Tribune de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille, dans "Le Figaro" le 25 avril 2005, sur la journée nationale de solidarité et l'affectation des fonds ainsi mobilisés.

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La "révolution de la longévité" est en marche. Elle a déjà profondément modifié notre société. Il y a aujourd'hui 12 millions de Français de plus de 60 ans. Ils seront 17 millions en 2020, dont 4 millions d'octogénaires et plusieurs dizaines de milliers de centenaires. Il est urgent de prendre la mesure de ce bouleversement. Cela implique un renouvellement de notre action politique à l'échelle de cette mutation démographique.
Elle donne à nos contemporains une chance extraordinaire de vivre plus longtemps et mieux : l'espérance de vie dans notre pays dépasse désormais 80 ans. Elle nous crée aussi le devoir d'assurer à nos aînés toujours plus nombreux toutes les aides nécessaires pour leur permettre de rester autonomes le plus longtemps possible et de recevoir, s'ils deviennent dépendants, l'assistance et les soins de qualité dont ils auront besoin.
Mais comment y parvenir dès lors que la part de nos concitoyens en âge de travailler diminue à mesure que celle des retraités augmente ? Il faut avoir le courage de poser la question, sans "langue de bois" ni précaution rhétorique. On découvre alors qu'une révolution peut en cacher une autre : en l'occurrence, la "révolution de la longévité" doit nous amener à conduire une "révolution de la solidarité".
C'est tout le sens de la journée nationale de solidarité instituée par le gouvernement. En contrepartie du jour de travail supplémentaire effectué par chaque salarié du secteur privé et chaque agent de la fonction publique, les entreprises verseront une contribution correspondant à un jour de productivité annuelle qui, s'ajoutant à la contribution sur les capitaux boursiers, portera à 2 milliards d'euros les fonds supplémentaires récoltés en 2005 en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.
Comme toutes les nouveautés, cette initiative suscite des étonnements et des critiques. Certains auraient, semble-t-il, préféré que l'on augmente les impôts ou les cotisations sociales pour faire face à l'accroissement des dépenses. Si nous les avions écoutés, non seulement nous aurions trahi nos engagements, grevé le pouvoir d'achat des Français et pénalisé la création d'emplois : car chacun sait que plus il y a de charges qui renchérissent le coût du travail, moins il y a d'emplois. Une telle politique de gribouille n'aurait abouti qu'à diminuer les recettes qu'elle prétendait augmenter !
Que signifie, au contraire, la journée de solidarité ? Que la croissance continue des besoins nous contraint à dégager de nouveaux moyens de financement pour les satisfaire. Que la société doit assistance et considération à ses aînés. Que la solidarité entre les générations ou la solidarité avec ceux que les accidents de la vie ont privés de leur autonomie, loin d'être laissée à la seule initiative des institutions, doit être le fait de chacun. Les familles y concourent au quotidien ; les acteurs des politiques publiques aussi, de par leurs missions ; mais les autres ? Dorénavant, les salariés, par leur travail, et les entreprises, par leur implication, apporteront leur part à cette grande cause.
La solidarité par tous et pour tous, c'est la seule voie digne et efficace pour être à la hauteur de la chance et du défi que constitue l'allongement de la vie. C'est cela, la "révolution de la solidarité".
Je peux comprendre que l'on n'accepte pas de gaîté de coeur un jour de travail supplémentaire. En revanche, feindre d'ignorer le problème auquel nous sommes confrontés me paraîtrait, je le dis sans détour, intolérable. Il s'agit de savoir quelle société nous voulons : il serait tout de même paradoxal, pour ne pas dire scandaleux, qu'au moment où, de toutes parts, s'expriment des aspirations à une société plus humaine, plus juste, plus protectrice et fraternelle, on rejette les moyens d'en faire bénéficier les personnes les plus fragiles !
Je refuse notamment tout ce qui pourrait ressembler à un communautarisme par l'âge, où les jeunes resteraient entre eux et où les plus vieux seraient condamnés à n'avoir de contacts qu'avec les plus vieux. L'homme n'est pas fait pour vivre en autarcie au sein de sa propre génération : il est normal que les actifs fassent profiter leurs aînés d'une partie des fruits de leur travail.
Reste la question du choix de la meilleure date pour cette action de solidarité : les opinions ou objections à ce sujet sont parfaitement respectables mais n'en demeurent pas moins secondaires par rapport à l'enjeu. En tout état de cause, une évaluation sur ce point sera rendue publique avant l'été.
Les fonds réunis grâce à la journée de solidarité seront exclusivement consacrés à la prise en charge de la dépendance qu'elle soit due à l'âge ou au handicap : deux millions de personnes en bénéficieront directement et immédiatement. Cette initiative va placer la France parmi les pays européens les plus actifs en matière d'aide aux personnes dépendantes.
Sur les 2 milliards d'euros mobilisés, 800 millions seront consacrés aux personnes handicapées, notamment pour la mise en oeuvre d'un véritable droit à compensation du handicap, créé par la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 portée par Marie-Anne Montchamps, secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, qui permet la prise en charge personnalisée des surcoûts de toute nature que celui-ci entraîne. 1,2 million d'euros iront au financement de la dépendance liée à l'âge. Avec Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, nous avons choisi de cibler l'utilisation de ces fonds sur des besoins et des initiatives identifiés comme prioritaires : 400 millions d'euros seront prélevés pour l'aide personnalisée à l'autonomie des personnes âgées ; 365 millions pour la médicalisation des maisons de retraite ; 50 millions pour la mise aux normes des établissements. Enfin, 385 millions serviront à financer les projets et les besoins au-delà de 2005, notamment pour le recrutement de personnels soignants, d'animateurs, de psychologues...
La journée de solidarité permettra également de financer des mesures volontaristes : 6 000 nouvelles places médicalisées en établissements, équivalent à 100 maisons de retraite ; la médicalisation de 120 000 places, soit le recrutement de 12 000 personnels soignants ; 6 000 places de services de soins infirmiers à domicile ; des prestations nouvelles pour le maintien à domicile...
Tous ces crédits seront gérés et contrôlés par un nouvel organisme qui veillera à leur affectation exclusive au financement de la dépendance. C'est la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, garante de la bonne utilisation des fonds sur l'ensemble du territoire national.
Sur ce dernier point, je veux rassurer tout à fait ceux, parmi nos concitoyens, qui doutent que les sommes collectées à l'occasion de la journée de solidarité seront bien affectées en totalité à l'aide aux personnes dépendantes. Pour éviter toute suspicion et toute ambiguïté, nous prenons l'engagement solennel de publier régulièrement un état complet du nombre de lits ouverts, de professionnels recrutés, de prestations nouvelles offertes, etc.
Je suis certain, d'ailleurs, que les Français, quand ils constateront les résultats obtenus, adhéreront avec bon sens à notre démarche. Car le peuple de France est généreux et fraternel. Il se reconnaîtra dans une initiative inspirée par un esprit d'équité et tout entière vouée à empêcher que, par incurie ou routine, nous nous accommodions de la précarité où seraient réduites des personnes âgées, faute d'avoir des enfants assez riches pour les en préserver.
La journée de solidarité, c'est le rempart que nous élevons contre le risque inacceptable de voir apparaître, si l'on me permet l'expression, "une vieillesse à deux vitesses".

(Source http://www.u-m-p.org, le 27 avril 2005)