Déclaration de M. François Fillon, Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en faveur de l'adoption du projet de Constitution européenne, Paris le 6 mars 2005.

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Circonstance : Conseil national de l'UMP à Paris le 6 mars 2005

Texte intégral

En apparence, rien n'est plus simple que la question posée par le référendum européen : sur le plan international, il s'agit d'adopter le meilleur compromis possible qui préserve les possibilités d'unir peu à peu l'ensemble du Continent, sans pour autant rompre avec ceux qui, en Grande-Bretagne, en Scandinavie, mais aussi en Pologne demeurent attachés à une forte souveraineté nationale. Le compromis était possible, il a été finalement optimisé par l'exceptionnel talent de négociateur du Président Giscard d'Estaing. Si l'Angleterre attachée au pouvoir des Etats a pu y trouver des satisfactions et des apaisements, si l'Allemagne qui demeure fédéraliste a pu préserver un rôle plus qu'honorable pour la Commission de Bruxelles et le Parlement, c'est tout de même la France qui aura été l'architecte principal de ce sauvetage diplomatique qui nous permet de nous débarrasser enfin du-pansement de fortune appliqué dans la fièvre du l'urgence à Nice en décembre 1999 et qu'on ne saurait proroger davantage.
Voter non à un tel compromis, ce serait donc voter non à la diplomatie française et à l'un de ses plus importants succès récents.
Sur le plan intérieur, rien n'est plus simple en apparence également. Les adversaires du oui, se regroupent à l'extrême droite et à l'extrême gauche du spectre politique dans une même exaltation de la démocratie et de la nationalité. Jamais ils ne discutent un tant soit peu les effets évidemment délétères pour la position de la France de leur vote négatif. Ceux qui tels Laurent Fabius au Parti Socialiste, leur prêtent, du bout des lèvres, main forte, en prétendant y apporter une contribution plus raisonnée ne font que trahir leur identité politique et le sens de leur action publique. C'est d'ailleurs la raison même de leur isolement dans la classe politique démocratique. Ceux qui prennent le risque de faire passer le non à ce référendum ne pourront jamais profiter de leur forfait : les effets de leur action les suivront à jamais, non plus seulement en France, mais à l'échelle de l'Europe toute entière.
Tout serait donc très simple. Pourtant, à y regarder de plus près, les difficultés commencent, et celles-là sont bien réelles. Bien au delà du problème turc que l'on invoque en permanence pour brouiller les questions fondamentales, nous pouvons en discerner trois qui sont bien plus sérieuses, et auxquelles notre campagne se doit de commencer à répondre si l'on veut lever les inquiétudes parfaitement rationnelles de nos compatriotes, et qui bien exploitées, pourraient permettre à la coalition hétéroclite des imprécateurs, des saboteurs et des sang-creux de se retrouver un beau jour à la tête d'une majorité éphémère certes, mais destructive. Ces trois problèmes, ce sont dans l'ordre croissant de gravité celui de l'élargissement géographique mais aussi stratégique des projets européens, celui du marché mondial et de ses déséquilibres, celui du contrôle démocratique des processus de décision qui affectent notre vie quotidienne.
L'élargissement du projet européen s'est largement imposé à nous, avec le grand vent de l'histoire. Sans doute l'empire soviétique en se dissolvant, nous a confrontés à des défis inédits qui ont compliqué l'édification d'une Europe indépendante. Mais comme l'écrit Victor Hugo, on ne condamne pas l'orage on ne met pas l'histoire en accusation. Pas davantage qu'il n'y avait place pour une Allemagne de l'Est, il n'y eut bientôt d'avenir pour une Europe centrale lointainement associée à l'Europe occidentale. Chacun ensuite a voulu que ne soit oublié tel ou tel pays qui lui était particulièrement proche : les Nordiques ont tiré en cordée les Baltes, l'Autriche et l'Italie ont voulu la Slovénie introduisant à terme le principe d'une absorption de toute l'ancienne Yougoslavie et la France elle-même s'est montrée sensible à la francophonie proclamée de la Roumanie et de la Bulgarie.
Point n'est besoin d'aller chercher le cas turc pour s'apercevoir que l'Europe à 25 va conduire à une Europe à 32, en incorporant les Balkans, 35 si d'aventure Suisses, Norvégiens et Islandais (ces deux derniers sont déjà dans l'Europe de Schengen) surmontent leurs objections actuelles.
Il n'y a pas de réponse simple à cette immense croissance : fermer les portes sera aussi complexe que de les ouvrir ou plutôt une réponse assez simple existe : elle consistera à séparer progressivement une fédération européenne plus resserrée, ayant l'ambition de se doter des moyens effectifs d'une politique de puissance digne de ce nom.
Et cela tout en maintenant coûte que coûte une vaste union européenne aux dimensions du continent, qui, contrairement à une certaine vision anglo-saxonne, ne se réservera nullement à un simple espace marchand, mais constituera plutôt un ensemble unifié sur les plans juridique, culturel et industriel, doté de véritables politiques sectorielles, mais ici sans aliénation de la souveraineté de ceux qui souhaitent la conserver. Seulement cette manuvre furieusement complexe ne se fait pas toute seule : elle repose tout d'abord sur une véritable relance du couple franco-allemand, encore insuffisamment performant au sein de la Nouvelle Europe, mais aussi sur la conclusion d'un véritable compromis historique avec la Grande-Bretagne, et non d'un nouvel ou stérile affrontement.
Cette vaste politique est devant nous. La constitution européenne soumise au référendum est en tout cas la première brique de l'édifice. Un non français détournera longtemps une Allemagne en crise et qui se cherche encore, de toute relance commune, un non français confortera inévitablement l'euro-scepticisme potentiellement majoritaire des Britanniques, des Scandinaves et des Polonais, en leur évitant même d'assurer leurs responsabilités ultérieures. D'abord établissons le fondement, ensuite construisons patiemment les deux étages asymétriques franco-allemand et franco-anglais. Ainsi seulement il sera possible de progresser.
Il va de soi que la question du statut de la Turquie, qui sera quoiqu'il advienne, soumise à un référendum, sans doute dans une dizaine d'années, n'est qu'un cas tout à fait particulier des problèmes d'élargissement. En réalité nous ne savons nullement, contrairement à ce que certains prétendent, ce que seront devenues aussi bien l'Europe que la Turquie au terme de ce processus. En revanche, nous savons bien qu'un refus brutal opposé à un grand pays musulman, mais aussi laïque, qui s'identifie de façon souvent émouvante à la cause européenne, n'aurait que des effets négatifs sur cette vaste zone qui s'étend du Maroc à l'Iran et qui sera, de toute façon notre partenaire privilégié de demain, tout comme l'Amérique latine l'est de l'Amérique du Nord.
Mais il se lève encore des profondeurs de l'opinion publique, un doute plus sérieux encore. Et celui-ci porte sur le libre-échange, à la vérité sur les deux rives de l'Atlantique. On connaît le mot de Keynes, face à un contradicteur qui prônait le laisser-faire pendant la crise de 1929, sachant qu'à long terme l'équilibre économique et la croissance se rétabliraient : " à long terme nous sommes tous morts ".
Il en va un peu de même du libre-échange : à moyen terme, et non à long terme, le niveau des prix asiatiques montera inexorablement, en raison des réévaluations inévitables des monnaies d'Extrême-Orient et de la hausse non moins inexorable des salaires et du coût de la vie en Chine (notamment en matière de santé, de retraites et d'indemnisation du chômage). Entre temps, l'enrichissement de l'Asie, du Moyen-Orient et de l'Amérique latine, un jour prochain de l'Afrique elle-même, aura entraîné un flux très important d'exportations européennes, des centrales nucléaires aux Airbus, en passant par les brevets, les machines-outils et les biens de consommation de qualité supérieure. Ainsi le libre-échange profite-t-il à tous et permet-il d'accélérer la croissance et la promotion des richesses. Sans doute un tel raisonnement est-il juste en général. Mais point n'est besoin de rejoindre le discours absurde et arbitraire des anti-mondialistes violents, pour constater qu'une extension trop forte du libre-échange produit, si elle survient trop vite, des déséquilibres très graves qui conduisent à une opposition de plus en plus forte de l'optimum économique et de l'optimum social : l'actuel déficit de la balance commercial américaine, essentiellement avec l'Asie, permet en échange de financer de manière indolore les déficits publics des Etats-Unis. Mais il atteint à présent de manière dangereuse les capacités productives des Etats-Unis, même dans le secteur des services, avec l'explosion des talents informatiques en Inde. Dans certains secteurs industriel et agricole, une protection est aujourd'hui nécessaire. Point n'est besoin pour cela, de reculer jusqu'aux barrières d'antan.
Au passage, des pays de coûts moyens comme Maurice, la Malaisie ou l'Amérique Centrale sont largement ébranlés par l'irruption des textiles chinois, sans plus aucun contingentement.. Mais il faut conserver un niveau d'activité textile, sidérurgique et agricole compatible avec l'équilibre de nos territoires et de notre population active. Loin d'être freiné par l'Europe, ce correctif protecteur ne peut en réalité être pensé qu'à l'échelle de notre continent tout entier. Et même, un jour prochain, sous la forme d'un accord tacite avec nos partenaires d'Outre-Atlantique, Américains, Canadiens et Mexicains.
Mais il faut sans relâche expliquer aux Français qu'une Europe défaite et déstructurée par un vote négatif, ne pourrait que très difficilement reprendre en mains une situation complexe où notre autorité n'est grande que dans une véritable cohérence continentale... Encore faut-il s'avoir clairement qu'un vote positif n'est pas un oui aux délocalisations sauvages, au libre-échange sans rivages, au renoncement à tout volontarisme industriel, agricole, de recherche, et donc social.
C'est ici enfin que mon troisième point revêt toute son importance: de plus en plus de processus de décision ne sont pas compris par les Français, car il leur semble, parfois à juste titre, procéder d'un despotisme administratif communautaire, éclairé aux yeux de ses protagonistes, mais parfois aussi furieux. N'a-t-on pas eu besoin du Prince Charles d'Angleterre lui-même pour sauver notre camembert à la louche ? On connaît le combat de l'UMP pour alléger, assouplir le fardeau que les 35 heures font peser sur notre économie. Mais attention : nous devons atteindre cet objectif par la négociation et la discussion entre Français, pas par l'entrée en lice d'on ne sait trop quelle directive européenne, que nos compatriotes, même agacés par les frasques antérieures de nos socialistes, ne pourront vivre que comme un coup bas. Ici aussi, l'équilibre constitutionnel atteint, avec la place importante occupée par le Conseil des Ministres et le principe de subsidiarité est le bon choix. Le rejet de la Constitution ne porterait qu'à une fuite en avant de la commission de Bruxelles, sans correctif concerté aux débordements possibles d'institutions européennes encore immatures comme le nouveau Parlement européen.
Mais pour que les Français comprennent que le remède du non serait pire que le mal actuel, encore faut-il leur dire que la dynamique européenne ne signifie pas raréfaction et asphyxie de tous les niveaux national ou régional, qui lui sont subordonnés. Bien au contraire, une Europe en construction suppose que les nations constitutives en unifiant leur règle du jeu conservent leur originalité et leur sens de l'initiative.
Mes amis,
Nous vivons un moment capital de l'histoire de l'Europe et de l'histoire de France. Ce moment comporte comme à l'ordinaire dans de telles circonstances, exaltation et inquiétude. Si nous savons répondre sans arrogance ni légèreté aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens, alors nous les convaincrons que le oui à l'Europe, c'est à dire à notre avenir garantit la sécurité d'aujourd'hui et ouvre sur les ambitions de demain.
C'est la voie que tu as choisie Nicolas.
Je veux t'en féliciter.
Tu as pris des engagements. Tu les tiens. C'est suffisamment rare pour être souligné.
Notre mouvement retrouve chaque jour plus de couleurs.
C'est essentiel, parce que sans lui, il ne peut pas y avoir de victoire au Référendum.
C'est essentiel, parce que sans lui, il ne peut pas y avoir de victoire tout court.

(Source http://www.u-m-p.org, le 9 mars 2005)