Texte intégral
Cet élargissement se veut d'abord un accueil, au sens le plus fraternel. Les Quinze accueillent des pays qui ont participé à la communauté historique, culturelle et spirituelle de l'Europe, mais qui pour la plupart en ont été séparés par la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide. Nous accueillons des nations que le joug soviétique a privé de la liberté de choisir l'intégration européenne, et qui ont fait de leur aspiration à rejoindre l'Europe, un levier de leur libération. Nous accueillons des Européens qui ont accepté beaucoup d'efforts pour nous rejoindre. C'est là un devoir historique, moral et politique.
Mais il faut aussi apprécier les conséquences de l'élargissement. Avec 75 millions d'habitants supplémentaires, l'Union accroît sa population de 17 %. Ce sont dix Etats nations qui nous rejoignent, d'où un risque de complexification de la vie communautaire. Et le niveau de vie des nouveaux arrivants n'atteint en moyenne que 46 % de celui des Quinze. L'hétérogénéité de la future Europe pourrait alimenter des forces centrifuges. Pour autant, l'élargissement reste un investissement déterminant pour notre avenir. Il est porteur de grandes chances pour les Quinze comme pour les Dix, mais à condition d'être soutenu par des ambitions.
Première ambition : l'Europe doit porter un vrai projet de paix, être un môle de stabilité dans un monde en crise. L'adhésion des Dix leur évitera de voir, comme dans les Balkans, que les questions de minorités et de frontières engendrer des conflits. L'Union européenne a su poser le principe de l'intangibilité des frontières. Elle a décidé de protéger les minorités et de prévenir le risque de déplacement de population et d'épuration ethnique. En adhérant à l'Union, les nouveaux membres vont voir leur sécurité renforcée.
Mais notre sécurité ne saurait pour autant se passer de leur concours. Les nouveaux Etats devront participer, avec leurs moyens et en leur temps, à la construction d'une Europe de la défense. Et nous sommes fondés à leur demander de prendre leur responsabilité d'Etats membres de l'Union. Car l'Europe élargie sera aussi un acteur irremplaçable pour aider à résoudre les conflits du monde. Par vos efforts de ces derniers mois, Monsieur le ministre, vous avez montré combien la compétence et l'expérience de la France et de l'Union européenne pouvaient être utiles face aux problèmes du Sud et du Moyen-Orient. L'Europe élargie est faite de pays qui ont beaucoup souffert, elle est née de conflits surmontés, et c'est pourquoi elle peut jouer dans le monde un rôle irremplaçable. L'entrée des Dix sera bénéfique pour cette première ambition : faire de l'Europe un acteur de paix dans le monde.
Deuxième ambition : nous allons devenir un des plus grands marchés mondiaux. L'élargissement doit permettre une croissance plus vigoureuse pour l'ensemble de l'Union. Les Quinze ont déjà su tirer parti depuis dix ans de l'ouverture de ces nouveaux marchés. Ainsi la France a quadruplé depuis 1992 ses échanges avec l'Est et dégage un excédent significatif. Elle est le troisième investisseur direct en Europe centrale et orientale. Elle est en position d'y conquérir de nouvelles parts de marché. La dynamique des échanges doit s'accélérer encore et bénéficier de l'expansion soutenue des économies de l'Europe centrale et orientale : leur taux de croissance est en effet supérieur à 3 % en moyenne. Ces économies vont donc entraîner le reste de l'Union. L'entrée des Dix dans l'Union le 1er mai 2004 peut accélérer le retournement de conjoncture et apporter un surcroît de vigueur à la croissance prévue pour l'an prochain.
Troisième ambition : cette Europe élargie doit affirmer un modèle économique et social rayonnant à l'échelle du monde, où s'additionnent les bienfaits de la concurrence et ceux de la solidarité. Le projet de Constitution, dans son article 3, inscrit parmi les objectifs de l'Union, l'économie sociale de marché et le développement durable. Nous sommes loin des caricatures d'une Europe ultra-libérale ! Les nouveaux entrants pourront importer progressivement ce modèle économique et social et reconstruire des sociétés bouleversées par le communisme, marquées aussi par dix ans d'une transition difficile.
Ces pays ont entrepris des efforts drastiques pour transformer leur économie autoritairement administrée en économie de marché. Ces efforts se sont traduits par des sacrifices et par un taux de chômage très élevé, supérieur en moyenne de 7 % à celui de l'Ouest. Il ne faut pas que la flexibilité extrême du droit social dans ces Etats conduise à des distorsions de concurrence avec l'Ouest, non plus qu'à de véritables tensions à l'intérieur de ces sociétés. Or, il y a des risques : les écarts de revenus très importants parmi les habitants, la faiblesse des classes moyennes, le poids de l'économie souterraine sont autant de facteurs de déstabilisation. Leur adhésion à l'Union ne peut pas se réduire à une entrée dans une zone de libre-échange : elle doit leur permettre d'instaurer un vrai droit social et un véritable Etat de droit.
Enfin, cette Europe élargie pourra peser plus fortement dans la mondialisation, que les Etats ne peuvent plus influencer que par l'action de grands ensembles régionaux. C'est ainsi que l'Europe va acquérir un poids critique qui lui permettra de mieux agir à l'échelle du monde. Renforcée au sein de l'OMC, où elle est représentée de manière unique, par l'apport de ces dix Etats et de ces 75 millions d'habitants, l'Europe sera mieux en mesure de convaincre. Par la voix du ministre des affaires étrangères de l'Union, les Européens pourront militer en faveur d'une mondialisation humanisée. L'Europe s'est engagée dans un partenariat avec les pays du Sud, les plus déshérités ; elle pourra demain militer pour leur accès au commerce mondial. Elle pourra oeuvrer pour que les accords de l'OMC intègrent de plus en plus les questions environnementales, les préoccupations sociales. Cette Europe devrait pouvoir convaincre une majorité d'Etat du monde, de faire aboutir le projet d'un Conseil de sécurité économique, habilité à organiser les régulations nécessaires.
Enfin, pour influencer la mondialisation, l'Europe doit affirmer une identité culturelle forte. Sous le joug soviétique, les peuples d'Europe centrale et orientale, ont vu leur culture ravalée au rang de folklore touristique, quand ils n'ont pas fait l'objet d'une russification à laquelle ils tentaient de résister. Aujourd'hui, l'Europe leur offre la chance de pouvoir affirmer leur identité, dans le cadre d'un ensemble géopolitique qui reconnaît et protège la diversité de ses cultures. Il ne faudrait pas que leur adhésion, synonyme d'occidentalisation, conduise à l'adoption d'une culture de masse marchandisée. La France doit jouer un rôle actif dans la préservation des cultures de ces Etats. J'ai évoqué quelques-uns des atouts majeurs que nous apporte l'élargissement, et dont nous devons rendre les Français conscients. Toutefois, pour réussir l'élargissement, nous devons conjurer deux risques.
Le premier est le risque de dilution du projet européen dans une simple zone de libre-échange. Les nouveaux adhérents peuvent être tentés de réduire l'Europe au seul marché et de se tourner vers les seuls Etats-Unis sur le plan politique. En cela, ils témoignent de leur reconnaissance pour les Etats-Unis qui ont oeuvré pour leur libération. Mais cette reconnaissance ne doit pas se faire au détriment du projet européen. Il faudra éviter qu'ils soient en retrait, lorsqu'il s'agira de faire progresser l'Europe politique ou de faire converger nos diplomaties. Il est vrai aussi que ces Etats, pour la plupart, ont récemment acquis ou retrouvé leur souveraineté. Ils peuvent éprouver des difficultés à comprendre le sens d'un exercice partagé de la souveraineté par tous les membres de l'Union. Il faut pourtant qu'ils s'approprient le volet politique du projet européen. Leurs hésitations à partager ce projet peuvent contribuer à réduire l'Europe à un espace marchand, empêcher la naissance de l'Europe-puissance.
Le remède contre ce risque réside dans la réforme des institutions, heureusement engagée avec le projet de constitution. Le groupe UMP souhaite que le Gouvernement soit aussi déterminé que possible à maintenir l'architecture du projet tel que l'a élaboré la Convention. Seule la Constitution permettra de maîtriser certains effets de l'élargissement, et notamment de conjurer une complexité dangereuse dans les procédures de décisions. Pour cela, elle prévoit une nouvelle définition de la majorité qualifiée fondée sur la moitié des Etats représentant les trois cinquièmes des peuples. Ce nouveau mécanisme devrait assurer à la fois démocratie et efficacité.
La Constitution ouvre en outre des possibilités de coopération renforcées pour les Etats qui le souhaitent. Précisons toutefois que ces coopérations sont organisées, de sorte qu'elles soient compatibles avec la vie de l'ensemble communautaire et ne nuisent pas à la cohérence et au dynamisme de l'Union. Je tenais à exprimer l'attachement de notre groupe à l'effort constitutionnel en cours, qui est la vraie réponse au risque de dilution du projet européen. Le deuxième risque peut venir de l'hétérogénéité du nouvel espace européen. En gagnant en espace, l'Europe ne doit pas perdre en cohérence. Veillons à ce que de trop fortes inégalités n'entraînent pas des tensions qui menaceraient sa cohésion.
Dans une Union à vingt-cinq, à laquelle s'ajouteront la Roumanie et la Bulgarie, près d'un tiers de la population habitera un territoire où le revenu par tête est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire. Le maintien de tels écarts de revenus affaiblirait dangereusement le sentiment d'appartenance à une même Europe. Il nourrirait la tentation de ces nations d'importer, par le dumping social et fiscal, une croissance dont ils priveraient d'autres Etats membres. Il en découlerait des délocalisations mal vécues par les populations qui en seraient victimes. Il serait alors à craindre que la marche vers l'harmonisation sociale et fiscale, déjà laborieuse au sein des Quinze, ne devienne encore plus difficile.
Mais il a mieux à faire que de se disputer les fruits d'une croissance européenne conçue, de façon malthusienne, comme limitée : il faut accroître cette croissance par une coopération et une complémentarité dynamiques. Il faut organiser un cercle vertueux de la croissance européenne. Les Vingt-cinq doivent être des alliés et non des rivaux. Ils doivent concourir ensemble à donner à ce marché de plus de 450 millions d'habitants, l'un des plus grands au monde, une homogénéité croissante.
D'une part, les Quinze doivent apporter un soutien supplémentaire, qui se traduira notamment dans les trois prochaines années par une aide d'environ 40 milliards d'euros. Ils devront expliquer à leurs citoyens que ces efforts sont le moyen d'aider les nouveaux entrants à se mettre à niveau, à entrer pleinement dans l'ensemble communautaire, à en accepter pleinement les règles du jeu. De leur côté, les nouveaux entrants doivent se doter d'une organisation économique et sociale à l'abri de certains errements, et de l'économie souterraine. Notre aide leur sera nécessaire pour poursuivre des restructurations courageuses dans les domaines par exemple de l'agriculture, du secteur minier, des aciéries ou des chantiers navals. Après avoir transposé les normes européennes, ils devront en faire une bonne application, qu'elles soient techniques, sanitaires ou sociales. C'est pour cela qu'ils doivent être accompagnés, sans que les efforts demandés aux Quinze excèdent toutefois leurs possibilités. Comme l'a dit Hervé de Charette, l'acte d'élargissement a dessiné des étapes à la fois acceptables par les Quinze et suffisantes pour les Dix. Le contrat gagnant qui s'instaure doit nourrir une croissance plus vigoureuse dans tous les Etats de l'Union.
Sur ce socle, l'Union européenne devra bâtir de nouveaux projets. Les initiatives italiennes, françaises et allemandes l'orientent vers de nouveaux investissements. A la Commission d'élaborer rapidement un calendrier et de dégager les financements nécessaires ; à l'Union élargie de faire émerger des projets de recherche pour combler le différentiel de croissance avec les Etats-Unis. Le cercle vertueux de la croissance européenne exigera aussi la poursuite opiniâtre des efforts de convergence des économies. Il faudra bien se rapprocher d'une véritable gouvernance économique européenne. C'est à ce prix que l'on pourra dépasser les problèmes posés par l'application du pacte de stabilité.
L'élargissement de l'Europe était inéluctable : après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, le projet européen pouvait enfin s'accomplir. C'est un événement historique : l'unité d'un continent se réalise pour la première fois dans la paix et la démocratie. Mais la réussite de cet élargissement doit être incontestable. Nous devons tout faire pour que la maison commune soit étayée par de solides piliers : des institutions efficaces et des économies convergentes. Pour cela, il faut l'émergence d'une forte identité européenne. Les peuples doivent avoir le sentiment d'une identité commune, fondée sur les valeurs que rappelle le préambule de la future Constitution. Il existe une pensée européenne, née du respect envers l'autre et de l'échange entre les peuples. Pour renforcer cette identité, il faut admettre que le temps n'est pas aujourd'hui d'imaginer d'autres élargissements. Il faut déjà inventer des formes de partenariats renforcés avec nos voisins. Proposer d'autres élargissements pourrait ressembler à une fuite en avant, préjudiciable à la réussite de la nouvelle Europe. Enfin, il faut consacrer le meilleur de nos efforts à populariser cette Union élargie. Il faudra développer sur une grande échelle les échanges entre les jeunes générations, dans les écoles, les universités et les laboratoires de recherche. La pensée européenne, riche de toutes ses diversités, doit devenir le meilleur rempart contre les tentations de repli et la résurgence des communautarismes.
J'appartiens à la génération qui a vu naître et prospérer le projet européen. J'ai la chance de connaître le début de son accomplissement. Nous sommes en train de réaliser le rêve de tous ceux qui, à la suite des fondateurs, ont oeuvré pour une Europe nouvelle - peut-être une jeune Europe. C'est pourquoi le groupe UMP, sans réserves et sans réticences, votera pour ce traité d'adhésion.
(source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2004)
Mais il faut aussi apprécier les conséquences de l'élargissement. Avec 75 millions d'habitants supplémentaires, l'Union accroît sa population de 17 %. Ce sont dix Etats nations qui nous rejoignent, d'où un risque de complexification de la vie communautaire. Et le niveau de vie des nouveaux arrivants n'atteint en moyenne que 46 % de celui des Quinze. L'hétérogénéité de la future Europe pourrait alimenter des forces centrifuges. Pour autant, l'élargissement reste un investissement déterminant pour notre avenir. Il est porteur de grandes chances pour les Quinze comme pour les Dix, mais à condition d'être soutenu par des ambitions.
Première ambition : l'Europe doit porter un vrai projet de paix, être un môle de stabilité dans un monde en crise. L'adhésion des Dix leur évitera de voir, comme dans les Balkans, que les questions de minorités et de frontières engendrer des conflits. L'Union européenne a su poser le principe de l'intangibilité des frontières. Elle a décidé de protéger les minorités et de prévenir le risque de déplacement de population et d'épuration ethnique. En adhérant à l'Union, les nouveaux membres vont voir leur sécurité renforcée.
Mais notre sécurité ne saurait pour autant se passer de leur concours. Les nouveaux Etats devront participer, avec leurs moyens et en leur temps, à la construction d'une Europe de la défense. Et nous sommes fondés à leur demander de prendre leur responsabilité d'Etats membres de l'Union. Car l'Europe élargie sera aussi un acteur irremplaçable pour aider à résoudre les conflits du monde. Par vos efforts de ces derniers mois, Monsieur le ministre, vous avez montré combien la compétence et l'expérience de la France et de l'Union européenne pouvaient être utiles face aux problèmes du Sud et du Moyen-Orient. L'Europe élargie est faite de pays qui ont beaucoup souffert, elle est née de conflits surmontés, et c'est pourquoi elle peut jouer dans le monde un rôle irremplaçable. L'entrée des Dix sera bénéfique pour cette première ambition : faire de l'Europe un acteur de paix dans le monde.
Deuxième ambition : nous allons devenir un des plus grands marchés mondiaux. L'élargissement doit permettre une croissance plus vigoureuse pour l'ensemble de l'Union. Les Quinze ont déjà su tirer parti depuis dix ans de l'ouverture de ces nouveaux marchés. Ainsi la France a quadruplé depuis 1992 ses échanges avec l'Est et dégage un excédent significatif. Elle est le troisième investisseur direct en Europe centrale et orientale. Elle est en position d'y conquérir de nouvelles parts de marché. La dynamique des échanges doit s'accélérer encore et bénéficier de l'expansion soutenue des économies de l'Europe centrale et orientale : leur taux de croissance est en effet supérieur à 3 % en moyenne. Ces économies vont donc entraîner le reste de l'Union. L'entrée des Dix dans l'Union le 1er mai 2004 peut accélérer le retournement de conjoncture et apporter un surcroît de vigueur à la croissance prévue pour l'an prochain.
Troisième ambition : cette Europe élargie doit affirmer un modèle économique et social rayonnant à l'échelle du monde, où s'additionnent les bienfaits de la concurrence et ceux de la solidarité. Le projet de Constitution, dans son article 3, inscrit parmi les objectifs de l'Union, l'économie sociale de marché et le développement durable. Nous sommes loin des caricatures d'une Europe ultra-libérale ! Les nouveaux entrants pourront importer progressivement ce modèle économique et social et reconstruire des sociétés bouleversées par le communisme, marquées aussi par dix ans d'une transition difficile.
Ces pays ont entrepris des efforts drastiques pour transformer leur économie autoritairement administrée en économie de marché. Ces efforts se sont traduits par des sacrifices et par un taux de chômage très élevé, supérieur en moyenne de 7 % à celui de l'Ouest. Il ne faut pas que la flexibilité extrême du droit social dans ces Etats conduise à des distorsions de concurrence avec l'Ouest, non plus qu'à de véritables tensions à l'intérieur de ces sociétés. Or, il y a des risques : les écarts de revenus très importants parmi les habitants, la faiblesse des classes moyennes, le poids de l'économie souterraine sont autant de facteurs de déstabilisation. Leur adhésion à l'Union ne peut pas se réduire à une entrée dans une zone de libre-échange : elle doit leur permettre d'instaurer un vrai droit social et un véritable Etat de droit.
Enfin, cette Europe élargie pourra peser plus fortement dans la mondialisation, que les Etats ne peuvent plus influencer que par l'action de grands ensembles régionaux. C'est ainsi que l'Europe va acquérir un poids critique qui lui permettra de mieux agir à l'échelle du monde. Renforcée au sein de l'OMC, où elle est représentée de manière unique, par l'apport de ces dix Etats et de ces 75 millions d'habitants, l'Europe sera mieux en mesure de convaincre. Par la voix du ministre des affaires étrangères de l'Union, les Européens pourront militer en faveur d'une mondialisation humanisée. L'Europe s'est engagée dans un partenariat avec les pays du Sud, les plus déshérités ; elle pourra demain militer pour leur accès au commerce mondial. Elle pourra oeuvrer pour que les accords de l'OMC intègrent de plus en plus les questions environnementales, les préoccupations sociales. Cette Europe devrait pouvoir convaincre une majorité d'Etat du monde, de faire aboutir le projet d'un Conseil de sécurité économique, habilité à organiser les régulations nécessaires.
Enfin, pour influencer la mondialisation, l'Europe doit affirmer une identité culturelle forte. Sous le joug soviétique, les peuples d'Europe centrale et orientale, ont vu leur culture ravalée au rang de folklore touristique, quand ils n'ont pas fait l'objet d'une russification à laquelle ils tentaient de résister. Aujourd'hui, l'Europe leur offre la chance de pouvoir affirmer leur identité, dans le cadre d'un ensemble géopolitique qui reconnaît et protège la diversité de ses cultures. Il ne faudrait pas que leur adhésion, synonyme d'occidentalisation, conduise à l'adoption d'une culture de masse marchandisée. La France doit jouer un rôle actif dans la préservation des cultures de ces Etats. J'ai évoqué quelques-uns des atouts majeurs que nous apporte l'élargissement, et dont nous devons rendre les Français conscients. Toutefois, pour réussir l'élargissement, nous devons conjurer deux risques.
Le premier est le risque de dilution du projet européen dans une simple zone de libre-échange. Les nouveaux adhérents peuvent être tentés de réduire l'Europe au seul marché et de se tourner vers les seuls Etats-Unis sur le plan politique. En cela, ils témoignent de leur reconnaissance pour les Etats-Unis qui ont oeuvré pour leur libération. Mais cette reconnaissance ne doit pas se faire au détriment du projet européen. Il faudra éviter qu'ils soient en retrait, lorsqu'il s'agira de faire progresser l'Europe politique ou de faire converger nos diplomaties. Il est vrai aussi que ces Etats, pour la plupart, ont récemment acquis ou retrouvé leur souveraineté. Ils peuvent éprouver des difficultés à comprendre le sens d'un exercice partagé de la souveraineté par tous les membres de l'Union. Il faut pourtant qu'ils s'approprient le volet politique du projet européen. Leurs hésitations à partager ce projet peuvent contribuer à réduire l'Europe à un espace marchand, empêcher la naissance de l'Europe-puissance.
Le remède contre ce risque réside dans la réforme des institutions, heureusement engagée avec le projet de constitution. Le groupe UMP souhaite que le Gouvernement soit aussi déterminé que possible à maintenir l'architecture du projet tel que l'a élaboré la Convention. Seule la Constitution permettra de maîtriser certains effets de l'élargissement, et notamment de conjurer une complexité dangereuse dans les procédures de décisions. Pour cela, elle prévoit une nouvelle définition de la majorité qualifiée fondée sur la moitié des Etats représentant les trois cinquièmes des peuples. Ce nouveau mécanisme devrait assurer à la fois démocratie et efficacité.
La Constitution ouvre en outre des possibilités de coopération renforcées pour les Etats qui le souhaitent. Précisons toutefois que ces coopérations sont organisées, de sorte qu'elles soient compatibles avec la vie de l'ensemble communautaire et ne nuisent pas à la cohérence et au dynamisme de l'Union. Je tenais à exprimer l'attachement de notre groupe à l'effort constitutionnel en cours, qui est la vraie réponse au risque de dilution du projet européen. Le deuxième risque peut venir de l'hétérogénéité du nouvel espace européen. En gagnant en espace, l'Europe ne doit pas perdre en cohérence. Veillons à ce que de trop fortes inégalités n'entraînent pas des tensions qui menaceraient sa cohésion.
Dans une Union à vingt-cinq, à laquelle s'ajouteront la Roumanie et la Bulgarie, près d'un tiers de la population habitera un territoire où le revenu par tête est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire. Le maintien de tels écarts de revenus affaiblirait dangereusement le sentiment d'appartenance à une même Europe. Il nourrirait la tentation de ces nations d'importer, par le dumping social et fiscal, une croissance dont ils priveraient d'autres Etats membres. Il en découlerait des délocalisations mal vécues par les populations qui en seraient victimes. Il serait alors à craindre que la marche vers l'harmonisation sociale et fiscale, déjà laborieuse au sein des Quinze, ne devienne encore plus difficile.
Mais il a mieux à faire que de se disputer les fruits d'une croissance européenne conçue, de façon malthusienne, comme limitée : il faut accroître cette croissance par une coopération et une complémentarité dynamiques. Il faut organiser un cercle vertueux de la croissance européenne. Les Vingt-cinq doivent être des alliés et non des rivaux. Ils doivent concourir ensemble à donner à ce marché de plus de 450 millions d'habitants, l'un des plus grands au monde, une homogénéité croissante.
D'une part, les Quinze doivent apporter un soutien supplémentaire, qui se traduira notamment dans les trois prochaines années par une aide d'environ 40 milliards d'euros. Ils devront expliquer à leurs citoyens que ces efforts sont le moyen d'aider les nouveaux entrants à se mettre à niveau, à entrer pleinement dans l'ensemble communautaire, à en accepter pleinement les règles du jeu. De leur côté, les nouveaux entrants doivent se doter d'une organisation économique et sociale à l'abri de certains errements, et de l'économie souterraine. Notre aide leur sera nécessaire pour poursuivre des restructurations courageuses dans les domaines par exemple de l'agriculture, du secteur minier, des aciéries ou des chantiers navals. Après avoir transposé les normes européennes, ils devront en faire une bonne application, qu'elles soient techniques, sanitaires ou sociales. C'est pour cela qu'ils doivent être accompagnés, sans que les efforts demandés aux Quinze excèdent toutefois leurs possibilités. Comme l'a dit Hervé de Charette, l'acte d'élargissement a dessiné des étapes à la fois acceptables par les Quinze et suffisantes pour les Dix. Le contrat gagnant qui s'instaure doit nourrir une croissance plus vigoureuse dans tous les Etats de l'Union.
Sur ce socle, l'Union européenne devra bâtir de nouveaux projets. Les initiatives italiennes, françaises et allemandes l'orientent vers de nouveaux investissements. A la Commission d'élaborer rapidement un calendrier et de dégager les financements nécessaires ; à l'Union élargie de faire émerger des projets de recherche pour combler le différentiel de croissance avec les Etats-Unis. Le cercle vertueux de la croissance européenne exigera aussi la poursuite opiniâtre des efforts de convergence des économies. Il faudra bien se rapprocher d'une véritable gouvernance économique européenne. C'est à ce prix que l'on pourra dépasser les problèmes posés par l'application du pacte de stabilité.
L'élargissement de l'Europe était inéluctable : après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, le projet européen pouvait enfin s'accomplir. C'est un événement historique : l'unité d'un continent se réalise pour la première fois dans la paix et la démocratie. Mais la réussite de cet élargissement doit être incontestable. Nous devons tout faire pour que la maison commune soit étayée par de solides piliers : des institutions efficaces et des économies convergentes. Pour cela, il faut l'émergence d'une forte identité européenne. Les peuples doivent avoir le sentiment d'une identité commune, fondée sur les valeurs que rappelle le préambule de la future Constitution. Il existe une pensée européenne, née du respect envers l'autre et de l'échange entre les peuples. Pour renforcer cette identité, il faut admettre que le temps n'est pas aujourd'hui d'imaginer d'autres élargissements. Il faut déjà inventer des formes de partenariats renforcés avec nos voisins. Proposer d'autres élargissements pourrait ressembler à une fuite en avant, préjudiciable à la réussite de la nouvelle Europe. Enfin, il faut consacrer le meilleur de nos efforts à populariser cette Union élargie. Il faudra développer sur une grande échelle les échanges entre les jeunes générations, dans les écoles, les universités et les laboratoires de recherche. La pensée européenne, riche de toutes ses diversités, doit devenir le meilleur rempart contre les tentations de repli et la résurgence des communautarismes.
J'appartiens à la génération qui a vu naître et prospérer le projet européen. J'ai la chance de connaître le début de son accomplissement. Nous sommes en train de réaliser le rêve de tous ceux qui, à la suite des fondateurs, ont oeuvré pour une Europe nouvelle - peut-être une jeune Europe. C'est pourquoi le groupe UMP, sans réserves et sans réticences, votera pour ce traité d'adhésion.
(source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2004)