Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur les raisons d'adhérer à la Constitution européenne, au Sénat le 6 avril 2005.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Pour la première fois, depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, voulue par le Président de la République, un débat est organisé au Sénat conformément aux nouvelles règles définies à l'article 11 de la Constitution pour les projets de loi soumis à référendum.
Alors que les Français commencent à s'investir dans la campagne référendaire, en montrant tout leur intérêt et leur sens des responsabilités, il est normal, naturel et essentiel que la Représentation nationale ait son mot à dire pour éclairer leur choix.
Je le vois chaque jour en prenant ma part au nécessaire travail d'explication de la Constitution pour l'Europe, les Français ont besoin de connaître l'opinion de leurs élus - et notamment celle de leurs sénateurs et sénatrices - pour prendre possession de ce texte fondamental.
Le référendum, évidemment, ne remplace pas le Parlement. Il fait des parlementaires les missionnaires du débat démocratique pour permettre aux Français de s'exprimer librement. Votre responsabilité, mesdames et messieurs les membres de la Haute assemblée, est donc importante, car le choix qui sortira des urnes le 29 mai engagera à la fois la France, mais aussi les autres pays d'Europe, dont le destin est lié au choix de la France.
Si le Oui l'emporte, la France aura, une fois de plus, apporté sa contribution à la construction européenne.
Si c'est le Non, notre génération devra assumer, devant l'Histoire, une rupture avec cinquante ans d'efforts pour construire un monde plus juste et plus sûr pour chaque Européen.
C'est donc une épreuve de vérité qui est proposée aux Françaises et aux Français, le 29 mai prochain.
Ce référendum est le dixième référendum national de la Vème République, depuis que le général de Gaulle a tenu à ce que les Français participent à la décision nationale. Il sera le troisième consacré dans notre pays à une question européenne.
Le référendum du 23 avril 1972 a permis à nos compatriotes de se prononcer à une large majorité en faveur du passage de l'Europe des Six à l'Europe des Neuf.
Vingt ans plus tard, le 20 septembre 1992, le référendum a permis d'approuver le traité établissant l'Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique, qui ne s'appelait pas encore l'euro. Cette décision est entrée dans la vie quotidienne des Français par la présence d'une monnaie nouvelle, mais aussi par l'existence d'une zone économique nouvelle. Aujourd'hui, il ne faut pas cacher ni mésestimer l'intérêt de la zone euro. Quand je vois combien nous sommes tous préoccupés par la parité euro/dollar, il faut se souvenir que nous faisons les deux tiers de notre commerce extérieur dans la zone euro. Donc, l'impact de la parité euro/dollar ne concerne qu'un tiers de notre commerce extérieur. La zone euro nous protège pour les deux tiers, sans parler de cette protection très importante qu'elle représente contre les dévaluations compétitives, qui sont toujours très tentantes pour un certain nombre de gouvernements.
De ces deux référendums, je retiens trois leçons. Il faut, je le crois, que nous nous opposions à l'abstention.
Il faut combattre la confusion et faire preuve aussi de conviction.
Le référendum est une expression directe et élevée de la souveraineté populaire.
Pour cette raison, il vous incombe en tant qu'élus de la nation, il incombe aussi aux élus locaux, il incombe aux membres du Gouvernement de rappeler aux Françaises et aux Français que leur liberté doit s'exprimer dans le vote et qu'ils doivent donc participer à ce référendum.
On ne peut pas à la fois dénoncer le déficit démocratique de l'Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l'organisation démocratique de l'Europe et l'engagement européen de la France.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je le répète devant vous aujourd'hui.
Un référendum sur l'Europe n'est pas un plébiscite. Le président de la République lui-même l'a dit et répété. Il n'est pas, il ne sera pas non plus ni une motion de confiance ni une motion de censure.
La réponse que nous demandons à chaque Français est une réponse libre, indépendante, indépendante notamment des considérations partisanes mais aussi des échéances électorales.
La réponse que nous demandons à chaque Française et à chaque Français s'attache à la question posée, à toute la question.
La réponse que nous demandons aux Françaises et aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd'hui, mais elle vaut aussi pour l'avenir. Il est clair que pour les jeunes qui, aujourd'hui, ont dix ans, ont douze ans, ils connaîtront, à leur majorité, la plénitude de ce Traité. Et donc, il faut penser à eux quand nous exprimerons notre choix le 29 mai.
Nous avons besoin d'un vrai débat. Ce référendum est l'occasion de parler, partout en France, y compris dans la Haute assemblée, de l'Europe et de la France. Mais il est aussi l'occasion donnée à notre génération d'approuver solennellement 50 ans de construction européenne et d'ouvrir, avec un nouveau Traité, une nouvelle perspective européenne.
Pour les élus que vous êtes, ce référendum constitue un moment rare, rare comme ceux qui donnent du sens à l'engagement d'une vie au service des Françaises et des Français et au service de la démocratie européenne.
Avec ce référendum, les Français vont décider de l'avenir de notre pays, de l'avenir de notre pays en Europe. Ils vont pouvoir se prononcer sur ce qu'ils veulent faire de la grandeur de la France.
Est-ce que nous voulons encore que notre voix porte au XXIème siècle ? Ou bien sommes-nous déjà résignés à abdiquer, petit à petit, notre souveraineté économique et politique au profit de grandes puissances, anciennes ou nouvelles, qui aspirent à diriger le monde ?
A l'heure où chacun d'entre nous doit justifier de ses choix, je vous invite à porter ce débat à sa juste hauteur, celui des principes. Je vous propose de parler simplement de l'essentiel, de l'avenir de la France.
Pour permettre à nos concitoyens de se prononcer en toute liberté, la campagne est organisée sur deux plans : celui de l'explication, celui de la conviction.
La campagne d'explication d'abord : son organisation relève de la responsabilité du Gouvernement sous l'autorité du Président de la République. Chaque Française, chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe, ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité. Ce projet de loi est précédé, comme tout projet de loi qui vous est soumis, d'un exposé des motifs qui explique l'objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer.
L'envoi de ces documents à chaque Française et à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
La campagne de conviction est déjà engagée : chacun doit pouvoir librement et équitablement défendre ses convictions. C'est pourquoi mon Gouvernement a décidé de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.
Pour ma part - personne n'en doutera -, je n'économiserai pas mes efforts pour promouvoir le Oui. Le gouvernement que j'ai l'honneur de conduire a été l'un des plus européens par ses réalisations, je suis fier de le souligner. Ce référendum nous donne la chance de parler ouvertement de notre ambition pour l'Europe, sans tabou, mais aussi sans mensonge.
Je le dis devant vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je le dis aux Français par votre intermédiaire : c'est à nous de décider par ce référendum si nous voulons approfondir et poursuivre notre vie commune et lui donner un nouveau sens. Il nous faudra expliquer aux Françaises et aux Français ce qu'est le contenu de cette Constitution européenne et bien expliquer les changements qu'apportent cette Constitution. Et alors, on s'apercevra que ceux qui votent Non à ce projet européen, en fait, votent pour une Constitution, celle qui, aujourd'hui, régit par le Traité de Nice l'organisation européenne, votent pour des textes dont ils sont mécontents. Voter Non aujourd'hui, c'est voter pour conserver l'imparfait.
Je vais vous dire rapidement, mais avec conviction, les dix éléments, les dix articles qui me paraissent fondamentaux dans ce texte et qui sont, je crois, déterminants pour l'avenir des Françaises et des Français en Europe.
Premièrement, l'article 1-22, permet de construire une Europe plus politique. Nous sommes nombreux, dans cette hémicycle, à nous battre pour l'idéal européen, pour une Europe politique, pour une Europe capable d'assumer ses décisions. Mais où est l'Europe politique quand l'instance politique, le Conseil européen, change de président tous les six mois ? C'est l'instabilité de la présidence qui donne de la puissance à l'administration. C'est la stabilité de la présidence qui permettra au politique de pouvoir faire respecter ses décisions aux administrations. C'est l'article 1. 22, une Europe plus politique : "Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois", un président qui pourra être élu cinq ans durant assumera ses responsabilités, sera devant le peuple, les peuples d'Europe responsables des décisions politiques et nous aurons, les uns et les autres, un interlocuteur pour la démocratie européenne.
Deuxièmement, l'article 1-3 permet une Europe plus sociale : "L'Union uvre pour une économie sociale de marché, hautement compétitive, qui tend au plein-emploi et au progrès social. Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations et prône la justice et la protection sociale, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant". L'Europe affiche son ambition sociale et, pour la première fois aussi - c'est l'article 1-48 -, elle consacre le rôle des partenaires sociaux. Vous le savez, tous les mois de mars, le Conseil européen est réuni. Maintenant, le Conseil européen du printemps sera précédé par un sommet social tripartite, Conseil, Commission et partenaires sociaux. C'est l'article 1-48, c'est dans la Constitution, c'est cela, le progrès de l'Europe sociale.
Une Europe plus politique, une Europe plus sociale, une Europe ouverte à la société civile également. Nous le souhaitons tous, cette Europe branchée sur la vie qui est celle des associations, de toutes ces forces vives du pays. Eh bien, l'article 1-47 : " Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile ". Voilà une Europe qui s'ouvre enfin aux forces vives des peuples européens. Nous en sommes satisfaits.
Quatrième article très important, l'article 1-43 qui permet une Europe solidaire pour sa sécurité. Cet article prévoit que : "L'Union et ses États membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité, si un État membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime naturelle d'accident d'origine ou naturelle ou humaine". Cela signifie que nous sommes concernés, chacun des États, par les malheurs qui peuvent arriver de manière naturelle, pour faute humaine, à l'un des États constituant l'Union. Voilà une vraie solidarité pour la sécurité. Je crois que c'est un élément très important pour la sécurité commune dans l'Union. Cinquièmement, l'Europe des États et l'Europe des peuples, enfin réconciliées. Depuis que nous nous intéressons les uns et les autres au débat européen, on a bien vu le débat qui existait entre ceux qui voulaient l'Europe fédérale, l'Europe intégrée et ceux qui voulaient l'Europe des États, l'Europe qui pourrait simplement être une coordination d' États. Eh bien, ce débat-là est aujourd'hui dépassé. Il est dépassé par cette règle de la décision à la majorité qualifiée pour pouvoir prendre une décision ; c'est l'article 1-25 qui prévoit que : "La majorité qualifiée se définit comme étant égale au moins à 55 % des membres du Conseil", c'est-à-dire que petits et grands États auront droit à la parole, mais aussi, on pourra devoir faire appel à la représentativité de la population et réunir 65 % de sa proportion, c'est-à-dire 55 % des États, 65 % de la population, c'est la réconciliation de l'Europe des États avec l'Europe fédérale, c'est-à-dire au fond, ce dépassement par l'Europe des Nations. C'est cela, je crois, ce qui est aujourd'hui très important dans le processus de décision. C'est très important, parce que quelquefois, j'entends ici ou là - plus exactement là plutôt qu'ici - que l'on perdrait notre souveraineté. Mais la souveraineté, mesdames et messieurs les sénateurs, on pourrait la perdre quand un pays pourrait dire, avec la règle de l'unanimité, moi je dis non ; on pourrait se trouver un jour avec un pays très respectable, la Lituanie ou un autre pays très respectable, l'Estonie, qui dirait "non, je ne veux pas de la TVA pour la restauration à 5,5" ; c'est-à-dire qu'à un moment, on se trouve sur une décision concrète face à une perte de souveraineté car quelqu'un pourrait bloquer... Aujourd'hui, on ne peut pas bloquer, si on ne pèse pas, en Europe, avec des alliances politiques - c'est ce que fait la France - mais aussi avec la représentation des peuples, de la population. C'est cela, cette nouvelle Europe, dans laquelle la France pourra faire exister ses idées.
En ce qui concerne l'élargissement, je voudrais attirer votre attention sur l'article 1-57, puisque c'est une des questions qui est posée aux Français. Le voisinage, mesdames et messieurs les sénateurs, n'est pas automatiquement l'adhésion. L'article 1-57 est clair : "L'Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées en vue d'établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l'Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération". C'est-à-dire que l'Europe a les moyens de construire avec ses voisins des relations de coopération privilégiées. C'est une opportunité importante. L'Europe est libre de sa décision, ce qui veut dire que le peuple français pourra choisir, le moment venu, si un pays arrive au bout d'une négociation, soit la relation d'adhésion soit la relation de voisinage. Mais en tout état de cause, grâce à la révision de la Constitution que vous avez voté, c'est le peuple français qui aura le dernier mot.
Je voudrais vous donner lecture de trois articles supplémentaires qui me semblent importants, parce que je crois que les Françaises et les Français ont besoin qu'on leur parle du contenu de la Constitution, de ce qu'il y a dedans et pas des slogans et pas des attitudes lointaines, mais de la réalité du texte. L'article 1-12 sur l'équilibre du monde : "L'Europe dispose d'une compétence pour définir et mettre en uvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune". Je crois que c'est un élément très important. La génération de nos parents a construit l'Europe pour faire la paix à l'intérieur de nos frontières, pour que l'Europe soit un espace de paix. Notre génération doit aujourd'hui conforter l'Europe pour que l'Europe porte ses valeurs de paix, ses valeurs universelles, partout sur la planète. Et il n'y aura pas de paix, ni au Proche-Orient ni ailleurs, si l'Europe n'est pas, avec ses valeurs, autour de la table. Nous savons que le monde qui serait un monde où ne s'exprimerait qu'une seule force, une seule puissance, serait un monde de domination ; nous avons besoin d'un monde multilatéral, nous avons besoin d'un monde dans lequel l'Europe est autour de la table. L'Europe se donne les moyens, par une diplomatie et par une défense qui se rapprochent progressivement pour devenir une diplomatie et une défense commune, l'Europe se donne la capacité d'agir pour ses valeurs sur l'ensemble de la planète.
Je voudrais également insister sur l'article 1-44-4, qui est très important pour ceux qui sont attachés à ce que l'on puisse faire exister dans la grande Europe des petites Europe qui veulent aller plus vite ; les coopérations renforcées, des Europe plus petites mais plus fortes, plus avancées : "Les actes adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée ne lient que les États membres participants". C'est la capacité de pouvoir avancer sur des sujets qui préoccupent la France, avec des pays qui ont les mêmes préoccupations à l'intérieur de la grande Europe, avec cette capacité de mener la construction européenne à notre rythme.
Deux dernières idées enfin. En ce qui concerne les services publics tout d'abord. J'entends ici ou là les inquiétudes. Et vous entendez l'inquiétude de nombreux maires ruraux. Eh bien, lisez aux maires ruraux cet article 2-96 de la nouvelle Constitution européenne qui est proposée au choix des Français : "L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique généraux, tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales", tel que les services publics sont donc prévus par la législation française, conformément à la Constitution afin de promouvoir la cohésion sociale, mais aussi la cohésion territoriale. C'est une avancée très importante pour les services publics en milieu rural. C'est un point très important. On oublie souvent de citer cet article 2-96 qui est un article significatif des progrès de l'Union européenne.
Il s'agit d'aller au fond des choses ; il s'agit de lire les articles ; il s'agit, ici, d'un débat sérieux ; il ne s'agit pas d'avancer des slogans ; il s'agit d'expliquer aux Français ce qu'il y a dans la Constitution et non pas de mener des combats partisans qui sont souvent des combats d'arrière-garde.
Je terminerai en vous disant que cette Europe qui nous est aujourd'hui proposée avec le Traité constitutionnel est fidèle à l'humanisme français. Elle reconnaît dans son article 1-9 les droits, les libertés et les principes énoncés, non seulement dans la Charte des droits fondamentaux, mais elle adhère aussi à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Ce qui est l'humanisme français fondé sur notre grande déclaration est au cur aujourd'hui du texte européen, c'est-à-dire que les idées qui sont les nôtres, les valeurs qui sont les nôtres, les valeurs qui sont celles de la France, aujourd'hui, sont proposées pour être des valeurs de l'Europe partagées. C'est un enjeu considérable ; c'est un progrès inestimable de voir que, pendant des années et des années, des Françaises et des Français se sont battus pour que, dans notre société, soient reconnues aujourd'hui des valeurs qui sont inscrites maintenant dans le projet européen si nous le voulons, si nous sommes suffisamment attachés à la défense de ce patrimoine intellectuel, culturel et moral de la France, si nous sommes suffisamment attachés à nos valeurs pour les faire exister au cur même du projet européen.
C'est pour cela que, je vous le dis comme je le pense profondément, certes la France a besoin de l'Europe, mais plus encore, l'Europe a besoin d'un "OUI" de la France."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 avril 2005)