Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur l'organisation économique du secteur fruitier, légumier et horticole, ses relations commerciales avec la grande distribution, la facilitation de l'emploi d'une main d'oeuvre étrangère saisonnière, Paris le 13 avril 2005.

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Circonstance : Congrès FELCOOP (Fédération française de la coopération fruitière légumière et horticole) à Paris le 13 avril 2005

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
J'ai plaisir à participer, Monsieur le Président, pour la première fois à votre congrès en cette période où le monde agricole connaît des évolutions majeures. La coopération, dont les performances sont remarquables, témoigne de la conciliation possible de la réussite économique et du respect de valeurs essentielles, et qui fonde un modèle économique humaniste.
C'est pourquoi je me réjouis des mesures contenues dans le projet de loi d'orientation agricole présenté d'ores et déjà au Conseil économique et social la semaine passée. Elles devraient conforter votre action et, au-delà, l'ensemble de votre secteur d'activité : fruits, légumes, horticulture...
Notre moteur doit être la recherche de la compétitivité pour préserver et même améliorer la place de nos producteurs sur le marché français et international, c'est-à-dire garantir les revenus des exploitants et des salariés et, bien entendu, l'emploi. J'ajoute que, présent sur une grande partie du territoire - dans des zones rurales éloignées ou bien dans des zones périurbaines -, la filière de production des fruits et légumes et horticole concourt à un développement équilibré de l'ensemble de nos territoires.
L'amélioration de la compétitivité de la coopération dans votre secteur s'articule autour de trois axes que je déclinerai :
- une organisation économique efficace ;
- l'allègement des charges et la modernisation de l'outil de production ;
- la prévention et la gestion des crises.
I - Une filière économiquement efficace reposant sur une coopération forte et une interprofession structurée
I - 1 Une coopération renforcée
Je tiens à saluer la réflexion engagée par le mouvement coopératif sur la nécessaire modernisation des statuts et de la gouvernance des entreprises coopératives. Ce travail ainsi que celui mené parallèlement par François GUILLAUME, Député de Meurthe et Moselle, ont jeté les bases de la réflexion pour le projet de loi d'orientation agricole.
Une clarification et une actualisation s'imposent pour mettre en cohérence le statut de la coopération agricole avec, notamment, les évolutions législatives récentes intervenues dans le droit commun des sociétés. Ces modifications, qui concerneront par exemple les règles de fonctionnement, de direction et d'administration des sociétés coopératives agricoles, assureront une plus grande transparence dans la gouvernance des groupes coopératifs ainsi qu'une mise en uvre modernisée de leurs opérations de restructuration juridique. Ces adaptations interviennent tout en conservant les spécificités, la modernité et le dynamisme des coopératives agricoles.
La loi d'orientation agricole améliorera les relations financières avec les adhérents. Elle rendra obligatoire une décision de l'assemblée générale annuelle sur la rémunération du capital social et ouvrira la possibilité de créer des parts à intérêt prioritaire pour les associés qui souhaitent participer au développement des filières.
Un Haut Conseil de la Coopération Agricole sera créé. Instance unique chargée de connaître de l'ensemble des problématiques du secteur, il constituera un médiateur entre les adhérents et leur coopérative.
L'ensemble de ces mesures tend à favoriser une meilleure implication de l'adhérent dans sa coopérative et à réaffirmer l'importance de la coopération agricole pour structurer l'amont agricole et les territoires.
I - 2 Une interprofession restructurée
Dans le cadre de la loi d'orientation agricole, l'organisation de la filière doit être renforcée de façon à sécuriser le revenu des exploitants en stabilisant les prix. Le Gouvernement propose ainsi d'inciter à un meilleur regroupement de l'offre et de développer les missions des structures interprofessionnelles. Concernant la coopération, outre la rénovation du statut que j'ai évoquée préalablement, le transfert de propriété du producteur vers l'organisation de producteurs doit être encouragé.
· S'agissant de l'horticulture, depuis 2002, une réflexion était engagée pour permettre à VAL'HOR de remplir pleinement son rôle.
Cette concertation a débouché sur la signature de l'accord interprofessionnel le 12 novembre 2004, qui constitue à mes yeux une belle réussite. L'extension de cet accord devrait intervenir très prochainement.
· S'agissant des fruits et légumes frais, chacun doit s'engager pour que la profession se renforce et que les différents partenaires trouvent des réponses aux difficultés traversées actuellement par INTERFEL.
Il est nécessaire pour la filière fruits et légumes que l'interprofession fonctionne de manière optimale. Les réalisations d'INTERFEL en matière de promotion de la consommation, à travers les actions d'APRIFEL, et en matière d'adaptation de l'offre aux demandes du consommateur constituent des enjeux majeurs pour le secteur. Peut-être faudra-t-il recentrer les missions d'INTERFEL sans l'impliquer dans la gestion des crises.
Les pouvoirs publics, comme les familles membres de l'interprofession, doivent remobiliser INTERFEL autour d'un projet commun. Une mission interne est décidée à INTERFEL à cet effet et je m'en félicite. Je souhaite aujourd'hui vous dire combien je suis convaincu de l'utilité d'un dialogue interprofessionnel efficace au-delà des dispositions législatives que je propose dans la loi d'orientation agricole.
II - Alléger les charges et favoriser la modernisation de l'outil de production
II - 1 Les mélanges phytosanitaires sont simplifiés
J'ai souhaité simplifier les règles s'appliquant aux mélanges de produits phytosanitaires utilisés par les agriculteurs. L'objectif est de trouver un équilibre entre le traitement des cultures contre les insectes nuisibles, les maladies et les mauvaises herbes, et le respect de la santé de l'homme et de son environnement, en responsabilisant les exploitants.
Le nouveau dispositif, opérationnel dès la fin du mois d'avril prochain, est articulé autour de deux axes :
- Les mesures de restriction seront maintenues aux cas nécessaires à la préservation de la santé publique et de l'environnement. Les mélanges de produits phytosanitaires particulièrement toxiques, soit environ 5% des mélanges utilisés, seront interdits sauf évaluation scientifique, au cas par cas.
- Les autres associations de produits, soit 95% des mélanges pratiqués sur le terrain, ne seront plus soumises à enregistrement. Leur utilisation sera encadrée par des guides de bonne pratique adaptés à chaque type de culture. Ces guides seront validés scientifiquement, puis diffusés auprès des agriculteurs.
En contrôlant strictement les associations de produits potentiellement dangereux, ce nouveau dispositif permet également de garantir la sécurité de l'agriculteur au moment du traitement et de fixer des bonnes pratiques agronomiques au niveau national.
II - 2 L'emploi : plus de souplesse dans l'introduction de main d'uvre étrangère et charges sociales
Le secteur des coopératives de fleurs, fruits et légumes est un secteur riche en emplois puisqu'en 2001 les statistiques de la caisse centrale de mutualité sociale agricole dénombraient près de 26 000 salariés dans ce secteur représentant 10 700 équivalents temps plein.
· L'importance des activités saisonnières dans les productions agricoles nécessite souvent le recours à la main-d'uvre étrangère. Toutefois, une telle possibilité ne doit pas bouleverser le marché de l'emploi dans notre pays.
C'est pourquoi la France s'est dotée d'un système de maîtrise de l'introduction de la main-d'uvre étrangère fondé sur des accords bilatéraux, maintenus à titre transitoire avec les nouveaux pays entrés dans l'Union européenne. Concernant les nouveaux pays de l'Union européenne, la France a souhaité maintenir pendant cinq ans le régime des autorisations.
Avec Gérard LARCHER, Ministre du travail, nous avons signé, le 2 mars dernier, une circulaire introduisant une plus grande souplesse dans l'arrivée des travailleurs saisonniers agricoles en 2005, afin, d'une part, de ne pas favoriser le recours, souvent irrégulier, aux sociétés de prestations de services et, d'autre part, de favoriser la fidélisation du personnel aux employeurs qui leur offrent de bonnes conditions de travail, de logement et de rémunération.
Cette maîtrise de l'immigration reste fondée sur l'autorisation d'introduction au cas par cas, pour les pays hors Union européenne ayant passé un accord avec la France.
· Par ailleurs, s'agissant des distorsions de concurrence liées au coût de la main d'uvre dans des secteurs comme la production de fleurs, fruits et légumes pour lesquels ce coût est un élément concurrentiel décisif, Jacques LE GUEN, Député du Finistère, doit remettre ses propositions au Premier Ministre d'ici le 30 avril après avoir étudié la situation chez nos principaux partenaires.
· Enfin, s'agissant des 35h, vous savez que la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise a été adoptée le 22 mars dernier. Ses principales dispositions constituent un nouvel assouplissement des règles relatives à la durée du travail directement applicable aux exploitations et entreprises agricoles à une exception près.
Le régime du compte épargne-temps permet désormais, par accord collectif de branche ou d'entreprise, de rémunérer le salarié de façon immédiate ou différée (plan d'épargne retraite, plan d'épargne d'entreprise). Le texte permet également que les droits soient acquis sans limitation de durée. Ces dispositions sont d'application directe dans les professions agricoles et correspondent à une demande de la profession exprimée par la FNSEA et que le ministère a relayé. Ce dispositif peut permettre de gérer les fins de carrière ou d'éviter de perturber la vie des exploitations par la monétisation du temps épargné.
Les accords collectifs de branche ou d'entreprise peuvent prévoir des "heures choisies", c'est-à-dire des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent conventionnel par les salariés qui le souhaitent. L'application de cette disposition aux professions agricoles nécessitera une disposition législative spécifique que je m'engage à mettre en uvre dans la loi d'orientation agricole.
Pour les entreprises de moins de vingt salariés, nombreuses en agriculture, la première heure supplémentaire ne sera pas prise en compte dans le contingent d'heures supplémentaires.
II - 3 La modernisation des outils de production
La modernisation des outils de production est une condition du maintien de la compétitivité des exploitations.
La Commission européenne participait déjà à hauteur de 25 % aux aides pour les actions d'investissements dans les serres et de rénovation du verger en complément du budget national mis en uvre par l'ONIFLHOR. Afin de conforter ces interventions pour le secteur arboricole et pour le secteur légumier, à ma demande, la Commission a accepté que soit porté le taux de cofinancement du Programme de Développement Rural National de 25 % est porté à 50 %.

III - La prévention et la gestion des crises
III - 1 L'Organisation Commune de Marché (OCM) fruits et légumes et le rapport sur la gestion des crises
Lors des débats qui se sont déroulés en Conseil des Ministres à la fin de l'année 2004, la France, à l'instar de la plupart des autres Etats membres de l'UE, a rappelé qu'elle est favorable au maintien des principes de l'OCM actuelle.
En dépit du report annoncé il y a quelques semaines de la réforme de l'OCM des fruits et légumes en 2006 par Mariann FISCHER BOEL, des améliorations sont nécessaires. D'une part, l'organisation commune de marché doit être simplifiée de manière à sécuriser les organisations de producteurs ; d'autre part, elle doit être davantage orientée vers le marché. Enfin, les réformes des produits frais et transformés seraient réalisées de manière conjointe.
Nous nous mobilisons pour la recherche de solutions opérationnelles concernant l'application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée, qui devra trouver une solution dans l'attente de la future réforme.
S'agissant des produits transformés, le succès économique de la filière passe par l'obtention d'une masse critique suffisante de produits et d'industries efficaces. La Commission étant favorable à un découplage de l'aide aux produits transformés, il convient de rallier nos partenaires à notre position qui lie " aide et produit ". Le secteur de la tomate d'industrie doit être traité au mieux. Et j'ai l'intention de renouveler notre demande d'une aide au secteur du bigarreau d'industrie, portée à maintes reprises à la Commission.
La réforme de l'OCM des fruits et légumes devrait aboutir à mieux connaître la production avant de conduire des interventions sur les marchés. Il faut aujourd'hui aller plus loin pour envisager des mécanismes d'intervention de crise.
La Commission a présenté le 14 mars devant le Conseil des Ministres de l'Agriculture une communication présentant les pistes retenues pour la gestion des risques et des crises dans le secteur agricole. Elles marquent un rapprochement des positions communautaires avec celle de la France selon trois directions :
- l'appui au dispositif d'assurance récolte ;
- le soutien aux caisses de mutualisation permettant aux agriculteurs de mobiliser, en période de crise, des fonds épargnés lors des phases plus favorables de production et de commercialisation ;
- un dispositif de maintien des revenus en période de crise conjoncturelle.
Madame FISCHER-BOEL s'est engagée à approfondir ce dossier pour une présentation fin mai. A la demande de la France, des mesures complémentaires dans certains secteurs de production, notamment celui des fruits et légumes seront alors proposées.
III - 2 La loi sur le développement des territoires ruraux encadre les relations commerciales avec la distribution
La concentration de la grande distribution et la disproportion de la taille des partenaires commerciaux en présence (600 000 exploitations agricoles, quelques milliers de PME agroalimentaires et 5 centrales d'achat) posent le problème structurel du rapport de force opposé aux fournisseurs et du partage de la valeur ajoutée dans les filières.
L'accord du 17 juin 2004 vise à encourager une baisse durable des prix de vente au consommateur, grâce à la mise en place de dispositifs particuliers, pour le secteur agricole et précisément pour les fruits et légumes frais, encadrant les remises, rabais et ristournes ainsi que la coopération commerciale.
A la suite des travaux de la commission CANIVET et du groupe présidé par Luc CHATEL, Député de la Haute Marne, des pistes ont été ouvertes afin d'aménager les relations commerciales entre producteurs et distributeurs. La loi sur le développement des territoires ruraux a concrétisé un certain nombre de ces dispositions :
- un encadrement de l'annonce de prix dans la publicité, hors lieu de vente, concernant les fruits et légumes frais, désormais durable car conforme à la réglementation européenne ;
- l'encadrement des remises, rabais et ristournes et de la rémunération des services de coopération commerciale est également acquis pour vos filières ;
- enfin, la répercussion de la baisse de prix d'achat aux fournisseurs, de façon volontaire ou par le biais d'un coefficient multiplicateur, est rendu possible pour les secteurs des fruits et légumes périssables. La notion de crise, pour servir de référence au déclenchement de certains outils, doit encore être précisée. L'administration a également la possibilité de poursuivre pour délit les pratiques de prix abusivement bas.
En étroite concertation avec vous, nous rédigeons actuellement les textes d'application de ces dispositions. D'ores et déjà, les campagnes 2005 sont préparées avec les professionnels concernés et l'ONIFLHOR pour anticiper les difficultés.
III-3 Le cas spécifique de la banane
Cette filière, confrontée aux difficultés résultant notamment de l'inadaptation du volet interne de l'Organisation commune de marché de la banane, fait l'objet d'une attention toute particulière du Gouvernement.
En premier lieu un " contrat de progrès " sur cinq ans a été signé en juin 2004 entre l'Etat et les professionnels. Ses différents volets se mettent progressivement en uvre avec pour objectif la restructuration des organisations de producteurs, une meilleure maîtrise de la commercialisation et le soutien aux exploitations en difficulté. Ce programme est doté de 25 M de crédits de l'Etat.
A court terme, dans l'attente du plein effet du " contrat de progrès " et de la réforme du volet interne de l'OCM qui a été demandée à la Commission, l'Etat soutient la filière par des mécanismes d'avances du Trésor. Ainsi, 9 M ont été mobilisés fin 2004 et vont être reconduits ; 18 M sont également en cours de versement.
Avec ma collègue Ministre de l'Outre-Mer, j'ai rencontré le 11 avril Marianne FISCHER-BOEL, pour aborder spécifiquement le dossier du complément d'aide compensatoire. Nous avons plaider le versement, cette année, d'un complément le plus élevé possible pour que les efforts accomplis par la filière et les difficultés rencontrées soient pris en considération.

CONCLUSION
J'ai tenté de vous apporter un éclairage sur ma perception des défis relevés par la coopération dans la filière fruits, légumes et horticulture, et mes priorités, naturellement tirées de l'expérience de l'année 2004.
Les préconisations du rapport de Monsieur Jacques MORDANT remis le 31 mars 2004, à la suite d'un large échange avec les professionnels du secteur, a permis de répondre à certaines de vos préoccupations pour renforcer sa compétitivité économique : par exemple, l'introduction de la main d'uvre saisonnière étrangère ou la concentration de l'offre commerciale qui sera inscrite dans la loi d'orientation agricole.
De nombreuses pistes restent à étudier ou à mettre en uvre avec les organisations professionnelles. C'est notamment le cas de l'installation d'un observatoire des marchés reconnu par tous pour prévenir les crises. Au niveau européen, un dispositif de gestion de crise et la création d'outils spécifiques dans la réforme de l'OCM fruits et légumes doivent être finalisés.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 18 avril 2005)