Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur la pauvreté et la richesse, sur le capitalisme, sur le manque de logements sociaux, la faiblesse des salaires, son opposition à la Constitution européenne, Lille le 25 février 2005.

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Circonstance : Meeting le vendredi 25 février 2005 à Lille

Texte intégral

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Toyota est sans doute une des entreprises où les différentes méthodes pour exploiter les travailleurs au maximum sont le plus étudiées et le plus systématiquement appliquées. Mais la plupart des travailleurs se reconnaîtront dans la description faite par mon camarade car elle résume ce qui se passe dans toutes les entreprises.
Accroître sans cesse les cadences, l'intensité du travail. User au maximum les travailleurs. Rogner sur les minutes de repos. Imposer des salaires aussi bas que possible. Et, lorsque, étant une grande entreprise soucieuse de son image dans l'opinion publique, on ne veut pas baisser les salaires en-dessous d'un certain seuil, faire appel à des sous-traitants qui, eux, le font.
Oui, ce que vient de décrire mon camarade chez Toyota, ce sont les méthodes pour maximiser leurs profits, à n'importe quel prix. Mais le prix, ce sont les travailleurs qui le paient.
Comme chez Renault, par exemple, ce sont les travailleurs qui paient les 43 % d'augmentation du profit.
Ce sont eux qui paient, des ouvriers sur les chaînes de production jusqu'aux caissières de supermarché qui connaissent, elles aussi, à leur façon, les cadences. Pour elles, s'y ajoute bien souvent la flexibilité poussée jusqu'à l'absurde parfois, lorsque les 6 heures de temps partiel non choisi sont découpées en deux ou trois périodes et réparties tout au long de la journée en fonction de l'afflux des clients ! Voilà d'où viennent les bénéfices des Mammouth, Auchan, Champion, Carrefour et autres super et hypermarchés.
Voilà ce qui est à la base des bénéfices glorieusement annoncés ces temps-ci par toutes les grandes entreprises ! Dans les banques, les profits ont augmenté en moyenne de 25 %. De l'acier aux cosmétiques, en passant par l'agroalimentaire, les entreprises se portent bien. Madame Bettencourt, première fortune de France, actionnaire principale de L'Oréal, a de quoi se réjouir des 143 % d'augmentation des bénéfices de cette société.
Arcelor, devenu le géant de l'acier en fusionnant des entreprises qui avaient fait leur chemin en mettant à la porte des milliers et des milliers d'ouvriers de la sidérurgie, a multiplié ses bénéfices par 9 cette année. Et, malgré ses bénéfices considérables, le trust prévoit de poursuivre la réduction du personnel en ne remplaçant pas les 1 700 départs annuels à la retraite pendant les cinq ans à venir et en fermant d'ici 2010 des usines en Belgique, en Allemagne et ici même. Arcelor n'est pas la seule entreprise qui fait des profits et qui licencie quand même. C'est intolérable avec l'ampleur et la gravité du chômage !
La palme des bénéfices revient à Total. Cette entreprise pollueuse des côtes bretonnes et vendéennes, responsable de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, Total, a réalisé un bénéfice historique de 9 milliards d'euros. Le plus important jamais réalisé en France !
Comparez donc ces chiffres à l'évolution de vos salaires ! Comparez l'accroissement des fortunes que cela représente pour quelques centaines, quelques milliers tout au plus, de gros actionnaires, avec l'aggravation de la pauvreté pour des millions de chômeurs et de précaires !
On dirait que coexistent dans ce pays deux mondes, à des années-lumière l'un de l'autre. Dans l'un, on vit dans un luxe inimaginable pour le commun des mortels, où même un ministre, petit larbin politique pourtant, a pu affirmer qu'il ne connaissait pas le montant du loyer de son modeste 600 m2, loyer tout de même de 14.000 euros, qu'il voulait faire payer par l'État !
Après une cascade de mensonges, Gaymard a fini par démissionner aujourd'hui. Chirac, son protecteur, a du se convaincre que, décidément, il mentait trop mal pour pouvoir rester ministre.
Ce scandale lève au moins un petit coin du voile sur ces politiciens qui nous prêchent l'austérité et les économies alors qu'ils doublent leur salaire avec des avantages en nature payés par les contribuables.
Mais ce qui est un autre scandale, social celui-là, que personne ne dénonce, c'est qu'il y a dans les quartiers chics de la capitale ou dans ses faubourgs huppés des centaines de logements plus vastes encore et plus chers que celui convoité par Gaymard. Leurs propriétaires ou locataires n'ont même pas besoin de se le faire payer par l'État parce qu'ils ont largement de quoi le faire sur leurs revenus ! Le directeur général de l'entreprise Dassault système, champion cette année des managers et des hauts cadres les mieux payés, touche une rémunération de près de 2 millions d'euros par mois (brute, tout de même !) Le loyer de Gaymard représente donc moins de 1 % des revenus mensuels de cet homme. Que doit alors empocher la famille Dassault qui le paye ?
Voilà leur monde, le monde des riches !
Et puis, il y a l'autre monde, où quand on ne sait pas quel est le montant de son loyer, c'est parce qu'on n'a pas de logement. Un autre monde où, même parmi ceux qui ont un travail stable, un travailleur sur sept gagne moins que le SMIC.
Oui, il s'agit du même monde. Et c'est précisément la pauvreté des uns qui fait la richesse des autres.
On nous dit qu'il faut que les entreprises se développent et que leur fonction est de faire du profit. Mais à quoi leur sert ce profit ? A investir dans des usines ? Dans des machines nouvelles ? Pour créer des emplois ? Pour produire à meilleur marché, grâce à une mécanisation supérieure ? Non ! A enrichir les actionnaires.
Voilà à quoi aboutissent les efforts et les sacrifices des travailleurs. Et ce qui n'est pas distribué aux propriétaires et aux actionnaires sert à racheter des entreprises déjà existantes. Des trusts sont rachetés par d'autres pour créer des trusts plus gigantesques encore. Et l'absorption faite, on restructure, c'est-à-dire on licencie. C'est une économie de plus en plus folle au seul profit des possesseurs de capitaux.
Alors, si les gros actionnaires, si les riches ont des raisons de se réjouir à l'annonce de ces chiffres, les travailleurs, eux, n'en ont aucune.
Ces profits ne se traduisent même pas par une amélioration pour la société. Il y a toujours plus de profits, mais pas plus d'argent pour la santé publique, pour l'Éducation nationale, pour les transports collectifs. C'est l'inverse : ils nous imposent des économies sur tout ce qui est utile à la vie sociale, afin d'accorder plus aux entreprises.
Pour que quelques centaines de milliers de gros actionnaires puissent toucher des dividendes de plus en plus élevés, pour que les dynasties bourgeoises se retrouvent à la tête de richesses de plus en plus phénoménales, on pousse vers la pauvreté de plus en plus de travailleurs, on démantèle les services publics et on ruine toute la vie sociale. Et cela, on ne doit pas l'accepter !
Voilà le mécanisme de leur économie. C'est le mécanisme naturel, si on peut dire, qui fonctionne tout seul. Il écrase impitoyablement ceux qui travaillent pour enrichir ceux qui monopolisent la propriété des grandes entreprises.
Et l'État ne cherche pas à compenser un tant soit peu cette inégalité, cette injustice fondamentale. Au contraire, il l'aggrave car toutes les mesures prises par le gouvernement vont dans le sens de favoriser encore et toujours les riches.
La dernière en date des attaques du gouvernement contre les travailleurs est la nouvelle loi sur le temps de travail qui a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale. C'est une crapulerie.
La loi Aubry n'était certes pas cette avancée sociale que nous présentent les dirigeants du Parti socialiste. Comment oublier que cette loi, si elle apportait aux travailleurs une réduction de leur horaire légal de travail, leur a, aussi, imposé la flexibilité des horaires, l'annualisation du temps de travail, le blocage des salaires ? Sans même parler de l'intensification du rythme du travail car, partout où ils le pouvaient, les patrons s'efforçaient de faire sortir la même production en moins d'heures travaillées ?
Et puis, sous prétexte de dédommager les patrons, la loi Aubry leur accordait des subventions, au détriment notamment du budget de la Sécurité sociale. Ce n'est pas la réduction du temps de travail qui a coûté cher, ce sont les sommes versées aux patrons !
Mais enfin, il y avait au moins la réduction du temps de travail ! Encore faut-il préciser qu'il y avait tellement d'exceptions prévues que quatre millions de travailleurs, celles et ceux notamment des petites entreprises, n'en ont jamais bénéficié !
La nouvelle loi Raffarin ne touche pas aux avantages que les patrons ont tirés de la loi Aubry, mais les travailleurs ne bénéficieront même plus de la réduction du temps de travail !
Ils veulent nous faire travailler plus. Mais des centaines de milliers de travailleuses ou de travailleurs qui n'ont que des emplois à temps partiel non choisi ou précaire, deux heures par ci, trois heures par là, voudraient bien travailler plus, ne serait-ce que 35 heures par semaine pour toucher une paie qui mérite ce nom. On ne leur en laisse pas la possibilité ! Et tous ceux, les licenciés, les chômeurs qui n'ont pas de travail du tout ?
Alors, que le patronat, que le gouvernement assurent donc un emploi et un salaire correct aux trois millions de chômeurs et aux trois autres millions de demi-chômeurs !
Chaque fois que ce gouvernement parle de "réforme", il s'agit d'une mesure destinée à aggraver la condition ouvrière. La réforme des retraites oblige à travailler plus longtemps pour une retraite amputée. Les réformes de la Sécurité sociale ont augmenté la cotisation pour la CSG, et il faut payer plus pour le forfait hospitalier, et les malades ont à prendre en charge 1 euro par consultation chez le médecin. Conséquence, aussi, de cette réforme : la hausse annoncée des cotisations aux mutuelles.
Se prépare également la réforme du Code du travail. Le peu qui, dans le code actuel, protège les travailleurs est encore trop pour les patrons, ils ne veulent aucun frein légal à l'exploitation.
La législation du travail est foulée aux pieds depuis bien longtemps. Les conventions collectives sont vidées de leur contenu. Le Medef veut se débarrasser de tout ce qui représente un tant soit peu les intérêts collectifs des travailleurs. Il ne veut pas avoir affaire à l'ensemble du monde du travail. Il préfère des accords entreprise par entreprise, des accords où un patron n'a affaire qu'à 50, 500 ou 1 000 travailleurs à qui il peut imposer ce qu'il veut par chantage et menace.
Dans le passé, l'État avait fait mine hypocritement de protéger un peu les travailleurs contre la férocité de leurs patrons. Le gouvernement ne fait même plus semblant. Il livre ouvertement les travailleurs au patronat.
Lorsque le gouvernement affirme que l'État n'a pas à intervenir dans la relation entre "partenaires sociaux" -comme ils disent- cela veut dire laisser les mains libres à chaque patron pour imposer sa décision dans son entreprise en la faisant cautionner par des syndicats soit trop faibles pour s'y opposer, soit par des syndicats franchement complaisants ?
Moins de Code du travail, moins de syndicat ou des syndicats à la botte des patrons, voilà la législation sociale souhaitée par le grand patronat. Et l'État fait là où le Medef lui dit de faire.
Avec plus de 10 % de chômage officiel, il n'est pas étonnant que la pauvreté s'aggrave dans le pays. De plus en plus de travailleurs vivent dans des conditions insupportables. Regardons seulement la question du logement, une question vitale pour tous. Non seulement, cela ne s'est pas amélioré depuis 50 ans, mais cela s'aggrave sans cesse. Il y a dans ce pays plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont "sans domicile fixe", en fait sans domicile tout court. Et combien d'entre eux étaient des travailleurs qui, en perdant leur emploi, ont tout perdu, leur salaire, leur logement et souvent leur famille ?
Et à côté de ces sans domicile officiellement reconnus, il y a les sans domicile déguisés, tous ceux qui en seraient réduits à dormir sous les ponts si des parents, des proches, ne faisaient pas l'effort de se serrer dans leur propre logement, même lorsqu'il est exigu. D'après la fondation Abbé Pierre, ils sont plus d'un million.
Et même parmi ceux qui ont un domicile, pour beaucoup ce n'est qu'un taudis infect.
Tous les gouvernements promettent des programmes de construction de logements sociaux. Mais de promesse en promesse, leur nombre se réduit. Quant à ceux qui ont été construits dans le temps, ils tombent en ruines. Compter sur un HLM même pour ceux qui y ont droit, c'est attendre cinq ans, voire dix ans ou plus.
Le véritable problème n'est pas seulement celui des logements sociaux. C'est que les salaires sont trop bas pour qu'une famille ouvrière puisse se payer un logement décent.
Je ne connais pas bien les prix des logements dans votre région mais, dans la région parisienne, pour trouver un F2 disponible, il faut compter au bas mot 600 euros, voire 800 ou 1 000. Mais comment y arriver lorsqu'on gagne les moins de 1 200 euros du SMIC ? Et comment garder son logement, déjà difficile à payer même en travaillant, lorsqu'on a été licencié et qu'on se retrouve avec les 425 euros du RMI ?
On nous parle de "spéculation immobilière", comme si c'était une maladie inguérissable. Pourquoi le gouvernement, qui sait pourtant si bien restreindre les droits des travailleurs, ne pourrait-il restreindre les privilèges des spéculateurs ? Mais non ! Au lieu de cela, voilà Borloo qui annonce qu'il va transformer les locataires de HLM en propriétaires de pavillons pour la modique somme de 100 000 ? ! Mais cela ne donnera pas un toit à ceux qui n'ont même pas un appartement HLM.
Voilà la situation des travailleurs aujourd'hui : elle est intolérable, elle est inacceptable !
Et c'est cette société, qui fonctionne sur une base aussi pourrie, qu'on essaie de nous présenter comme la société idéale !
Les bien pensants ricanent en prétendant que le communisme a échoué en URSS et que le capitalisme est la seule forme économique et sociale viable.
Mais le prétendu communisme en Union soviétique n'a eu qu'une histoire de 70 ans. Il a été tenté dans un des pays les plus arriérés d'Europe, le pays qui avait été celui des tsars et des moujiks, du fouet, un pays ravagé par la faim. Malgré toutes les tares de son régime bureaucratisé, l'Union soviétique est pourtant devenue une des premières puissances mondiales, rivalisant avec les États-unis, par exemple, dans l'espace alors que l'Europe était encore à la traîne.
Mais quel est donc le bilan du capitalisme, alors qu'il a au moins trois siècles d'histoire ? Il s'est développé sur la rapine, la traite des Noirs, les massacres coloniaux. Il a engendré deux guerres mondiales. Et on constate ici même, en France, un des pays les plus riches de la planète, qu'il est incapable de satisfaire les besoins élémentaires de tous. Et en Allemagne, considérée comme le pays le plus riche d'Europe, le nombre de chômeurs vient de dépasser les 5 millions, chiffre jamais atteint depuis la grande crise des années 1930.
Mais surtout quel est donc le bilan du capitalisme à l'échelle de la planète ? Parce que la planète capitaliste, ce n'est pas seulement la France, l'Allemagne ou les États-unis, des pays où, l'un dans l'autre, on survit même en étant pauvre. Mais c'est aussi Haïti. C'est aussi l'Inde. C'est aussi l'Afrique. C'est aussi les guerres ethniques ou tribales, derrière lesquelles il y a bien souvent des entreprises capitalistes qui cherchent à mettre la main, ici sur les diamants, là sur le manganèse, ailleurs sur le pétrole. Et il y a toutes les guerres, menées directement par les grandes puissances pour imposer leur loi aux pays pauvres. Les États-unis en Irak ou en Afghanistan, dans ce deuxième pays avec la participation de l'armée française.
Notre impérialisme à nous n'est certainement pas plus pacifiste que celui des États-unis, il a seulement moins de moyens. Il est intervenu, il y a quelques semaines, en Côte-d'Ivoire, où l'armée française reste toujours présente. Et qui pourrait exclure l'éventualité qu'elle intervienne demain au Togo ? Le peuple de ce pays, exaspéré par près de quarante ans de dictature d'Eyadema soutenue par la France, révolté par le coup d'État qui a transféré le pouvoir du père dictateur mort à son fils, explosera peut-être demain. Et alors, si quelques privilégiés français de là-bas en sont les victimes, on nous dira encore qu'il était nécessaire d'intervenir pour "sauver des Français menacés".
Eh bien, je le dis par avance, quel que soit le prétexte invoqué, il n'est pas question de cautionner un nouvel acte de banditisme de notre impérialisme !
Voilà le système que justifient tous nos dirigeants politiques. Voilà le système qu'ils servent. Eh bien, nous continuons à penser que ni ce système, ni ceux qui le défendent, ne représentent l'avenir. Tôt ou tard, l'humanité reprendra sa marche en avant. Et cela passera inéluctablement par la fin du capitalisme et par la réorganisation de la société sur une base égalitaire, c'est-à-dire communiste.
La perspective d'une société socialiste ou communiste, c'est-à-dire d'une société débarrassée de la dictature du grand capital et du profit, n'est plus représentée par les grands partis qui se disent socialistes ou communistes. Ces partis ont non seulement abandonné ces perspectives, mais ne défendent même plus les intérêts quotidiens des classes populaires.
François Hollande et ses compères se gardent même de promettre d'annuler les mesures prises depuis trois ans par le gouvernement Chirac-Raffarin. Ils savent qu'ils les reprendront à leur compte.
Le Parti communiste, lui, maintenant qu'il est dans l'opposition, défend certaines des revendications des travailleurs. Mais cela ne l'engage pas vraiment, car il sait que, si le Parti socialiste accepte encore, la prochaine fois, des ministres communistes, ces derniers seront toujours la cinquième roue du carrosse gouvernemental. Ils ne pourront pas changer la politique d'un gouvernement socialiste, ils ne pourront que la cautionner.
Aussi tous ceux qui sont les victimes de tel ou tel aspect inacceptable de la politique gouvernementale ont raison de réagir eux-mêmes, collectivement. C'est ce que font les lycéens depuis plusieurs semaines. Oui, ils ont eu raison de réagir contre la modification du bac et de faire reculer le ministre de l'Éducation nationale sur ce point-là. Car le projet de Fillon de supprimer le bac unique à l'échelle du pays au profit d'un bac par contrôle continu dans chaque lycée officialisait juridiquement un enseignement à deux vitesses, avec des diplômes de valeurs différentes, suivant qu'on sort d'un lycée bourgeois ou d'un lycée de quartier populaire. Fillon n'a reculé que sur la seule question du bac, peut-être d'ailleurs provisoirement seulement.
Eh bien, ce recul doit être un encouragement. Et je suis pleinement solidaire des lycéens qui, en manifestant hier, ici, à Lille, et dans plusieurs villes de la région, ont montré que la coupure des vacances scolaires n'a pas coupé leur combativité. Les lycéens ont raison de continuer et d'annoncer une journée de grandes manifestations pour le 8 mars avant de rejoindre, je l'espère, les manifestations des travailleurs le 10.
Car par-delà tel ou tel aspect de la loi Fillon, il y a la politique de restriction de crédits, qui fait que dans les écoles des quartiers populaires, on ferme ou on regroupe des classes et qu'il n'y a ni les infrastructures nécessaires ni le nombre d'enseignants pour assurer une éducation convenable à tous.
Mais la politique de restriction de crédits à l'Éducation nationale n'a pas commencé avec Fillon. Elle ne se réduit pas à son projet de loi. C'est la politique de tous les gouvernements qui se succèdent depuis des années et de tous les ministres de l'Éducation nationale.
C'est un ministre socialiste, Allègre, qui a même le triste honneur d'avoir trouvé l'expression méprisante pour justifier cette politique, en affirmant qu'il fallait "dégraisser le mammouth".
Oui, il faut stopper cette politique. Il faut consacrer plus d'argent à créer des classes supplémentaires dans les quartiers populaires, à embaucher des enseignants, des éducateurs supplémentaires. Il faut que l'État consacre l'argent des impôts à l'Éducation nationale plutôt que de financer des armes ou de subventionner le grand patronat.
Le Parti socialiste et le Parti communiste sont aujourd'hui divisés sur le vote au référendum sur la Constitution européenne. Le Parti communiste mène la campagne du "non" alors que le Parti socialiste, dans sa majorité, appelle à voter oui. Mais ces deux partis s'entendent pour dramatiser l'enjeu de ces élections et présenter le vote à ce référendum comme une échéance importante pour le monde du travail.
Pour notre part, à Lutte Ouvrière, nous voterons "non" à ce référendum. Nous voterons non parce que le projet de Constitution européenne sur lequel on nous demande notre opinion, n'apporte rien, ni au monde du travail ni aux peuples. Il n'apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour les travailleurs pour se défendre face à l'avidité patronale. Cette Constitution est destinée à compléter la domination économique des puissances occidentales sur la partie pauvre de l'Europe par la domination juridique.
Ces puissances occidentales, qui ont déjà mis la main sur les usines, sur les banques, sur les grands commerces des pays de l'Est, ne sont même pas capables d'assurer aux travailleurs de cette partie de l'Europe le même niveau de vie qu'en occident. Ils voudraient, au contraire, continuer à jouer sur les différences de salaires en délocalisant parfois, au mieux de leurs profits, ou en faisant venir ici des travailleurs de là-bas, mais avec des salaires de là-bas. C'est le sens de la directive dite "Bolkestein".
Voilà pourquoi, et j'en profite pour le dire, il est de notre intérêt à nous tous, travailleurs de l'ensemble de l'Europe, d'agir pour que les salaires soient les mêmes pour tous, quel que soit le pays d'origine. Voilà pourquoi un des objectifs des luttes futures que les travailleurs européens ne manqueront pas de mener dans les années à venir, devra être l'augmentation des salaires partout jusqu'à ce qu'ils soient du même niveau et permettent partout de vivre. C'est la seule façon d'empêcher les patrons de jouer les travailleurs les uns contre les autres.
Et puis cette Constitution n'est même pas capable d'assurer les mêmes droits d'un bout à l'autre de l'Europe. Par exemple, elle ne reconnaît pas le divorce. Elle ne reconnaît pas non plus le droit à l'interruption volontaire de grossesse à l'échelle de l'ensemble de l'Union Dans plusieurs pays, ce droit est réservé aux femmes les plus riches qui peuvent se payer le voyage pour aller dans le pays où le régime est plus tolérant. A plus forte raison, elle n'impose pas à tous les médecins l'obligation de pratiquer les IVG là où elles sont légales.
Nous n'avons jamais eu la naïveté d'attendre de la Constitution européenne qu'elle améliore le sort des travailleurs. Aucune constitution, pas plus celle de la France que d'autres, n'est faite pour cela.
Mais enfin, les institutions européennes auraient pu au moins peser pour balayer la crasse réactionnaire accumulée, ici quant aux droits des femmes, là quant au poids des Églises dans la vie sociale, ailleurs en matière de libertés publiques. Mais les institutions européennes, qui sont si pointilleuses sur les conditions de concurrence, pour laquelle elles accumulent les paragraphes dans la Constitution, n'ont rien à faire et de la condition des femmes, et des libertés publiques. En tout cas, pas au point d'avoir une politique contraignante vis-à-vis des aspects les plus réactionnaires des législations nationales existantes.
Oh oui, les droits du capital au profit sont unifiés à l'échelle du continent, mais pas le droit des personnes, pas le droit des travailleurs, pas le droit des êtres humains !
Alors je réaffirme que nous sommes pour une Europe unie, fraternelle, sans frontières entre les peuples ! Mais que nous disons non, mille fois non, à cette Constitution européenne !
Nous voterons non, mais nous nous opposerons aux arguments de ceux des partisans du non qui appellent à ce vote en prétendant que c'est un moyen de parer aux coups contre les travailleurs puisque ces coups viendraient de Bruxelles. C'est une fumisterie ! Ce n'est pas Bruxelles, ce sont nos propres capitalistes, notre propre gouvernement qui nous attaque ! Et ce sont eux aussi dont les capitaux sont ici, dont les sièges sociaux sont ici, qui sont à la portée de notre colère !
Tous ceux qui, au lieu de désigner aux travailleurs leurs ennemis véritables, ici, à portée de main, les détournent vers des objectifs éloignés, abstraits, inaccessibles, veulent en réalité interdire aux travailleurs d'agir. Ils voudraient que les travailleurs en restent à se plaindre, à râler sur les malheurs du temps. Ils ne veulent pas leur dire que, jusqu'à nouvel ordre, toutes leurs usines, tous leurs chantiers, toutes leurs banques, toute leur économie ne fonctionnent qu'avec notre travail et que, oui, cela nous donne la capacité de faire reculer nos ennemis !
Et nous disons aussi que ce n'est pas le "oui" ou le "non" à ce référendum qui va améliorer en quoi que ce soit le sort des travailleurs. Ce n'est pas au référendum que cela se passe. Et c'est en cela que c'est une escroquerie de détourner les travailleurs sur le référendum à venir.
Face à l'offensive du patronat et du gouvernement, ce qu'il faut, c'est la contre-offensive de tous les travailleurs.
Les travailleurs ne peuvent compter ni sur le Parti socialiste, ni même sur le Parti communiste pour préparer cette contre offensive. Eux, ils n'ont que les élections de 2007 en ligne de mire.
Ils ne peuvent pas plus compter sur les directions syndicales. Les confédérations syndicales ont attendu jusqu'au 5 février dernier pour appeler à une manifestation privé-public contre la politique anti-ouvrière du gouvernement.
Puis, il a fallu attendre onze jours pour que les confédérations annoncent une nouvelle journée d'action pour le 10 mars. Et encore, pas toutes ! Car il a fallu que la direction de la CFDT se singularise. Pendant plusieurs jours, Chérèque a tergiversé pour finir par appeler quand même pour le 10 mars. Mais, à peine avait-il annoncé sa participation, qu'il proposait de repousser la date au 11 mars pour éviter que la journée de grèves puisse mal disposer le Comité olympique venu pour examiner la candidature de Paris pour les Jeux de 2012 ! Cela, il fallait le faire ! Il fallait que ce soit un chef syndical qui soit parmi les premiers à entonner la chanson, reprise par tout ce que la droite et le Medef compte de ténors, aussi bêtes que haineux à l'égard des travailleurs. Ils poussent tous des hurlements à l'idée que les ouvriers osent manifester pendant l'un des trois jours où le Comité olympique visite Paris !
Mais, indépendamment des hésitations de la CFDT et de la honteuse sortie de son chef, le véritable problème est que, pour redonner confiance aux travailleurs, il faudrait que les centrales syndicales aient un plan d'action annoncé publiquement, où les actions s'enchaînent les unes après les autres, au lieu des improvisations laborieusement marchandées entre confédérations et dont, chaque fois, les travailleurs ignorent si elles seront suivies ou seront sans lendemain.
Oui, il faut un plan de lutte susceptible de convaincre les travailleurs qu'il est non seulement nécessaire de riposter aux attaques, mais aussi que cette riposte est possible. Mais cela exige des actions discutées à l'avance, des grèves et des manifestations où chaque action prépare l'initative suivante qui doit être clairement annoncée.
Et qu'on ne nous dise pas que les travailleurs ne sont pas prêts aujourd'hui à s'engager dans l'action sous prétexte que la crainte du chômage est forte et que la démoralisation est grande. Car comment faire en sorte que cet état d'esprit change et que la confiance revienne si les directions syndicales elles-mêmes abandonnent les exigences vitales de la classe ouvrière.
Comment les travailleurs pourraient-ils se persuader que cela est nécessaire et possible, si même leurs organisations syndicales abandonnent les revendications pour ne plus réclamer que des négociations ?
Mais tout le monde sait que les négociations sans rapport de force, c'est accepter et cautionner ce que les patrons veulent imposer aux travailleurs !
Alors, bien sûr, même si le 10 mars est un succès, cela ne suffira pas pour faire céder le gouvernement et le patronat. Il faut cependant que ce soit un succès. Il faut que les appels à la grève soient largement suivis et que les manifestations soient plus massives que le 5 février. Il faut que ceux du privé et ceux du public montrent qu'ils sont ensemble, qu'ils se battent sur les mêmes objectifs indispensables et qu'ils ne se contenteront pas d'un baroud d'honneur. C'est la meilleure façon, aussi, de forcer la main aux dirigeants syndicaux pour qu'il y ait une suite.
Oui, le 10 mars ne doit pas être une fin, mais une étape pour aller plus loin. Oui, pour empêcher que les travailleurs s'enfoncent dans la pauvreté, il faut affirmer haut et fort qu'une augmentation générale de tous les salaires est indispensable ! Oui, pour empêcher la société aller à la catastrophe, il faut interdire les licenciements collectifs !
Alors, je ne sais pas ce qui mettra le feu aux poudres ! Mais cette riposte, elle viendra ! Elle viendra parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de se défendre ! Elle viendra parce que nous ne pouvons pas accepter que, d'année en année, le sort des travailleurs se dégrade et que l'avenir des enfants des classes populaires apparaisse plus sombre encore que le présent des parents.
Tous les travailleurs de ce pays, quelle que soit leur corporation, ont besoin d'une augmentation substantielle de leur salaire ! Tous ont besoin de se protéger contre les menaces de licenciement et de la précarité ! Il faut que l'ensemble de la classe ouvrière se retrouve autour de quelques objectifs simples, répondant à ces exigences, pour faire reculer le gouvernement ! Il faut un mouvement ample, qui menace d'échapper à toute prévision !
Ceux qui les ont vécus se souviennent des premiers jours de mai 1968, ou même des premiers jours des grèves de 1995, avant que les appareils syndicaux les contrôlent, les canalisent et annoncent qu'ils étaient prêts à négocier. C'est lorsque le mouvement est explosif, lorsqu'à chaque jour de grève les possédants ont à redouter que le lendemain soit pire pour eux, qu'ils ont cette peur salutaire qui seule les fait céder.
Alors, nous n'en sommes pas là, au jour d'aujourd'hui. Mais nous pouvons dire et répéter autour de nous que, de l'argent, il y en a, ce sont les patrons eux-mêmes qui nous le disent en annonçant leurs profits. Il y en a tout à la fois pour augmenter tous les salaires, pour transformer les emplois précaires en emplois stables, correctement payés, pour empêcher les licenciements collectifs et pour donner un emploi à tous, quitte à répartir le travail.
Alors, le développement des luttes se fera peut-être par une explosion générale, imprévisible, du mécontentement ouvrier ; il se fera peut-être progressivement par des luttes et des succès partiels, les plus combatifs entraînant les autres. Mais il est important qu'il y ait des travailleurs, des travailleuses, des militants, pour affirmer haut et fort les exigences du monde du travail, et qui ne se résignent pas, qui ne renoncent pas, fût-ce au nom d'un faux réalisme, et qui maintiennent haut notre drapeau !
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 février 2005)