Texte intégral
Les deux jours passés ici en Algérie ont été denses, riches, intenses, chaleureux et accueillants. Lors de mon déplacement à Alger j'ai visité le lycée, une ONG et Bab El Oued pour y évoquer, dans les hôpitaux, les suites de l'inondation.
Bien entendu, j'ai eu des entretiens politiques avec le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. Il y a eu des moments importants en rapport avec le devoir de mémoire, auprès de l'administration en charge des archives et de celle en charge des cimetières. Il y a eu des moments importants, ici et à Annaba, où nous avons ouvert le premier consulat général en province, ouverture qui précède celle du futur consulat d'Oran.
Ce soir, une réunion se tiendra avec la communauté française en Algérie, très importante puisqu'elle compte près de 35.000 personnes.
Ce déplacement s'inscrit dans la volonté du président Chirac et du président Bouteflika d'avoir un rapport d'excellence et d'exception entre la France et l'Algérie. Il fait suite au déplacement du président Bouteflika, à celui du président Chirac et à de nombreux déplacements ministériels bilatéraux. Ma venue précède celle de M. Perben, Garde des Sceaux, qui sera à Alger la semaine prochaine, et celle de M. Loos, ministre délégué au Commerce extérieur, qui viendra pour l'inauguration de la Foire d'Alger, début juin. Ceci est une relation naturelle entre nos deux pays qui permet de préparer le traité d'amitié qui sera signé d'ici la fin de l'année.
Que dire de la mobilisation des autorités algériennes pour ce traité ? Mon sentiment est qu'elle est totale, intense, réelle, sincère et loyale. C'est, bien sûr, un partenariat bilatéral, et nous avons donc, au-delà du fil conducteur de ce voyage tissé autour du devoir de mémoire, parlé de nos relations économiques et culturelles ainsi que des relations entre nos collectivités territoriales. Vous savez que je suis aussi premier adjoint au maire de Marseille, et qu'il existe un lien intense et direct entre Marseille et Alger. Nul doute que cette fraternité entre nos villes facilite les contacts avec mes interlocuteurs.
Ce travail de mémoire, au coeur de ma visite, m'a permis de me recueillir sur les sépultures françaises. J'ai réalisé à quel point l'attachement de nos deux pays à cet héritage est grand. Tous mes interlocuteurs, y compris les Walis rencontrés, que ce soit ici à Alger ou à Annaba, tous m'ont parlé des cimetières comme d'une partie de leur patrimoine. Cela m'a donné l'occasion de prendre la mesure du plan de rénovation ou de réhabilitation lancé par le gouvernement, en pleine coopération avec les autorités algériennes et les associations de rapatriés. Si nous pouvons rénover, nous rénovons. Lorsque nous y serons obligés, nous regrouperons les sépultures, sachant qu'il ne s'agit que de 2 % de l'ensemble des tombes actuellement recensées et que, dans toute la partie ouest, le plan d'action reste à mettre en place.
Pour faciliter le travail de mémoire, j'ai installé hier, auprès de la direction générale des Archives algériennes, un assistant technique, M. Trulard. Il est chargé de mener à bien, avec nos partenaires bien sûr, l'achèvement de la numérisation de l'état-civil français d'Algérie. C'est là aussi un programme essentiel pour préserver la mémoire commune à nos deux pays. Travail de mémoire dans lequel il s'agit, bien sûr, d'apaiser les douleurs. Les historiens et les chercheurs ont la responsabilité du travail de vérité. Les deux gouvernements sont bien d'accord pour les encourager dans ce sens.
Cette visite est pour moi une visite importante, de par la proximité de nos deux cités, la complicité de nos deux pays, notre histoire commune. Dans ma ville de Marseille, sur 800.000 habitants, 130.000 sont musulmans, dont les trois-quarts sont originaires d'Algérie. J'ai naturellement une complicité et de la ténacité pour travailler et construire l'avenir ensemble. Ce premier déplacement est une découverte. Alger est une ville superbe. Je le savais ; j'en avais entendu parler et je l'avais vu, mais là, je l'ai touché du doigt, et l'accueil qui m'a été réservé par nos compatriotes et amis d'Algérie est tout à fait remarquable. Je tiens à vous en remercier.
Q - Une dépêche vient de tomber dans laquelle Paris appelle au "respect mutuel" après les déclarations de notre chef d'Etat. Qu'entendez-vous par "respect mutuel" car, chez nous, l'expression à un tout autre sens ? Que s'est-il passé après les déclarations du président algérien ?
R - Nous avons, bien sûr, lu avec beaucoup d'attention le discours du président Bouteflika lors des cérémonies du 8 mai. Et, bien sûr, chacun s'exprime comme il estime devoir le faire. Nous avons, dans chacun de nos pays, une opinion publique sensible. On se rend bien compte que les deux peuples veulent avancer ensemble, mais quand on regarde le passé proche, chez nous on parle de guerre d'Algérie, ici on parle de guerre de décolonisation ou d'indépendance, ou de libération. Il y a le mot "guerre", avec tout ce que cela représente derrière. Il est important, et c'est en tout cas la façon dont j'ai lu les déclarations du président Bouteflika, que nous arrivions à travailler ensemble autour des faits. Et la vérité, d'elle-même, s'imposera. Cette amitié franco-algérienne est comme un corps humain sur ses deux jambes. Les deux amis doivent courir dans le même sens, et pas à contre-temps. Ils doivent s'aider. Et c'est la volonté des deux présidents, ainsi que le désir de nos opinions publiques.
Q - Vous avez parlé de votre visite aux archives nationales, de la numérisation de l'état civil des Français. Qu'en est-il de la demande algérienne de restitution des archives ?
R - Il y a plusieurs périodes. Avec Monsieur l'Ambassadeur, nous avons rencontré M. Chikhi, le directeur général des Archives nationales, qui est tout à fait remarquable et avec lequel je me suis, pour ma part, très bien entendu. Fondamentalement, il n'y a, je crois, aucun dysfonctionnement entre nos services. Je crois qu'il existe une nécessité de faire la liste d'un certain nombre de choses, et quand nous en avons parlé avec le ministre des Affaires étrangères - je tiens à le saluer pour sa fonction et sa nomination ; c'est un homme de très grand talent - il nous a parlé d'un certain nombre d'archives qui doivent être traitées à l'aide de méthodes modernes de reproduction. Sur le fond, il n'y a pas de problème : il faut examiner les tranches d'âge et les périodes d'âge. Il n'y en a pas davantage sur la forme. Aux Archives, nous avons surtout parlé de la sauvegarde du patrimoine existant aujourd'hui. Un certain nombre de films ont été récupérés et qui présentent des problèmes de "pathologie" du film : des moisissures. Il faut donner une formation aux archivistes, avec deux ans de formation initiale commune à caractère global et des formations spécialisées. Il y a incontestablement un manque de formation en Algérie dans ce domaine. Par ailleurs, ayant évoqué la question de la coopération et de la collaboration avec les services français d'archives, le responsable m'a déclaré que tout se passait globalement très bien, que ce soit avec Aix en Provence ou avec Paris. Sur un plan plus technique, il y a à l'ambassade quelqu'un qui est chargé des contacts directs. En ce qui concerne les périodes, le ministre des Affaires étrangères nous a dit qu'il allait transmettre à l'ambassadeur les tranches concernées, en fonction des demandes formulées.
Q - Votre visite coïncide avec une réaction en cascade aux déclarations de M. Bouteflika. Il y a d'abord la réaction du porte-parole du Quai d'Orsay qui parle de respect mutuel. Une députée UMP, qui n'a pas fait le voyage d'Alger, reproche des propos excessifs. Il y a aussi les anciens combattants de la guerre d'Algérie qui justifient le massacre du 8 mai 45 et qui disent que l'intervention des forces de l'armée française était justifiée. Alors que nous sommes à quelques encablures du traité d'amitié, ne pensez-vous pas que ces "incidents" peuvent porter un coup à cette dynamique ?
R - Vous savez, quand vous vous retrouvez dans ce genre de situation, il faut toujours garder son calme et son sang-froid. Il est clair qu'il y a toujours des hypersensibilités ou des codes de lecture qu'il faut aussi respecter. Ceux-là ne nous faciliteront pas la tâche, ni en Algérie, ni en France. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Nos dirigeants, nos présidents, nos peuples veulent travailler ensemble, veulent vivre ensemble en paix. C'est la raison pour laquelle je suis très attentif à ce travail de mémoire, cette responsabilité face à la vérité qui ne peut être assumée qu'ensemble. Vous allez avoir toutes sortes de déclarations, chez vous comme chez nous. Je ne voudrais pas reprendre le mot "respect" car ce mot a apparemment une interprétation différente. Pour nous, le mot "respect" veut dire qu'on est ensemble, comme le sont les deux jambes d'un corps ou les doigts d'une même main. Les uns et les autres travaillent ensemble. Ils fonctionnent ensemble. Ils ne fonctionnent pas l'un sans l'autre. Voilà le sens du mot "respect". D'où l'importance de se parler.
Q - Ne pensez-vous pas que ce travail de mémoire peut raviver les ressentiments et freiner le calendrier pour ce traité d'amitié entre les deux pays ?
R - Non. Je pense que c'est ce travail de mémoire qui fera en sorte que l'on qualifiera les choses de la même manière. L'histoire s'écrira ; elle s'écrit. On ne peut pas construire sur des malentendus. Il faut apaiser les douleurs.
Q - Concernant le traité d'amitié, peut-on avoir une date ? Un mois ?
R - Ecoutez, la fin de l'année, ce n'est pas loin. Et vous voyez que nous sommes déjà dans cette perspective, au-delà des questions que vous me posez. De toutes façons, j'espère que le délai, qui est proposé par le ministre algérien des Affaires étrangères, pourra se matérialiser par la signature du traité. Je crois que cela sera une bonne occasion d'avancer ensemble, d'ici la fin de l'année.
Q - On parle de coopération, de traité d'amitié, et il y a l'Europe qui impose à chaque fois des mesures draconiennes concernant la libre circulation des biens et des personnes. N'y a t-il pas une contradiction dans la démarche européenne vis-à-vis des pays du Sud ?
R - Bien sûr, je suis Européen, mais je fais aussi partie du processus de Barcelone, comme vous. On va fêter les dix ans du processus de Barcelone, d'ici la fin de l'année aussi. Ce processus est fait pour la libre circulation des biens et des personnes. L'Europe se construit. Nous avons un passage difficile à la fin du mois puisque nous avons choisi la voie référendaire. Nous serons l'un des seuls, parmi les pays fondateurs, à passer par la voie référendaire alors que les autres sont passés par voie parlementaire. C'est le peuple qui est souverain. Je pense que le "oui" l'emportera parce que c'est important et que le peuple en est conscient : il ne mélangera pas des problèmes de politique intérieure ou de vie personnelle avec l'avenir de l'Europe et de son pays. Je suis intimement convaincu que la France, dans une Europe qui se construit, est un pays qui facilite naturellement le dialogue euroméditerranéen. C'est un grand pays qui tire toujours l'Europe vers le Sud ou qui respecte cette mer Méditerranée et les peuples qui vivent autour de la Méditerranée. C'est notre force. Nous avons des difficultés d'organisation quand nous passons de 15 à 25. Nous mettons donc en place des règles : un règlement de copropriété, applicable et acceptable par tous. Un exercice difficile. Cette étape passée, il sera encore plus facile de travailler avec l'ensemble des peuples riverains du bassin de la Méditerranée.
Q - Le traité d'amitié est-il une codification des échanges ? Prend-il en compte tous les volets ? Est-ce un code d'honneur ?
R - Je voudrais simplement vous renvoyer aux propos du président Bouteflika et du président Chirac quand ils ont annoncé les choses ensemble. C'est la déclaration de base et fondamentale. Il faut faire référence à ce document initial qui sera le fil conducteur de la trame. C'est une relation d'exception, un acte unique et qui se veut fondateur.
Q - Le traité d'amitié, cela passe aussi par la libre circulation des personnes, et on vient d'apprendre que M. de Villepin vient d'annoncer des mesures draconiennes concernant l'immigration. N'y a-t-il pas une contradiction ?
R - Le contrôle de nos frontières, c'est légitime. La gestion de notre droit et l'application de notre droit dans notre pays est nécessaire. Ceci s'applique dans le cadre de la loi française, qui s'insère dans le contexte européen et plus largement dans un contexte international. Il n'y pas de démarche particulière concernant ceux qui sont en situation régulière. Il existe des normes, des organisations, des structures, des visas, des demandes, un consulat ouvert pour répondre à des demandes qui ont été démultipliées. Ceux qui sont en situation régulière sont en situation régulière ; ceux qui sont en situation irrégulière sont en situation irrégulière. Il me semble avoir vu dans la presse ce matin que Michel Gaudin, directeur général de la Police nationale, a signé un accord de coopération à Alger. Il y a ainsi un travail conjoint qui ne peut pas vous inquiéter.
Q - A propos de la demande de pardon de la France à l'Algérie réclamée par certaines personnalités algériennes, quel est votre sentiment, est-ce une question envisageable du point de vue du gouvernement français ?
R - Je reviendrai sur le mot de la guerre. Nous nous sommes fait la guerre. Que s'est-il passé ? Comment chacun l'a-t-il ressenti ? Quelles sont ses souffrances qui sont encore là, bien tenaces, de part et d'autre ? Je crois que nous avons l'obligation de qualifier les faits, et nous ne pouvons le faire qu'ensemble. C'est ce travail de vérité que nous ferons ensemble. Quand les faits seront établis, qualifiés, on pourra s'exprimer de façon claire, précise, comme cela a pu se faire dans tous les conflits du monde avec des peuples qui ont fait la paix. Sinon, cela n'est pas possible
Q - Comment allez-vous faire pour qualifier les faits ?
R - C'est la raison pour laquelle nous voulons encourager le travail des historiens et chercheurs des deux côtés. Comprendre toutes les étapes sensibles, et il y en a ! Sétif ! On voit bien que les chiffres ne sont pas les mêmes, que les causes ne sont pas les mêmes, que la présentation n'est pas la même. Pourtant, c'est la même histoire. Les faits sont sacrés ; ce sont les commentaires qui sont libres. Faisons en sorte, nous, les politiques, qui voulons travailler ensemble, que justement ces faits soient clairs.
Je voudrais ajouter quelque chose qui est très important pour moi, au sujet des faits et de leur qualification. J'ai rencontré le ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur. Il m'a déclaré que les pieds-noirs sont les bienvenus. Au cours de la conversation, il nous a cependant expliqué qu'il a perdu son frère et sa sur pendant la guerre. Pour ma part, ma belle-famille, qui m'accompagne à Alger, est une famille de pieds-noirs. Les souffrances sont présentes des deux côtés. Pour autant, il existe chez les dirigeants une volonté de sortir de cette situation car nous savons que nous avons l'obligation pour nos peuples d'aller de l'avant.
Q - Lors de sa dernière visite à Alger, le maire de Paris Bertrand Delanoë a déclaré qu'en s'agenouillant devant la tombe de Jean Moulin, l'ancien chancelier Willy Brandt n'avait pas rabaissé l'Allemagne. Est-ce que demander pardon par la France c'est la rabaisser ?
R - Je ne suis pas sûr que le contexte soit le même. M. Delanoë est maire de Paris ; moi, je suis le premier adjoint du maire de Marseille. M. Delanoë parle en son nom ; moi, je parle au nom de la France. Pour ma part, j'ai vécu dans une ville qui connaît mieux l'Algérie que quiconque. Je sais qu'il faut faire attention à ce que l'on fait et ce que l'on dit. Et je sais qu'il faut aller vite, mais qu'il faut aussi savoir prendre son temps.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2005)
Bien entendu, j'ai eu des entretiens politiques avec le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. Il y a eu des moments importants en rapport avec le devoir de mémoire, auprès de l'administration en charge des archives et de celle en charge des cimetières. Il y a eu des moments importants, ici et à Annaba, où nous avons ouvert le premier consulat général en province, ouverture qui précède celle du futur consulat d'Oran.
Ce soir, une réunion se tiendra avec la communauté française en Algérie, très importante puisqu'elle compte près de 35.000 personnes.
Ce déplacement s'inscrit dans la volonté du président Chirac et du président Bouteflika d'avoir un rapport d'excellence et d'exception entre la France et l'Algérie. Il fait suite au déplacement du président Bouteflika, à celui du président Chirac et à de nombreux déplacements ministériels bilatéraux. Ma venue précède celle de M. Perben, Garde des Sceaux, qui sera à Alger la semaine prochaine, et celle de M. Loos, ministre délégué au Commerce extérieur, qui viendra pour l'inauguration de la Foire d'Alger, début juin. Ceci est une relation naturelle entre nos deux pays qui permet de préparer le traité d'amitié qui sera signé d'ici la fin de l'année.
Que dire de la mobilisation des autorités algériennes pour ce traité ? Mon sentiment est qu'elle est totale, intense, réelle, sincère et loyale. C'est, bien sûr, un partenariat bilatéral, et nous avons donc, au-delà du fil conducteur de ce voyage tissé autour du devoir de mémoire, parlé de nos relations économiques et culturelles ainsi que des relations entre nos collectivités territoriales. Vous savez que je suis aussi premier adjoint au maire de Marseille, et qu'il existe un lien intense et direct entre Marseille et Alger. Nul doute que cette fraternité entre nos villes facilite les contacts avec mes interlocuteurs.
Ce travail de mémoire, au coeur de ma visite, m'a permis de me recueillir sur les sépultures françaises. J'ai réalisé à quel point l'attachement de nos deux pays à cet héritage est grand. Tous mes interlocuteurs, y compris les Walis rencontrés, que ce soit ici à Alger ou à Annaba, tous m'ont parlé des cimetières comme d'une partie de leur patrimoine. Cela m'a donné l'occasion de prendre la mesure du plan de rénovation ou de réhabilitation lancé par le gouvernement, en pleine coopération avec les autorités algériennes et les associations de rapatriés. Si nous pouvons rénover, nous rénovons. Lorsque nous y serons obligés, nous regrouperons les sépultures, sachant qu'il ne s'agit que de 2 % de l'ensemble des tombes actuellement recensées et que, dans toute la partie ouest, le plan d'action reste à mettre en place.
Pour faciliter le travail de mémoire, j'ai installé hier, auprès de la direction générale des Archives algériennes, un assistant technique, M. Trulard. Il est chargé de mener à bien, avec nos partenaires bien sûr, l'achèvement de la numérisation de l'état-civil français d'Algérie. C'est là aussi un programme essentiel pour préserver la mémoire commune à nos deux pays. Travail de mémoire dans lequel il s'agit, bien sûr, d'apaiser les douleurs. Les historiens et les chercheurs ont la responsabilité du travail de vérité. Les deux gouvernements sont bien d'accord pour les encourager dans ce sens.
Cette visite est pour moi une visite importante, de par la proximité de nos deux cités, la complicité de nos deux pays, notre histoire commune. Dans ma ville de Marseille, sur 800.000 habitants, 130.000 sont musulmans, dont les trois-quarts sont originaires d'Algérie. J'ai naturellement une complicité et de la ténacité pour travailler et construire l'avenir ensemble. Ce premier déplacement est une découverte. Alger est une ville superbe. Je le savais ; j'en avais entendu parler et je l'avais vu, mais là, je l'ai touché du doigt, et l'accueil qui m'a été réservé par nos compatriotes et amis d'Algérie est tout à fait remarquable. Je tiens à vous en remercier.
Q - Une dépêche vient de tomber dans laquelle Paris appelle au "respect mutuel" après les déclarations de notre chef d'Etat. Qu'entendez-vous par "respect mutuel" car, chez nous, l'expression à un tout autre sens ? Que s'est-il passé après les déclarations du président algérien ?
R - Nous avons, bien sûr, lu avec beaucoup d'attention le discours du président Bouteflika lors des cérémonies du 8 mai. Et, bien sûr, chacun s'exprime comme il estime devoir le faire. Nous avons, dans chacun de nos pays, une opinion publique sensible. On se rend bien compte que les deux peuples veulent avancer ensemble, mais quand on regarde le passé proche, chez nous on parle de guerre d'Algérie, ici on parle de guerre de décolonisation ou d'indépendance, ou de libération. Il y a le mot "guerre", avec tout ce que cela représente derrière. Il est important, et c'est en tout cas la façon dont j'ai lu les déclarations du président Bouteflika, que nous arrivions à travailler ensemble autour des faits. Et la vérité, d'elle-même, s'imposera. Cette amitié franco-algérienne est comme un corps humain sur ses deux jambes. Les deux amis doivent courir dans le même sens, et pas à contre-temps. Ils doivent s'aider. Et c'est la volonté des deux présidents, ainsi que le désir de nos opinions publiques.
Q - Vous avez parlé de votre visite aux archives nationales, de la numérisation de l'état civil des Français. Qu'en est-il de la demande algérienne de restitution des archives ?
R - Il y a plusieurs périodes. Avec Monsieur l'Ambassadeur, nous avons rencontré M. Chikhi, le directeur général des Archives nationales, qui est tout à fait remarquable et avec lequel je me suis, pour ma part, très bien entendu. Fondamentalement, il n'y a, je crois, aucun dysfonctionnement entre nos services. Je crois qu'il existe une nécessité de faire la liste d'un certain nombre de choses, et quand nous en avons parlé avec le ministre des Affaires étrangères - je tiens à le saluer pour sa fonction et sa nomination ; c'est un homme de très grand talent - il nous a parlé d'un certain nombre d'archives qui doivent être traitées à l'aide de méthodes modernes de reproduction. Sur le fond, il n'y a pas de problème : il faut examiner les tranches d'âge et les périodes d'âge. Il n'y en a pas davantage sur la forme. Aux Archives, nous avons surtout parlé de la sauvegarde du patrimoine existant aujourd'hui. Un certain nombre de films ont été récupérés et qui présentent des problèmes de "pathologie" du film : des moisissures. Il faut donner une formation aux archivistes, avec deux ans de formation initiale commune à caractère global et des formations spécialisées. Il y a incontestablement un manque de formation en Algérie dans ce domaine. Par ailleurs, ayant évoqué la question de la coopération et de la collaboration avec les services français d'archives, le responsable m'a déclaré que tout se passait globalement très bien, que ce soit avec Aix en Provence ou avec Paris. Sur un plan plus technique, il y a à l'ambassade quelqu'un qui est chargé des contacts directs. En ce qui concerne les périodes, le ministre des Affaires étrangères nous a dit qu'il allait transmettre à l'ambassadeur les tranches concernées, en fonction des demandes formulées.
Q - Votre visite coïncide avec une réaction en cascade aux déclarations de M. Bouteflika. Il y a d'abord la réaction du porte-parole du Quai d'Orsay qui parle de respect mutuel. Une députée UMP, qui n'a pas fait le voyage d'Alger, reproche des propos excessifs. Il y a aussi les anciens combattants de la guerre d'Algérie qui justifient le massacre du 8 mai 45 et qui disent que l'intervention des forces de l'armée française était justifiée. Alors que nous sommes à quelques encablures du traité d'amitié, ne pensez-vous pas que ces "incidents" peuvent porter un coup à cette dynamique ?
R - Vous savez, quand vous vous retrouvez dans ce genre de situation, il faut toujours garder son calme et son sang-froid. Il est clair qu'il y a toujours des hypersensibilités ou des codes de lecture qu'il faut aussi respecter. Ceux-là ne nous faciliteront pas la tâche, ni en Algérie, ni en France. Mais il faut savoir ce que l'on veut. Nos dirigeants, nos présidents, nos peuples veulent travailler ensemble, veulent vivre ensemble en paix. C'est la raison pour laquelle je suis très attentif à ce travail de mémoire, cette responsabilité face à la vérité qui ne peut être assumée qu'ensemble. Vous allez avoir toutes sortes de déclarations, chez vous comme chez nous. Je ne voudrais pas reprendre le mot "respect" car ce mot a apparemment une interprétation différente. Pour nous, le mot "respect" veut dire qu'on est ensemble, comme le sont les deux jambes d'un corps ou les doigts d'une même main. Les uns et les autres travaillent ensemble. Ils fonctionnent ensemble. Ils ne fonctionnent pas l'un sans l'autre. Voilà le sens du mot "respect". D'où l'importance de se parler.
Q - Ne pensez-vous pas que ce travail de mémoire peut raviver les ressentiments et freiner le calendrier pour ce traité d'amitié entre les deux pays ?
R - Non. Je pense que c'est ce travail de mémoire qui fera en sorte que l'on qualifiera les choses de la même manière. L'histoire s'écrira ; elle s'écrit. On ne peut pas construire sur des malentendus. Il faut apaiser les douleurs.
Q - Concernant le traité d'amitié, peut-on avoir une date ? Un mois ?
R - Ecoutez, la fin de l'année, ce n'est pas loin. Et vous voyez que nous sommes déjà dans cette perspective, au-delà des questions que vous me posez. De toutes façons, j'espère que le délai, qui est proposé par le ministre algérien des Affaires étrangères, pourra se matérialiser par la signature du traité. Je crois que cela sera une bonne occasion d'avancer ensemble, d'ici la fin de l'année.
Q - On parle de coopération, de traité d'amitié, et il y a l'Europe qui impose à chaque fois des mesures draconiennes concernant la libre circulation des biens et des personnes. N'y a t-il pas une contradiction dans la démarche européenne vis-à-vis des pays du Sud ?
R - Bien sûr, je suis Européen, mais je fais aussi partie du processus de Barcelone, comme vous. On va fêter les dix ans du processus de Barcelone, d'ici la fin de l'année aussi. Ce processus est fait pour la libre circulation des biens et des personnes. L'Europe se construit. Nous avons un passage difficile à la fin du mois puisque nous avons choisi la voie référendaire. Nous serons l'un des seuls, parmi les pays fondateurs, à passer par la voie référendaire alors que les autres sont passés par voie parlementaire. C'est le peuple qui est souverain. Je pense que le "oui" l'emportera parce que c'est important et que le peuple en est conscient : il ne mélangera pas des problèmes de politique intérieure ou de vie personnelle avec l'avenir de l'Europe et de son pays. Je suis intimement convaincu que la France, dans une Europe qui se construit, est un pays qui facilite naturellement le dialogue euroméditerranéen. C'est un grand pays qui tire toujours l'Europe vers le Sud ou qui respecte cette mer Méditerranée et les peuples qui vivent autour de la Méditerranée. C'est notre force. Nous avons des difficultés d'organisation quand nous passons de 15 à 25. Nous mettons donc en place des règles : un règlement de copropriété, applicable et acceptable par tous. Un exercice difficile. Cette étape passée, il sera encore plus facile de travailler avec l'ensemble des peuples riverains du bassin de la Méditerranée.
Q - Le traité d'amitié est-il une codification des échanges ? Prend-il en compte tous les volets ? Est-ce un code d'honneur ?
R - Je voudrais simplement vous renvoyer aux propos du président Bouteflika et du président Chirac quand ils ont annoncé les choses ensemble. C'est la déclaration de base et fondamentale. Il faut faire référence à ce document initial qui sera le fil conducteur de la trame. C'est une relation d'exception, un acte unique et qui se veut fondateur.
Q - Le traité d'amitié, cela passe aussi par la libre circulation des personnes, et on vient d'apprendre que M. de Villepin vient d'annoncer des mesures draconiennes concernant l'immigration. N'y a-t-il pas une contradiction ?
R - Le contrôle de nos frontières, c'est légitime. La gestion de notre droit et l'application de notre droit dans notre pays est nécessaire. Ceci s'applique dans le cadre de la loi française, qui s'insère dans le contexte européen et plus largement dans un contexte international. Il n'y pas de démarche particulière concernant ceux qui sont en situation régulière. Il existe des normes, des organisations, des structures, des visas, des demandes, un consulat ouvert pour répondre à des demandes qui ont été démultipliées. Ceux qui sont en situation régulière sont en situation régulière ; ceux qui sont en situation irrégulière sont en situation irrégulière. Il me semble avoir vu dans la presse ce matin que Michel Gaudin, directeur général de la Police nationale, a signé un accord de coopération à Alger. Il y a ainsi un travail conjoint qui ne peut pas vous inquiéter.
Q - A propos de la demande de pardon de la France à l'Algérie réclamée par certaines personnalités algériennes, quel est votre sentiment, est-ce une question envisageable du point de vue du gouvernement français ?
R - Je reviendrai sur le mot de la guerre. Nous nous sommes fait la guerre. Que s'est-il passé ? Comment chacun l'a-t-il ressenti ? Quelles sont ses souffrances qui sont encore là, bien tenaces, de part et d'autre ? Je crois que nous avons l'obligation de qualifier les faits, et nous ne pouvons le faire qu'ensemble. C'est ce travail de vérité que nous ferons ensemble. Quand les faits seront établis, qualifiés, on pourra s'exprimer de façon claire, précise, comme cela a pu se faire dans tous les conflits du monde avec des peuples qui ont fait la paix. Sinon, cela n'est pas possible
Q - Comment allez-vous faire pour qualifier les faits ?
R - C'est la raison pour laquelle nous voulons encourager le travail des historiens et chercheurs des deux côtés. Comprendre toutes les étapes sensibles, et il y en a ! Sétif ! On voit bien que les chiffres ne sont pas les mêmes, que les causes ne sont pas les mêmes, que la présentation n'est pas la même. Pourtant, c'est la même histoire. Les faits sont sacrés ; ce sont les commentaires qui sont libres. Faisons en sorte, nous, les politiques, qui voulons travailler ensemble, que justement ces faits soient clairs.
Je voudrais ajouter quelque chose qui est très important pour moi, au sujet des faits et de leur qualification. J'ai rencontré le ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur. Il m'a déclaré que les pieds-noirs sont les bienvenus. Au cours de la conversation, il nous a cependant expliqué qu'il a perdu son frère et sa sur pendant la guerre. Pour ma part, ma belle-famille, qui m'accompagne à Alger, est une famille de pieds-noirs. Les souffrances sont présentes des deux côtés. Pour autant, il existe chez les dirigeants une volonté de sortir de cette situation car nous savons que nous avons l'obligation pour nos peuples d'aller de l'avant.
Q - Lors de sa dernière visite à Alger, le maire de Paris Bertrand Delanoë a déclaré qu'en s'agenouillant devant la tombe de Jean Moulin, l'ancien chancelier Willy Brandt n'avait pas rabaissé l'Allemagne. Est-ce que demander pardon par la France c'est la rabaisser ?
R - Je ne suis pas sûr que le contexte soit le même. M. Delanoë est maire de Paris ; moi, je suis le premier adjoint du maire de Marseille. M. Delanoë parle en son nom ; moi, je parle au nom de la France. Pour ma part, j'ai vécu dans une ville qui connaît mieux l'Algérie que quiconque. Je sais qu'il faut faire attention à ce que l'on fait et ce que l'on dit. Et je sais qu'il faut aller vite, mais qu'il faut aussi savoir prendre son temps.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2005)