Interview de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille à RTL le 16 mai 2005, sur la journée de solidarité avec les personnes âgées et les handicapés, la réforme de la Sécurité sociale et le modéle social à la française.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour Philippe Douste-Blazy. Le gouvernement souhaitait que ce lundi de Pentecôte 2005 soit un jour de travail en solidarité avec les plus âgés et les personnes handicapées. Ce matin on est loin du compte. Des préavis de grève ont été déposés dans plusieurs administrations. Les écoles manqueront de professeurs. Les cantines d'élèves. Certaines entreprises seront ouvertes, d'autres fermées. "C'est lundi c'est cafouillis" disait tout à l'heure Patrick Cohen à 7 h 30. Pour dire les choses franchement, le gouvernement aujourd'hui va frôler le ridicule, et peut-être même va t-il y sombrer. Ce tableau, Philippe Douste-Blazy, vous met-il de mauvaise humeur ?
R- Philippe DOUSTE-BLAZY : Je ne pense pas comme vous. Je ne pense pas comme Alain Duhamel. Je pense que nous avons tous peut-être en effet en France une culture de la grogne, mais en même temps je suis persuadé que la solidarité est ancrée dans notre histoire.
Q- Mais pas telle que vous l'organisez, visiblement, Philippe Douste-Blazy.
R- Non, quand j'entends dire qu'il va y avoir des grèves et donc que c'est la faute du gouvernement, ça me fait doucement rire ! Non. Non le gouvernement n'est pas responsable des grèves ! Il y a un droit de grève. Certains prennent leurs responsabilités. Vous savez Monsieur Aphatie, je suis médecin, je sais qu'aujourd'hui nous ne pouvons pas continuer à payer la protection sociale, comme si de rien n'était.
Q- Il faut travailler plus ?
R- Mais bien sûr, mais à force de ne rien dire, à force de ne pas dire la vérité sur la protection sociale, sur la sécurité sociale, tout à l'heure je n'entendais pas ce mot, mais qui paye ? Les Français. Mais comment fait-on, comment évalue t-on est-ce qu'on va continuer à faire des déficits en permanence, en faisant croire que tout va bien et en faisant croire qu'il suffit d'augmenter les cotisations, donc le coût du travail, donc le chômage.
Q- Mais quelle est la vérité Philippe Douste-Blazy ? Votre réforme nous avait laissé penser que les problèmes de la Sécurité Sociale étaient réglés...
R- Non. La réforme est faite pour qu'un euro dépensé soit un euro efficace. Mais nous sommes les premiers hommes et les premières femmes de l'histoire de l'humanité à connaître une espérance de vie comme ça ! 500.000 personnes de plus 85 ans en plus dans les cinq ans qui viennent ! 500.000 dans les cinq ans qui viennent ! 92.000 lits de maisons de retraite médicalisées. Mais comment va t-on payer ? En augmentant les cotisations, et donc le coût du travail, et donc le chômage.
Q- Et on s'en rend compte aujourd'hui Philippe Douste-Blazy. Ça fait longtemps que le problème est là.
R- Justement, justement, ni vous, ni nous peut-être, ne l'avons suffisamment dit. On fait comme si ça n'existait pas. Et puis on dit ensuite : il y a les déficits de Maastricht. Mais ils viennent d'où les déficits de Maastricht ? Ils viennent vous croyez uniquement des dépenses de l'Etat ? Non. Ils viennent aussi des comptes sociaux. Et il est temps de le dire ! Alors ce n'est pas en augmentant les impôts, les socialistes - d'ailleurs assez courageusement - disent : il faut augmenter les impôts. Ça, augmenter les impôts, pour ceux qui sont au Smic, c'est tout de suite: moins de pouvoir d'achat, moins de consommation. Nous, nous avons augmenté le treizième mois des Smicards, il ne s'agit pas d'augmenter les impôts. Alors nous nous disons : oui, sept heures de travail de plus par an. Alors j'entends : pourquoi le lundi de Pentecôte ? eh bien d'abord parce qu'il y a des gens qui ne sont pas aux RTT et puis d'autre part, prenez l'Éducation Nationale, il faut bien que les parents d'élèves sachent, au niveau national, quand on peut envoyer les enfants à l'école. Et donc c'est un début. Par définition il y aura des moments un peu difficiles aujourd'hui. Mais le dernier sondage qui a été fait avant-hier de Ouest France montre que 44 % des Français vont travailler et 28 vont prendre des RTT. Ça veut dire, 72 % des Français ont accepté de donner sept heures de leur temps. Eh bien je dis : bravo. Je leur dis ma gratitude et ma reconnaissance. Parce que c'est pour les personnes âgées. Alors je ne veux culpabiliser personne. Je ne veux pas dire : il y a les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. C'est un problème français.
Q- Vous voyez bien quand même que la mesure que vous avez prise est mal comprise. Peut-être a t-elle été mal expliquée. Isabelle Choquet faisait du reportage ce matin, alors on entendait quelqu'un qui disait : on sait pertinemment que tout n'ira pas chez les personnes âgées. Il y a quand même comme un problème de confiance entre ceux qui gouvernent, d'une part et ceux qui sont l'objet des mesures de ces gouvernants, d'autre part.
R- Écoutez, quand on voit que la vignette automobile.
Q- Supprimée en 2000.
R- Était faite pour les personnes âgées.
Q- On la remet.
R- Et qu'en 2000 on a fait croire qu'il n'y avait plus de problèmes avec les personnes âgées, au point de supprimer la vignette. Quand on a ce genre de comportement, il est vrai qu'il est difficile pour les Français de suivre ! En réalité, la vignette automobile ne servait plus depuis longtemps à ce pourquoi elle était faite, et donc il y avait un détournement. C'est la raison pour laquelle Jean-Pierre Raffarin a voulu faire venir Philippe Séguin, premier Président de la Cour des Comptes, devant la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, qui va empocher ces deux milliards d'euros dus au travail des Français aujourd'hui. Et ces deux milliards d'euros, la Cour des Comptes sera là pour être bien sure que ça serve à créer 15.000 postes d'infirmières pour les personnes âgées dépendantes. 8.500 pour les handicapés, parce qu'on ne parle jamais des personnes handicapées, il faut bien s'en occuper des personnes handicapées aussi !
Q- Alors on est sûr que ces deux milliards seront utilisés à ça.
R- Oui.
Q- Et on est sûr aussi que ces deux milliards ne suffiront pas. Il y a besoin de combien d'argent encore Philippe Douste-Blazy ?
R- Il est difficile de le chiffrer.
Q- Vos services ont dû le chiffrer tout de même.
R- Oui mais ça dépend beaucoup de l'espérance de vie dans les prochaines années. Mais il est évident que ça dépasse de loin ces deux milliards !
Q- Une évaluation ce matin Philippe Douste-Blazy.
R- Non je ne peux pas vous la dire de manière sérieuse.
Q- Vous dites qu'il faut dire la vérité aux Français, et puis on ne dit pas de chiffres.
R- Non, certains disent trois milliards de plus, d'autres disent quatre milliards.
Q- Et vous ?
R- Au moins deux milliards d'euros mais je ne peux pas vous le dire de manière absolument parfaite. Pourquoi ? Parce que, regardez l'Allemagne. Vous avez huit infirmières pour dix personnes âgées dépendantes, la nuit.
Q- Et en France ?
R- En France, nous sommes à quatre, quatre et demie.
Q- Donc il faut doubler l'effort.
R- Non mais si on veut faire comme l'Allemagne, c'est doubler. Est-ce qu'il faut d'abord huit infirmières pour dix personnes ? C'est une question que je vous pose, vous ne savez pas y répondre, moi non plus aujourd'hui.
Q- Vous êtes mieux placé que moi pour y répondre hein.
R- Non, ce sont des experts qui le feront. Ça se fait aujourd'hui. Et tout ça pour vous dire que les deux milliards ne suffisent pas. Alors je ne veux pas qu'il y ait des personnes âgées dépendantes qui sont dans des familles riches, qui pourront avoir une vieillesse digne et ceux qui ne pourraient pas avoir l'argent pour avoir une fin de vie digne. Ça, c'est impossible dans ce pays qui a créé la Sécurité Sociale avec le Général de Gaulle et les membres du Conseil National de la Résistance.
Q- A votre avis Philippe Douste-Blazy, 2006, le lundi de Pentecôte sera toujours férié ? Enfin, sera férié, il l'est toujours mais il sera travaillé ?
R- Monsieur Aphatie, il n'est pas férié, vous travaillez comme un lundi matin.
Q- Il est férié, mais il n'est pas chômé. Alors 2006, ce sera la même chose ou pas ?
R- Je crois savoir ce qu'on va dire en effet aux Français ce qu'on a dit, c'est-à-dire: si vous voulez prendre un jour de RTT, oui mais s'il n'y a pas d'accord, il faut bien qu'il y ait un jour de référence, regardez le vendredi de l'Ascension, c'est ce qui se passe.
Q- "Le meilleur modèle social, ce n'est plus le nôtre". C'est ce que disait Nicolas Sarkozy jeudi soir. Vous souscrivez à ce jugement Philippe Douste-Blazy ?
R- Personne ne doit remettre en cause le principe du modèle social à la Française. La Sécurité Sociale.
Q- Qui ne marche pas bien hein, il y a des problèmes.
R- Non, attendez. Il ne faut pas que l'on cumule : les impôts américains, la protection sociale scandinave et les dépenses publiques françaises !
Q- Non, mais il faut qu'on fasse quelque chose. Il y a quelque chose qui ne va pas.
R- Le modèle social français, vous savez je suis bien placé pour savoir que c'est absolument remarquable. A une condition : c'est d'expliquer que l'on ne pourra continuer le modèle social français que si on travaille plus, pour pouvoir se le payer. On ne pourra pas continuer à augmenter les cotisations.
Q- Nicolas Sarkozy se trompe quand il dit des choses comme ça ? "Le meilleur modèle social ce n'est plus le nôtre".
R- En tout cas, le modèle social français aujourd'hui, dans son principe, doit être défendu. C'est un honneur pour notre pays que de cotiser en fonction de ses moyens, et d'être aidé en fonction de ses besoins. C'est un principe, mais il faudra travailler plus pour le garder.
Q- Philippe Douste-Blazy, qui travaille aujourd'hui, lundi de Pentecôte, nous aussi d'ailleurs.
R- Comme beaucoup.
(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2005)