pourquoi je vous proposerai au cours du débat que la prestation de compensation soit également ouverte aux enfants et aux adultes
La compensation du handicap apparaît d'ores et déjà comme une avancée majeure qui concourt fortement à l'autonomie des personnes handicapées. Mais cette dernière ne sera véritablement acquise que lorsque ces personnes auront vraiment accès à tout ce qui fait la vie des personnes valides.
L'accessibilité à tout est donc le second volet de cette politique nouvelle.
L'école d'abord
" L'avenir du monde est suspendu au souffle des enfants qui vont à l'école ", dit le Talmud.
Or, aujourd'hui, en France, parce qu'ils sont handicapés, des jeunes ne bénéficient d'aucune scolarité.
Parce qu'ils sont handicapés, d'autres n'ont droit qu'à quelques heures d'enseignement par semaine.
Parce qu'ils sont handicapés, d'autres encore, trop nombreux doivent endurer avec leurs parents un véritable parcours du combattant pour bénéficier d'une certaine continuité dans leur parcours scolaire.
Cette situation est tout simplement inadmissible, car contraire au principe d'égalité des droits et à celui de l'obligation scolaire.
La loi réaffirme donc l'obligation de l'éducation nationale d'accueillir tous les enfants, de préférence en milieu ordinaire. L'abandon du terme éducation spéciale est à ce titre significatif.
La prise en charge sera assurée dès la maternelle, jusque et y compris dans les établissements d'enseignement supérieur, pour ceux qui le souhaitent et le peuvent, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.
Le Ministre de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche, Luc FERRY, a pris les devants en mettant en place dès la dernière rentrée 6 000 auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui ont permis, pour la première année, l'intégration de l'ensemble des enfants handicapés scolarisables.
Il a commencé aussi à créer de nouvelles classes d'intégration scolaire (CLIS) et d'unités pédagogiques d'intégration (UPI), et organise une sensibilisation des enseignants au handicap au cours de leurs études, à partir de la rentrée prochaine. Il serait bon qu'à terme cette sensibilisation soit étendue à l'ensemble de la communauté éducative.
Une prise en compte rigoureuse du handicap va de pair bien évidemment avec cette forte volonté de scolarisation en milieu ordinaire. Elle implique le développement des services médico-sociaux qui doivent accompagner chaque enfant, de façon spécifique, souvent tout au long de sa scolarité.
La décision de non inscription dans le milieu ordinaire, voire avec un dispositif adapté devra être motivée pour les enfants lourdement handicapés qui devront être tous accueillis dans des établissements médico-sociaux où la meilleure scolarité possible en adéquation avec le projet individuel de l'enfant leur sera dispensée.
Dans tous les cas, la loi affirme la continuité indispensable du parcours de formation, mais aussi la cohésion des actions éducatives et médico-sociales.
L'emploi ensuite
Le travail est la dignité de tout homme. Nous ne pouvons plus admettre que les chômeurs handicapés soient 3 fois plus nombreux (4 fois plus si ce sont des femmes) que les chômeurs valides !
Il est donc impératif de faciliter sous des formes très diverses l'activité des personnes handicapées qui veulent et qui peuvent travailler, trop souvent inemployées. A cet effet, un ensemble de mesures est prévu qui se réfèrent toutes et de manière explicite au principe de non discrimination.
La priorité est donnée, là aussi, à l'insertion en milieu ordinaire. La loi place l'emploi des personnes handicapées au cur du dialogue social et l'intègre dans les négociations collectives tant au niveau de la branche que de l'entreprise afin que chacun - chef d'entreprise, salarié, partenaire social - s'approprie cet objectif.
Les entreprises seront encouragées à embaucher des personnes handicapées au chômage depuis longtemps, ou ayant fait des efforts de formation, ou encore venant du milieu protégé. Par contre, celles qui ne font aucun effort seront sanctionnées financièrement plus sévèrement qu'aujourd'hui.
La loi introduit par ailleurs, conformément à une directive européenne, la notion d'aménagement raisonnable des conditions de travail donnant ainsi un contenu concret à des obligations qui n'étaient pas jusqu'alors suffisamment formalisées.
Les trois fonctions publiques qui se doivent d'être exemplaires devront elles aussi, comme le privé, verser une contribution à un fonds spécifique unique public, dès lors qu'elles n'atteindront pas elles non plus leur quota de 6 % de travailleurs handicapés. Le Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'Etat et de l'Aménagement du Territoire, Jean-Paul DELEVOYE a beaucoup uvré pour la création de ce fonds public et je l'en remercie.
A l'instar de l'AGEFIPH, il financera des formation spécifiques, des aménagements de poste, voire d'éventuels transports entre le lieu de travail et le domicile.
Parallèlement à ces dispositions, la loi conforte la vocation du milieu protégé au travers des centres d'aide par le travail (CAT) dont l'utilité pour les personnes dont les aptitudes ne permettent pas de suivre le rythme de travail en milieu ordinaire n'est pas contestable. Ceci s'accompagne d'une véritable reconnaissance de leurs droits en matière de formation professionnelle, de validation des acquis de l'expérience, de congés, de prestations familiales.
Un meilleur cumul du salaire et de l'Allocation Adulte Handicapé (AAH) encourage le travail, particulièrement à temps partiel.
Pour davantage de personnes handicapées, le travail en milieu protégé doit pouvoir être, selon les cas, un refuge ou un tremplin vers le milieu ordinaire.
Il faut donc prévoir des réponses souples, évolutives dans l'espace et dans le temps, adaptées aux capacités et aux souhaits de chaque travailleur handicapé.
Des conventions seront conclues entre les CAT et l'employeur afin de donner une base solide, sécurisante à la formule du " détachement " en milieu ordinaire et de garantir le retour temporaire ou définitif en milieu protégé en cas de difficultés.
La cité bien sûr
Quand dans le grand public pense accessibilité de la ville, il pense d'abord aux personnes en fauteuil roulant.
Mais je suis convaincue que ce qui est bon pour les personnes handicapées l'est aussi pour nous tous : les parents qui poussent des landaus, les personnes fatiguées et fragiles, les personnes à mobilité réduite.
Le retard de notre pays dans ce domaine par rapport à d'autres est incontestable. " J'avais oublié à quel point mon pays est inaccessible aux fauteuils roulants ! ", me disait un jour Patrick SEGAL de retour d'un voyage d'observation sur ce sujet en Suède.
Ce retard est d'ailleurs moins dans les textes législatifs que dans leur application, faute d'une volonté et de contrôles suffisants. Néanmoins, j'ai la conviction que des avancées législatives sont encore nécessaires.
Désormais, toute construction neuve devra être accessible. Des modalités particulières sont prévues pour les maison individuelles.
Cette obligation qui s'imposait par ailleurs aux établissements recevant du public existants est renforcée.
Pour les logements collectifs existants, l'accessibilité devra être prise en compte lors de travaux de rénovation. C'est une avancée majeure !
Dans un souci d'effectivité, les contrôles sont renforcés et les sanctions instaurées, ce qui n'était pas le cas jusqu'alors. Ces sanctions pourront aller jusqu'à la fermeture d'un établissement recevant du public s'il ne respecte pas les normes d'accessibilité.
Au-delà du renforcement conséquent des normes concernant le cadre bâti, il faut penser chaîne de l'accessibilité ou du déplacement, et donc transports et collectivités locales.
S'agissant des transports, la loi impose une accessibilité complète dans un délai de 6 ans, et les dérogations très contrôlées devront entraîner la mise en place de transports adaptés.
Quant aux communes, selon leur taille, elles pourront être impliquées par la création d'un plan de mise en accessibilité de la voirie et de normes inscrites dans le PDU, mais aussi d'une commission communale d'accessibilité.
La critique sur un sujet aussi sensible est facile, l'art qui consiste à voter des dispositifs sévères mais réalistes donc applicables est plus difficile. Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je compte tout particulièrement à ce sujet sur votre sagesse pour trouver la juste mesure législative. Quant aux décrets d'application, je vous propose, comme je l'ai fait avec les associations, que nous les travaillions ensemble.
Et l'accessibilité aux personnes handicapées motrices ne doit pas faire oublier que les lieux publics, voire privés et les transports doivent aussi être accessibles aux personnes handicapées sensorielles, mentales et psychiques.
De merveilleuses réalisations pour ce type de public, notamment à la Cité des Sciences et de l'Industrie et au Centre Georges Pompidou, démontrent s'il en était besoin que beaucoup est possible dans ce domaine et qu'il suffit souvent de le vouloir !
Cette accessibilité à la cité est essentielle, première pour une pleine participation à la vie sociale, aux sports, aux loisirs, à la culture qui forge la personnalité de tout un chacun, qu'il soit valide ou handicapé.
Nous ne pouvons plus admettre longtemps par exemple que le seul complexe cinématographique d'une ville de 50 000 habitants soit inaccessible et que 15 % des émissions télévisées seulement soient sous-titrées.
Nous devons par tous les moyens favoriser la pratique des arts par les personnes handicapées car selon le beau mot de Marcel JULLIAN : " A bien y regarder, c'est en art mieux qu'ailleurs que ce qu'on appelle un handicap peut constituer une chance. Car dans le domaine très vaste de la création, il y a justement que les différences qui comptent ".
La maison départementale des personnes handicapées
Quand une personne se retrouve au chômage, elle sait où et à qui s'adresser.
Quand une personne devient handicapée, ce qui est souvent aussi brutal que le chômage, elle-même et sa famille mettent parfois plusieurs années avant de frapper aux bonnes portes, de trouver le bon interlocuteur. Ces complexités sont particulièrement insupportables pour des personnes en situation difficile.
C'est pourquoi, la loi crée la maison départementale des personnes handicapées.
Cette maison, ce sera d'abord un lieu connu et reconnu où la personnes handicapée et sa famille pourront être accueillies, écoutées, informées, conseillées, leurs besoins évalués et les décisions suivies.
C'est aussi un lieu qui réunira l'ensemble des partenaires de proximité : services des conseils généraux, services déconcentrés de l'Etat, organismes de sécurité sociale, centres communaux d'action sociale, services de la formation, de l'emploi
La maison départementale des personnes handicapées, c'est aussi une équipe pluridisciplinaire qui évalue le handicap et qui établit avec la personne handicapée et sa famille, le cas échéant avec le représentant légal, le plan personnalisé de compensation de son handicap. Ces équipes doivent dépasser l'évaluation strictement médicale ou fonctionnelle des incapacités de la personne et prendre en compte ses aptitudes, ses potentialités mais aussi ses souhaits.
La maison départementale des personnes handicapées, c'est enfin un interlocuteur unique de l'intéressé et de sa famille, un interlocuteur reconnu, identifiable et de proximité.
La forme juridique et les modalités d'organisation de ces maisons départementales restent à préciser. Elles le seront bien sûr avant le vote définitif de cette loi.
Pour l'heure, une mission sur ce sujet a été confiée par le Premier Ministre à Messieurs Raoul BRIET, Conseiller maître à la cour des comptes, et Pierre JAMET, Directeur général des services du département du Rhône, dans le cadre de la mise en place de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie. C'est en fonction des conclusions de cette mission que sera précisée la nouvelle répartition des compétences qui, en tout état de cause, devront être exercées au plus près du bénéficiaire, comme l'a affirmé le Premier Ministre le 6 novembre dernier.
Mais, quoi qu'il en soit, au travers et au-delà des attributions de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, l'Etat restera garant de la politique menée en matière de handicap et de son égalité d'application sur l'ensemble du territoire français.
Compensation, accessibilité, organisation de proximité, ce sont les trois volets fondamentaux de ce projet de loi qui compte sept titres.
Permettez-moi maintenant de revenir rapidement sur chacun d'eux en présentant quelques dispositions complémentaires importantes.
Le titre I, dans un article unique, introduit notamment pour la première fois une définition du handicap inspirée de la classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé définie en 2001 par l'Organisation Mondiale de la Santé qui met la personne au cur des dispositifs qui la concernent.
Pour la première fois aussi, le handicap lié à une altération psychique est reconnu en tant que tel. Ce sont du même coup, plus de 700 000 personnes, essentiellement schizophrènes ou maniaco-dépressives qui vont être prises en charge, accueillies par la société grâce à des réponses adaptées, consistant essentiellement en des lieux d'accueil et des accompagnements sociaux.
Cet article met aussi l'accent sur la prévention du handicap, venant ainsi compléter l'article 6 de la loi relative à la politique de santé publique, il réaffirme l'importance de la recherche et contribue à une meilleure articulation de ses différents protagonistes.
Dans le titre II qui a trait à la compensation et aux ressources, je veux aborder maintenant la question de l'allocation adulte handicapée (AAH).
Je n'ai pas souhaité en changer la dénomination ni les conditions générales d'attribution.
Mais il s'agit néanmoins d'une allocation nouvelle puisque, grâce à la création de la prestation de compensation, l'AAH peut maintenant être consacrée uniquement aux besoins de la vie courante, ce qui constitue une amélioration substantielle. Elle devient ainsi une véritable revenu d'existence.
Par ailleurs, je tiens à souligner que, contrairement à ce qu'on entend ici ou là, si on prend en compte tous les éléments complémentaires, et notamment les autres prestations et les exonérations fiscales, le pouvoir d'achat d'un bénéficiaire de l'AAH est sensiblement le même que celui de la personne au SMIC.
Je rappelle enfin les meilleures conditions de cumul de cette allocation avec un revenu d'activité, et le maintien du complément d'AAH pour les personnes qui reprennent un emploi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Pour le travail en milieu protégé, le projet de loi prévoit aussi une amélioration de la rémunération garantie qui variera entre 90 % et 110 % du SMIC au lieu de 55 à 75 % actuels grâce à l'instauration d'une aide au poste.
Dans le titre III relatif à l'accessibilité sous tous ses angles, je voudrais insister sur trois points :
1) Le projet de donner une base légale à la convention d'objectifs établie depuis 2000 entre l'AGEFIPH et l'Etat afin de mieux harmoniser la politique de l'Etat en matière d'emplois et les actions spécifiques en faveur des personnes handicapées, conduites par l'AGEFIPH.
2) Le nouveau statut des ateliers protégés qui seront désormais appelés " Entreprises adaptées ". Ces dernières sont considérées comme un milieu ordinaire de travail. Leur agrément devient une convention d'objectifs sur trois ans avec un contingent annuel d'aide au poste.
Les CAT représentent maintenant à eux seuls le travail en milieu protégé.
3) L'article 25 qui reconnaît aux personnes handicapées le droit d'accéder à tous les services de communication en ligne, de l'Etat et des collectivités territoriales, fait écho à la volonté du Premier Ministre de faire de l'accessibilité aux services numériques une des priorités de développement de la société de l'information.
Cet article fait le lien avec le titre IV qui concerne notamment l'accueil et l'information des personnes handicapées avec la création des maisons départementales des personnes handicapées.
Il me paraît important de revenir à ce sujet sur la création de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées qui a vocation à remplacer les CDES, les COTOREP et les sites de la vie autonome, à attribuer les prestations et à décider de l'orientation de la personne handicapée, avec son accord. Cette nouvelle commission a le mérite d'être unique et d'éviter notamment les ruptures d'appréciation des besoins et de prise en charge entre les enfants et les adultes. Elle traduit très concrètement la volonté de simplification et de clarification qui sous-tend l'ensemble du projet de loi.
Dans la même optique, la procédure d'attribution des cartes de stationnement qui obéit actuellement à des règles mal comprises par les personnes handicapées va être revue. Elle ne se réfèrera plus à un taux de handicap mais elle tiendra compte des difficultés réelles de mobilité du bénéficiaire.
Le titre V a pour objectif de garantir la qualité des prestations offertes par les professionnels de l'appareillage qui relèvent désormais de la catégorie des auxiliaires médicaux.
Dans le même souci de qualité, ce titre réglemente aussi les interventions des professionnels de l'interprétariat en langue des signes et en langage parlé complété, dès lors qu'ils interviennent dans les services publics.
Le titre VI propose un certain nombre de prescriptions tendant à faciliter l'intervention des bénévoles. Il donne aussi la possibilité aux associations de défendre les personnes handicapées victimes de crimes ou de délits, suite aux suggestions de votre Haute Assemblée dans le rapport sur la maltraitance.
Dans le but d'encourager les solidarités familiales, il propose l'amélioration du régime de la rente survie contractée par les parents pour mieux assurer l'avenir de leurs enfants handicapés.
Enfin, je tiens beaucoup à l'article qui va assurer la disponibilité des informations statistiques. Ces dernières sont essentielles. Comment peut-on bâtir une politique du handicap sérieuse sans disposer d'éléments statistiques fiables et actualisés ?
Le titre VII enfin prévoit un certain nombre de dispositions transitoires. Il s'agit en effet de prendre le temps nécessaire pour mettre en place les nouveaux dispositifs et de faire en sorte que les changements se passent en douceur, ce qui est particulièrement important quand on s'adresse à une population souvent fragile.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les grandes lignes de ce projet de loi que je suis fière de vous présenter parce qu'il est le fruit d'un énorme travail. Il n'a pas la prétention de résoudre définitivement tous les problèmes concernant la vie des personnes handicapées ni même pour 30 ans comme certains semblent le souhaiter. Notre société évolue trop vite pour cela !
Mais il a l'ambition d'être en adéquation avec la réalité du moment et de correspondre aux attentes des personnes handicapées.
Comme toute uvre humaine, ce projet est bien sûr perfectible. A ce stade d'élaboration je compte beaucoup sur la contribution des parlementaires et donc d'abord sur vous, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour conforter, enrichir encore les propositions que je vous fais.
Je souhaite ardemment que le débat qui s'ouvre aujourd'hui se déroule dans une ambiance de respect mutuel.
Entre les représentants de la Nation que vous êtes et le Gouvernement d'abord car je suis convaincue que le grand défi de l'insertion des personnes handicapées dépasse tout clivage politique et a besoin pour être relevé de la contribution de chacun d'entre nous.
Mais surtout entre les responsables politiques que nous sommes et les personnes handicapées.
Nous voilà réunis quelque temps pour améliorer avec détermination leurs conditions de vie, leur permettre d'être des citoyens autonomes et responsables autant que faire se peut.
Mais les personnes handicapées seront toujours là pour ouvrir une porte sur la condition humaine, et pour nous rappeler, comme l'écrit encore Alexandre JOLLIEN, que " chaque homme est, à sa mesure, un cas, une délicieuse exception. Et qu'une observation fascinée, puis critique transforme souvent l'être anormal en maître es humanité ".
(source http://www. http://www.handicap.gouv.fr, le 25 février 2004)