Texte intégral
Madame la Présidente de la Chambre de Commerce et d'Industrie,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les représentants du monde socio-économique,
Mesdames, Messieurs,
Dans cinq semaines, comme tous les citoyens français, les Guadeloupéens seront consultés de la manière la plus démocratique possible, par le référendum populaire, pour répondre à une question, et une seule : approuvez-vous le projet de constitution européenne qui vous est soumis ?
Cette question importante, dont la réponse va être déterminante pour l'avenir de l'Europe, suscite un débat passionné, ouvert et démocratique dans notre pays ; il est le signe d'une prise de conscience de l'importance de l'enjeu. Il s'agit en effet de savoir si la France entend conserver le rôle éminent qui est le sien dans la construction européenne ou pas.
C'est dans ce contexte que j'ai souhaité, comme je l'ai fait récemment à La Réunion et à Mayotte, venir rappeler aujourd'hui en Guadeloupe ce que cette Europe en marche apporte à la France en général, à l'outre-mer en particulier et, encore plus précisément, à votre archipel.
Pour rappeler d'abord ce que vous apporte cette nouvelle Constitution, mais aussi pour répondre à tous ceux qui, ici ou là, tentent d'attiser les craintes en énonçant toutes sortes de contre-vérités à son endroit.
I - Qu'est-ce donc tout d'abord que ce projet de Constitution européenne ?
L'Europe, vous le savez, est à la fois une union de citoyens et une union d'États. Nous sommes ainsi, vous et moi, tout à la fois, citoyens français et citoyens européens.
Comme citoyens français, nous disposons déjà d'une Constitution. Il s'agit donc de nous doter d'un instrument similaire à l'échelle européenne, et ce faisant de faire franchir une étape supplémentaire au processus de construction européenne. En effet, comme toute autre Constitution, le projet de Constitution européenne a plusieurs objets essentiels :
Il reconnaît d'abord des droits fondamentaux à l'ensemble des citoyens européens, au travers de la Charte des droits fondamentaux qui comprend notamment les droits politiques et sociaux, l'égalité entre hommes et femmes, la non-discrimination, le respect des droits des minorités, la solidarité, et même des droits dits de " nouvelle génération " comme la bioéthique et l'environnement. Chacun d'entre vous pourra d'ailleurs saisir la Cour de Justice s'il estime que ces droits lui sont déniés par tel ou tel acte communautaire.
Ensuite, la Constitution définit les valeurs communes aux États qui composent l'Europe (liberté, égalité, démocratie, respect des droits de l'homme,) et leur fixe des objectifs que les politiques européennes devront donc respecter : promouvoir la paix et le bien-être des peuples ; uvrer à un développement durable des États européens, fondé sur une croissance économique équilibrée ; combattre l'exclusion sociale et les discriminations ; promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, la Constitution fixe des règles nouvelles qui permettront un fonctionnement harmonieux de l'Europe élargie. L'Europe ne peut en effet fonctionner à 25 États membres comme elle fonctionnait à 15.
Vous le constatez, avec cette Constitution européenne, il s'agit d'encadrer l'action de l'Europe, dans le respect des valeurs qui nous sont chères, à nous Français, et dans le respect de la liberté d'action des États membres, et donc des peuples qui la composent.
Ce projet de Constitution européenne, il faut s'en convaincre, est un bon projet. En effet, cette constitution met en place :
une Europe plus démocratique dans ses mécanismes de décision, en renforçant les pouvoirs du Parlement européen et des Parlements nationaux, et en instaurant un droit d'initiative populaire qui permettra à un million de citoyens de demander à la Commission de soumettre une proposition législative ;
ce projet permet également une Europe plus efficace dans son fonctionnement élargi à 25 États membres : le nouveau texte simplifie les procédures, reflète mieux le poids des grands États que dans le traité de Nice, grâce à la prise de décision à la double majorité des États pondérée par la population. Le poids de la France est ainsi renforcé au sein du Conseil de 8 à 12 %, et la constitution européenne donne à notre Parlement national les moyens de contrôler que l'Union européenne n'empiète pas sur ses prérogatives.
par ailleurs, ce projet met en place une Europe plus solidaire parce que plus sociale. Il instaure ainsi une clause sociale transversale imposant la prise en compte des impératifs sociaux dans toutes les politiques de l'Union. Il réaffirme la nécessaire solidarité, au sein de l'Europe, entre régions en retard de développement ou structurellement fragiles, et les autres régions. Cette solidarité s'exerce au travers des politiques structurelles qui bénéficient plus particulièrement, vous le savez, aux régions ultra-périphériques que sont les départements d'outre-mer ;
mais au-delà, c'est également une Europe plus sûre que cette Constitution vous propose : elle donne à l'Union de nouveaux moyens pour lutter contre les fléaux de la criminalité organisée et l'immigration clandestine, par un renforcement de la coopération entre magistrats et policiers, la perspective de création d'un parquet européen et l'élaboration d'une véritable politique commune en matière d'asile et d'immigration.
II - S'agissant plus précisément des RUP, et notamment de votre archipel, soyez-en sûrs, la Guadeloupe, partie intégrante de l'Union, sera gagnante sur tous les fronts avec la nouvelle constitution européenne :
elle y trouve d'abord une véritable reconnaissance institutionnelle, car son statut de région ultra-périphérique y est sensiblement renforcé, mais aussi des marges de manuvres innovantes pour son action régionale, conséquence de la reconnaissance des RUP comme avant-postes des frontières externes de l'Union européenne élargie ;
elle bénéficie ensuite de garanties supplémentaires quant à la préservation et l'affirmation de son identité culturelle ;
enfin et peut-être surtout, elle en obtient des financements importants pour contribuer à son développement économique et social.
Ces trois apports sont essentiels et je souhaite brièvement revenir sur chacun d'eux.
1 - Tout d'abord, la position institutionnelle des RUP est non seulement préservée dans la nouvelle Constitution, mais plus encore consolidée. En effet, le socle constitutionnel de l'article III-424 préserve tous les avantages reconnus dans le traité actuel à l'article 299-2. Il constituera le nouvel instrument juridique de référence pour adapter les politiques communautaires au bénéfice des RUP.
Pourquoi en sera-t-il ainsi ? Parce que cet article III-424 inscrit clairement dans le texte fondamental la nécessaire prise en compte des spécificités de l'outre-mer, et ce, dans toutes les politiques de l'Union européenne. Il dispose en effet que les actes européens devront être adoptés - je cite - " en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultra-périphériques ", notamment " leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles ".
Nous nous sommes tous battus pour parvenir à ce résultat qui couvre bien l'ensemble des politiques communautaires, et vous observerez par ailleurs que nous avons obtenu que la constitution européenne énumère nominativement les départements d'outre-mer français.
L'article III-424 va donc bien au-delà de ce qui existait jusqu'à présent. Le nouveau texte, en effet, offre une base juridique complètement autonome permettant de déroger en permanence au Traité en adoptant toute sorte de mesures spécifiques justifiées par l'ultrapériphérie.
La Commission elle-même en a déjà tiré certaines conséquences. Dans sa communication intitulée " Pour un partenariat renforcé pour les RUP ", du 26 mai 2004, elle propose en effet d'instaurer au profit de ces régions un programme spécifique de compensation des surcoûts. J'insiste sur la nouveauté du raisonnement : il ne s'agit plus de se référer à un niveau de PIB inférieur à la moyenne communautaire, mais bien de prendre en compte les handicaps structurels, et donc permanents, des régions ultra-périphériques.
Cette approche nouvelle balaie les craintes de ceux qui redoutent une remise en cause de l'effort financier consenti par l'Europe du fait de l'élargissement à l'Est. Car ce programme spécifique aux RUP, dont la Commission propose qu'il soit doté de 1,1 milliard d'euros pour la période 2007-2013, viendra naturellement s'ajouter aux actuels Fonds structurels, que nul ne songe à remettre en cause.
De même, la Commission envisage un " plan d'action pour le grand voisinage ", dont l'objectif serait d'élargir l'espace naturel d'influence des RUP, en réduisant les obstacles qui limitent les possibilités d'échanges régionaux. Ceci vous permettra de mieux coopérer avec les États tiers qui sont vos voisins de la grande Caraïbe, et répond donc bien à vos attentes.
2 - Mais au-delà de cette reconnaissance institutionnelle, l'Europe offre à l'outre-mer une véritable reconnaissance de sa diversité culturelle, qu'elle s'engage à préserver. Il s'agit-là d'un bel argument supplémentaire en faveur de cette Constitution, et auquel les Guadeloupéens ne peuvent qu'être sensibles. En effet, la Constitution place la protection de la diversité culturelle et le respect des traditions des peuples au premier rang des préoccupations de l'Union en les incluant dans la Charte des droits fondamentaux. Le texte de la Constitution précise à cet égard que l'Union - je cite - " respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ". Par ailleurs, et grâce au principe de l'exception culturelle introduit par la France dans la Constitution, vos particularités culturelles seront reconnues, protégées, et pérennisées.
3 - Enfin, et en plus de ces différentes garanties, l'Europe offre surtout à l'outre-mer une contribution financière décisive à son développement économique et à l'amélioration des conditions de vie de ses populations. La Guadeloupe bénéficie ainsi, depuis la première génération de programmes européens en 1989, de fonds structurels européens en constante augmentation.
Ce faisant, la réalité européenne est aujourd'hui partout présente dans votre archipel, sous vos yeux. Sans les crédits européens, en effet, peu de grands projets structurants prioritaires auraient pu voir le jour. Il en va ainsi de l'aéroport Pôle-Caraïbe (50 % du FEDER, soit 27 millions d'euros), de la liaison aéroport-port de Jarry (44 millions d'euros du Feder), ou encore de la déviation de Capesterre-Belle-Eau (25 millions d'euros du Feder).
De même, et les socio-professionnels qui sont ici le savent bien, beaucoup d'opérations ne se seraient pas réalisées sans le soutien financier de l'Europe, qu'il s'agisse de la modernisation de l'outil de production des entreprises, d'opérations de promotion et d'aménagements touristiques, d'assainissement, ou encore de réhabilitation du parc hôtelier.
Dans le DOCUP actuel qui couvre la période 2000?2006, c'est près de 830 millions d'euros que l'Europe apporte, dans toute une série de domaines variés parmi lesquels il importe de rappeler :
d'abord, le développement des secteurs-clé de l'activité économique et plus généralement des entreprises, au travers de primes à la création d'entreprise, de soutien aux investissements, d'ingénierie financière, ou encore de primes à l'embauche ;
ensuite le développement de l'agriculture auquel le FEOGA et le FEDER contribuent à hauteur de 140 millions d'euros : ils ont permis l'adaptation et le renouvellement des structures productives, la diversification et la transformation des produits issus de l'agriculture locale ;
mais aussi la valorisation des ressources humaines, pour laquelle le Fonds social européen apporte plus de 160 millions d'euros. Il permet notamment un renforcement des dispositifs de formation professionnelle et le développement des filières d'apprentissage. Au seul titre de l'année 2004, ce sont près de 7 500 Guadeloupéens qui auront bénéficié de formations soutenues par le FSE ;
s'agissant du développement équilibré du territoire, l'Europe participe aussi à la préservation de l'environnement : 275 millions d'euros de fonds européens sont consacrés à la lutte contre la pollution et les nuisances, mais aussi à la maîtrise des ressources en eau et en énergie. Cela se traduit concrètement par la réalisation de fermes éoliennes, comme celle de Petit-Canal, énergie qui représente aujourd'hui plus de 5 % de la puissance installée, et qui, avec le solaire et la géothermie, font de la Guadeloupe un véritable laboratoire des énergies renouvelables ;
enfin dans le secteur des transports et des communications, 121 millions d'euros ont été injectés par Bruxelles dans des opérations aussi importantes que la modernisation du port autonome de Guadeloupe, l'équipement du terminal à conteneurs de Jarry, l'aménagement de l'axe routier reliant Basse-Terre au pôle économique de Pointe-à-Pitre, mais aussi l'accès aux réseaux mondiaux de télécommunications à haut débit.
Les exemples sont nombreux, vous le constatez, et je pourrais ainsi les multiplier à l'infini. Qui n'a pas aperçu, partout dans l'archipel, au bord des routes et sur la plupart des chantiers, le petit écusson européen bleu avec ses 12 étoiles ? Chaque fois que vous l'apercevez, dites-vous bien que c'est cela, l'Europe en Guadeloupe, au plus près de vos besoins.
L'Europe, quelles que soient les distances, fait donc désormais partie intégrante de votre quotidien. Pour votre archipel, comme pour la France dans son ensemble, l'Europe constitue incontestablement une chance à saisir, un avantage à conserver, un investissement à faire fructifier.
Et c'est aujourd'hui qu'il revient aux Guadeloupéens d'en prendre conscience, car il s'agit pour vous, à l'occasion de ce prochain référendum, de préserver et conforter cet acquis pour l'avenir.
C'est en effet à votre tour de montrer à Bruxelles, aux autres États membres et en particulier aux dix nouveaux d'entre eux, que vous tenez à cet acquis et que vous entendez prendre toute votre place dans la poursuite de la construction européenne, dans le cadre du statut de RUP qui est le vôtre.
Pour y parvenir, seule votre mobilisation massive lors du référendum appellera l'attention sur vos besoins particuliers et convaincra définitivement Bruxelles que les aides dont vous avez bénéficié jusqu'ici sont justifiées et qu'elles demeurent nécessaires. Car soyez bien conscients que les résultats du vote du 29 mai seront examinés avec beaucoup d'attention. J'exhorte donc l'outre-mer français à prouver qu'il sait exister et défendre ses intérêts ! Mais pour cela, il vous faut absolument voter, massivement : pour être crédibles, entendus et respectés, allez voter !
III - J'espère avoir été claire dans l'énumération des avantages bien réels qu'apporte à l'outre-mer ce projet de Constitution européenne. Mais avant de conclure mon propos, et pour le rendre encore plus explicite, je voudrais répondre en quelques mots à ceux qui tentent de vous convaincre de voter non en agitant toutes sortes de menaces imaginaires, proférant au passage maintes contre-vérités que je veux rectifier :
à ceux qui osent prétendre que ce Traité constitutionnel consacre une Europe ultra-libérale, je veux répondre qu'au contraire il est le plus social que l'Europe ait jamais eu. Et c'est d'ailleurs la Confédération européenne des syndicats qui l'affirme elle-même, comme d'ailleurs la quasi-totalité des partis socialistes d'Europe, à la seule exception de celui de Malte : outre la reconnaissance de l'objectif de plein emploi, il renforce le dialogue social, et donne enfin une base juridique aux services publics, qualifiés de " services d'intérêt économique général " ;
à ceux qui osent prétendre que cette Constitution " organise la précarisation du statut européen de l'outre-mer ", je réponds qu'ils n'ont pas bien lu le texte, ou bien alors qu'ils mentent, puisque le nouvel article III-424 apporte, comme je vous l'ai indiqué, toutes les garanties que nous avions nous-mêmes demandées pour nos RUP ;
à ceux pour lesquels le nouvel article III-424 constituerait une régression en ce qu'il prévoit un retour à la règle de l'unanimité, je réponds là encore qu'ils n'ont pas bien lu le texte : l'article I-23 prévoit très clairement que la majorité qualifiée devient la règle, et que l'unanimité ne s'applique plus que lorsqu'elle est explicitement prévue par la Constitution, ce qui n'est précisément pas le cas à l'article III-424 qui traite des RUP ;
enfin, à ceux qui agitent l'épouvantail de l'élargissement en laissant entrevoir la fin des Fonds structurels pour l'outre-mer français, je répète qu'ils n'ont pas pris la peine de prendre en compte le programme spécifique que la Commission propose d'instaurer au profit des RUP, lequel viendra s'ajouter aux Fonds structurels existants.
Tous ces arguments que vous entendez en faveur du non ont ceci en commun qu'ils sont échafaudés sur une lecture biaisée de la Constitution, dans le but de vous inquiéter.
Or s'il y a une crainte à avoir pour l'outre-mer, c'est bien celle que ferait courir une victoire du non le 29 mai : comment en effet irons-nous ensuite négocier à Bruxelles nos dossiers les plus sensibles, sur lesquels la France est déjà la plus isolée, à commencer d'ailleurs par ceux de la banane et du sucre ?
A tous ceux d'entre vous qui seraient tentés par le non, je veux donc en appeler solennellement à la raison et au bon sens : rejeter cette Constitution, ce serait perdre notre crédibilité en Europe, et durablement affaiblir notre capacité à défendre nos intérêts ; mais ce serait aussi en rester aux Traités actuels, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'ils sont dépourvus de toute référence sociale, et qu'ils sont inadaptés aux processus de décision exigés par une Europe élargie à 25 membres.
Mesdames et Messieurs,
Le texte sur lequel chacun d'entre vous aura à se prononcer est peut-être long, voire compliqué. Mais il n'est ni de droite, ni de gauche, ni technocrate, ni pernicieux. C'est un document équilibré, écrit en collaboration entre 25 États, et qui doit beaucoup à la France dans sa conception, ses exigences, ses valeurs démocratiques et sociales. Après l'ébauche d'une Europe économique dans les traités antérieurs, le nouveau traité permet de combler le vide de l'Europe politique, et constitue à ce titre une étape déterminante dans la construction européenne.
Au moment de conclure, je veux donc vous dire ma conviction sincère : oui, cette Constitution européenne est une chance pour l'Europe, pour la France, et pour son outre-mer. Il nous faut aller dire oui à une Europe plus démocratique, plus efficace, plus sûre, avec une voix plus forte dans le monde.
Aux électeurs d'outre-mer que vous êtes, j'adresse cet autre appel : aidez-moi à prouver à Bruxelles, en vous rendant massivement aux urnes, que vous êtes attachés à la défense de vos droits et de vos spécificités. Le pire serait bel et bien que l'on vous croie indifférents non seulement à la construction européenne, mais surtout à l'utilité chez vous de son principe fondateur, la solidarité. En votant oui massivement, vous direz ainsi que vous croyez en l'Europe, et que vous lui faites confiance pour continuer à vous accompagner dans votre développement.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 27 avril 2005)
Monsieur le Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les représentants du monde socio-économique,
Mesdames, Messieurs,
Dans cinq semaines, comme tous les citoyens français, les Guadeloupéens seront consultés de la manière la plus démocratique possible, par le référendum populaire, pour répondre à une question, et une seule : approuvez-vous le projet de constitution européenne qui vous est soumis ?
Cette question importante, dont la réponse va être déterminante pour l'avenir de l'Europe, suscite un débat passionné, ouvert et démocratique dans notre pays ; il est le signe d'une prise de conscience de l'importance de l'enjeu. Il s'agit en effet de savoir si la France entend conserver le rôle éminent qui est le sien dans la construction européenne ou pas.
C'est dans ce contexte que j'ai souhaité, comme je l'ai fait récemment à La Réunion et à Mayotte, venir rappeler aujourd'hui en Guadeloupe ce que cette Europe en marche apporte à la France en général, à l'outre-mer en particulier et, encore plus précisément, à votre archipel.
Pour rappeler d'abord ce que vous apporte cette nouvelle Constitution, mais aussi pour répondre à tous ceux qui, ici ou là, tentent d'attiser les craintes en énonçant toutes sortes de contre-vérités à son endroit.
I - Qu'est-ce donc tout d'abord que ce projet de Constitution européenne ?
L'Europe, vous le savez, est à la fois une union de citoyens et une union d'États. Nous sommes ainsi, vous et moi, tout à la fois, citoyens français et citoyens européens.
Comme citoyens français, nous disposons déjà d'une Constitution. Il s'agit donc de nous doter d'un instrument similaire à l'échelle européenne, et ce faisant de faire franchir une étape supplémentaire au processus de construction européenne. En effet, comme toute autre Constitution, le projet de Constitution européenne a plusieurs objets essentiels :
Il reconnaît d'abord des droits fondamentaux à l'ensemble des citoyens européens, au travers de la Charte des droits fondamentaux qui comprend notamment les droits politiques et sociaux, l'égalité entre hommes et femmes, la non-discrimination, le respect des droits des minorités, la solidarité, et même des droits dits de " nouvelle génération " comme la bioéthique et l'environnement. Chacun d'entre vous pourra d'ailleurs saisir la Cour de Justice s'il estime que ces droits lui sont déniés par tel ou tel acte communautaire.
Ensuite, la Constitution définit les valeurs communes aux États qui composent l'Europe (liberté, égalité, démocratie, respect des droits de l'homme,) et leur fixe des objectifs que les politiques européennes devront donc respecter : promouvoir la paix et le bien-être des peuples ; uvrer à un développement durable des États européens, fondé sur une croissance économique équilibrée ; combattre l'exclusion sociale et les discriminations ; promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, la Constitution fixe des règles nouvelles qui permettront un fonctionnement harmonieux de l'Europe élargie. L'Europe ne peut en effet fonctionner à 25 États membres comme elle fonctionnait à 15.
Vous le constatez, avec cette Constitution européenne, il s'agit d'encadrer l'action de l'Europe, dans le respect des valeurs qui nous sont chères, à nous Français, et dans le respect de la liberté d'action des États membres, et donc des peuples qui la composent.
Ce projet de Constitution européenne, il faut s'en convaincre, est un bon projet. En effet, cette constitution met en place :
une Europe plus démocratique dans ses mécanismes de décision, en renforçant les pouvoirs du Parlement européen et des Parlements nationaux, et en instaurant un droit d'initiative populaire qui permettra à un million de citoyens de demander à la Commission de soumettre une proposition législative ;
ce projet permet également une Europe plus efficace dans son fonctionnement élargi à 25 États membres : le nouveau texte simplifie les procédures, reflète mieux le poids des grands États que dans le traité de Nice, grâce à la prise de décision à la double majorité des États pondérée par la population. Le poids de la France est ainsi renforcé au sein du Conseil de 8 à 12 %, et la constitution européenne donne à notre Parlement national les moyens de contrôler que l'Union européenne n'empiète pas sur ses prérogatives.
par ailleurs, ce projet met en place une Europe plus solidaire parce que plus sociale. Il instaure ainsi une clause sociale transversale imposant la prise en compte des impératifs sociaux dans toutes les politiques de l'Union. Il réaffirme la nécessaire solidarité, au sein de l'Europe, entre régions en retard de développement ou structurellement fragiles, et les autres régions. Cette solidarité s'exerce au travers des politiques structurelles qui bénéficient plus particulièrement, vous le savez, aux régions ultra-périphériques que sont les départements d'outre-mer ;
mais au-delà, c'est également une Europe plus sûre que cette Constitution vous propose : elle donne à l'Union de nouveaux moyens pour lutter contre les fléaux de la criminalité organisée et l'immigration clandestine, par un renforcement de la coopération entre magistrats et policiers, la perspective de création d'un parquet européen et l'élaboration d'une véritable politique commune en matière d'asile et d'immigration.
II - S'agissant plus précisément des RUP, et notamment de votre archipel, soyez-en sûrs, la Guadeloupe, partie intégrante de l'Union, sera gagnante sur tous les fronts avec la nouvelle constitution européenne :
elle y trouve d'abord une véritable reconnaissance institutionnelle, car son statut de région ultra-périphérique y est sensiblement renforcé, mais aussi des marges de manuvres innovantes pour son action régionale, conséquence de la reconnaissance des RUP comme avant-postes des frontières externes de l'Union européenne élargie ;
elle bénéficie ensuite de garanties supplémentaires quant à la préservation et l'affirmation de son identité culturelle ;
enfin et peut-être surtout, elle en obtient des financements importants pour contribuer à son développement économique et social.
Ces trois apports sont essentiels et je souhaite brièvement revenir sur chacun d'eux.
1 - Tout d'abord, la position institutionnelle des RUP est non seulement préservée dans la nouvelle Constitution, mais plus encore consolidée. En effet, le socle constitutionnel de l'article III-424 préserve tous les avantages reconnus dans le traité actuel à l'article 299-2. Il constituera le nouvel instrument juridique de référence pour adapter les politiques communautaires au bénéfice des RUP.
Pourquoi en sera-t-il ainsi ? Parce que cet article III-424 inscrit clairement dans le texte fondamental la nécessaire prise en compte des spécificités de l'outre-mer, et ce, dans toutes les politiques de l'Union européenne. Il dispose en effet que les actes européens devront être adoptés - je cite - " en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultra-périphériques ", notamment " leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles ".
Nous nous sommes tous battus pour parvenir à ce résultat qui couvre bien l'ensemble des politiques communautaires, et vous observerez par ailleurs que nous avons obtenu que la constitution européenne énumère nominativement les départements d'outre-mer français.
L'article III-424 va donc bien au-delà de ce qui existait jusqu'à présent. Le nouveau texte, en effet, offre une base juridique complètement autonome permettant de déroger en permanence au Traité en adoptant toute sorte de mesures spécifiques justifiées par l'ultrapériphérie.
La Commission elle-même en a déjà tiré certaines conséquences. Dans sa communication intitulée " Pour un partenariat renforcé pour les RUP ", du 26 mai 2004, elle propose en effet d'instaurer au profit de ces régions un programme spécifique de compensation des surcoûts. J'insiste sur la nouveauté du raisonnement : il ne s'agit plus de se référer à un niveau de PIB inférieur à la moyenne communautaire, mais bien de prendre en compte les handicaps structurels, et donc permanents, des régions ultra-périphériques.
Cette approche nouvelle balaie les craintes de ceux qui redoutent une remise en cause de l'effort financier consenti par l'Europe du fait de l'élargissement à l'Est. Car ce programme spécifique aux RUP, dont la Commission propose qu'il soit doté de 1,1 milliard d'euros pour la période 2007-2013, viendra naturellement s'ajouter aux actuels Fonds structurels, que nul ne songe à remettre en cause.
De même, la Commission envisage un " plan d'action pour le grand voisinage ", dont l'objectif serait d'élargir l'espace naturel d'influence des RUP, en réduisant les obstacles qui limitent les possibilités d'échanges régionaux. Ceci vous permettra de mieux coopérer avec les États tiers qui sont vos voisins de la grande Caraïbe, et répond donc bien à vos attentes.
2 - Mais au-delà de cette reconnaissance institutionnelle, l'Europe offre à l'outre-mer une véritable reconnaissance de sa diversité culturelle, qu'elle s'engage à préserver. Il s'agit-là d'un bel argument supplémentaire en faveur de cette Constitution, et auquel les Guadeloupéens ne peuvent qu'être sensibles. En effet, la Constitution place la protection de la diversité culturelle et le respect des traditions des peuples au premier rang des préoccupations de l'Union en les incluant dans la Charte des droits fondamentaux. Le texte de la Constitution précise à cet égard que l'Union - je cite - " respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ". Par ailleurs, et grâce au principe de l'exception culturelle introduit par la France dans la Constitution, vos particularités culturelles seront reconnues, protégées, et pérennisées.
3 - Enfin, et en plus de ces différentes garanties, l'Europe offre surtout à l'outre-mer une contribution financière décisive à son développement économique et à l'amélioration des conditions de vie de ses populations. La Guadeloupe bénéficie ainsi, depuis la première génération de programmes européens en 1989, de fonds structurels européens en constante augmentation.
Ce faisant, la réalité européenne est aujourd'hui partout présente dans votre archipel, sous vos yeux. Sans les crédits européens, en effet, peu de grands projets structurants prioritaires auraient pu voir le jour. Il en va ainsi de l'aéroport Pôle-Caraïbe (50 % du FEDER, soit 27 millions d'euros), de la liaison aéroport-port de Jarry (44 millions d'euros du Feder), ou encore de la déviation de Capesterre-Belle-Eau (25 millions d'euros du Feder).
De même, et les socio-professionnels qui sont ici le savent bien, beaucoup d'opérations ne se seraient pas réalisées sans le soutien financier de l'Europe, qu'il s'agisse de la modernisation de l'outil de production des entreprises, d'opérations de promotion et d'aménagements touristiques, d'assainissement, ou encore de réhabilitation du parc hôtelier.
Dans le DOCUP actuel qui couvre la période 2000?2006, c'est près de 830 millions d'euros que l'Europe apporte, dans toute une série de domaines variés parmi lesquels il importe de rappeler :
d'abord, le développement des secteurs-clé de l'activité économique et plus généralement des entreprises, au travers de primes à la création d'entreprise, de soutien aux investissements, d'ingénierie financière, ou encore de primes à l'embauche ;
ensuite le développement de l'agriculture auquel le FEOGA et le FEDER contribuent à hauteur de 140 millions d'euros : ils ont permis l'adaptation et le renouvellement des structures productives, la diversification et la transformation des produits issus de l'agriculture locale ;
mais aussi la valorisation des ressources humaines, pour laquelle le Fonds social européen apporte plus de 160 millions d'euros. Il permet notamment un renforcement des dispositifs de formation professionnelle et le développement des filières d'apprentissage. Au seul titre de l'année 2004, ce sont près de 7 500 Guadeloupéens qui auront bénéficié de formations soutenues par le FSE ;
s'agissant du développement équilibré du territoire, l'Europe participe aussi à la préservation de l'environnement : 275 millions d'euros de fonds européens sont consacrés à la lutte contre la pollution et les nuisances, mais aussi à la maîtrise des ressources en eau et en énergie. Cela se traduit concrètement par la réalisation de fermes éoliennes, comme celle de Petit-Canal, énergie qui représente aujourd'hui plus de 5 % de la puissance installée, et qui, avec le solaire et la géothermie, font de la Guadeloupe un véritable laboratoire des énergies renouvelables ;
enfin dans le secteur des transports et des communications, 121 millions d'euros ont été injectés par Bruxelles dans des opérations aussi importantes que la modernisation du port autonome de Guadeloupe, l'équipement du terminal à conteneurs de Jarry, l'aménagement de l'axe routier reliant Basse-Terre au pôle économique de Pointe-à-Pitre, mais aussi l'accès aux réseaux mondiaux de télécommunications à haut débit.
Les exemples sont nombreux, vous le constatez, et je pourrais ainsi les multiplier à l'infini. Qui n'a pas aperçu, partout dans l'archipel, au bord des routes et sur la plupart des chantiers, le petit écusson européen bleu avec ses 12 étoiles ? Chaque fois que vous l'apercevez, dites-vous bien que c'est cela, l'Europe en Guadeloupe, au plus près de vos besoins.
L'Europe, quelles que soient les distances, fait donc désormais partie intégrante de votre quotidien. Pour votre archipel, comme pour la France dans son ensemble, l'Europe constitue incontestablement une chance à saisir, un avantage à conserver, un investissement à faire fructifier.
Et c'est aujourd'hui qu'il revient aux Guadeloupéens d'en prendre conscience, car il s'agit pour vous, à l'occasion de ce prochain référendum, de préserver et conforter cet acquis pour l'avenir.
C'est en effet à votre tour de montrer à Bruxelles, aux autres États membres et en particulier aux dix nouveaux d'entre eux, que vous tenez à cet acquis et que vous entendez prendre toute votre place dans la poursuite de la construction européenne, dans le cadre du statut de RUP qui est le vôtre.
Pour y parvenir, seule votre mobilisation massive lors du référendum appellera l'attention sur vos besoins particuliers et convaincra définitivement Bruxelles que les aides dont vous avez bénéficié jusqu'ici sont justifiées et qu'elles demeurent nécessaires. Car soyez bien conscients que les résultats du vote du 29 mai seront examinés avec beaucoup d'attention. J'exhorte donc l'outre-mer français à prouver qu'il sait exister et défendre ses intérêts ! Mais pour cela, il vous faut absolument voter, massivement : pour être crédibles, entendus et respectés, allez voter !
III - J'espère avoir été claire dans l'énumération des avantages bien réels qu'apporte à l'outre-mer ce projet de Constitution européenne. Mais avant de conclure mon propos, et pour le rendre encore plus explicite, je voudrais répondre en quelques mots à ceux qui tentent de vous convaincre de voter non en agitant toutes sortes de menaces imaginaires, proférant au passage maintes contre-vérités que je veux rectifier :
à ceux qui osent prétendre que ce Traité constitutionnel consacre une Europe ultra-libérale, je veux répondre qu'au contraire il est le plus social que l'Europe ait jamais eu. Et c'est d'ailleurs la Confédération européenne des syndicats qui l'affirme elle-même, comme d'ailleurs la quasi-totalité des partis socialistes d'Europe, à la seule exception de celui de Malte : outre la reconnaissance de l'objectif de plein emploi, il renforce le dialogue social, et donne enfin une base juridique aux services publics, qualifiés de " services d'intérêt économique général " ;
à ceux qui osent prétendre que cette Constitution " organise la précarisation du statut européen de l'outre-mer ", je réponds qu'ils n'ont pas bien lu le texte, ou bien alors qu'ils mentent, puisque le nouvel article III-424 apporte, comme je vous l'ai indiqué, toutes les garanties que nous avions nous-mêmes demandées pour nos RUP ;
à ceux pour lesquels le nouvel article III-424 constituerait une régression en ce qu'il prévoit un retour à la règle de l'unanimité, je réponds là encore qu'ils n'ont pas bien lu le texte : l'article I-23 prévoit très clairement que la majorité qualifiée devient la règle, et que l'unanimité ne s'applique plus que lorsqu'elle est explicitement prévue par la Constitution, ce qui n'est précisément pas le cas à l'article III-424 qui traite des RUP ;
enfin, à ceux qui agitent l'épouvantail de l'élargissement en laissant entrevoir la fin des Fonds structurels pour l'outre-mer français, je répète qu'ils n'ont pas pris la peine de prendre en compte le programme spécifique que la Commission propose d'instaurer au profit des RUP, lequel viendra s'ajouter aux Fonds structurels existants.
Tous ces arguments que vous entendez en faveur du non ont ceci en commun qu'ils sont échafaudés sur une lecture biaisée de la Constitution, dans le but de vous inquiéter.
Or s'il y a une crainte à avoir pour l'outre-mer, c'est bien celle que ferait courir une victoire du non le 29 mai : comment en effet irons-nous ensuite négocier à Bruxelles nos dossiers les plus sensibles, sur lesquels la France est déjà la plus isolée, à commencer d'ailleurs par ceux de la banane et du sucre ?
A tous ceux d'entre vous qui seraient tentés par le non, je veux donc en appeler solennellement à la raison et au bon sens : rejeter cette Constitution, ce serait perdre notre crédibilité en Europe, et durablement affaiblir notre capacité à défendre nos intérêts ; mais ce serait aussi en rester aux Traités actuels, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'ils sont dépourvus de toute référence sociale, et qu'ils sont inadaptés aux processus de décision exigés par une Europe élargie à 25 membres.
Mesdames et Messieurs,
Le texte sur lequel chacun d'entre vous aura à se prononcer est peut-être long, voire compliqué. Mais il n'est ni de droite, ni de gauche, ni technocrate, ni pernicieux. C'est un document équilibré, écrit en collaboration entre 25 États, et qui doit beaucoup à la France dans sa conception, ses exigences, ses valeurs démocratiques et sociales. Après l'ébauche d'une Europe économique dans les traités antérieurs, le nouveau traité permet de combler le vide de l'Europe politique, et constitue à ce titre une étape déterminante dans la construction européenne.
Au moment de conclure, je veux donc vous dire ma conviction sincère : oui, cette Constitution européenne est une chance pour l'Europe, pour la France, et pour son outre-mer. Il nous faut aller dire oui à une Europe plus démocratique, plus efficace, plus sûre, avec une voix plus forte dans le monde.
Aux électeurs d'outre-mer que vous êtes, j'adresse cet autre appel : aidez-moi à prouver à Bruxelles, en vous rendant massivement aux urnes, que vous êtes attachés à la défense de vos droits et de vos spécificités. Le pire serait bel et bien que l'on vous croie indifférents non seulement à la construction européenne, mais surtout à l'utilité chez vous de son principe fondateur, la solidarité. En votant oui massivement, vous direz ainsi que vous croyez en l'Europe, et que vous lui faites confiance pour continuer à vous accompagner dans votre développement.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 27 avril 2005)