Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, dans "Le Figaro" du 21 septembre 2000, sur la politique européenne de la ville, notamment la décentralisation et le rôle des comités de pilotage des contrats de ville dans le cadre des fonds européens.

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Q - La Commission européenne présente aujourd'hui son audit des villes européennes. Existe-t-il une politique européenne de la ville ?
R - Pas encore, mais la publication de cet audit est la preuve que la Commission européenne veut s'intéresser au fait urbain. Nos concitoyens ont longtemps eu l'impression que l'Europe s'occupait avant tout d'agriculture, alors que 80 % d'entre eux sont citadins. Depuis deux ans, la Commission européenne se recentre sur la politique de la ville, comme en témoigne l'ouverture en cours des crédits européens pour les quartiers en difficulté. Ce changement de cap européen est fondamental. Outre les fonds qu'il rend disponible, il permettra de rapprocher les citadins de la construction européenne. L'audit montre bien que le manque de participation citoyenne des urbains dans leur cité est un des premiers problèmes à régler pour améliorer leur cadre de vie.
Q - La ville européenne existe-t-elle ?
R - Au-delà des spécificités locales, l'audit la dessine assez nettement : c'est une ville dont la population vieillit, formée de plus en plus de famille monoparentales, qui est particulièrement touchée par le chômage et a du mal à utiliser les transports collectifs Identifier les caractéristiques de la ville européenne, c'est ouvrir la porte à une réflexion européenne sur la politique de la ville : cela permet d'augmenter les crédits publics qui lui sont destinés, mais cela permet aussi de trouver des solutions innovantes en s'inspirant des initiatives de quinze pays au lieu d'un seul.
Q - A l'heure où l'on prône les vertus de la décentralisation et de la proximité en politique, n'est-ce pas contradictoire d'aller chercher l'Europe pour y parvenir ?
R - Soyons clairs : notre objectif n'est pas de céder notre place à Bruxelles pour mener une politique de la ville plus efficace. Mais garder notre souveraineté ne nous empêche pas de profiter de l'impulsion européenne. Avec sa tradition jacobine, la France a sûrement à gagner de la tradition plus régionaliste d'un certain nombre de nos voisins. En ce sens, l'Europe nous a aidés à améliorer certaines de nos procédures. Travailler au niveau européen, c'est aussi un moyen d'assurer le rayonnement de notre modèle social dans le monde. La ville est un fondement de l'histoire européenne : avec ses espaces publics, sa convivialité, son rôle social d'échange et de rencontres. Elle se distingue fortement de la ville américaine, dont les espaces sont majoritairement privatisés en une juxtaposition de communautés. Si nous voulons garder notre identité - et aussi, disons-le, notre influence économique notamment auprès des pays émergents -, il faut l'affirmer et la défendre.
Q - Concrètement, pensez-vous que les habitants des quartiers sont satisfaits du fonctionnement des aides européennes qui leur sont destinées ?
R - Nous sommes en bonne voie mais il y a encore beaucoup de travail à faire. En France, on ne peut pas dire que les fonds européens soient d'une utilisation simple et pratique. Il faut rappeler que, pour le moment, l'argent est sollicité par les acteurs locaux, décidé par Bruxelles puis distribué par Bercy. Cela fait beaucoup de paperasserie, et cela décourage encore trop de Français. D'autant que les maires européens ne sont pas encore assez fédérés pour servir de relais entre l'Europe, les villes et les agglomérations.
Q - Dans les quartiers, les habitants se plaignent de ne pas savoir à qui s'adresser pour profiter de ces aides. Que leur conseillez-vous ?
R - C'est vrai, dans les quartiers, on voit trop souvent l'Europe comme une usine à gaz. Notre ministère, des députés européens, mais aussi des communes travaillent activement pour simplifier les choses. Bien entendu, il ne s'agit pas de créer une antenne de la Commission dans chaque quartier. Ce que nous voulons, c'est que le pilotage des fonds européens ne soit plus administratif mais qu'il soit politique. Ce sera le rôle des comités de pilotage des contrats de ville (NDLR qui rassemblent les représentants du conseil régional, de la préfecture et de la Mairie). J'ai également demandé qu'un délégué de l'Etat soit désigné et qu'un comité consultatif d'habitants soit créé dans chaque quartier pour améliorer le dialogue entre les citoyens et l'Europe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2000).