Texte intégral
Nice Matin : Au lendemain du séminaire gouvernemental sur l'emploi dont l'objet était de remobiliser l'ensemble du dispositif gouvernemental de lutte contre le chômage, réitérez-vous l'objectif sur lequel vous vous étiez engagé " personnellement " de ramener le taux de chômage des 10% aujourd'hui à 9% au cours de l'année ?
Jean-Pierre Raffarin : Depuis cette prévision qui reste mon ambition, l'économie mondiale, et donc notre pays, subissent un nouveau choc pétrolier. Il reste que, selon l'UNEDIC et plusieurs instituts, le nombre des demandeurs d'emplois devrait diminuer de 120.000 cette année. Nous pouvons faire encore mieux. Le Gouvernement s'y emploie avec détermination en renforçant notamment ses initiatives en faveur des PME et des emplois de service à la personne. Le nouveau choc pétrolier ne remet donc pas en cause l'objectif que vous rappelez. Il décale, peut- être, sa réalisation de quelques mois.
N.M : Le budget 2005 est construit sur la base d'un taux de croissance de 2,5% que vous avez récemment confirmé. La Commission européenne évoque plutôt 2%. Votre ministre de l'économie, M. Thierry Breton place son estimation entre 2 et 2,5% qui croire ?
J-P.R : Les déboires des experts dans les dernières années incitent à la prudence. C'est seulement en 2003 qu'on a intégré la rupture exceptionnelle de croissance qui nous a fait basculer d'un taux supérieur à 4% en 2000 à seulement 1% en 2002. Pour 2004, les experts évoquaient 1,7% de croissance. Nous avons fait presque un point de mieux. Les pessimistes n'ont donc pas toujours raison ! Ainsi une fourchette comprise entre 2 et 2,5% est effectivement raisonnable.
N.M : Pensez-vous dans ce cadre pouvoir être en mesure de remplir l'engagement du Président de la République en matière d'impôts ?
J-P.R : Nous avons déjà baissé l'impôt sur le revenu de plus de 10% depuis 2002...
N.M : Il vous en reste donc 20%.
J-P.R : L'orientation est maintenue. Nous déciderons en fonction du rythme de l'activité économique.
N.M : Pensez-vous que cette politique de réduction d'impôt est une stratégie payante en matière de croissance ?
J-P.R : Notre politique est globale. Nous actionnons tous les leviers possibles. Le premier est la consommation. Aucun gouvernement depuis 25 ans n'a autant augmenté le SMIC que le mien. En trois ans, nous l'avons augmenté de l'équivalent d'un 13ème mois. Cette année, nous garantissons le maintien du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Toujours pour favoriser la consommation, nous nous attachons à développer l'intéressement des salariés et le déblocage des revenus tirés de la participation, nous luttons contre les marges excessives de la grande distribution en améliorant la loi Galland... Le second levier est l'investissement que nous soutenons notamment par l'exonération de taxe professionnelle avant qu'un nouveau dispositif, plus favorable à notre industrie, ne soit arrêté pour 2006. Nous soutenons aussi nos exportateurs, grands et petits, pour apporter du travail en France : c'est le but de mon voyage en Chine la semaine prochaine.
N.M : Précisément, on assiste à une forte montée de la pression fiscale dans les collectivités locales. Les Régions à la tête desquelles ont été élus des responsables socialistes invoquent la décentralisation qui les obligerait à augmenter l'impôt...
J-P.R. : Il est absurde de justifier l'augmentation des impôts régionaux par la décentralisation. Regardez le département des Alpes-Maritimes présidé par Christian Estrosi, et comparez avec la politique fiscale de votre région. Les transferts de compétences seront compensés à l'euro près, comme je l'ai fait inscrire dans la Constitution. Les socialistes ont cherché à repasser " leur mistigri fiscal " au gouvernement ; la manuvre était trop voyante pour réussir. N'est-ce pas décevant d'entendre les héritiers de Defferre et de Mauroy transformer la décentralisation en une bataille idéologique, dans un front anti-gouvernemental ? La décentralisation consiste à prendre les décisions au plus près des citoyens ; au contraire, les socialistes recentralisent en prenant leurs décisions, notamment fiscales, à Paris, au siège du PS.
N.M : Au fur et à mesure que l'on s'approche du Lundi de Pentecôte, jusqu'alors férié, l'approbation quasi générale qu'avait rencontrée votre initiative de le rendre " jour ouvrable " s'érode. Les réticences sont de plus en plus marquées. Dans ces conditions n'était- il pas possible de trouver les deux milliards que vont rapporter cette journée de travail à la solidarité aux personnes âgées et handicapées par des économies faites ailleurs dans la dépense publique ?
J-P.R : La journée nationale de solidarité est un appel à la fraternité et à la générosité face à des problèmes majeurs qui se poseront de plus en plus à nos sociétés, tels que le vieillissement de la population et ses conséquences sur la dépendance, mais aussi la légitime compensation pour les personnes handicapées... J'en appelle à l'engagement personnel de chaque Français. Comment penser que le pays aurait pu surmonter ses nouveaux défis sociaux en s'engageant en solitaire et systématiquement sur la baisse du temps de travail ? Ce lundi 16 mai créera une richesse annuelle supplémentaire de 2 milliards d'euros, intégralement destinée aux personnes âgées et aux personnes handicapées pour développer leur autonomie et améliorer les dispositifs d'accueil et de soins. Cette journée de fraternité apportera l'équivalent de 20 téléthons annuels ! Jean Léonetti présidera le Comité d'évaluation que j'ai décidé de créer auprès de moi.
N.M : Quel bilan tirez-vous du plan cancer ?
J-P.R : Depuis deux ans nous avons généralisé le dépistage organisé du cancer du sein et lancé celui du cancer colorectal. La lutte contre le tabagisme actif et passif a été engagée sur tous les fronts. Nous avons réussi une première étape très importante en rassemblant les énergies grâce à l'Institut national du cancer présidé par le professeur David Khayat pour mettre en réseau tous les acteurs publics et privés qui luttent contre le cancer, mais aussi tous les savoirs et tous les moyens. Le deuxième élément, ce sont 7 cancéropoles qui seront, dans trois ans, opérationnels. Je salue l'engagement de toutes les équipes niçoises, médicales, scientifiques et universitaires, qui est exemplaire. Enfin, nous allons coordonner nos efforts avec nos partenaires européens.
N.M : Comment expliquez-vous que, depuis trois semaines, les sondages donnent une majorité de " non " au Traité constitutionnel européen ?
J-P.R : Parce que l'idée européenne a toujours fait débat en France. Souvenons-nous du résultat très serré pour le traité de Maastricht en 1992. Certains Français pensent que l'Etat-Nation peut davantage les protéger que l'Europe. Le problème est que l'Etat-Nation aujourd'hui n'a pas la puissance suffisante pour résister aux forces concurrentes qui, elles, ont la dimension de continents. Les Etats-Unis font alliance avec le Canada et le Mexique pour créer une zone économique unifiée. La Chine connaît une croissance qui, à elle seule, fait monter les prix mondiaux du pétrole, de l'acier... L'isolement n'est pas une liberté mais une dépendance. Voter oui, c'est voter pour une France forte dans une Union européenne qui est aujourd'hui seule capable de tenir tête aux grandes puissances économiques mondiales.
N.M : On se préoccupe légitimement d'un " non " français en oubliant que d'autres " non " au Traité sont possibles et, notamment, un " non " anglais. Est-ce que cela change les données du problème ?
J-P.R : C'est une raison supplémentaire de voter " oui ". Depuis longtemps, il y a en Europe une compétition entre le modèle anglo-saxon et le modèle disons franco-allemand. Le nouveau Traité constitutionnel est d'inspiration franco-allemande : il donne enfin à l'Europe la dimension politique qui lui manquait, il respecte le rôle des Etats. Chaque Français y retrouvera les valeurs et les principes auxquels notre pays est traditionnellement attaché : pour la première fois, le traité reconnaît les services publics d'intérêt général, parle de cohésion territoriale, consacre des droits sociaux fondamentaux, la protection de l'environnement. Il est très inspiré par l'humanisme français. Les anglo-saxons s'accommoderaient d'une Europe purement économique, alignée sur les Etats-Unis. Voter oui, c'est se prononcer pour une Europe qui soit plus démocratique que bureaucratique, plus politique que financière, plus alliée qu'alignée.
N.M : Vous avez insisté sur le fait qu'avec ce référendum, il ne s'agissait pas de juger l'action de votre gouvernement. Néanmoins, si c'est " non " on ne pourra s'empêcher d'y voir une mise en cause de cette action.
J-P.R : Je ne suis pas quelqu'un qui s'accroche au pouvoir. Mes moteurs sont la confiance du Président et le soutien de ma majorité. Mais je tiens à rappeler que la question posée au référendum porte sur la constitution européenne et non sur la politique intérieure. Même l'opposition reconnaît que cette consultation n'a pas pour enjeu l'alternance. Le Président Jacques Chirac a clairement souligné que ce référendum n'était pas un plébiscite. Le référendum du 21ème siècle pourrait être plus fréquent afin que la démocratie participative, celle de tous les citoyens, équilibre la démocratie représentative. Pour cela, la seule réponse qui vaille est celle relative à la question posée. En ce sens, la comparaison avec le référendum de 1969 n'est pas pertinente, puisque le général de Gaulle ajoutait dans la question l'enjeu de sa démission. N'anticipons pas les grandes échéances nationales de 2007.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 avril 2005)
Jean-Pierre Raffarin : Depuis cette prévision qui reste mon ambition, l'économie mondiale, et donc notre pays, subissent un nouveau choc pétrolier. Il reste que, selon l'UNEDIC et plusieurs instituts, le nombre des demandeurs d'emplois devrait diminuer de 120.000 cette année. Nous pouvons faire encore mieux. Le Gouvernement s'y emploie avec détermination en renforçant notamment ses initiatives en faveur des PME et des emplois de service à la personne. Le nouveau choc pétrolier ne remet donc pas en cause l'objectif que vous rappelez. Il décale, peut- être, sa réalisation de quelques mois.
N.M : Le budget 2005 est construit sur la base d'un taux de croissance de 2,5% que vous avez récemment confirmé. La Commission européenne évoque plutôt 2%. Votre ministre de l'économie, M. Thierry Breton place son estimation entre 2 et 2,5% qui croire ?
J-P.R : Les déboires des experts dans les dernières années incitent à la prudence. C'est seulement en 2003 qu'on a intégré la rupture exceptionnelle de croissance qui nous a fait basculer d'un taux supérieur à 4% en 2000 à seulement 1% en 2002. Pour 2004, les experts évoquaient 1,7% de croissance. Nous avons fait presque un point de mieux. Les pessimistes n'ont donc pas toujours raison ! Ainsi une fourchette comprise entre 2 et 2,5% est effectivement raisonnable.
N.M : Pensez-vous dans ce cadre pouvoir être en mesure de remplir l'engagement du Président de la République en matière d'impôts ?
J-P.R : Nous avons déjà baissé l'impôt sur le revenu de plus de 10% depuis 2002...
N.M : Il vous en reste donc 20%.
J-P.R : L'orientation est maintenue. Nous déciderons en fonction du rythme de l'activité économique.
N.M : Pensez-vous que cette politique de réduction d'impôt est une stratégie payante en matière de croissance ?
J-P.R : Notre politique est globale. Nous actionnons tous les leviers possibles. Le premier est la consommation. Aucun gouvernement depuis 25 ans n'a autant augmenté le SMIC que le mien. En trois ans, nous l'avons augmenté de l'équivalent d'un 13ème mois. Cette année, nous garantissons le maintien du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Toujours pour favoriser la consommation, nous nous attachons à développer l'intéressement des salariés et le déblocage des revenus tirés de la participation, nous luttons contre les marges excessives de la grande distribution en améliorant la loi Galland... Le second levier est l'investissement que nous soutenons notamment par l'exonération de taxe professionnelle avant qu'un nouveau dispositif, plus favorable à notre industrie, ne soit arrêté pour 2006. Nous soutenons aussi nos exportateurs, grands et petits, pour apporter du travail en France : c'est le but de mon voyage en Chine la semaine prochaine.
N.M : Précisément, on assiste à une forte montée de la pression fiscale dans les collectivités locales. Les Régions à la tête desquelles ont été élus des responsables socialistes invoquent la décentralisation qui les obligerait à augmenter l'impôt...
J-P.R. : Il est absurde de justifier l'augmentation des impôts régionaux par la décentralisation. Regardez le département des Alpes-Maritimes présidé par Christian Estrosi, et comparez avec la politique fiscale de votre région. Les transferts de compétences seront compensés à l'euro près, comme je l'ai fait inscrire dans la Constitution. Les socialistes ont cherché à repasser " leur mistigri fiscal " au gouvernement ; la manuvre était trop voyante pour réussir. N'est-ce pas décevant d'entendre les héritiers de Defferre et de Mauroy transformer la décentralisation en une bataille idéologique, dans un front anti-gouvernemental ? La décentralisation consiste à prendre les décisions au plus près des citoyens ; au contraire, les socialistes recentralisent en prenant leurs décisions, notamment fiscales, à Paris, au siège du PS.
N.M : Au fur et à mesure que l'on s'approche du Lundi de Pentecôte, jusqu'alors férié, l'approbation quasi générale qu'avait rencontrée votre initiative de le rendre " jour ouvrable " s'érode. Les réticences sont de plus en plus marquées. Dans ces conditions n'était- il pas possible de trouver les deux milliards que vont rapporter cette journée de travail à la solidarité aux personnes âgées et handicapées par des économies faites ailleurs dans la dépense publique ?
J-P.R : La journée nationale de solidarité est un appel à la fraternité et à la générosité face à des problèmes majeurs qui se poseront de plus en plus à nos sociétés, tels que le vieillissement de la population et ses conséquences sur la dépendance, mais aussi la légitime compensation pour les personnes handicapées... J'en appelle à l'engagement personnel de chaque Français. Comment penser que le pays aurait pu surmonter ses nouveaux défis sociaux en s'engageant en solitaire et systématiquement sur la baisse du temps de travail ? Ce lundi 16 mai créera une richesse annuelle supplémentaire de 2 milliards d'euros, intégralement destinée aux personnes âgées et aux personnes handicapées pour développer leur autonomie et améliorer les dispositifs d'accueil et de soins. Cette journée de fraternité apportera l'équivalent de 20 téléthons annuels ! Jean Léonetti présidera le Comité d'évaluation que j'ai décidé de créer auprès de moi.
N.M : Quel bilan tirez-vous du plan cancer ?
J-P.R : Depuis deux ans nous avons généralisé le dépistage organisé du cancer du sein et lancé celui du cancer colorectal. La lutte contre le tabagisme actif et passif a été engagée sur tous les fronts. Nous avons réussi une première étape très importante en rassemblant les énergies grâce à l'Institut national du cancer présidé par le professeur David Khayat pour mettre en réseau tous les acteurs publics et privés qui luttent contre le cancer, mais aussi tous les savoirs et tous les moyens. Le deuxième élément, ce sont 7 cancéropoles qui seront, dans trois ans, opérationnels. Je salue l'engagement de toutes les équipes niçoises, médicales, scientifiques et universitaires, qui est exemplaire. Enfin, nous allons coordonner nos efforts avec nos partenaires européens.
N.M : Comment expliquez-vous que, depuis trois semaines, les sondages donnent une majorité de " non " au Traité constitutionnel européen ?
J-P.R : Parce que l'idée européenne a toujours fait débat en France. Souvenons-nous du résultat très serré pour le traité de Maastricht en 1992. Certains Français pensent que l'Etat-Nation peut davantage les protéger que l'Europe. Le problème est que l'Etat-Nation aujourd'hui n'a pas la puissance suffisante pour résister aux forces concurrentes qui, elles, ont la dimension de continents. Les Etats-Unis font alliance avec le Canada et le Mexique pour créer une zone économique unifiée. La Chine connaît une croissance qui, à elle seule, fait monter les prix mondiaux du pétrole, de l'acier... L'isolement n'est pas une liberté mais une dépendance. Voter oui, c'est voter pour une France forte dans une Union européenne qui est aujourd'hui seule capable de tenir tête aux grandes puissances économiques mondiales.
N.M : On se préoccupe légitimement d'un " non " français en oubliant que d'autres " non " au Traité sont possibles et, notamment, un " non " anglais. Est-ce que cela change les données du problème ?
J-P.R : C'est une raison supplémentaire de voter " oui ". Depuis longtemps, il y a en Europe une compétition entre le modèle anglo-saxon et le modèle disons franco-allemand. Le nouveau Traité constitutionnel est d'inspiration franco-allemande : il donne enfin à l'Europe la dimension politique qui lui manquait, il respecte le rôle des Etats. Chaque Français y retrouvera les valeurs et les principes auxquels notre pays est traditionnellement attaché : pour la première fois, le traité reconnaît les services publics d'intérêt général, parle de cohésion territoriale, consacre des droits sociaux fondamentaux, la protection de l'environnement. Il est très inspiré par l'humanisme français. Les anglo-saxons s'accommoderaient d'une Europe purement économique, alignée sur les Etats-Unis. Voter oui, c'est se prononcer pour une Europe qui soit plus démocratique que bureaucratique, plus politique que financière, plus alliée qu'alignée.
N.M : Vous avez insisté sur le fait qu'avec ce référendum, il ne s'agissait pas de juger l'action de votre gouvernement. Néanmoins, si c'est " non " on ne pourra s'empêcher d'y voir une mise en cause de cette action.
J-P.R : Je ne suis pas quelqu'un qui s'accroche au pouvoir. Mes moteurs sont la confiance du Président et le soutien de ma majorité. Mais je tiens à rappeler que la question posée au référendum porte sur la constitution européenne et non sur la politique intérieure. Même l'opposition reconnaît que cette consultation n'a pas pour enjeu l'alternance. Le Président Jacques Chirac a clairement souligné que ce référendum n'était pas un plébiscite. Le référendum du 21ème siècle pourrait être plus fréquent afin que la démocratie participative, celle de tous les citoyens, équilibre la démocratie représentative. Pour cela, la seule réponse qui vaille est celle relative à la question posée. En ce sens, la comparaison avec le référendum de 1969 n'est pas pertinente, puisque le général de Gaulle ajoutait dans la question l'enjeu de sa démission. N'anticipons pas les grandes échéances nationales de 2007.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 avril 2005)