Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le projet de loi référendaire portant approbation du traité établissant une Constitution pour l'Europe, Paris le 5 avril 2005.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
C'est la première fois qu'un Premier ministre s'adresse à vous, en application de l'article 11 de la Constitution, pour vous présenter un projet de loi avant qu'il soit soumis au vote des Françaises et des Français. C'est la première fois en effet qu'il est fait application de cette nouvelle procédure depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui a été voulue par le Président de la République. Cette nouvelle pratique se situe dans la continuité de notre tradition républicaine voulue par le Général de Gaulle dès les débuts de la Vème République en la renforçant : elle montre qu'il n'y a pas concurrence entre représentation du peuple par le Parlement et référendum. La voie parlementaire et la voie référendaire se complètent. Elles ne s'opposent pas.
I - Ce référendum est un moment de vérité car l'Europe ne peut avancer qu'avec les citoyens.
Je vous le rappelle : ce traité ne révise pas les traités existants. Il s'y substitue. (Art. IV - 437)
Pour cette raison, le texte qui sera soumis aux Français le 29 mai prochain et qui vous est présenté aujourd'hui comporte une question : " Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? "
Ce référendum est le dixième référendum national de la Vème République. Il sera le troisième consacré dans notre pays à une question européenne.
Le premier référendum concernait le premier élargissement de la Communauté économique européenne. Le 23 avril 1972, les Français se sont prononcés à une large majorité en faveur du passage de l'Europe des Six à l'Europe des Neuf ; ils ont ratifié l'entrée de trois nouveaux Etats dans la Communauté : le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark. Ce référendum s'est déroulé avec un taux d'abstention de près de 40%, jugé élevé à l'époque, record hélas ! battu depuis.
Le deuxième référendum a eu lieu vingt après, le 20 septembre 1992. Il s'agissait d'approuver le traité établissant l'Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique qui ne s'appelait pas encore l'euro. Ce référendum donna lieu à une campagne passionnée et argumentée. Le résultat, positif, fut acquis avec une marge étroite. Ses conséquences pour les Français en sont durables, concrètes et quotidiennes.
L'Euro est aujourd'hui une réalité, la zone Euro un espace qui protège les deux tiers de notre commerce extérieur et qui nous met, aussi, à l'abri des dévaluations compétitives.
De ces deux référendums, je retiens trois leçons. Il faut s'opposer à l'abstention. Il faut combattre la confusion. Il faut un vrai débat et faire preuve de conviction.
Il faut d'abord s'opposer à l'abstention.
Le référendum est l'expression la plus directe et la plus élevée de la souveraineté populaire. Il est un moment unique de la vie démocratique, puisque c'est aux Français eux-mêmes à qui il appartient de trancher, en arbitre ultime.
Pour cette raison, il vous incombe en tant qu'élus de la nation, il incombe aux élus locaux, il incombe aux membres du gouvernement de rappeler aux Français qu'ils doivent participer à ce référendum. On ne peut à la fois dénoncer le déficit démocratique de l'Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l'organisation démocratique de l'Europe et l'engagement européen de la France.
Le pronostic incertain du résultat de cette consultation engage la responsabilité de chacun. L'indifférence ressemblerait à de l'insouciance. Il faut combattre la confusion.
Un référendum sur l'Europe n'est pas un plébiscite. Il n'est pas, il ne doit devenir ni une motion de confiance ni une motion de censure.
La réponse à la question posée, le oui ou le non, n'appartient ni aux uns ni aux autres. La réponse que nous demandons à chaque Français, c'est une réponse libre, indépendante des considérations partisanes et des échéances électorales. La réponse que nous demandons à chaque Français s'attache à la question posée, à toute la question. La réponse que nous demandons aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd'hui ; elle vaut pour l'avenir. Elle décidera la règle du jeu pour l'action que voudront mener en Europe nos successeurs. Il fallait de nouvelles règles, le traité n'est pas un discours politique c'est un " discours de la méthode ". Notre constitution nationale a permis, dans le temps, la mise en uvre de politiques différentes.
Nous avons besoin d'un vrai débat. Ce référendum sera l'occasion de parler partout en France d'Europe et de parler de la France. Dans ce débat, chacun doit pouvoir s'exprimer sur ce qu'il attend de l'Europe avec sa nouvelle organisation.
La campagne est organisée sur deux plans : celui de l'explication, celui de la conviction. La campagne d'explication d'abord : son organisation relève de la responsabilité du Gouvernement sous l'autorité du Président de la République. Chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe, ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité. Ce projet de loi est précédé, comme tout projet de loi qui vous est soumis, d'un exposé des motifs qui explique l'objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer. L'envoi de ces documents à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
La campagne de conviction est déjà engagée : chacun devra faire son choix. Le " oui " et le " non " sont également respectables. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.
Au terme de cette campagne, personne ne pourra dire qu'il n'a pas été informé, qu'il n'a pas été en mesure de déposer dans l'urne son bulletin de vote de manière libre et éclairée, bref d'exprimer un vote responsable.
II - La Constitution permet à la France de rester à l'avant-garde de l'Europe que nous voulons
J'entends dans le pays des pronostics incertains sur l'adhésion des Français au projet européen. J'entends des rumeurs selon lesquelles cinquante ans de vie commune depuis la création de la Communauté en 1957 auraient sédimenté des malentendus, des incompréhensions, voire des rancoeurs. J'entends des rumeurs de divorce entre le peuple de France et l'idée européenne. J'entends parfois l'isolement présenté comme une liberté alors que l'histoire montre que c'est plutôt une dépendance.
Ces rumeurs ne sont pas surprenantes. Rappelez vous l'étroitesse de la victoire du " oui " au référendum sur le traité de Maastricht.
Puisqu'il est " ouvert " le référendum du 29 mai doit être le moment de parler ouvertement de notre ambition pour l'Europe, sans tabou, mais sans mensonge.
Je le dis devant vous, Mesdames et Messieurs les députés, je le dis aux Français par votre intermédiaire : nous avons besoin de l'Europe ; mais nous avons aussi un désir d'Europe. Nous ne ferons pas progresser l'Europe dans la direction que nous voulons si nous n'avons pas un désir d'Europe. C'est à nous de décider par ce référendum si nous voulons approfondir et poursuivre notre vie commune européenne et lui donner un nouveau sens.
C'est en adoptant la Constitution pour l'Europe que de nombreux Français pourront combler l'écart entre leur idéal de l'Europe et l'Europe qu'ils n'aiment guère, l'Europe qu'ils craignent, l'Europe qu'ils jugent parfois procédurale, bureaucratique, imparfaite ou menaçante. Refuser le traité c'est conserver l'imparfait.
En adoptant la Constitution, la France reste à l'avant-garde de l'Europe que nous voulons. Je le dis aux Français : sur aucun point, on ne peut prétendre que le nouveau traité serait moins bon que les règles actuelles.
Les Français veulent une Europe qui ait une âme : la Constitution est porteuse de valeurs ; elle consacre la charte des droits fondamentaux. Pour la première fois, les Français retrouveront dans le traité les droits auxquels ils sont attachés depuis la Déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 (Art. I. 9). C'est peut-être le premier traité de " l'homme européen ".
Les Français veulent une Europe qui ait un visage : le Conseil européen aura un président stable. Son mandat pourra aller jusqu'à cinq ans. Pour la première fois, les Européens auront face à eux une autorité politique qui assumera la responsabilité politique des décisions de l'Union. (Art. I .22)
Les Français veulent une Europe qui soit un modèle social. Cette Constitution se donne pour objectif le plein emploi, la justice sociale et le progrès social (Art. I. 3) ; elle reconnaît l'importance des services publics sur tout le territoire (Art. 2.96) et le rôle des partenaires sociaux (Art. I.48). Pour la première fois, ceux-ci seront systématiquement consultés avant un sommet européen.
Les Français veulent une Europe qui soit à leur écoute. Pour la première fois, cette Constitution s'ouvre à la société civile (Art.I.47), donne aux Parlements nationaux le pouvoir de contrôler le respect du principe de subsidiarité (Art. I.11). Elle innove avec le droit d'initiative populaire, le droit de pétition (Art. I.47).
Les Français veulent une Europe qui soit écoutée et respectée sur la scène mondiale, une Europe qui les protège des désordres de la mondialisation, une Europe qui crée entre les États membres une solidarité de Sécurité (Art. 1.43) : l'Europe aura son ministre des affaires étrangères (Art. I.28) et renforcera sa défense commune (Art. I.12) ; l'Europe unie se fera entendre. La voix de la France en sera renforcée.
Cette Constitution européenne, c'est l'Europe que les Français veulent : une Europe de la paix et de la sécurité ; une Europe porteuse de valeurs, fidèle à l'humanisme français ; une Europe de progrès et de croissance. Une Europe pour laquelle " le voisinage " n'est pas nécessairement l'adhésion (Art. I.57)
La Constitution européenne ouvre le champ des possibles. C'est pourquoi le référendum n'est pas partisan. Il est pour l'Europe un choix entre une ouverture sur l'avenir et les blocages du présent.
Nouveau traité, nouvelle Europe. Dire oui à la nouvelle Europe, c'est avant tout dire oui à la France. Les Français ont besoin que la France soit forte en Europe.
J'ai confiance dans le vote des Français. J'ai dit que ce référendum était le troisième référendum européen. Il ne sera peut être pas le dernier : les Français seront de nouveau consultés pour arrêter les frontières de l'Europe, pour débattre d'éventuels élargissements de l'Union, issus de futures négociations.
La date du 29 mai sera un moment de vérité, comme chaque fois que la parole est donnée au peuple. Elle donne corps à une Europe plus démocratique et elle perpétue notre tradition républicaine du référendum.
C'est donc une certaine idée de la démocratie européenne qui est en jeu, et c'est pour cela que je demande aux Français de voter le 29 mai et de voter oui à la question que le Président de la République leur a personnellement et collectivement posée. La France a besoin de l'Europe, mais l'Europe a besoin du OUI de la France.
(Source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 7 avril 2005)