Texte intégral
Interview à TV5 du 3 février :
Q - Bienvenue à tous pour un nouveau TV5 Questions avec nous, en studio, Pierre Moscovici, bonjour ! Vous êtes le ministre français délégué aux Affaires européennes. L'Autriche va donc avoir un gouvernement de coalition entre les conservateurs et l'extrême droite de Jörg Haider. Une première réaction, tout de suite, à ce séisme politique en Europe.
R - C'est un peu le scénario d'une crise annoncée qui est en train de se produire. Le chancelier conservateur, Schüssel, l'ancien ministre des Affaires étrangères, pensait probablement que c'était sa dernière chance. Il a choisi de s'allier avec une formation qui ne partage pas les valeurs de l'Europe car c'est un parti d'extrême droite, c'est vrai, c'est un parti xénophobe, c'est aussi un parti dont le leader, M. Haider, n'a pas démenti fermement des propos qu'il avait tenu et qui traduisaient de sa part une certaine nostalgie du nazisme. A partir de ce moment-là, nous ne pouvons pas considérer que c'est un événement anodin, que c'est un gouvernement comme les autres et donc, ce gouvernement qui n'est pas comme les autres ne sera pas traité comme les autres.
Q - Pierre Moscovici, l'Union européenne et vous, par votre bouche, a décidé de réagir très fortement, symboliquement. L'Autriche, a-t-on dit, sera mise, en quelque sorte, au ban de l'Europe. Est-ce la bonne et la seule réaction ?
R - Je ne dirais pas que l'Autriche est mise au ban de l'Europe. D'abord, les mesures qui vont être prises, qui ont déjà été prises par la présidence portugaise, en tout cas les mesures qu'elle a annoncées, ne sont pas des mesures qui sont contre l'Autriche ni contre le peuple autrichien, ni contre la nation autrichienne. L'Autriche, en tant que pays, est membre de l'Union européenne et elle le restera mais nous ne pouvons pas considérer encore une fois qu'avec ce gouvernement autrichien si particulier, si contraire à nos valeurs, on fait " business as usual ". Il faut manifester de façon très claire que nous ne nous accoutumerons pas à une situation que nous considérons comme inacceptable. Nous devons dire à l'Autriche qu'elle est sous surveillance, qu'elle doit appliquer les articles des traités, je pense à l'article 6 qui dit qu'on doit respecter un certain nombre de valeurs fondamentales
Q - Démocratiques, de liberté, de Droits de l'Homme
R - Absolument, en renvoyant à la Convention européenne des Droits de l'Homme, je pense à l'article 13 qui explique que le principe de non discrimination, quelles que soient les causes, la race, la religion, même les préférences sexuelles, tout cela doit être respecté et l'article 7 qui stipule qu'un pays qui mènerait des violations graves et persistantes à ces principes, serait suspendu de ses droits. L'Autriche doit savoir que nous pouvons le faire et pour le reste, dans les relations bilatérales avec ce gouvernement, nous devons marquer le coup, et dans les relations au sein de l'Union européenne aussi. Cela veut dire concrètement, par exemple, que nous ne devons pas recevoir ici le ministre autrichien, que nous ne devons pas aller en Autriche pour des visites ministérielles, que les ambassadeurs autrichiens doivent être reçus à titre purement technique, que nous ne soutiendrons pas
Q - Tout cela, seraient des décisions prises au niveau européen, au niveau français ?
R - La présidence française l'a déjà annoncée, la présidence portugaise l'a déjà annoncée et donc, cela veut dire aussi par exemple que s'il y a des candidats autrichiens à des organisations internationales, ils ne sauraient être soutenus par l'Union européenne, etc., etc. Et cela veut dire aussi que dans l'exercice de l'Union européenne elle-même et éventuellement si nous sommes en présidence, nous devrons là encore marquer le coup
Q - Et vous le serez les six derniers mois de l'année
R - Les six derniers mois de l'année et donc, là encore, il faudra trouver les moyens, - je fais confiance à la présidence portugaise pour le faire -, pour ne pas considérer ce gouvernement comme un gouvernement comme les autres. Il faut marquer de façon très claire que ce choix, surtout s'il persiste et surtout s'il se produit des provocations constantes, n'est pas un choix qui doit être considéré encore une fois comme " business as usual ". Quand M. Haider disait hier qu'il y avait une excitation dans le poulailler européen avant même que le renard n'y entre, franchement, on voit ce que cela veut dire. C'est un anti-européen, farouche en plus.
Q - Ce que vous êtes en train de décrire, c'est une sorte de nouveau droit d'ingérence. Au nom de quoi ? Au nom de principes, au nom des valeurs qui ont fait l'Europe ?
R - Non. Je crois qu'il y a là quelque chose qui est mal compris. Il n'y a pas d'ingérence à mon sens. S'il y a ingérence, elle est légitime. Il n'y a pas d'ingérence parce que, pour nous, c'est une affaire intérieure, c'est cela que je voudrais bien faire comprendre. En faisant l'Europe, nous ne faisons pas un grand marché, en tout cas pas uniquement un grand marché, ce n'est pas une communauté d'intérêts, c'est une communauté de valeurs. Je suis Français et Européen en même temps et si dans la Communauté européenne, dans l'Union européenne, il y a un pays qui ne respecte pas les valeurs, à ce moment-là, ce n'est pas de l'ingérence, c'est tout simplement la prise en compte, par nous, de nos propres intérêts, marquer qu'il n'est pas dans le club du point de vue de la politique. Donc pour moi, c'est quelque chose de tout à fait légitime.
Q - Vous avez évoqué tout à l'heure le Traité d'Amsterdam. Cette crise européenne ne pourrait-elle pas être l'occasion d'aller plus loin ? Certains ont parlé d'écrire une véritable constitution européenne avec des sanctions à la clef. Cela vous semble-t-il une bonne idée ?
R - L'idée de la constitution européenne est une idée à la fois séduisante et complexe parce que pour qu'il y ait une constitution, il faut qu'il y ait un constituant etc. Mais je pense qu'on peut quand même reprendre cette idée, de façon un peu différente. Les Européens, à leur menu cette année, ont la rédaction de ce que l'on appelle une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui, justement, doit marquer ce que sont les droits des citoyens et aussi leurs obligations. Je souhaite que dans cette charte, compte tenu de ce contexte, on aille le plus loin possible dans l'énoncé d'un certain nombre de droits qui sont les droits européens, ce qui veut dire aussi les obligations des gouvernements et des citoyens. Et je crois que peut-être cette charte doit prendre plus d'ambition face non seulement à cette situation et face aussi au fait qu'on sent bien que cette situation peut créer un précédent. On a voulu, encore une fois, marquer un isolement pour éviter que les choses se reproduisent dans la perspective aussi d'élargissement parce que nous avons dit aux Slovaques, il y a quelques années, que nous ne négocions pas avec eux parce qu'ils avaient un président qui n'était pas un démocrate, M. Meciar et d'ailleurs cela a eu de l'effet puisqu'il est parti. Nous disons à la Turquie qu'on ne peut pas négocier avec elle tant qu'elle ne respecte pas les critères de Copenhague. Donc tant qu'elle ne fait pas des progrès substantiels en matière de Droits de l'Homme ou sur la question démocratique. Pourquoi dirions-nous à des pays candidats : voilà ce que sont les conditions pour vous alors que nous ne serions pas capables de le faire pour nous-mêmes ?
Q - Vous parlez d'isoler. Cela veut dire bien que vous redoutez comme certains une contagion, un effet d'entraînement ? On a cité l'exemple de l'Allemagne, même si l'époque d'aujourd'hui n'est pas comparable à celle des années 30, est-ce que vous redoutez aussi, une montée de ce que certains appellent un national populisme ? On le voit en Italie, au Danemark
R - Honnêtement, je ne suis pas inquiet ou pessimiste de cela. Je crois que les forces politiques sont capables de réagir. Je pense qu'au sein des droites elles-mêmes, - je suis un homme de gauche - mais quand je vois ce qui se passe, il y a une réaction qui, dans l'ensemble, est saine, elle est saine au sein du Parti populaire européen. Je crois que la situation autrichienne est très spécifique et je crois enfin que nous ne sommes pas dans les années 30 et que Haider n'est pas Hitler. Mais
Q - L'histoire ne se répétera pas
R - Elle ne se répétera pas. Mais justement, elle ne se répétera pas parce que contrairement à ce qui s'est passé dans les années 30, nous aurons marqué, tout de suite, quelles sont les limites de l'inacceptable et que nous marquerons, que nous ne nous y accoutumerons pas. Et donc, cette attitude de l'Union européenne n'est pas une attitude circonstancielle. Elle n'était pas faite au cours des derniers jours pour dissuader M. Haider et M. Schüssel de s'associer, elle est faite pour dire à l'Autriche : "Si vous formez ce gouvernement, - et ce sera le cas -, cela ne se passera pas comme vous espérez que cela se passe " et l'Autriche sera effectivement politiquement isolée.
Q - On peut dire que l'Europe se construit dans les crises et que cette crise-ci, cette crise autrichienne, c'est un peu la naissance d'une Europe politique ?
R - Je crois que c'est un moment important, effectivement, c'est-à-dire que c'est le moment où l'Europe affirme effectivement qu'elle n'est pas encore une fois qu'un marché mais qu'elle est un ensemble de valeurs et donc un ensemble politique au sens noble du terme et cela prouve que c'est une communauté beaucoup plus forte que nous sommes en train de bâtir. De ce point de vue là, cela peut être salutaire à une condition encore une fois, c'est que ce front de la fermeté qui est en train de se manifester tienne bon. Et vous savez, j'ai une certitude, encore une fois, il ne s'agit pas d'exclure l'Autriche, il ne s'agit pas de sanctionner le peuple autrichien
Q - De faire l'Europe sans l'Autriche ?
R - Il ne s'agit pas de cela mais je suis persuadé que la fermeté face au gouvernement autrichien payera et que les Autrichiens réaliseront rapidement que leur intérêt, c'est d'être pleinement dans l'Europe et non pas de faire ce genre de choix.
Q - Malgré tout, Pierre Moscovici, au-delà du parti de Haider, au-delà de sa personne, il n'y a pas pour vous une crise du fonctionnement démocratique ? Par exemple, on voit bien ce qui se passe, en Allemagne, avec la CDU, personne ne pensait à ce scandale il y a quelques mois à peine. Est-ce qu'il n'y a pas là aussi un risque de dérive d'un des partenaires ? Ce ne sera pas l'Autriche cette fois-là, ce sera l'Allemagne
R - Il y a une crise très claire du système politique autrichien. M. Haider n'est pas arrivé là par hasard. Il y a à la fois le fait que l'Autriche, peut-être, n'a pas suffisamment réfléchi à son passé
Q - C'est cela. C'est que l'on appelle le système proportionnel où il y avait une espèce de confiscation
R - Non, cela c'est autre chose, c'est le rapport au nazisme. Mais il y a aussi effectivement le fait que les deux partis socio-démocrates se partageaient non seulement le pouvoir mais tous les postes administratifs, économiques, financiers, de haut en bas. Ce n'était pas acceptable.
Q - Mais enfin, le séisme de la CDU en Allemagne quand même
R - La CDU, j'allais le dire, donc il y a bien une crise du système politique autrichien dont on doit tenir compte, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que la politique soit un partage de dépouilles entre quelques privilégiés. Cela ne doit pas être cela, nulle part, mais en Allemagne, c'est autre chose. Je reprendrais la formule de Gerhard Schröder, "la crise d'un parti n'est pas la crise de la démocratie allemande" et j'espère que la CDU, bien sûr, elle en payera le prix, mais saura se maintenir comme une force politique constructive et elle saura tourner la page comme d'autres l'ont fait face à des affaires. Vous savez, nous-mêmes, socialistes, nous avons connu quelques problèmes, pas du tout de cette ampleur-là mais enfin, nous l'avons payé dans des élections et puis, des forces qui savent se refaire éthiquement, peuvent continuer dans la vie politique.
Q - Certains disent en voulant isoler, en diabolisant l'adversaire, on risque de le renforcer, c'est l'éternel débat face à l'extrême-droite. Il y a beaucoup d'Autrichiens aujourd'hui, on les entend, ils s'expriment, qui demandent, au contraire, que les Européens soutiennent les démocrates à l'intérieur de l'Autriche plutôt que d'assimiler et de considérer que tous les Autrichiens sont des semi-nazis
R - Vous savez, il ne s'agit pas de cela. Encore une fois, je le répète, nous ne condamnons pas les Autrichiens mais, je lis en ce moment
Q - Mais vous comprenez les réactions des démocrates autrichiens ? Il y en a encore plus de 70 %
R - Absolument, enfin, c'est un peu plus compliqué que cela puisqu'il y a une partie de ces démocrates qui se sont alliés avec M. HAIDER et je note d'ailleurs, que M. Schüssel fait non seulement un calcul scandaleux mais un calcul qui ne me paraît pas très intelligent puisqu'il a déjà perdu 9 % d'intention de vote qui sont passées directement chez M. Haider depuis les élections autrichiennes. Donc, cela prouve que les conservateurs ne souhaitaient pas cette alliance-là. Mais je lis la presse autrichienne, j'écoute les rédactions autrichiennes. Je crois que M. Klima lui-même, l'ancien chancelier, soutient les réactions de l'Union européenne, je note que la presse autrichienne est très partagée et je pense que cela peut avoir un écho et par ailleurs, encore une fois, il ne faut pas s'accoutumer à l'inacceptable, même petit à petit. Si nous disions aujourd'hui voilà, ce gouvernement est acceptable, cela veut dire que dans un an, dans deux ans, quand M. Haider parviendra au pouvoir, à ce moment-là, il aurait été totalement banalisé et on se retrouverait avec, au Conseil européen, un chancelier qui n'a pas fait son mouvement par rapport aux valeurs du nazisme et donc, ce n'est pas acceptable.
Q - Alors quittons le cas autrichien. L'Europe, la France va en prendre la présidence dans quelques mois. L'Europe est en train justement de repenser ses institutions, il y aura, le 14 février, à Bruxelles, une conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions. Quelle est l'ambition de la France, je dirais, dans les six mois où elle sera à la tête de l'Union européenne ? Il y a des choses sur la table, la Commission propose la réforme de la majorité qualifiée, on parle de pondérer différemment le poids des différents pays. Au-delà de cela, la France a-t-elle une ambition pour l'Europe dans les années qui viennent ?
R - Je crois que le rapport de la Commission est plutôt un bon rapport qui donne des bases de travail mais je dirais que notre ambition est double. D'abord, de permettre à l'Union européenne de fonctionner mieux qu'elle ne fonctionne aujourd'hui et par exemple d'éviter qu'elle soit toujours paralysée par un mécanisme contraignant d'unanimité. Cela suppose par exemple que l'on soit capable de passer très largement sur toute une série de matières au vote à la majorité qualifiée, ce qui est la règle d'une démocratie. En démocratie, ce sont des majorités qui l'emportent et il n'y a pas un droit de veto de chaque individu ou de chaque parti
Q - A la limite, permettre à certains pays d'avancer seuls
R - J'allais dire la deuxième ambition, c'est de se préparer à l'élargissement, c'est-à-dire à une Europe à 30, plus hétérogène. A partir du moment où cette Europe est à 30, qu'il y ait des Etats membres les plus hétérogènes, on sait bien que nous ne pourrons pas tout faire ensemble et cela suppose effectivement plus de flexibilité. Cela suppose que l'on aille dans la voie d'un accès plus facile, plus aisé à ce que l'on appelle les coopérations renforcées et donc, faire en sorte qu'un petit nombre de pays, non pas un noyau mais un avant garde, un cur de l'Europe puisse travailler ensemble, quitte à être rejoint par tel ou tel. C'est ce que nous avons fait pour l'euro.
Q - Ce qui suppose que l'on supprime le droit de veto
R - Le droit de veto ou le compromis de Luxembourg peut exister, mais encore une fois sur des intérêts très vitaux et bien identifiés mais cela veut dire qu'on permet à des pays d'avancer ensemble, encore une fois, ce que nous avons fait pour l'euro. L'euro, aujourd'hui, est à 11, bientôt à 12 avec les Grecs, ce n'est pas l'euro 15. On voit bien que la mécanique communautaire ne peut pas, ne pourra pas, demain, tout absorber.
Q - L'euro, dernière question, il ne va pas bien, il est à 0,97 dollars. C'est bon pour les exportations mais c'est sa valeur réelle, c'est le reflet de l'économie européenne. Vous n'êtes pas inquiet là non plus ?
R - Je crois que c'est surtout le reflet aujourd'hui de la très grande force de l'économie américaine et donc, d'un attrait vers cela mais je suis très confiant en l'euro et je crois qu'il conserve, comme disent les économistes, un très fort potentiel d'appréciations. Je dirais même qu'il augmente, ce potentiel d'appréciations.
Q - Pierre Moscovici, merci d'avoir répondu à nos questions./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à Europe 1 du 3 :
Q - Bonsoir et merci de votre fidélité ! Toute l'attention internationale est toujours portée sur l'Autriche. Le président Thomas Klestil a reporté à vendredi la décision, donc, d'accepter le nouveau gouvernement formé des conservateurs et des partisans de Jörg Haider. Les protestations internationales se multiplient, les interrogations internationales aussi se multiplient, notamment quant à la viabilité des sanctions qui sont proposées par l'Europe. Nous allons recevoir dans cette émission Pierre Moscovici, qui est ministre délégué aux Affaires européennes donc directement intéressé par l'affaire Haider ou l'affaire autrichienne.
Pierre Moscovici est ministre délégué aux Affaires européennes. Bonsoir et merci d'être avec nous et de nous apporter votre commentaire à cette affaire qui soulève beaucoup d'émotion en Europe. Alors, vous avez probablement entendu Manuel Saint-Paul, il est plus que probable, après le texte qui les a fait signer, que finalement le président autrichien Thomas Klestil, va accepter la coalition qui est sortie des urnes et des négociations en Autriche. D'abord le regrettez-vous ? Et avez-vous vraiment le sentiment que les sanctions qui sont prônées par les Quatorze auront un effet bénéfique sur l'évolution politique de Jörg Haider ?
R - Bien sûr que je regrette la formation de cette coalition . Je considère que c'est une erreur historique. Je crois que Wolfgang Schüssel, que je connais bien, qui sera chancelier de cette coalition, à la fois se lance dans une aventure, en s'associant à un parti qui est un parti d'extrême droite, populiste, xénophobe qui, quoi qu'on en dise, n'a pas abjuré certaines réminiscences du nazisme, en tout cas son leader Jörg Haider. Je crois qu'il fait aussi un mauvais calcul parce qu'il s'associe avec quelqu'un qui est plus fort que lui, qui est plus populaire que lui, qui a à peu près deux fois plus d'intentions de vote et donc il est à craindre que cette expérience, finalement, se retourne contre lui. Je pense, pour le reste, que les pressions de l'Union européenne auront leurs effets mais des effets dans la durée. Elles n'étaient pas faites, a priori, pour faire plier M. Schüssel qui avait malheureusement décidé ce choix de façon résolue. Mais maintenant il faut continuer une politique de fermeté et pour moi la déclaration qui est signée là ne suffit pas à assurer la respectabilité de ce nouveau gouvernement.
Q - Mais, Pierre Moscovici, la question qu'on se pose c'est de savoir, concrètement, ce qui peut se passer puisque par exemple, imaginons qu'il n'y ait pas de dérapage verbal, est-ce qu'on continue à leur appliquer un gel des contacts politiques, un refus de soutenir les candidatures autrichiennes à des fonctions internationales, à une continuelle marginalisation des ambassadeurs autrichiens ? Ou est-ce qu'il va falloir attendre, disons, qu'une déclaration d'Haider soit provocatrice ou peu conforme au texte qu'il vient de signer pour que tout ça se mette en place ?
R - Ecoutez, moi ce que j'observe de M. Haider, c'est que c'est vrai, c'est un homme qui a eu des déclarations plus que fâcheuses, on se souvient de ce qu'il a dit sur la politique de l'emploi du IIIème Reich, on se souvient de ce qu'il a dit de façon tout à fait récente sur la Waffen SS et ses hommes respectables qui la composait, qui se sont battus pour leurs convictions jusqu'au bout. Mais c'est un homme qui fait des provocations absolument sans arrêt. C'est vrai qu'il a signé ce matin un texte et qu'il essaie de se présenter de façon avantageuse mais en même temps hier il critiquait l'excitation européenne avant même que le renard ne soit dans le poulailler et on ne peut pas considérer dans l'Union européenne, qu'un gouvernement ait un renard dans le poulailler ni que l'Union elle-même est un poulailler. Je crois que M. Haider, malheureusement, fait partie de cette catégorie de grands provocateurs, nous en avons eu en France, qui, certes plus habiles que M. Le Pen, fait ces provocations pour ensuite les retirer mais a priori nous n'avons pas à faire confiance à un gouvernement qui est cautionné par M. Haider.
Q - Est-ce que vous considérez, vous, que c'est un nazi ? C'est un nazi déguisé, une version moderne ?
R - Non, je ne le crois pas. Haider n'est pas Hitler, Haider, qui a eu des déclarations plus que xénophobes, n'a jamais tenu de propos antisémites, simplement Haider, manifestement, n'a pas pour sa part renié complètement une certaine nostalgie du nazisme. Par ailleurs il est absolument xénophobe, totalement anti-européen et je crains que la déclaration qui a été signée ce matin, comment dire, ait un statut un peu ambigu. J'ai envie de dire, vous savez Paris valait bien une messe et la chancellerie valait bien une déclaration. Alors, il faudra juger cela, encore une fois, dans la durée. Il ne s'agit pas d'ostraciser l'Autriche, il ne s'agit pas d'ostraciser le peuple autrichien, il s'agit de manifester à ce gouvernement, qui n'est pas un gouvernement comme les autres, qu'il ne sera pas traité dans l'Union comme un gouvernement comme les autres et en même temps l'Autriche n'est pas exclue des instances européennes, elle est sous surveillance, sous surveillance étroite et contrainte d'observer à tout moment les principes de l'Union européenne, c'est-à-dire le respect de valeurs, de droits fondamentaux auxquels nous sommes attachés, avec les risques encourus, c'est-à-dire, effectivement, la suspension du droit de vote si il y a des violations graves et persistantes à ces droits.
Q - Alors il faut bien préciser, justement, quel est l'article du traité d'Amsterdam qui permettrait d'empêcher, finalement, l'Autriche de participer à la politique européenne au cas où dérapage il y aurait. Quel est ce texte précis ?
R - Il y a trois articles : il y a l'article 6 du traité qui dit que l'Union doit respecter un certain nombre de valeurs et qui fait référence, parmi ces valeurs, à la convention européenne des Droits de l'Homme qui stipule effectivement que tout ce qui est xénophobie, racisme, antisémitisme, ne fait pas partie de ses textes fondamentaux. Il y a l'article 13 du traité d'Amsterdam qui explique la non-discrimination en fonction de la race, en fonction de l'origine, en fonction de la religion, en fonction même des préférences sexuelles est interdite dans l'Europe. Et puis l'article VII du traité qui explique que si il y a, je le répète, violation grave et persistante de ces droits eh bien à ce moment là on peut suspendre un état membre de ses droits et c'est-à-dire essentiellement de ses droits de vote. Il faudra d'ailleurs voir ensuite quelle est la politique de ce gouvernement, notamment en matière européenne
Q - Vous allez le voir vite puisque le 14 février il y a une réunion des ministres des Affaires étrangères.
R - Je le sais bien, j'y serais et croyez que j'envisage ça sans joie. Mais je pense qu'à ce moment là il faudra que la présidence portugaise, et là il ne s'agit pas de relations bilatérales, sache montrer très clairement au gouvernement autrichien que certes il est là, parce que c'est son droit, et ça il n'y a aucun texte qui dit le contraire, mais qu'en même temps c'est une forme d'isolement politique, comme l'a dit l'autre jour Lionel JOSPIN à l'Assemblée nationale, qui l'attend.
Q - Mais le ministère des Finances qui pourrait par exemple revenir, ou le ministère de la Défense, encore plus, qui pourrait par exemple revenir à un partisan de Jörg Haider ; au moment où vous êtes en train de discuter de la défense européenne, comment vous allez pouvoir discuter avec quelqu'un qui finalement peut avoir des intérêts différents en matière de défense et surtout qui est, disons plutôt, sur des positions souverainistes et anti-européennes justement ?
R - C'est le vrai problème. Vous savez moi je pense que Jörg Haider a maintenant deux objectifs : il a un objectif intermédiaire qui est de devenir chancelier, c'est la conquête du pouvoir, et il a un objectif à long terme qui est de détruire l'Europe de l'intérieur parce qu'il y a une chose dont je suis sûr, c'est qu'il est un anti-européen extraordinairement virulent Et c'est vrai que tous les postes qui seront concédés à son parti sont des postes stratégiques. Les Finances c'est stratégique pour l'Europe, par exemple l'Autriche est membre de l'euro 11. La Défense : quand même avoir le représentant d'un parti dont le chef respecte les Waffen SS comme ministre de la Défense, et en plus un pays neutre, ce n'est pas rien.
Q - Il s'est excusé là-dessus.
R - C'est vrai, mais enfin c'était quand même en septembre 99 et puis c'est un peu sa spécialité, c'est un peu facile : on gagne des voix à l'extrême droite et puis ensuite on les récupère de façon plus légitime ou plus honorable. La Défense, donc, c'est stratégique, complètement. Les Transports, par rapport à l'immigration, notamment de l'Est, c'est évidemment stratégique. La Justice je n'en parle pas puisque nous sommes dans un espace Schengen désormais intégré dans le traité qui devrait faire respecter la libre circulation des personnes. Bref, il a pris un certain nombre de ministères qui peuvent permettre, éventuellement, de mener une politique souverainiste, antieuropéenne, à ce moment là il faudra aviser. Moi je suis pour que le Conseil des ministres et puis l'Europe, la Commission elle-même, continuent d'adopter une attitude extraordinairement ferme qui peut aller, encore une fois, jusqu'à l'exercice des droits qui sont les nôtres. Nous ne devons pas accepter, comme ça, qu'un gouvernement, qui plus est contestable, veuille détruire l'Europe de l'intérieur.
Q - Mais ça va être une question qui va être clairement posée le 14 février ? La question de la politique autrichienne, à cette première réunion où ils seront là avec des représentants d'Haider si le jeu de la coalition est confirmé demain, c'est là que la question de fond va être posée ?
R - Je ne le sais pas, c'est à la présidence portugaise de le définir.
Q - Vous le souhaitez ?
R - Moi ce que je souhaite surtout c'est que par notre comportement collectif, nous manifestions, encore une fois, cette vigilance, cette détermination et puis le 14 février ce n'est pas n'importe quel conseil intergénéral parce que c'est aussi le jour où on lance la réforme institutionnelle de l'Union européenne. Réforme institutionnelle qui pourrait, d'ailleurs, comporter aussi des éléments qui auraient valeur de renforcement des droits fondamentaux des européens. Et donc il faut manifester par notre comportement ce que nous voulons, ensemble, avancer dans l'Europe et voir ce que fait l'Autriche.
Q - Alors, dernière question qui est quand même une question importante : vous savez, l'Europe est complexe, et d'ores et déjà si la France, que vous représentez, évidemment, l'Allemagne et la Belgique ont été extrêmement fermes, c'est moins le cas des Nordiques, moins le cas de la Grande-Bretagne. Alors est-ce qu'on va pouvoir tenir longtemps avec une position à l'intérieur de l'Europe qui pourrait être différente en fonction des pays ? Et puis qu'est-ce qui va se passer si d'autres pays sont tout d'un coup gagnés par des victoires électorales souverainistes ?
R - Nous n'en sommes pas près mais moi ce que je souhaite
Q - Parce que c'est inédit cette affaire.
R - Absolument. C'est pour ça d'ailleurs qu'il était très important de réagir et de réagir comme ça pour marquer " voilà, ça c'est inacceptable " et ne pas s'y accoutumer. Ecoutez, moi je ne ferais pas de procès à d'autres gouvernements. J'observe que la présidence portugaise a pu prendre une position au nom de 14 états membres, j'observe que le parlement européen a voté une résolution à laquelle la quasi-totalité des forces politiques, notamment, c'était très important, les conservateurs du PPE se sont ralliés. Je fais donc confiance à tous pour faire bloc. Mais ce qui est très important, c'est effectivement de ne pas céder à ce gouvernement autrichien. Sa tentative va être claire : ça va être un peu de séduction, avec la déclaration qui a été signée là, ça va être ensuite jouer la banalisation en espérant que d'ici à 15 jours, trois semaines, un mois, deux mois, trois mois, on n'en parlera plus. Non, il ne faut pas s'accoutumer à ce type de chose parce que si on commence comme ça après, demain ce sera M. Haider qui sera chancelier et qui sera au conseil européen, qu'on appellera Jörg, c'est hors de question, ou alors nous serons prêts à tolérer tel ou tel populisme ou tel souverainisme dans l'Europe. L'Europe ce n'est pas ça, l'Europe ce n'est pas un marché, ce n'est pas une communauté d'intérêts ou en tout cas pas seulement un marché, par seulement une communauté d'intérêts, c'est un ensemble de valeurs partagées et cette affaire nous le rappelle en nous renvoyant, finalement, aux fondements de ce que nous avons faits après la deuxième guerre mondiale : la réconciliation franco-allemande elle avait aussi un sens, c'est-à-dire plus jamais ça !./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à LCI le 4 février :
Q - Avec nous Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, bonjour. La France a décidé d'appliquer les sanctions décidées par l'Union européenne, moins l'Autriche bien sûr. Ces sanctions prévoient la fin des contacts politiques bilatéraux et des contacts uniquement techniques avec les ambassadeurs autrichiens. Est-ce qu'en fait ce n'est pas la meilleure façon de diviser l'Europe car des pays risquent fort de ne pas adopter ces sanctions ?
R - Ces sanctions ont été adoptées par la présidence portugaise. J'espère qu'elles seront adoptées par tous. Vous savez, ce n'est pas une ingérence dans un pays qui est extérieur à l'Union européenne, c'est une affaire intérieure à l'Union européenne. L'Union européenne est une communauté de valeurs, ce n'est pas seulement un marché commun ou une communauté d'intérêts, et là nous sommes face à un gouvernement dont nous avons des raisons de penser qu'il ne partage pas, même s'il y a eu une déclaration, des valeurs fondamentales. Et donc, nous voulons appliquer immédiatement ces mesures pour marquer notre très grande fermeté et la marquer dans la durée.
Q - Vous venez de nous dire que vous espérez que les quatorze autres pays prendraient les mêmes dispositions, ça veut dire que vous n'avez aucune garantie pour l'instant.
R - J'ai toutes les raisons de penser que ce sera le cas parce que la présidence a agi en concertation avec toutes les capitales. Je ne veux faire de procès à personne. L'Europe ne sera pas divisée ; l'Europe est unie dans sa condamnation de ce phénomène, c'est-à-dire de l'alliance de conservateurs avec l'extrême-droite. D'ailleurs, l'Europe l'a marqué hier au Parlement européen où le vote a été extrêmement large, associant les gauches et les droites bien sûr, à l'exception des droites qui partagent ce sentiment-là. Donc, je suis très confiant. Je pense que l'Union européenne a une ligne ferme. Je pense en plus que c'est son intérêt historique si elle veut affirmer ce qu'elle est, c'est-à-dire encore une fois, une communauté de valeurs, une communauté de destin et pas uniquement une communauté d'intérêts, dans laquelle on peut faire n'importe quoi.
Q - Et vous pensez, Monsieur le Ministre, que l'Union européenne a les moyens de ses ambitions, y compris juridiquement ?
R - Juridiquement nous n'avons pas les moyens d'exclure l'Autriche et nous ne le souhaitons d'ailleurs pas mais nous mettons l'Autriche en quelque sorte sous surveillance. Nous disons à ce gouvernement que s'il ne respecte pas les droits fondamentaux de l'Union européenne, s'il venait à les violer de façon grave et persistante, alors à ce moment-là, il pourrait avoir ses droits suspendus. Et puis, nous manifestons tout simplement avec beaucoup de fermeté et beaucoup de calme que ce gouvernement membre de l'Union européenne n'est pas un gouvernement comme les autres parce qu'il a choisi des options qui sont contraires à nos valeurs. Et donc il n'est pas traité comme les autres, c'est de ça dont il s'agit. Et je suis persuadé que ces mesures sont des mesures fortes et en même temps respectueuses. Les ministres ne se rendront plus en Autriche, il n'y aura plus de ministre autrichien reçu en France. Nous ne soutiendrons aucun candidat autrichien à des postes internationaux. Nous aurons des contacts purement techniques avec son ambassadeur, bref cela veut dire, comme l'a dit Lionel Jospin, que l'Autriche a pris le risque de l'isolement politique et je crois qu'un pays européen ne peut pas courir ce risque longtemps. Et donc, je vous le dis, dans la durée, ces mesures auront leur effet sur le peuple autrichien qui comprendra que son avenir est en Europe avec les démocrates et pas replié sur lui-même avec un gouvernement ambigu.
Q - L'Autriche prend des risques d'isolement, l'Union européenne prend des risques également puisque l'Autriche peut bloquer aussi certains votes lorsqu'il s'agit de vote à l'unanimité.
R - Elle le pourrait de toute façon et je crois que nous ne devons pas céder au chantage, c'est un peu facile. Le gouvernement autrichien peut effectivement faire deux paris, il peut faire le pari de la banalisation, autrement dit : bon, voilà, il y aura une petite phase de tension au début et puis après les choses reprendront leur cours ; non, ce n'est pas " business as usual " comme on dit ; et puis, il peut faire un deuxième pari qui est effectivement le pari de la paralysie de l'Union mais ce pari, il pourrait le faire de toute façon. Je n'ai jamais cru que la faiblesse était un gage pour avancer et donc je préfère encore une fois la fermeté. Je pense que le gouvernement autrichien au contraire adoptera une sorte de profil bas pour montrer qu'il est un bon Européen. Je fais ce pari-là plutôt que l'autre ; et si le gouvernement autrichien montrait qu'il veut paralyser l'Union européenne, alors nous aurions d'autres mesures à prendre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à France-Info le 4 février :
Q - Le nouveau gouvernement autrichien vient donc de prêter serment, c'était il y a quelques secondes, le président Klestil n'a pas pu s'opposer à l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir à Vienne. Nous sommes en ligne avec Pierre Moscovici bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre chargé des Affaires européennes, on a beaucoup entendu depuis quelques jours le monde politique condamner l'arrivée de Jörg Haider, et de ses amis surtout, au pouvoir, des condamnations qui n'ont rien empêché. Alors maintenant au niveau bilatéral déjà, c'est-à-dire dans les relations entre la France et l'Autriche, est-ce que votre gouvernement va travailler tout à fait normalement avec les Autrichiens ?
R - Bien sûr que non, d'ailleurs, les condamnations qui étaient faites les jours derniers honnêtement ne visaient pas ou en tout cas pas seulement à empêcher la formation de ce gouvernement, puisque M. Schüssel avait hélas pris cette décision et que rien ne pouvait le faire reculer. Ces protestations visaient à dire à l'Autriche "attention, si vous faites un gouvernement dans ces conditions ce ne sera pas un gouvernement comme les autres et donc il ne sera pas traité comme les autres". Ils l'ont fait. C'est avec une grande tristesse que je l'enregistre mais ce ne sera pas un gouvernement traité comme les autres dans l'Union européenne et donc, les sanctions qui étaient prévues par la présidence portugaise dès lundi seront appliquées. Cela signifie en clair qu'il n'y aura plus de contacts bilatéraux au niveau des ministres. Autrement dit, aucun ministre autrichien ne sera reçu en France en visite officielle, aucun ministre français ne se rendra symétriquement en Autriche, nous ne soutiendrons aucun candidat autrichien à des postes dans des organisations internationales, nous recevrons les ambassadeurs autrichiens à un niveau très technique et nous n'accepterons pas d'avoir avec eux des relations normales. Bref, ce ne sera pas " business as usual ", nous voulons montrer à l'Autriche qu'elle a choisi effectivement une forme d'isolement politique en Europe et si les choses vont mal, nous sommes prêts, comme l'a dit le président de la République, à faire plus, à prendre d'autres mesures et donc, des attitudes de fermeté, elles doivent s'inscrire dans la durée parce que cette situation est inacceptable et qu'on ne doit pas s'y accoutumer.
Q - Ces petits signes quotidiens, ces signes même fort quotidiens de harcèlement presque des délégations autrichiennes, vous allez maintenir longtemps, peut-être même les faire monter en pression, le président Chirac l'a dit, c'est-à-dire que cela peut aller jusqu'où ?
R - Les traités prévoient plusieurs choses : d'abord, l'article 6 du traité dit que les Européens doivent partager des valeurs fondamentales, et il renvoie à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Cela veut dire que tout ce qui est xénophobie, antisémitisme, racisme est intolérable. Par ailleurs, il y a un autre article du traité, l'article 13 qui dit que le principe de non-discrimination est un principe général, autrement dit, personne ne peut faire l'objet de discrimination du fait de sa race, de sa religion, de ses convictions, ou même de ses préférences sexuelles. Et puis, il y a un article 7 qui dit qu'un pays peut se voir affliger des sanctions qui peuvent aller jusqu'à la suspension s'il conduit des violations graves et persistantes à ces droits. Tout cela veut dire que bien sûr nous ne voulons pas exclure l'Autriche. Nous ne l'excluons pas, l'Autriche est un pays membre de l'Union européenne, elle conserve ses droits mais en même temps l'Autriche doit savoir - et elle en a été avertie auparavant - qu'elle est désormais sous surveillance démocratique et que l'Europe ne tolérera pas de dérapage dans la politique de ce gouvernement.
Q - Quelle valeur accordez-vous, Monsieur Moscovici, à la déclaration solennelle que le président Klestil a fait signer aux deux leaders de cette coalition autrichienne ?
R - C'est mieux que rien et cela témoigne de la part du président d'une volonté de border ou de se border. Mais pour le reste j'avoue que je suis pour l'instant très prudent, voire un peu sceptique, car M. Haider est un spécialiste des dérapages verbaux et plus que cela. Il a pris des positions à plusieurs reprises et pas si vieilles qui sont des positions nostalgiques du nazisme, en tout cas qui marquent un défaut de prise de distance. Lundi encore, il expliquait que tout cela était une excitation dans le poulailler européen avant même que le renard y entre. Voilà le renard dans le poulailler, donc je n'ai aucune confiance en M. Haider. J'avoue du coup que ma confiance en M. Schüssel est pour le moins entamée. C'est un homme que je connais bien et je ne le croyais pas susceptible de pendre ce type d'attitude. Je le regrette encore une fois parce que c'est un homme qui a des qualités. Donc non, cette déclaration me fait un peu penser qu'on a agi comme si vous savez, on dit Paris vaut bien une messe ; la chancellerie vaut bien une déclaration ; à suivre et encore une fois notre vigilance ne se relâchera pas./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Q - Bienvenue à tous pour un nouveau TV5 Questions avec nous, en studio, Pierre Moscovici, bonjour ! Vous êtes le ministre français délégué aux Affaires européennes. L'Autriche va donc avoir un gouvernement de coalition entre les conservateurs et l'extrême droite de Jörg Haider. Une première réaction, tout de suite, à ce séisme politique en Europe.
R - C'est un peu le scénario d'une crise annoncée qui est en train de se produire. Le chancelier conservateur, Schüssel, l'ancien ministre des Affaires étrangères, pensait probablement que c'était sa dernière chance. Il a choisi de s'allier avec une formation qui ne partage pas les valeurs de l'Europe car c'est un parti d'extrême droite, c'est vrai, c'est un parti xénophobe, c'est aussi un parti dont le leader, M. Haider, n'a pas démenti fermement des propos qu'il avait tenu et qui traduisaient de sa part une certaine nostalgie du nazisme. A partir de ce moment-là, nous ne pouvons pas considérer que c'est un événement anodin, que c'est un gouvernement comme les autres et donc, ce gouvernement qui n'est pas comme les autres ne sera pas traité comme les autres.
Q - Pierre Moscovici, l'Union européenne et vous, par votre bouche, a décidé de réagir très fortement, symboliquement. L'Autriche, a-t-on dit, sera mise, en quelque sorte, au ban de l'Europe. Est-ce la bonne et la seule réaction ?
R - Je ne dirais pas que l'Autriche est mise au ban de l'Europe. D'abord, les mesures qui vont être prises, qui ont déjà été prises par la présidence portugaise, en tout cas les mesures qu'elle a annoncées, ne sont pas des mesures qui sont contre l'Autriche ni contre le peuple autrichien, ni contre la nation autrichienne. L'Autriche, en tant que pays, est membre de l'Union européenne et elle le restera mais nous ne pouvons pas considérer encore une fois qu'avec ce gouvernement autrichien si particulier, si contraire à nos valeurs, on fait " business as usual ". Il faut manifester de façon très claire que nous ne nous accoutumerons pas à une situation que nous considérons comme inacceptable. Nous devons dire à l'Autriche qu'elle est sous surveillance, qu'elle doit appliquer les articles des traités, je pense à l'article 6 qui dit qu'on doit respecter un certain nombre de valeurs fondamentales
Q - Démocratiques, de liberté, de Droits de l'Homme
R - Absolument, en renvoyant à la Convention européenne des Droits de l'Homme, je pense à l'article 13 qui explique que le principe de non discrimination, quelles que soient les causes, la race, la religion, même les préférences sexuelles, tout cela doit être respecté et l'article 7 qui stipule qu'un pays qui mènerait des violations graves et persistantes à ces principes, serait suspendu de ses droits. L'Autriche doit savoir que nous pouvons le faire et pour le reste, dans les relations bilatérales avec ce gouvernement, nous devons marquer le coup, et dans les relations au sein de l'Union européenne aussi. Cela veut dire concrètement, par exemple, que nous ne devons pas recevoir ici le ministre autrichien, que nous ne devons pas aller en Autriche pour des visites ministérielles, que les ambassadeurs autrichiens doivent être reçus à titre purement technique, que nous ne soutiendrons pas
Q - Tout cela, seraient des décisions prises au niveau européen, au niveau français ?
R - La présidence française l'a déjà annoncée, la présidence portugaise l'a déjà annoncée et donc, cela veut dire aussi par exemple que s'il y a des candidats autrichiens à des organisations internationales, ils ne sauraient être soutenus par l'Union européenne, etc., etc. Et cela veut dire aussi que dans l'exercice de l'Union européenne elle-même et éventuellement si nous sommes en présidence, nous devrons là encore marquer le coup
Q - Et vous le serez les six derniers mois de l'année
R - Les six derniers mois de l'année et donc, là encore, il faudra trouver les moyens, - je fais confiance à la présidence portugaise pour le faire -, pour ne pas considérer ce gouvernement comme un gouvernement comme les autres. Il faut marquer de façon très claire que ce choix, surtout s'il persiste et surtout s'il se produit des provocations constantes, n'est pas un choix qui doit être considéré encore une fois comme " business as usual ". Quand M. Haider disait hier qu'il y avait une excitation dans le poulailler européen avant même que le renard n'y entre, franchement, on voit ce que cela veut dire. C'est un anti-européen, farouche en plus.
Q - Ce que vous êtes en train de décrire, c'est une sorte de nouveau droit d'ingérence. Au nom de quoi ? Au nom de principes, au nom des valeurs qui ont fait l'Europe ?
R - Non. Je crois qu'il y a là quelque chose qui est mal compris. Il n'y a pas d'ingérence à mon sens. S'il y a ingérence, elle est légitime. Il n'y a pas d'ingérence parce que, pour nous, c'est une affaire intérieure, c'est cela que je voudrais bien faire comprendre. En faisant l'Europe, nous ne faisons pas un grand marché, en tout cas pas uniquement un grand marché, ce n'est pas une communauté d'intérêts, c'est une communauté de valeurs. Je suis Français et Européen en même temps et si dans la Communauté européenne, dans l'Union européenne, il y a un pays qui ne respecte pas les valeurs, à ce moment-là, ce n'est pas de l'ingérence, c'est tout simplement la prise en compte, par nous, de nos propres intérêts, marquer qu'il n'est pas dans le club du point de vue de la politique. Donc pour moi, c'est quelque chose de tout à fait légitime.
Q - Vous avez évoqué tout à l'heure le Traité d'Amsterdam. Cette crise européenne ne pourrait-elle pas être l'occasion d'aller plus loin ? Certains ont parlé d'écrire une véritable constitution européenne avec des sanctions à la clef. Cela vous semble-t-il une bonne idée ?
R - L'idée de la constitution européenne est une idée à la fois séduisante et complexe parce que pour qu'il y ait une constitution, il faut qu'il y ait un constituant etc. Mais je pense qu'on peut quand même reprendre cette idée, de façon un peu différente. Les Européens, à leur menu cette année, ont la rédaction de ce que l'on appelle une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui, justement, doit marquer ce que sont les droits des citoyens et aussi leurs obligations. Je souhaite que dans cette charte, compte tenu de ce contexte, on aille le plus loin possible dans l'énoncé d'un certain nombre de droits qui sont les droits européens, ce qui veut dire aussi les obligations des gouvernements et des citoyens. Et je crois que peut-être cette charte doit prendre plus d'ambition face non seulement à cette situation et face aussi au fait qu'on sent bien que cette situation peut créer un précédent. On a voulu, encore une fois, marquer un isolement pour éviter que les choses se reproduisent dans la perspective aussi d'élargissement parce que nous avons dit aux Slovaques, il y a quelques années, que nous ne négocions pas avec eux parce qu'ils avaient un président qui n'était pas un démocrate, M. Meciar et d'ailleurs cela a eu de l'effet puisqu'il est parti. Nous disons à la Turquie qu'on ne peut pas négocier avec elle tant qu'elle ne respecte pas les critères de Copenhague. Donc tant qu'elle ne fait pas des progrès substantiels en matière de Droits de l'Homme ou sur la question démocratique. Pourquoi dirions-nous à des pays candidats : voilà ce que sont les conditions pour vous alors que nous ne serions pas capables de le faire pour nous-mêmes ?
Q - Vous parlez d'isoler. Cela veut dire bien que vous redoutez comme certains une contagion, un effet d'entraînement ? On a cité l'exemple de l'Allemagne, même si l'époque d'aujourd'hui n'est pas comparable à celle des années 30, est-ce que vous redoutez aussi, une montée de ce que certains appellent un national populisme ? On le voit en Italie, au Danemark
R - Honnêtement, je ne suis pas inquiet ou pessimiste de cela. Je crois que les forces politiques sont capables de réagir. Je pense qu'au sein des droites elles-mêmes, - je suis un homme de gauche - mais quand je vois ce qui se passe, il y a une réaction qui, dans l'ensemble, est saine, elle est saine au sein du Parti populaire européen. Je crois que la situation autrichienne est très spécifique et je crois enfin que nous ne sommes pas dans les années 30 et que Haider n'est pas Hitler. Mais
Q - L'histoire ne se répétera pas
R - Elle ne se répétera pas. Mais justement, elle ne se répétera pas parce que contrairement à ce qui s'est passé dans les années 30, nous aurons marqué, tout de suite, quelles sont les limites de l'inacceptable et que nous marquerons, que nous ne nous y accoutumerons pas. Et donc, cette attitude de l'Union européenne n'est pas une attitude circonstancielle. Elle n'était pas faite au cours des derniers jours pour dissuader M. Haider et M. Schüssel de s'associer, elle est faite pour dire à l'Autriche : "Si vous formez ce gouvernement, - et ce sera le cas -, cela ne se passera pas comme vous espérez que cela se passe " et l'Autriche sera effectivement politiquement isolée.
Q - On peut dire que l'Europe se construit dans les crises et que cette crise-ci, cette crise autrichienne, c'est un peu la naissance d'une Europe politique ?
R - Je crois que c'est un moment important, effectivement, c'est-à-dire que c'est le moment où l'Europe affirme effectivement qu'elle n'est pas encore une fois qu'un marché mais qu'elle est un ensemble de valeurs et donc un ensemble politique au sens noble du terme et cela prouve que c'est une communauté beaucoup plus forte que nous sommes en train de bâtir. De ce point de vue là, cela peut être salutaire à une condition encore une fois, c'est que ce front de la fermeté qui est en train de se manifester tienne bon. Et vous savez, j'ai une certitude, encore une fois, il ne s'agit pas d'exclure l'Autriche, il ne s'agit pas de sanctionner le peuple autrichien
Q - De faire l'Europe sans l'Autriche ?
R - Il ne s'agit pas de cela mais je suis persuadé que la fermeté face au gouvernement autrichien payera et que les Autrichiens réaliseront rapidement que leur intérêt, c'est d'être pleinement dans l'Europe et non pas de faire ce genre de choix.
Q - Malgré tout, Pierre Moscovici, au-delà du parti de Haider, au-delà de sa personne, il n'y a pas pour vous une crise du fonctionnement démocratique ? Par exemple, on voit bien ce qui se passe, en Allemagne, avec la CDU, personne ne pensait à ce scandale il y a quelques mois à peine. Est-ce qu'il n'y a pas là aussi un risque de dérive d'un des partenaires ? Ce ne sera pas l'Autriche cette fois-là, ce sera l'Allemagne
R - Il y a une crise très claire du système politique autrichien. M. Haider n'est pas arrivé là par hasard. Il y a à la fois le fait que l'Autriche, peut-être, n'a pas suffisamment réfléchi à son passé
Q - C'est cela. C'est que l'on appelle le système proportionnel où il y avait une espèce de confiscation
R - Non, cela c'est autre chose, c'est le rapport au nazisme. Mais il y a aussi effectivement le fait que les deux partis socio-démocrates se partageaient non seulement le pouvoir mais tous les postes administratifs, économiques, financiers, de haut en bas. Ce n'était pas acceptable.
Q - Mais enfin, le séisme de la CDU en Allemagne quand même
R - La CDU, j'allais le dire, donc il y a bien une crise du système politique autrichien dont on doit tenir compte, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que la politique soit un partage de dépouilles entre quelques privilégiés. Cela ne doit pas être cela, nulle part, mais en Allemagne, c'est autre chose. Je reprendrais la formule de Gerhard Schröder, "la crise d'un parti n'est pas la crise de la démocratie allemande" et j'espère que la CDU, bien sûr, elle en payera le prix, mais saura se maintenir comme une force politique constructive et elle saura tourner la page comme d'autres l'ont fait face à des affaires. Vous savez, nous-mêmes, socialistes, nous avons connu quelques problèmes, pas du tout de cette ampleur-là mais enfin, nous l'avons payé dans des élections et puis, des forces qui savent se refaire éthiquement, peuvent continuer dans la vie politique.
Q - Certains disent en voulant isoler, en diabolisant l'adversaire, on risque de le renforcer, c'est l'éternel débat face à l'extrême-droite. Il y a beaucoup d'Autrichiens aujourd'hui, on les entend, ils s'expriment, qui demandent, au contraire, que les Européens soutiennent les démocrates à l'intérieur de l'Autriche plutôt que d'assimiler et de considérer que tous les Autrichiens sont des semi-nazis
R - Vous savez, il ne s'agit pas de cela. Encore une fois, je le répète, nous ne condamnons pas les Autrichiens mais, je lis en ce moment
Q - Mais vous comprenez les réactions des démocrates autrichiens ? Il y en a encore plus de 70 %
R - Absolument, enfin, c'est un peu plus compliqué que cela puisqu'il y a une partie de ces démocrates qui se sont alliés avec M. HAIDER et je note d'ailleurs, que M. Schüssel fait non seulement un calcul scandaleux mais un calcul qui ne me paraît pas très intelligent puisqu'il a déjà perdu 9 % d'intention de vote qui sont passées directement chez M. Haider depuis les élections autrichiennes. Donc, cela prouve que les conservateurs ne souhaitaient pas cette alliance-là. Mais je lis la presse autrichienne, j'écoute les rédactions autrichiennes. Je crois que M. Klima lui-même, l'ancien chancelier, soutient les réactions de l'Union européenne, je note que la presse autrichienne est très partagée et je pense que cela peut avoir un écho et par ailleurs, encore une fois, il ne faut pas s'accoutumer à l'inacceptable, même petit à petit. Si nous disions aujourd'hui voilà, ce gouvernement est acceptable, cela veut dire que dans un an, dans deux ans, quand M. Haider parviendra au pouvoir, à ce moment-là, il aurait été totalement banalisé et on se retrouverait avec, au Conseil européen, un chancelier qui n'a pas fait son mouvement par rapport aux valeurs du nazisme et donc, ce n'est pas acceptable.
Q - Alors quittons le cas autrichien. L'Europe, la France va en prendre la présidence dans quelques mois. L'Europe est en train justement de repenser ses institutions, il y aura, le 14 février, à Bruxelles, une conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions. Quelle est l'ambition de la France, je dirais, dans les six mois où elle sera à la tête de l'Union européenne ? Il y a des choses sur la table, la Commission propose la réforme de la majorité qualifiée, on parle de pondérer différemment le poids des différents pays. Au-delà de cela, la France a-t-elle une ambition pour l'Europe dans les années qui viennent ?
R - Je crois que le rapport de la Commission est plutôt un bon rapport qui donne des bases de travail mais je dirais que notre ambition est double. D'abord, de permettre à l'Union européenne de fonctionner mieux qu'elle ne fonctionne aujourd'hui et par exemple d'éviter qu'elle soit toujours paralysée par un mécanisme contraignant d'unanimité. Cela suppose par exemple que l'on soit capable de passer très largement sur toute une série de matières au vote à la majorité qualifiée, ce qui est la règle d'une démocratie. En démocratie, ce sont des majorités qui l'emportent et il n'y a pas un droit de veto de chaque individu ou de chaque parti
Q - A la limite, permettre à certains pays d'avancer seuls
R - J'allais dire la deuxième ambition, c'est de se préparer à l'élargissement, c'est-à-dire à une Europe à 30, plus hétérogène. A partir du moment où cette Europe est à 30, qu'il y ait des Etats membres les plus hétérogènes, on sait bien que nous ne pourrons pas tout faire ensemble et cela suppose effectivement plus de flexibilité. Cela suppose que l'on aille dans la voie d'un accès plus facile, plus aisé à ce que l'on appelle les coopérations renforcées et donc, faire en sorte qu'un petit nombre de pays, non pas un noyau mais un avant garde, un cur de l'Europe puisse travailler ensemble, quitte à être rejoint par tel ou tel. C'est ce que nous avons fait pour l'euro.
Q - Ce qui suppose que l'on supprime le droit de veto
R - Le droit de veto ou le compromis de Luxembourg peut exister, mais encore une fois sur des intérêts très vitaux et bien identifiés mais cela veut dire qu'on permet à des pays d'avancer ensemble, encore une fois, ce que nous avons fait pour l'euro. L'euro, aujourd'hui, est à 11, bientôt à 12 avec les Grecs, ce n'est pas l'euro 15. On voit bien que la mécanique communautaire ne peut pas, ne pourra pas, demain, tout absorber.
Q - L'euro, dernière question, il ne va pas bien, il est à 0,97 dollars. C'est bon pour les exportations mais c'est sa valeur réelle, c'est le reflet de l'économie européenne. Vous n'êtes pas inquiet là non plus ?
R - Je crois que c'est surtout le reflet aujourd'hui de la très grande force de l'économie américaine et donc, d'un attrait vers cela mais je suis très confiant en l'euro et je crois qu'il conserve, comme disent les économistes, un très fort potentiel d'appréciations. Je dirais même qu'il augmente, ce potentiel d'appréciations.
Q - Pierre Moscovici, merci d'avoir répondu à nos questions./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à Europe 1 du 3 :
Q - Bonsoir et merci de votre fidélité ! Toute l'attention internationale est toujours portée sur l'Autriche. Le président Thomas Klestil a reporté à vendredi la décision, donc, d'accepter le nouveau gouvernement formé des conservateurs et des partisans de Jörg Haider. Les protestations internationales se multiplient, les interrogations internationales aussi se multiplient, notamment quant à la viabilité des sanctions qui sont proposées par l'Europe. Nous allons recevoir dans cette émission Pierre Moscovici, qui est ministre délégué aux Affaires européennes donc directement intéressé par l'affaire Haider ou l'affaire autrichienne.
Pierre Moscovici est ministre délégué aux Affaires européennes. Bonsoir et merci d'être avec nous et de nous apporter votre commentaire à cette affaire qui soulève beaucoup d'émotion en Europe. Alors, vous avez probablement entendu Manuel Saint-Paul, il est plus que probable, après le texte qui les a fait signer, que finalement le président autrichien Thomas Klestil, va accepter la coalition qui est sortie des urnes et des négociations en Autriche. D'abord le regrettez-vous ? Et avez-vous vraiment le sentiment que les sanctions qui sont prônées par les Quatorze auront un effet bénéfique sur l'évolution politique de Jörg Haider ?
R - Bien sûr que je regrette la formation de cette coalition . Je considère que c'est une erreur historique. Je crois que Wolfgang Schüssel, que je connais bien, qui sera chancelier de cette coalition, à la fois se lance dans une aventure, en s'associant à un parti qui est un parti d'extrême droite, populiste, xénophobe qui, quoi qu'on en dise, n'a pas abjuré certaines réminiscences du nazisme, en tout cas son leader Jörg Haider. Je crois qu'il fait aussi un mauvais calcul parce qu'il s'associe avec quelqu'un qui est plus fort que lui, qui est plus populaire que lui, qui a à peu près deux fois plus d'intentions de vote et donc il est à craindre que cette expérience, finalement, se retourne contre lui. Je pense, pour le reste, que les pressions de l'Union européenne auront leurs effets mais des effets dans la durée. Elles n'étaient pas faites, a priori, pour faire plier M. Schüssel qui avait malheureusement décidé ce choix de façon résolue. Mais maintenant il faut continuer une politique de fermeté et pour moi la déclaration qui est signée là ne suffit pas à assurer la respectabilité de ce nouveau gouvernement.
Q - Mais, Pierre Moscovici, la question qu'on se pose c'est de savoir, concrètement, ce qui peut se passer puisque par exemple, imaginons qu'il n'y ait pas de dérapage verbal, est-ce qu'on continue à leur appliquer un gel des contacts politiques, un refus de soutenir les candidatures autrichiennes à des fonctions internationales, à une continuelle marginalisation des ambassadeurs autrichiens ? Ou est-ce qu'il va falloir attendre, disons, qu'une déclaration d'Haider soit provocatrice ou peu conforme au texte qu'il vient de signer pour que tout ça se mette en place ?
R - Ecoutez, moi ce que j'observe de M. Haider, c'est que c'est vrai, c'est un homme qui a eu des déclarations plus que fâcheuses, on se souvient de ce qu'il a dit sur la politique de l'emploi du IIIème Reich, on se souvient de ce qu'il a dit de façon tout à fait récente sur la Waffen SS et ses hommes respectables qui la composait, qui se sont battus pour leurs convictions jusqu'au bout. Mais c'est un homme qui fait des provocations absolument sans arrêt. C'est vrai qu'il a signé ce matin un texte et qu'il essaie de se présenter de façon avantageuse mais en même temps hier il critiquait l'excitation européenne avant même que le renard ne soit dans le poulailler et on ne peut pas considérer dans l'Union européenne, qu'un gouvernement ait un renard dans le poulailler ni que l'Union elle-même est un poulailler. Je crois que M. Haider, malheureusement, fait partie de cette catégorie de grands provocateurs, nous en avons eu en France, qui, certes plus habiles que M. Le Pen, fait ces provocations pour ensuite les retirer mais a priori nous n'avons pas à faire confiance à un gouvernement qui est cautionné par M. Haider.
Q - Est-ce que vous considérez, vous, que c'est un nazi ? C'est un nazi déguisé, une version moderne ?
R - Non, je ne le crois pas. Haider n'est pas Hitler, Haider, qui a eu des déclarations plus que xénophobes, n'a jamais tenu de propos antisémites, simplement Haider, manifestement, n'a pas pour sa part renié complètement une certaine nostalgie du nazisme. Par ailleurs il est absolument xénophobe, totalement anti-européen et je crains que la déclaration qui a été signée ce matin, comment dire, ait un statut un peu ambigu. J'ai envie de dire, vous savez Paris valait bien une messe et la chancellerie valait bien une déclaration. Alors, il faudra juger cela, encore une fois, dans la durée. Il ne s'agit pas d'ostraciser l'Autriche, il ne s'agit pas d'ostraciser le peuple autrichien, il s'agit de manifester à ce gouvernement, qui n'est pas un gouvernement comme les autres, qu'il ne sera pas traité dans l'Union comme un gouvernement comme les autres et en même temps l'Autriche n'est pas exclue des instances européennes, elle est sous surveillance, sous surveillance étroite et contrainte d'observer à tout moment les principes de l'Union européenne, c'est-à-dire le respect de valeurs, de droits fondamentaux auxquels nous sommes attachés, avec les risques encourus, c'est-à-dire, effectivement, la suspension du droit de vote si il y a des violations graves et persistantes à ces droits.
Q - Alors il faut bien préciser, justement, quel est l'article du traité d'Amsterdam qui permettrait d'empêcher, finalement, l'Autriche de participer à la politique européenne au cas où dérapage il y aurait. Quel est ce texte précis ?
R - Il y a trois articles : il y a l'article 6 du traité qui dit que l'Union doit respecter un certain nombre de valeurs et qui fait référence, parmi ces valeurs, à la convention européenne des Droits de l'Homme qui stipule effectivement que tout ce qui est xénophobie, racisme, antisémitisme, ne fait pas partie de ses textes fondamentaux. Il y a l'article 13 du traité d'Amsterdam qui explique la non-discrimination en fonction de la race, en fonction de l'origine, en fonction de la religion, en fonction même des préférences sexuelles est interdite dans l'Europe. Et puis l'article VII du traité qui explique que si il y a, je le répète, violation grave et persistante de ces droits eh bien à ce moment là on peut suspendre un état membre de ses droits et c'est-à-dire essentiellement de ses droits de vote. Il faudra d'ailleurs voir ensuite quelle est la politique de ce gouvernement, notamment en matière européenne
Q - Vous allez le voir vite puisque le 14 février il y a une réunion des ministres des Affaires étrangères.
R - Je le sais bien, j'y serais et croyez que j'envisage ça sans joie. Mais je pense qu'à ce moment là il faudra que la présidence portugaise, et là il ne s'agit pas de relations bilatérales, sache montrer très clairement au gouvernement autrichien que certes il est là, parce que c'est son droit, et ça il n'y a aucun texte qui dit le contraire, mais qu'en même temps c'est une forme d'isolement politique, comme l'a dit l'autre jour Lionel JOSPIN à l'Assemblée nationale, qui l'attend.
Q - Mais le ministère des Finances qui pourrait par exemple revenir, ou le ministère de la Défense, encore plus, qui pourrait par exemple revenir à un partisan de Jörg Haider ; au moment où vous êtes en train de discuter de la défense européenne, comment vous allez pouvoir discuter avec quelqu'un qui finalement peut avoir des intérêts différents en matière de défense et surtout qui est, disons plutôt, sur des positions souverainistes et anti-européennes justement ?
R - C'est le vrai problème. Vous savez moi je pense que Jörg Haider a maintenant deux objectifs : il a un objectif intermédiaire qui est de devenir chancelier, c'est la conquête du pouvoir, et il a un objectif à long terme qui est de détruire l'Europe de l'intérieur parce qu'il y a une chose dont je suis sûr, c'est qu'il est un anti-européen extraordinairement virulent Et c'est vrai que tous les postes qui seront concédés à son parti sont des postes stratégiques. Les Finances c'est stratégique pour l'Europe, par exemple l'Autriche est membre de l'euro 11. La Défense : quand même avoir le représentant d'un parti dont le chef respecte les Waffen SS comme ministre de la Défense, et en plus un pays neutre, ce n'est pas rien.
Q - Il s'est excusé là-dessus.
R - C'est vrai, mais enfin c'était quand même en septembre 99 et puis c'est un peu sa spécialité, c'est un peu facile : on gagne des voix à l'extrême droite et puis ensuite on les récupère de façon plus légitime ou plus honorable. La Défense, donc, c'est stratégique, complètement. Les Transports, par rapport à l'immigration, notamment de l'Est, c'est évidemment stratégique. La Justice je n'en parle pas puisque nous sommes dans un espace Schengen désormais intégré dans le traité qui devrait faire respecter la libre circulation des personnes. Bref, il a pris un certain nombre de ministères qui peuvent permettre, éventuellement, de mener une politique souverainiste, antieuropéenne, à ce moment là il faudra aviser. Moi je suis pour que le Conseil des ministres et puis l'Europe, la Commission elle-même, continuent d'adopter une attitude extraordinairement ferme qui peut aller, encore une fois, jusqu'à l'exercice des droits qui sont les nôtres. Nous ne devons pas accepter, comme ça, qu'un gouvernement, qui plus est contestable, veuille détruire l'Europe de l'intérieur.
Q - Mais ça va être une question qui va être clairement posée le 14 février ? La question de la politique autrichienne, à cette première réunion où ils seront là avec des représentants d'Haider si le jeu de la coalition est confirmé demain, c'est là que la question de fond va être posée ?
R - Je ne le sais pas, c'est à la présidence portugaise de le définir.
Q - Vous le souhaitez ?
R - Moi ce que je souhaite surtout c'est que par notre comportement collectif, nous manifestions, encore une fois, cette vigilance, cette détermination et puis le 14 février ce n'est pas n'importe quel conseil intergénéral parce que c'est aussi le jour où on lance la réforme institutionnelle de l'Union européenne. Réforme institutionnelle qui pourrait, d'ailleurs, comporter aussi des éléments qui auraient valeur de renforcement des droits fondamentaux des européens. Et donc il faut manifester par notre comportement ce que nous voulons, ensemble, avancer dans l'Europe et voir ce que fait l'Autriche.
Q - Alors, dernière question qui est quand même une question importante : vous savez, l'Europe est complexe, et d'ores et déjà si la France, que vous représentez, évidemment, l'Allemagne et la Belgique ont été extrêmement fermes, c'est moins le cas des Nordiques, moins le cas de la Grande-Bretagne. Alors est-ce qu'on va pouvoir tenir longtemps avec une position à l'intérieur de l'Europe qui pourrait être différente en fonction des pays ? Et puis qu'est-ce qui va se passer si d'autres pays sont tout d'un coup gagnés par des victoires électorales souverainistes ?
R - Nous n'en sommes pas près mais moi ce que je souhaite
Q - Parce que c'est inédit cette affaire.
R - Absolument. C'est pour ça d'ailleurs qu'il était très important de réagir et de réagir comme ça pour marquer " voilà, ça c'est inacceptable " et ne pas s'y accoutumer. Ecoutez, moi je ne ferais pas de procès à d'autres gouvernements. J'observe que la présidence portugaise a pu prendre une position au nom de 14 états membres, j'observe que le parlement européen a voté une résolution à laquelle la quasi-totalité des forces politiques, notamment, c'était très important, les conservateurs du PPE se sont ralliés. Je fais donc confiance à tous pour faire bloc. Mais ce qui est très important, c'est effectivement de ne pas céder à ce gouvernement autrichien. Sa tentative va être claire : ça va être un peu de séduction, avec la déclaration qui a été signée là, ça va être ensuite jouer la banalisation en espérant que d'ici à 15 jours, trois semaines, un mois, deux mois, trois mois, on n'en parlera plus. Non, il ne faut pas s'accoutumer à ce type de chose parce que si on commence comme ça après, demain ce sera M. Haider qui sera chancelier et qui sera au conseil européen, qu'on appellera Jörg, c'est hors de question, ou alors nous serons prêts à tolérer tel ou tel populisme ou tel souverainisme dans l'Europe. L'Europe ce n'est pas ça, l'Europe ce n'est pas un marché, ce n'est pas une communauté d'intérêts ou en tout cas pas seulement un marché, par seulement une communauté d'intérêts, c'est un ensemble de valeurs partagées et cette affaire nous le rappelle en nous renvoyant, finalement, aux fondements de ce que nous avons faits après la deuxième guerre mondiale : la réconciliation franco-allemande elle avait aussi un sens, c'est-à-dire plus jamais ça !./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à LCI le 4 février :
Q - Avec nous Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, bonjour. La France a décidé d'appliquer les sanctions décidées par l'Union européenne, moins l'Autriche bien sûr. Ces sanctions prévoient la fin des contacts politiques bilatéraux et des contacts uniquement techniques avec les ambassadeurs autrichiens. Est-ce qu'en fait ce n'est pas la meilleure façon de diviser l'Europe car des pays risquent fort de ne pas adopter ces sanctions ?
R - Ces sanctions ont été adoptées par la présidence portugaise. J'espère qu'elles seront adoptées par tous. Vous savez, ce n'est pas une ingérence dans un pays qui est extérieur à l'Union européenne, c'est une affaire intérieure à l'Union européenne. L'Union européenne est une communauté de valeurs, ce n'est pas seulement un marché commun ou une communauté d'intérêts, et là nous sommes face à un gouvernement dont nous avons des raisons de penser qu'il ne partage pas, même s'il y a eu une déclaration, des valeurs fondamentales. Et donc, nous voulons appliquer immédiatement ces mesures pour marquer notre très grande fermeté et la marquer dans la durée.
Q - Vous venez de nous dire que vous espérez que les quatorze autres pays prendraient les mêmes dispositions, ça veut dire que vous n'avez aucune garantie pour l'instant.
R - J'ai toutes les raisons de penser que ce sera le cas parce que la présidence a agi en concertation avec toutes les capitales. Je ne veux faire de procès à personne. L'Europe ne sera pas divisée ; l'Europe est unie dans sa condamnation de ce phénomène, c'est-à-dire de l'alliance de conservateurs avec l'extrême-droite. D'ailleurs, l'Europe l'a marqué hier au Parlement européen où le vote a été extrêmement large, associant les gauches et les droites bien sûr, à l'exception des droites qui partagent ce sentiment-là. Donc, je suis très confiant. Je pense que l'Union européenne a une ligne ferme. Je pense en plus que c'est son intérêt historique si elle veut affirmer ce qu'elle est, c'est-à-dire encore une fois, une communauté de valeurs, une communauté de destin et pas uniquement une communauté d'intérêts, dans laquelle on peut faire n'importe quoi.
Q - Et vous pensez, Monsieur le Ministre, que l'Union européenne a les moyens de ses ambitions, y compris juridiquement ?
R - Juridiquement nous n'avons pas les moyens d'exclure l'Autriche et nous ne le souhaitons d'ailleurs pas mais nous mettons l'Autriche en quelque sorte sous surveillance. Nous disons à ce gouvernement que s'il ne respecte pas les droits fondamentaux de l'Union européenne, s'il venait à les violer de façon grave et persistante, alors à ce moment-là, il pourrait avoir ses droits suspendus. Et puis, nous manifestons tout simplement avec beaucoup de fermeté et beaucoup de calme que ce gouvernement membre de l'Union européenne n'est pas un gouvernement comme les autres parce qu'il a choisi des options qui sont contraires à nos valeurs. Et donc il n'est pas traité comme les autres, c'est de ça dont il s'agit. Et je suis persuadé que ces mesures sont des mesures fortes et en même temps respectueuses. Les ministres ne se rendront plus en Autriche, il n'y aura plus de ministre autrichien reçu en France. Nous ne soutiendrons aucun candidat autrichien à des postes internationaux. Nous aurons des contacts purement techniques avec son ambassadeur, bref cela veut dire, comme l'a dit Lionel Jospin, que l'Autriche a pris le risque de l'isolement politique et je crois qu'un pays européen ne peut pas courir ce risque longtemps. Et donc, je vous le dis, dans la durée, ces mesures auront leur effet sur le peuple autrichien qui comprendra que son avenir est en Europe avec les démocrates et pas replié sur lui-même avec un gouvernement ambigu.
Q - L'Autriche prend des risques d'isolement, l'Union européenne prend des risques également puisque l'Autriche peut bloquer aussi certains votes lorsqu'il s'agit de vote à l'unanimité.
R - Elle le pourrait de toute façon et je crois que nous ne devons pas céder au chantage, c'est un peu facile. Le gouvernement autrichien peut effectivement faire deux paris, il peut faire le pari de la banalisation, autrement dit : bon, voilà, il y aura une petite phase de tension au début et puis après les choses reprendront leur cours ; non, ce n'est pas " business as usual " comme on dit ; et puis, il peut faire un deuxième pari qui est effectivement le pari de la paralysie de l'Union mais ce pari, il pourrait le faire de toute façon. Je n'ai jamais cru que la faiblesse était un gage pour avancer et donc je préfère encore une fois la fermeté. Je pense que le gouvernement autrichien au contraire adoptera une sorte de profil bas pour montrer qu'il est un bon Européen. Je fais ce pari-là plutôt que l'autre ; et si le gouvernement autrichien montrait qu'il veut paralyser l'Union européenne, alors nous aurions d'autres mesures à prendre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)
Interview à France-Info le 4 février :
Q - Le nouveau gouvernement autrichien vient donc de prêter serment, c'était il y a quelques secondes, le président Klestil n'a pas pu s'opposer à l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir à Vienne. Nous sommes en ligne avec Pierre Moscovici bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre chargé des Affaires européennes, on a beaucoup entendu depuis quelques jours le monde politique condamner l'arrivée de Jörg Haider, et de ses amis surtout, au pouvoir, des condamnations qui n'ont rien empêché. Alors maintenant au niveau bilatéral déjà, c'est-à-dire dans les relations entre la France et l'Autriche, est-ce que votre gouvernement va travailler tout à fait normalement avec les Autrichiens ?
R - Bien sûr que non, d'ailleurs, les condamnations qui étaient faites les jours derniers honnêtement ne visaient pas ou en tout cas pas seulement à empêcher la formation de ce gouvernement, puisque M. Schüssel avait hélas pris cette décision et que rien ne pouvait le faire reculer. Ces protestations visaient à dire à l'Autriche "attention, si vous faites un gouvernement dans ces conditions ce ne sera pas un gouvernement comme les autres et donc il ne sera pas traité comme les autres". Ils l'ont fait. C'est avec une grande tristesse que je l'enregistre mais ce ne sera pas un gouvernement traité comme les autres dans l'Union européenne et donc, les sanctions qui étaient prévues par la présidence portugaise dès lundi seront appliquées. Cela signifie en clair qu'il n'y aura plus de contacts bilatéraux au niveau des ministres. Autrement dit, aucun ministre autrichien ne sera reçu en France en visite officielle, aucun ministre français ne se rendra symétriquement en Autriche, nous ne soutiendrons aucun candidat autrichien à des postes dans des organisations internationales, nous recevrons les ambassadeurs autrichiens à un niveau très technique et nous n'accepterons pas d'avoir avec eux des relations normales. Bref, ce ne sera pas " business as usual ", nous voulons montrer à l'Autriche qu'elle a choisi effectivement une forme d'isolement politique en Europe et si les choses vont mal, nous sommes prêts, comme l'a dit le président de la République, à faire plus, à prendre d'autres mesures et donc, des attitudes de fermeté, elles doivent s'inscrire dans la durée parce que cette situation est inacceptable et qu'on ne doit pas s'y accoutumer.
Q - Ces petits signes quotidiens, ces signes même fort quotidiens de harcèlement presque des délégations autrichiennes, vous allez maintenir longtemps, peut-être même les faire monter en pression, le président Chirac l'a dit, c'est-à-dire que cela peut aller jusqu'où ?
R - Les traités prévoient plusieurs choses : d'abord, l'article 6 du traité dit que les Européens doivent partager des valeurs fondamentales, et il renvoie à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Cela veut dire que tout ce qui est xénophobie, antisémitisme, racisme est intolérable. Par ailleurs, il y a un autre article du traité, l'article 13 qui dit que le principe de non-discrimination est un principe général, autrement dit, personne ne peut faire l'objet de discrimination du fait de sa race, de sa religion, de ses convictions, ou même de ses préférences sexuelles. Et puis, il y a un article 7 qui dit qu'un pays peut se voir affliger des sanctions qui peuvent aller jusqu'à la suspension s'il conduit des violations graves et persistantes à ces droits. Tout cela veut dire que bien sûr nous ne voulons pas exclure l'Autriche. Nous ne l'excluons pas, l'Autriche est un pays membre de l'Union européenne, elle conserve ses droits mais en même temps l'Autriche doit savoir - et elle en a été avertie auparavant - qu'elle est désormais sous surveillance démocratique et que l'Europe ne tolérera pas de dérapage dans la politique de ce gouvernement.
Q - Quelle valeur accordez-vous, Monsieur Moscovici, à la déclaration solennelle que le président Klestil a fait signer aux deux leaders de cette coalition autrichienne ?
R - C'est mieux que rien et cela témoigne de la part du président d'une volonté de border ou de se border. Mais pour le reste j'avoue que je suis pour l'instant très prudent, voire un peu sceptique, car M. Haider est un spécialiste des dérapages verbaux et plus que cela. Il a pris des positions à plusieurs reprises et pas si vieilles qui sont des positions nostalgiques du nazisme, en tout cas qui marquent un défaut de prise de distance. Lundi encore, il expliquait que tout cela était une excitation dans le poulailler européen avant même que le renard y entre. Voilà le renard dans le poulailler, donc je n'ai aucune confiance en M. Haider. J'avoue du coup que ma confiance en M. Schüssel est pour le moins entamée. C'est un homme que je connais bien et je ne le croyais pas susceptible de pendre ce type d'attitude. Je le regrette encore une fois parce que c'est un homme qui a des qualités. Donc non, cette déclaration me fait un peu penser qu'on a agi comme si vous savez, on dit Paris vaut bien une messe ; la chancellerie vaut bien une déclaration ; à suivre et encore une fois notre vigilance ne se relâchera pas./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2000)