Texte intégral
Les sondages ne sont que des sondages. Mais le fait que, pour la première fois, le "non" soit donné gagnant pour le référendum sur la Constitution européenne commence à affoler les partisans du "oui".
À la tête de ce camp, il y a Chirac qui a proposé ce référendum dans l'espoir d'en tirer un bénéfice politique. Il est de moins en moins sûr de gagner son pari. Depuis la fameuse dissolution de 1995, on sait qu'il est assez doué pour faire des paris stupides.
Au côté de Chirac, il y a tout le camp gouvernemental, de Raffarin à Sarkozy, tous ceux qui depuis trois ans mènent une guerre ouverte aux classes populaires. Ils voudraient bien qu'une partie au moins de l'électorat populaire oublie les coups reçus du gouvernement pour voter oui, au nom de l'Europe, à leur projet de Constitution. Eh bien, ils n'auront pas le plaisir de prendre les électeurs des classes populaires pour des imbéciles !
Depuis que le "non" monte, les ténors du oui expliquent doctement qu'il faut mieux informer, éviter la confusion, ne pas mélanger l'Europe et la politique intérieure française. Eh bien, l'électorat populaire comprend de mieux en mieux que Chirac, Sarkozy, Giscard et les autres qui foulent aux pieds les intérêts des classes populaires ici, en France, ne peuvent pas être leurs amis à l'échelle de l'Europe !
Si la montée du "non" exprime le mécontentement croissant de l'électorat populaire à l'égard de la politique menée, tant mieux ! Et nous nous en réjouissons, même s'il faudra bien autre chose qu'une victoire du "non" dans les urnes pour les faire reculer dans leur politique !
Dans le camp du "oui", il y a aussi le Parti socialiste et quelques-uns de ses principaux dirigeants.
Le Parti socialiste se retrouve, une fois de plus, derrière Chirac. Décidément, cela devient une habitude ! Et Hollande, Strauss-Kahn, Lang et compagnie ont bien du mal à démontrer en quoi leur "oui" est différent du "oui" de Chirac ! Du coup, la direction du Parti socialiste s'échine à justifier cette Constitution européenne, rédigée pourtant sous la houlette de l'homme de droite Giscard d'Estaing.
Au Grand Jury RTL-Le Monde de dimanche dernier, Strauss-Kahn a affirmé, pour défendre le "oui" : "ce qui est neuf avec cette Constitution, c'est le plein emploi, un mieux disant social, un mieux disant démocratique" ! Il ose dire cela alors qu'il y a près de trois millions de chômeurs en France et plus de cinq millions en Allemagne, nombre de chômeurs jamais atteint dans ce pays depuis la grande crise des années 1930 ! Il ose dire cela, alors que tous les gouvernements d'Europe poussent les salaires comme les protections sociales vers le bas !
Et le Parti socialiste de distribuer des tracts pour présenter le "oui" comme un "oui" à une Europe plus sociale, une Europe plus démocratique, une Europe des services publics alors que les institutions européennes reprennent simplement à leur compte les politiques violemment anti-ouvrières menées dans tous les pays du continent, par un gouvernement de droite ici, en France, mais aussi par des gouvernements prétendument socialistes comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Jack Lang a beau mobiliser des pseudo-philosophes ou des écrivains et des chanteurs complaisants comme agents électoraux pour le "oui" à la Constitution, le Parti socialiste est en train d'administrer la démonstration qu'entre ce qu'il défend et ce que défendent les Chirac, Sarkozy, Raffarin et Giscard, il n'y a pas de différence !
Oui, l'Europe, c'est l'avenir, mais pas cette Europe-là, pas la leur !
Dans le camp du "oui", c'est surtout la direction du Parti socialiste qui montre des signes d'affolement et qui cherche à convaincre l'électorat socialiste, apparemment de plus en plus tenté de voter contre Chirac malgré les consignes des dirigeants du parti qu'il ne faut pas que "le climat social perturbe et fausse le résultat du référendum".
Eh bien oui, tous ceux qui sont en colère contre la politique de Chirac-Raffarin ont envie de manifester leur mécontentement, aussi, de cette manière. Et quoi que leur disent Hollande ou Strauss-Kahn, ils n'ont pas envie de cautionner de leurs votes une fois de plus Chirac, Raffarin et Sarkozy. Et ils ont bien raison ! Que la direction du Parti socialiste paie, pour une fois, sa politique d'alignement derrière Chirac, c'est tant mieux !
Bien sûr, leur appel pour le "non", même présenté comme un "non de gauche" ne fait pas pour autant de Chevènement, Fabius, Emmanuelli ou Mélenchon des amis des travailleurs. Ces gens-là ont montré, en tant que ministres et, pour l'un d'entre eux, en tant que Premier ministre, qu'ils sont entièrement au service de la classe des possédants.
Mais leur calcul politique, c'est une chose. La réaction de l'électorat populaire, cela en est une autre. Et si l'électorat populaire se saisit du référendum pour exprimer tout le mal qu'il pense de la politique menée, le gouvernement n'aura eu que ce qu'il mérite, même si la seule expression électorale de ce mécontentement ne changera pas le sort des travailleurs !
Pour notre part, nous appelons bien sûr à voter "non".
Cette Constitution n'apporte rien de bon aux travailleurs ni aux peuples d'Europe. Elle n'apporte ni des libertés supplémentaires ni des possibilités plus grandes pour les travailleurs pour se défendre face à l'avidité patronale. Elle ne donne même pas aux travailleurs des pays les plus pauvres de l'Union européenne, dont les salaires sont parfois cinq ou six fois moindres que ceux des travailleurs d'Europe occidentale, des armes supplémentaires pour se défendre. Et elle ne cherche même pas à uniformiser par le haut la législation du travail ni à améliorer les protections sociales là où elles sont particulièrement défaillantes. Et il n'est évidemment pas question d'un salaire minimum à l'échelle de l'Union.
L'unification européenne, nous sommes pour. Nous pensons même que l'Europe devrait être unifiée depuis, au bas mot, un siècle, d'un bout à l'autre du continent. Le morcellement de l'Europe en une multitude de petits pays est un anachronisme à notre époque qui est celle d'entités à l'échelle des continents. Les grands pays qui jouent un rôle dans l'avenir de la planète sont à l'échelle d'un continent. C'est le cas des États-unis, bien sûr, mais aussi la Russie ou encore la Chine et l'Inde, ces deux derniers comptant plus d'habitants que tous les pays d'Europe réunis.
Oui, nous sommes pour l'unification complète du continent, bien entendu Turquie comprise, et même bien au-delà. Les discussions sur les limites de l'Europe sont aussi stupides qu'hypocrites, chaque politicien cherchant à faire passer les frontières de l'Europe là où cela arrange sa démagogie. L'avenir, c'est l'association des peuples qui le souhaitent et c'est la disparition de toutes les frontières que l'on a dressées entre eux.
Dans cette construction européenne, jamais il n'a été question des hommes, même s'il y a eu quelques retombées positives, comme la possibilité pour les Européens de se déplacer plus facilement d'un pays à l'autre et de s'y installer.
Alors, la Constitution européenne, c'est comme le reste. Elle n'est que l'expression juridique de ce qu'ils font depuis cinquante ans.
Bien sûr, elle consacre la propriété privée, l'économie de marché et, par conséquent, la domination du grand capital, comme toutes les Constitutions nationales.
La Constitution européenne a pour raison d'être, aussi, de consacrer sur le plan juridique la domination des pays impérialistes occidentaux et de leurs groupes industriels et financiers sur la partie orientale et pauvre de l'Europe.
Depuis la chute de l'Union soviétique et l'ouverture économique des pays de l'Est européen, les grands groupes occidentaux ont mis la main sur l'économie des pays de l'Est. De Varsovie à Sofia, les enseignes de grands magasins portent des noms bien connus ici. Quand ce n'est pas Auchan ou Carrefour, ce sont leurs équivalents allemands, britanniques ou autrichiens. Si vous cherchez un hôtel, vous retombez sur toutes les déclinaisons du trust Accor : depuis Mercure ou Sofitel à Novotel ou Ibis. Et, bien au-delà de ce qui saute aux yeux, les grandes entreprises industrielles des pays de l'Est, qui naguère étatisées ont été privatisées, sont toutes tombées sous la dépendance de trusts occidentaux.
Alors, bien sûr, cela intéresse les trusts occidentaux que les pièces et les marchandises, qu'ils font fabriquer à moindres coûts dans leurs succursales de la partie pauvre de l'Europe, puissent circuler sans obstacle. L'élargissement de l'Union européenne vers sa partie pauvre était donc de leur intérêt. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils souhaitent que ces pays aient trop de possibilités d'influer sur les choix des institutions européennes, sur la gestion de leur budget. Et, à plus forte raison, ces trusts ne souhaitent absolument pas que l'intégration des pays de l'Est dans l'Union européenne signifie pour leurs travailleurs les mêmes salaires et les mêmes droits.
Et puis cette Constitution n'est même pas capable d'assurer les mêmes droits d'un bout à l'autre de l'Europe. Par exemple, elle ne reconnaît pas le divorce. Elle ne reconnaît pas non plus le droit à l'interruption volontaire de grossesse à l'échelle de l'ensemble de l'Union Dans plusieurs pays, ce droit est réservé aux femmes les plus riches qui peuvent se payer le voyage pour aller dans le pays où le régime est plus tolérant. A plus forte raison, elle n'impose pas à tous les médecins l'obligation de pratiquer les IVG là où elles sont légales.
En ce qui concerne le sort des travailleurs, nous n'avons jamais eu la naïveté d'attendre de la Constitution européenne qu'elle l'améliore. Aucune constitution, pas plus celle de la France que d'autres, n'est faite pour cela.
Mais enfin, les institutions européennes auraient pu au moins peser pour balayer la crasse réactionnaire accumulée, ici quant aux droits des femmes, là quant au poids des Églises dans la vie sociale, ailleurs en matière de libertés publiques. Mais les institutions européennes, qui sont si pointilleuses sur les conditions de concurrence, pour laquelle elles accumulent les paragraphes dans la Constitution, n'ont rien à faire et de la condition des femmes, et des libertés publiques. En tout cas, pas au point d'avoir une politique contraignante vis-à-vis des aspects les plus réactionnaires des législations nationales existantes.
Oh oui, les droits du capital au profit sont unifiés à l'échelle du continent, mais pas le droit des personnes, pas le droit des travailleurs, pas le droit des êtres humains !
Mais que les capitalistes et leurs serviteurs politiques le veuillent ou pas, j'ai l'espoir que leur construction européenne contribue à mettre dans la conscience de tous les travailleurs de ce continent, qu'ils soient exploités en France, en Allemagne, en Estonie ou en Bulgarie, qu'ils font partie d'une seule et même classe ouvrière.
Qu'ils le veuillent ou non, les promoteurs de l'Europe capitaliste auront contribué à forger une classe ouvrière d'Europe composée de travailleurs de toutes origines, nés sur le sol européen ou immigrés d'Afrique ou d'Asie.
Face à l'union fondée sur la concurrence et la rivalité des bourgeoisies d'Europe, il faut opposer la véritable union des travailleurs. Il faudra se fixer comme objectif commun à l'échelle de l'Europe, l'augmentation générale des salaires et leur alignement par le haut , afin qu'ils permettent partout de vivre correctement. C'est la seule façon d'empêcher les patrons de jouer les travailleurs les uns contre les autres, de délocaliser dans la partie la plus pauvre de l'Europe ou, encore, de faire appel ici même, en France, à des travailleurs mal payés venant des pays de l'Est.
La classe ouvrière d'Europe est numériquement la classe ouvrière la plus importante du monde. Une fois qu'elle aura pris conscience d'elle-même, de son unité et de ses intérêts politiques, elle représentera une force considérable, capable d'ébranler leur construction européenne jusqu'à ses fondations capitalistes !
Alors, nous voterons "non" à cette Constitution ! Mais nous nous opposerons aux argument de ceux des partisans du non qui appellent à ce vote en prétendant que c'est un moyen de parer les coups contre les travailleurs puisque ces coups viendraient de Bruxelles. C'est une fumisterie ! Ce n'est pas Bruxelles, c'est notre propre gouvernement qui nous attaque, ce sont nos propres capitalistes ! Et ce sont eux aussi dont les capitaux sont ici, dont les entreprises sont ici, qui sont à la portée de notre colère !
Tous ceux qui, au lieu de désigner aux travailleurs leurs ennemis véritables, ici, à portée de main, les détournent vers des objectifs éloignés, abstraits, inaccessibles, veulent en réalité interdire aux travailleurs d'agir. Ils ne veulent pas leur dire que toutes leurs usines, tous leurs chantiers, toutes leurs banques, toute leur économie ne fonctionnent qu'avec notre travail et que, oui, cela nous donne la capacité de faire reculer nos ennemis !
Contrairement à tous ceux qui disent que, pour améliorer le sort des travailleurs, il faut voter "non", nous disons : Votez "non" ! Mais pour stopper les attaques du patronat et du gouvernement, il faut la lutte, les grèves, les manifestations. Une éventuelle victoire du "non" ne remplacera pas la contre-offensive des travailleurs. Cette contre-offensive est indispensable si nous ne voulons pas que notre classe, la classe des travailleurs, continue à être poussée vers la pauvreté.
Cela fait longtemps, bien trop longtemps que le patronat récupère sur le dos des travailleurs les profits élevés que son économie en crise ne lui permet pas de récupérer par une extension de ses marchés.
Lorsque les patrons des grandes entreprises, relayés par les médias, se vantent des profits fantastiques réalisés en 2004, ils s'adressent à leur monde, aux actionnaires, aux "investisseurs financiers", à tous ceux qui font fortune en spéculant sur l'achat et la revente d'actions.
Mais, pour les ouvriers, ces annonces sonnent comme des provocations. Eux, ils savent que ces profits gigantesques sont réalisés sur leur dos, par une exploitation de plus en plus dure. Et quand ils ne le savent pas, ils le sentent dans leurs muscles, dans leurs nerfs, par l'usure de leur santé, par la fatigue de journées trop longues. Ils le voient aussi sur le montant de leur feuille de paie.
Oui, si les profits sont élevés, c'est parce qu'on écrase de plus en plus le monde du travail, parce que les salaires sont trop bas même quand on a un emploi stable ; parce que les horaires ont été rendus flexibles et sont imposés au gré des fluctuations du marché ; parce que les emplois stables sont remplacés par des emplois précaires : intérim, CDD, temps partiel non choisi.
Et ce qui est vrai pour le privé l'est aussi, et de plus en plus, dans le secteur public. Car la fameuse "sécurité de l'emploi" de la Fonction publique, si souvent attaquée par les porte-voix bornés du grand patronat, est depuis longtemps un mensonge, brandi pour diviser les travailleurs et pour opposer ceux du public à ceux du privé.
Combien de postiers sont des contractuels sans la moindre "sécurité de l'emploi" ? Combien d'infirmières ou aide-soignantes des hôpitaux publics sont des intérimaires ? Combien y a-t-il d'auxiliaires à l'Éducation nationale ? Combien y a-t-il de vacataires parmi les employés des ministères eux-mêmes ? Combien sont ceux qui, dans les mairies ou dans les collectivités locales, travaillent comme stagiaires ou en CES ? Sans même parler de celles et ceux, nombreux, qui travaillent dans des secteurs externalisés du service public ?
Au nom de la recherche de la rentabilité, le patronat comme l'État cherchent partout à imposer des salaires fluctuants.
Oui, leurs profits viennent du rythme de travail croissant dans les entreprises, des cadences de plus en plus dures à supporter qui rendent malade ou invalide au bout de 10 ou 15 ans de travail.
L'intensification du travail ne concerne pas seulement les entreprises de production. Il suffit de regarder le travail des caissières des supermarchés !
Dans combien de supermarchés, de grands magasins, on impose, en plus, le temps partiel morcelé en fonction des heures d'affluence de la clientèle, une heure le matin, deux heures à midi et deux heures en fin de journée ?
Dans combien de chaînes de restauration rapide, des Flunch aux cafétérias de Casino, en passant par tous les McDo et autres Quick, les salaires mensuels tournent autour de 700 à 800 euros ?
Ce sont en majorité les femmes qui sont victimes du temps partiel non choisi. Des travailleuses -y compris des mères de famille- qui n'ont même pas le temps de rentrer chez elles dans les moments libres entre les heures travaillées. Elles sont prises toute la journée sans être payées à temps complet. Et, ensuite, une fois par an, lors de la "journée internationale des femmes", on a droit à des numéros de cirque, comme celui d'un Debré cédant pour un jour sa place de président de l'Assemblée nationale à une députée ! Mais qu'est-ce que cela change pour la vendeuse ou pour la caissière de supermarché ?
Ce qui se passe dans chaque entreprise se traduit à l'échelle de l'ensemble du pays par une baisse continue de la part des salaires dans le revenu national. Les revenus du capital augmentent en conséquence.
Cela se traduit, aussi, par le nombre de chômeurs Un travailleur sur dix est au chômage. Quand on fait faire de plus en plus de travail par de moins en moins d'ouvriers, cela signifie forcément des suppressions d'emplois.
Et on arrive à cette situation folle, aberrante, qu'on fait trimer au travail ceux qui ont un emploi, pendant que plusieurs millions de travailleurs n'ont pas d'emploi du tout ou n'en ont un que de temps en temps. Rien que le temps partiel subi représente 1.200.000 personnes. Et les ministres nous répètent qu'il faut travailler plus pour rendre le pays compétitif. Mais qu'ils commencent donc par assurer du travail et un salaire correct à ceux qui n'en ont pas !
Comment s'étonner qu'avec l'accroissement du chômage et de la précarité, la pauvreté s'étende aussi. Le nombre de RMIstes a littéralement explosé ces derniers mois. Plus d'un million de personnes qui n'ont plus de travail n'ont plus pour vivre que les quelque 425 euros mensuels du RMI. Mais, parmi les pauvres, il y a aussi et de plus en plus des travailleurs en activité. Avec les prix des loyers qui flambent, un nombre croissant de travailleurs ne peuvent même plus se payer un logement et sont contraints de dormir chez des amis ou des parents ou, pire, dans leurs voitures ou dans la rue. Pendant que l'envolée des prix permet aux margoulins de l'immobilier d'amasser des fortunes, de plus en plus de travailleurs ou de chômeurs sont menacés d'expulsion maintenant que la trêve hivernale est terminée.
Alors, je suis bien sûr solidaire de ceux qui s'organisent et luttent contre cette situation et contre les expulsions. Car expulser des familles ouvrières qui ont des difficultés à payer leur loyer est une crapulerie.
Tous les bien-pensants nous expliquent que le profit est indispensable et que la vocation des entreprises est de faire du profit. Mais qu'est-ce qu'elles font donc de ce profit ? Est-ce qu'elles l'investissent dans des machines nouvelles ? Est-ce qu'elles l'investissent pour créer de nouvelles usines et de nouveaux emplois ? Pas du tout !
Est-ce qu'elles achètent des machines pour soulager la pénibilité du travail ? Évidemment non !
Est-ce que les travailleurs, ceux qui créent ces profits, en bénéficient en quoi que ce soit ? Non !
Le profit est pour l'essentiel empoché purement et simplement par les propriétaires des entreprises et par leurs gros actionnaires. Il augmente la fortune des possédants, le nombre de leurs résidences, de leurs voitures de luxe, de leurs avions privés ou de leurs châteaux. Et, quand il n'est pas gaspillé en dépenses de luxe par la classe riche, le profit vit sa propre vie, alimente les circuits financiers, la spéculation internationale, les rachats d'entreprises les unes par les autres.
Et, pourtant, c'est le profit que tous les gouvernements favorisent. C'est pour donner toujours plus au grand patronat qu'on économise sur l'éducation, sur les hôpitaux sur les équipements collectifs. C'est pour cela qu'il y a de moins en moins de logements corrects accessibles avec un salaire ouvrier.
Oui, ce gouvernement Chirac-Raffarin est ouvertement, cyniquement, au service du grand patronat et de ses intérêts. Toutes les mesures prises depuis qu'il est au pouvoir aggravent les conditions d'existence des travailleurs et des classes populaires.
La réforme des retraites aboutit au recul de l'âge de la retraite et à l'amputation du montant des pensions.
La réforme de la Sécurité sociale consiste à faire payer plus les assurés par le biais de la hausse de la CSG, de l'augmentation du forfait hospitalier et de l'euro obligatoire à chaque consultation médicale.
Oui, on fait payer toujours plus les assurés alors même que le système de santé se détériore parce qu'on n'embauche pas un personnel suffisant dans les hôpitaux ou dans les maisons de retraite, parce qu'il n'y a rien ou presque pour les handicapés, parce qu'on ferme des lits, parce qu'on compense les restrictions de crédits au système hospitalier en comptant sur le personnel.
Mais ce n'est pas au personnel hospitalier surchargé de compenser l'insuffisance des effectifs et des moyens matériels.
Dans l'enseignement, la réforme Fillon contre laquelle les lycéens protestent à juste raison est encore une façon d'aligner des arguments pseudo-pédagogiques pour justifier l'insuffisance des crédits à l'Éducation nationale ; une insuffisance de crédits dont les conséquences sont particulièrement graves pour les enfants des classes populaires. Et les lycéens ont mille fois raison de protester contre l'école à deux vitesses, qui existe depuis des années mais que la réforme Fillon aggrave encore.
Les ministres de ce gouvernement, un des plus réactionnaires que le pays ait connu depuis longtemps, n'ont que faire de ce que pensent les travailleurs. Leur électorat, ils le recrutent majoritairement dans la petite bourgeoisie, parmi les possédants petits et grands, dans un milieu réactionnaire spontanément haineux envers les ouvriers.
Alors oui, on ne peut qu'être révolté par ce cynisme et par ce mépris. Mais n'en oublions pas pour autant la suffisance des ministres socialistes, et surtout leur politique !
Combien de mesures anti-ouvrières sous le gouvernement Jospin ? Combien de privatisations, combien d'attaques contre les services publics, au nom de la rentabilité ? Combien de baisses de charges sociales sous prétexte d'inciter les patrons à créer des emplois, qu'ils n'ont jamais créés ? Et, bien des travailleurs, à commencer par ceux de Renault Vilvorde ou de Michelin, ont des raisons de se souvenir qu'ils n'ont trouvé aucun soutien face à leur patron licencieur. Et n'oublions pas que bien des mesures anti-ouvrières mises en oeuvre par le gouvernement Chirac-Raffarin ont été préparées sous le gouvernement Jospin par Fabius et ses semblables.
Souvenons-nous en car, dès maintenant, le Parti socialiste commence à nous dire qu'il faut attendre 2007, un président de la République de gauche peut-être, une nouvelle majorité au Parlement, un nouveau gouvernement.
Eh bien, les travailleurs n'ont pas à attendre et à accepter tous les coups du gouvernement dans l'espoir que la gauche arrive au pouvoir, dans deux ans, alors qu'on sait que, même si elle y arrive, ce sera pour décevoir, une fois de plus, les espoirs que les travailleurs auront mis dans sa victoire.
Car sans un développement des luttes, le gouvernement continuera à attaquer le monde du travail.
Après le succès des manifestations et des grèves du 10 mars, Raffarin a fait mine d'en tenir compte en lâchant deux propositions. Pour les travailleurs du secteur public, il a annoncé l'ouverture de négociations sur les salaires qui ont commencé hier. Mais le ministre du Travail ne s'est même pas donné la peine de faire une proposition concrète. D'après les commentateurs, il s'agira au maximum de 1 % d'augmentation supplémentaire. Quand on sait que les salaires dans le service public sont pratiquement bloqués depuis des années et qu'avec l'augmentation des prélèvements, nombre d'employés de ce secteur touchent moins en fin de mois qu'il y a cinq ans, il est manifeste qu'il n'y a rien à attendre de ces négociations !
De plus, en contrepartie de ce 1 % hypothètique, il voudrait obtenir la signature des syndicats sur des "réformes" qui consistent surtout à réduire les effectifs. Pour que le gouvernement lâche une augmentation dérisoire de 12 euros sur un salaire minimum mensuel de 1160 euros brut, il voudrait que les syndicats s'abaissent à cautionner le non remplacement d'une grande partie de ceux qui partent à la retraite ! Je ne sais pas ce que feront les dirigeants syndicaux, mais je suis sûr que les travailleurs du secteur public réagiront à l'arrogance du gouvernement comme elle le mérite!
Pour le secteur privé, Raffarin lâché la phrase : "répartir les fruits de la croissance". Pour les 40 plus importantes entreprises de ce pays, les "fruits de la croissance" ont représenté, l'année dernière, la somme de 60 milliards d'euros, un chiffre historique en augmentation de 64 % par rapport à l'année précédente. Répartis entre les 60 millions d'habitants de ce pays, cette somme représenterait 1000 euros par personnes, y compris les bébés au berceau. Mais cette somme sera, pour une part, directement empochée par quelques milliers de gros actionnaires, le restant servant à assurer, dans des placements spéculatifs, les dividendes des années à venir.
Et la part réservée aux salariés ? Le nouveau ministre de l'Économie, Thierry Breton, s'est chargé de donner un contenu à la phrase creuse de Raffarin. Il a proposé une "prime d'intéressement" payable une seule fois et plafonnée à 200 euros. Mais ce généreux cadeau aux travailleurs serait facultatif. Thierry Breton ne veut surtout pas contraindre les patrons à lâcher ne serait-ce qu'une miette à leurs salariés, pas même les patrons de ces grandes entreprises avec leurs bénéfices faramineux.
Pour inciter les patrons à verser quand même cette prime, Thierry Breton leur a promis qu'ils pourraient déduire cette somme de leurs bénéfices imposables. En somme, l'État rembourserait aux patrons, au moins en partie, la prime qu'ils verseraient !
Voilà donc leur conception de la "répartition des fruits de la croissance" : 64 % de progression pour les profits, autant sur les dividendes distribués aux actionnaires ; peut-être 1 % d'augmentation pour les travailleurs de la Fonction publique et, peut-être, 200 euros de prime exceptionnelle pour les travailleurs du secteur privé ! Alors que les salaires sont scandaleusement bas, que les prélèvements augmentent, que la pauvreté se généralise dans ce pays, voilà ce que ceux qui nous gouvernent osent présenter comme un cadeau aux travailleurs !
Mais, pour le patronat, même cela, c'est trop ! Les propositions de Raffarin ont déclenché une réaction violente du président du Medef, Seillière, qui a rappelé brutalement que les salaires sont du seul ressort des patrons et que l'État n'a pas à s'en mêler. Et, pour que personne ne s'y méprenne, il a ajouté que le smic est trop élevé et qu'il n'est pas question d'augmenter les minima de branche qui, dans la majorité des cas, sont inférieurs au smic !
Eh bien, qu'ils continuent comme cela, ce baron milliardaire et ses pairs du grand patronat, ainsi que leurs serviteurs au gouvernement. Ils finiront pas provoquer l'explosion sociale qu'ils méritent !
Au cours des dernières années, le patronat et les gouvernements successifs ont réussi à ramener la condition ouvrière des décennies en arrière. Pour renverser ce mouvement et ne serait-ce que pour retrouver les conditions conquises dans le passé, il faut cette explosion de colère.
Les luttes ouvrières sont les seuls freins à l'aggravation de l'exploitation. Mais pour supprimer l'exploitation, il faut mettre fin à l'ordre économique et social capitaliste, aussi irrationnel qu'inhumain. Voilà ce qui est à la base de nos convictions communistes.
Les dégâts du capitalisme, ce n'est pas seulement ce que les travailleurs et les chômeurs subissent ici même, dans un pays qui passe pour être un des plus riches du monde. Les dégâts du capitalisme, ce sont les inégalités profondes entre pays et entre continents entiers. Les dégâts du capitalisme, c'est le sous-développement de la majorité des pays de cette planète. C'est la famine dans certains d'entre eux.
"Plus d'un milliard de personnes boivent une eau avec laquelle vous ne laveriez pas votre voiture" : voilà le slogan de l'association Action contre la faim à l'occasion de la journée mondiale de l'eau qui avait lieu hier. Mais il est plus facile pour l'ONU de décréter une telle journée que de faire en sorte que les pays pauvres bénéficient des sommes, pourtant modestes, pour assurer la purification de l'eau dans les pays pauvres où elle est le principal facteur de maladie et de mortalité.
Le capitalisme, c'est aussi des sociétés à la dérive, déchirées par des guerres de clans politiques ou ethniques, derrière lesquelles il y a toujours les intérêts économiques de grands trusts.
Oui, les dégâts du capitalisme, ce sont aussi les guerres. Après les deux guerres mondiales du siècle passé, la paix n'est jamais complètement revenue. Il y a en permanence des affrontements armés sur un point ou un autre de la planète. Et même dans les pays qui ne sont pas touchés par des affrontements sur leur territoire, des sommes sans cesse croissantes sont dépensées en armements, en matériels militaires.
Les guerres, c'est la continuation de la concurrence, de la rivalité économique, par d'autres moyens. Voilà pourquoi être pacifiste sans mettre en cause le capitalisme, c'est de la naïveté qui se comprend quand il s'agit de jeunes pour qui c'est un premier pas pour contester un ordre social révoltant, mais c'est de l'hypocrisie lorsqu'il s'agit d'hommes politiques.
Et puis, comment oublier que, si la France ne connaît pas la guerre sur son territoire, elle n'a cessé d'en mener ailleurs dans le monde. De sales guerres coloniales à Madagascar, en Indochine ou en Algérie. Et depuis la fin des guerres coloniales, combien d'interventions militaires de l'armée française pour soutenir des dictatures pourries un peu partout en Afrique, de Djibouti au Gabon, en passant par le Tchad ? Comment oublier que des troupes françaises sont stationnées dans plusieurs pays africains et qu'elles ont assassiné en Côte-d'Ivoire et qu'elles interviendront peut-être, demain, au Togo ? Comment oublier que les Chirac et compagnie qui ont fait des simagrées à propos de la guerre contre l'Irak, sont en même temps les complices des États-unis en Afghanistan ? Comment oublier que Poutine est accueilli en ami par Chirac malgré les massacres en Tchétchénie ?
Alors oui, le capitalisme, c'est tout cela. Cet ordre social injuste, inhumain, qui gâche les immenses possibilités de l'humanité de maîtriser sa vie sociale, cet ordre social capitaliste représente le passé, et pas l'avenir. Il disparaîtra tôt ou tard, comme ont disparu dans le passé bien d'autres formes de sociétés basées sur l'exploitation et l'oppression. La question qui se pose n'est pas si un nouvel ordre social basé sur la propriété collective et soucieux de satisfaire les besoins de tous remplacera la société actuelle, cette société exploiteuse et égoïste. La question, c'est quand cela se produira.
Plus vite la classe ouvrière sera capable de faire surgir de ses rangs des partis qui affirment clairement dans leur programme que leur objectif est l'émancipation des travailleurs et le renversement de l'ordre capitaliste, plus l'humanité s'épargnera des crises, des guerres, des souffrances. Eh bien, il faut tout faire pour que cela se produits au plus vite !
Il faut tout faire pour que la classe ouvrière retrouve cette confiance en elle-même qui la rendra capable de se défendre. Mais aussi pour qu'elle retrouve la conscience de la capacité de s'émanciper des chaînes de l'exploitation et, par la même occasion, fonde une société égalitaire et démocratique, une société véritablement communiste.
Amis et camarades,
Personne ne pouvait avoir la naïveté de croire que le succès de la journée du 10 mars suffirait pour faire céder le patronat et le gouvernement, mais cela a montré l'ampleur du mécontentement.
La journée du 10 mars doit avoir une suite. Les directions syndicales n'en ont pas encore annoncé une alors que cela aurait dû être fait avant même que les manifestations du 10 mars aient eu lieu afin que chaque étape prépare la suivante, que le succès d'une journée encourage les hésitants à se joindre à la suivante. Pour l'instant, rien n'est proposé. Le patronat et le gouvernement poursuivent méthodiquement leurs attaques contre les travailleurs. En face, aucune des confédérations ne propose un plan de mobilisation des travailleurs. Celles qui parlent de donner une suite au 10 mars se réfugient derrière les tergiversations des autres.
Les ténors du Medef ne cessent de répéter, comme un des Sarkozy - pas celui de l'UMP, celui du Medef, mais il sont interchangeables - "qu'il n'y aura pas dans le privé d'ouverture de négociations".
Ce n'est certainement pas que le patronat craigne de retrouver les chefs syndicaux autours d'un tapis vert. Mais le patronat ne veut rien qui puisse un tant soit peu souligner que les intérêts des travailleurs sont collectifs. Il veut une classe ouvrière atomisée, chaque usine, chaque bureau, chaque atelier, voire chaque travailleur individuel seul face à son patron.
Eh bien non, c'est seulement la force collective des travailleurs qui leur permet de résister au grand patronat et au gouvernement. Il faut dire et répéter cela en une période où justement le patronat et le gouvernement sont en train de niveler par le bas les salaires et les conditions de travail. C'est cette offensive du patronat contre les travailleurs qui est en train de faire disparaître en réalité les statuts particuliers, les conditions particulières de telle ou telle corporation.
C'est tous ensemble, travailleurs du service public et du secteur privé, travailleurs de différentes corporations, que nous avons le nombre et la force pour reculer le patronat et le gouvernement !
Les grèves peuvent démarrer sans les directions syndicales. Les travailleurs, en se mettant en lutte, peuvent aussi forcer la main des directions syndicales.
Ce que le patronat et le gouvernement craignent par-dessus tout, c'est un mouvement qui s'étende et qui s'amplifie. C'est un mouvement dont ils ne savent pas aujourd'hui ce qu'il réservera demain. C'est un mouvement dont ils ne savent pas comment et quand les organisations syndicales parviendraient à le contrôler et quel prix ils auraient à payer pour l'arrêter.
Bien sûr, le développement, l'amplification des luttes ne dépendent pas des seuls militants, mais de ce qui se passe dans la conscience de centaines de milliers, de millions de travailleurs.
Et je peux vous dire que Gaymard et Copé, avec le scandale de leurs logements payés à prix d'or par l'État, ou encore les grands patrons qui se sont vantés dans les médias de leurs bénéfices multipliés ont plus fait pour faire comprendre aux travailleurs l'injustice de leur sort que tous les agitateurs, même les plus convaincus de la nécessité de la lutte !
Mais, pour que le mécontentement transformé en colère devienne volonté de lutte consciente, avec des objectifs justes unissant le monde du travail, il faut qu'il y ait des travailleuses et des travailleurs qui répètent autour d'eux que la contre-offensive des travailleurs est non seulement nécessaire et légitime, mais aussi possible. Puisque les patrons se vantent eux-mêmes d'avoir de l'argent, il faut les contraindre à ce qu'au moins une partie de cet argent serve tout à la fois à augmenter tous les salaires, à transformer les emplois précaires en emplois stables correctement payés, à arrêter les licenciements collectifs et à donner un emploi à tous en répartissant le travail.
Et, lorsque dans une entreprise, sur un chantier, le mécontentement est en train de se transformer en volonté de lutte, il faut qu'il y ait des travailleuses et des travailleurs non seulement pour prendre des initiatives qui s'imposent mais aussi pour faire en sorte que la volonté de lutte ne soit pas déviée vers le corporatisme, vers des revendications catégorielles, et que tous les travailleurs se retrouvent autour des objectifs fondamentaux qui concernent tous les travailleurs.
Et ces objectifs sont -et je ne peux que me répéter :
- pas de licenciements collectifs,
- pas de précarité,
- un emploi correctement payé pour tous,
- augmentation générale des salaires !
Alors, préparons la contre-offensive du monde du travail !
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 24 mars 2005)