Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Je suis heureux de découvrir aujourd'hui, que sur tous les bancs de notre Assemblée, on s'inquiète des risques de dumping social accru, des menaces sur les conditions d'exercices de nombre de professions libérales, ou encore des dangers pour nos services publics que comporte le texte initié par l'ex-commissaire Frits Bolkestein.
Sauf que dans son édition du 4 mars dernier " Le Figaro " titrait un article : " Bruxelles relance la directive Bolkestein ", relatant la déclaration du commissaire en charge du marché intérieur, l'irlandais Monsieur Mac Creevy. Je cite : " cette directive est toujours sur la table. La commission n'a aucune intention de la retirer ".
Ce matin on apprend dans la presse que le Président de la commission européenne, Monsieur Barosso se prononce clairement pour le maintien de cette directive et, qui plus est, du principe du " pays d'origine ". " Nous n'abandonnerons pas le principe du pays d'origine " a dit Monsieur Barosso.
On sait ce que cela veut dire : le " principe du pays d'origine " permettrait à toute entreprise européenne de venir traiter des marchés en France selon les lois de son pays. Cette disposition porterait un coup très dur, en premier lieu aux artisans et PME, qui seraient ainsi confrontés à la concurrence d'entreprises qui interviendraient, sans aucun contrôle, avec des salariés soumis seulement aux lois sociales et salaires de leurs pays. On imagine sans mal les dégâts que provoqueraient l'adoption d'un tel principe sur l'emploi et les revenus des travailleurs qu'ils soient salariés ou qu'ils soient petits patrons ou travailleurs indépendants.
Tous les partisans du projet de Constitution européenne ont approuvé la directive : tous les chefs d'Etats lors de différents sommets ; Jacques Chirac était présent lorsque, le 25 novembre dernier, le Conseil européen a demandé que cette directive bénéficie " d'une priorité absolue " ; tous les députés européens, hormis les députés communistes et les verts nordiques qui ont voté contre, ont donné un premier avis très favorable le 13 février 2003 ; les membres de la Commission de Bruxelles ont approuvé la directive à l'unanimité le 13 janvier 2004, parmi eux Michel Barnier, aujourd'hui ministre des affaires étrangères et aussi Pascal Lamy.
C'est dire si le débat que vous organisez, en catastrophe, aujourd'hui n'est qu'un débat de dupes et de totale duplicité.
Aucun de ceux qui prônent aujourd'hui le oui à la Constitution européenne, aucun Chef d'Etat, ou même le Président de la République, n'ont demandé le retrait de cette directive dangereuse et scélérate.
Pire, il semble même que le gouvernement français se prépare à anticiper. En effet, un rapport " Cahusac-Kramatz " commandé par Messieurs Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy, se référant directement à la directive propose la suppression des règlements professionnels existants.
Et pour cause : le fondement même de cette réforme est inscrit dans le processus de Lisbonne qui prône la mise en uvre d'une stratégie visant à supprimer les obstacles à la libre circulation des services. Depuis 2000, quelles sont les voix qui se sont élevées pour dénoncer cette fuite en avant vers le règne de la concurrence sauvage ?
En réalité, votre volte-face n'est qu'une position de circonstance. A quelques semaines du référendum sur le traité de Constitution européenne, les partisans du oui tentent coûte que coûte d'éteindre l'incendie provoqué dans l'opinion par cette nouvelle offensive de la loi d'airain du marché, de la suprématie du profit financier sur le social et sur le développement humain. Il faut rassurer, temporiser et surtout éviter que la filiation soit établie entre le contenu de la directive Bolkestein et les principes majeurs de la Constitution européenne. La crainte de voir notre peuple se saisir du bulletin NON pour sanctionner l'échec d'une construction purement marchande de l'Europe oblige à bien des contorsions.
Il est temps de parler vrai. On peut toujours différer ou réaménager la directive Bolkestein, il n'en reste pas moins que le traité de Constitution est en lui-même à la sauce " bolkestein ". Ainsi érige-t-il en " objectif de l'Union " (article I-3-2) " un marché intérieur ou la concurrence est libre et non faussé ". A 68 reprises dans le traité, le plein emploi, le progrès, la justice et la protection sociales sont soumis au respect du cadre stricte d'une "économie de marché ouverte " calée sur le modèle des accords de l'OMC et particulièrement de l'Accord général sur le Commerce des Services (AGCS) qui a inspiré Monsieur Frits Bolkestein.
Le projet de Constitution dispose d'ailleurs que " les Etats membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi cadre européenne ". Et de préciser que " la Commission adresse aux Etats membres intéressés des recommandations à cet effet ".
En matière sociale et fiscale, le maintien de la règle contraignante de l'unanimité restreint la perspective de voir adoptées des mesures progressistes et protectrices pour l'ensemble des salariés et des exclus d'Europe. Avec le traité, le SMIC européen de haut niveau n'est pas pour demain ! Le projet de Constitution sanctuarise l'unification monétaire et marchande, mais laisse les rapports sociaux à l'état de jungle, les firmes multinationales profitant à loisir des disparités entre les législations et les systèmes sociaux pour imposer chômage, bas salaires, flexibilité totale, délocalisations et licenciements brutaux.
Chacun témoigne ici de son attachement aux services publics. Reste que dans le projet de Constitution, ils sont remplacés par des Services d'intérêt économique général à la portée très limitée, couvrant un champ sans aucune mesure avec notre conception française. Ces SIEG ne figurent pas parmi les valeurs de l'Union et ne font l'objet d'aucun chapitre particulier. Ils représentent une exception tout juste tolérée, étant entendu que, je cite l'article III-166, " les entreprises chargées de la gestion des services d'intérêt économique général () sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence ".
Il est clair, je viens de le démontrer, qu'on ne peut s'en prémunir sans rejeter le traité de Constitution. Le rapport de la commission des affaires économiques qui nous est soumis élude soigneusement cette dimension. Pour nous, députés communistes et républicains, notre opposition sans ambiguïté à la directive sur la libéralisation des services s'inscrit en cohérence avec notre engagement pour le NON au référendum du 29 mai prochain.
Seule une victoire du NON peut enterrer définitivement la directive Bolkestein et permettre de modifier la nature et la trajectoire de la construction européenne pour qu'elle soit enfin en mesure d'apporter des réponses aux besoins d'emploi, de formation, de pouvoir d'achat, de services publics, de réduction du temps de travail, de productions efficaces, de démocratie participative, de solidarité concrète sur le continent et sur la planète, de culture pour tous et de paix pour chacun.
Devant la détermination forte de la commission européenne et de son Président, Monsieur Barosso, de maintenir coûte que coûte la directive Bolkestein, que valent vos gesticulations et protestations verbales.
Si le Président de la République, si le gouvernement, si votre majorité veulent prouver leur efficacité, qu'ils obtiennent le retrait pur et simple de cette directive dangereuse pour le monde du travail.
Hic Rhodus
Hic Salta
C'est le moment de montrer ce dont vous êtes capable !
(Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 29 mars 2005)