Texte intégral
Interview dans "Sud Ouest" le 5 avril 2005 :
Régine Jordan : Vous avez dit qu'à titre personnel, vous voterez contre le traité constitutionnel. Quelle est votre principale raison ?
Jean-Luc Cazettes : J'ai pris position clairement à titre personnel pour un vote négatif car pour moi, ce n'est pas un projet démocratique. Il ne met pas une dérive à la toute-puissance de la Commission et il n'apporte rien de plus que le traité précédent. La preuve, c'est que l'on parle du droit de pétition, mais ce droit avec un million de signatures ne sera opérationnel que si la Commission le décide. On redonne à nouveau tous les pouvoirs à la Commission, ce qui est quand même un déni de démocratie absolu. En ce qui concerne la confédération CFE-CGC, nous avons programmé des rencontres et des débats avec les partisans de chaque camp (Laurent Fabius pour le non début avril, Roselyne Bachelot pour le oui fin avril) et avec la totalité de nos responsables de fédérations. Nous publierons les arguments des uns et des autres dans nos publications confédérales pour que tous les adhérents et militants aient la totalité des informations des deux côtés.
Un sondage Louis Harris (1) montre que le oui perd onze points parmi les cadres et que ceux de la fonction publique se prononcent majoritairement pour le non. Comment l'expliquez-vous ?
Les menaces sur le service public en général et les fonctions publiques en particulier sont de moins en moins voilées dans le cadre de ce grand projet de libéralisation de l'espace européen. Ce traité ne préserve rien de plus que les traités précédents sur ce sujet. Il introduit simplement des règles de fonctionnement administratif de l'Europe et il ne prend pas parti dans les problèmes sociaux ni dans les problèmes d'obligation de service public, etc. On nous fait toujours le coup du dialogue social sur les congés maternité, le télétravail, l'intérim, mais on n'évoque jamais un dialogue social sur les conventions collectives européennes, sur un salaire minimum européen... On n'évoque pas les points les plus importants.
Vous aviez voté oui au traité de Maastricht ?
Effectivement. Tout ce qui s'est passé entre Maastricht et aujourd'hui, en particulier la façon dont la France à l'époque a repoussé les propositions de Joschka Fischer et de Gerhard Schröder sur les solidarités renforcées, fait que l'on est de plus en plus sceptiques sur la volonté d'aboutir dans ce domainelà.
Etes-vous moins sceptiques sur la progression des salaires en France ?
On a payé pendant trois ans la réduction du temps de travail. Maintenant, cette affaire-là est terminée. Nos entreprises se sont adaptées et ont fait des gains de productivité importants. Les résultats explosent pour les grandes entreprises et on nous dit qu'il faut maintenir une pression sur les salaires pour limiter l'inflation, pour ceci et pour cela. Il y a un besoin d'augmentation des salaires pour consommer davantage et apporter un plus de croissance. Les grandes entreprises peuvent le faire. Quand vous avez 60 % de bénéfice supplémentaire comme certaines et qu'elles disent royalement qu'elles augmenteront de 3 % la masse salariale, c'est qu'il y a bien quelque chose qui ne va pas.
Les partisans du non évoquent le projet de revision de la directive européenne sur le temps de travail comme un nouvel argument. Ce texte évoque une durée maximale de travail de 48 heures par semaine et encadre les dérogations possibles. Qu'en pensez-vous ?
C'est un projet qui est encore plus "hard" que celui de la directive sur les services. Nous avons déjà saisi les groupes parlementaires européens pour qu'ils s'y opposent. Car ce texte exclut notamment les cadres autonomes de toute notion du temps de travail. C'est quoi, un cadre autonome ? Ce n'est pas seulement un cadre dirigeant. On assistera rapidement à une dérive et on fera déborder cette notion de cadre autonome dans les hiérarchies inférieures. Pour nous, cela aura pour effet une exploitation totale des cadres. S'il n'y a plus de référence à la notion de temps de travail, on ne sait plus où on va.
Ce sujet vous semble-t-il aussi polémique que la directive Bolkenstein sur les services ?
A mon avis, on n'en parlera pas beaucoup jusqu'au 29 mai. Si le oui l'emporte, je crains que ça nous retombe sur le coin de la figure dès le 1er juin.
(1) Sondage Louis Harris pour HEC, " Le Figaro Entreprises " et France Inter publié hier.
(Source http://www.cfecgc.org, le 18 avril 2005)
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Interview sur France Info le 26 avril 2005 :
Olivier de Lagarde : Vous appelez à titre personnel à voter " non " au référendum, pourquoi ?
Jean-Luc Cazettes : Alors déjà traité constitutionnel, c'est-à-dire un ovni, un "objet votant, non identifié" : ou c'est un traité, ou c'est une constitution. Ce traité constitutionnel va bloquer toute évolution de l'Europe puisque maintenant les décisions devront être prises pour modifier cette constitution à l'unanimité. Alors on est déjà 25, on a parlé à l'instant de la Roumanie, de la Bulgarie, ça va faire 27. Il y a la Croatie, il y a un certain nombre de pays qui attendent, à 30 États on ne pourra jamais prendre de décision à l'unanimité pour évoluer en quoi que ce soit. Et ça veut dire qu'un État comme Malte qui représente 0,08 % de la population européenne peut bloquer toute évolution.
ODL : Mais vous ne craignez pas quand même qu'une victoire du " non " soit un grand coup de frein à la construction justement d'une Europe politique ?
JLC : Non, il faut arrêter de faire peur à tout le monde. J'ai envie de reprendre une expression célèbre en ce moment "n'ayez pas peur". Si le " non " l'emporte, on revient au traité de Nice et j'ai souvenir quand même que le président Chirac à l'époque quand il était président de l'Union européenne nous avait dit, le traité de Nice, c'est le meilleur compromis possible de ce qui avait été fait. Donc on revient au traité de Nice, on a jusqu'en 2009 pour aller plus loin et on va pouvoir par des coopérations renforcées pouvoir aller plus loin, mais chacun à son rythme. Depuis qu'on a élargi l'Europe à 25, c'est vrai qu'on ne peut plus gérer cette évolution de la même façon. Avant c'était simple, les grands pays pouvaient avancer à leur rythme, passer des coopérations renforcées, et les autres petit à petit rejoignaient. Là maintenant on oblige tout le monde à marcher du même pas, ce qui veut dire bien évidemment un affaiblissement des protections sociales et un dumping social évident.
ODL : Vous vous exprimez à titre personnel parce que c'est la tradition dans votre syndicat, vous pensez tout de même que beaucoup de cadres vont voter comme vous ?
JLC : On a vu dans les sondages les évolutions par tranche et par catégories socioprofessionnelles qu'il y a un maximum de cadres qui commencent à être de plus en plus réticents. Moi je sais qu'on a fait au niveau de l'organisation des interventions avec des partisans du " oui ", des partisans du " non " pour forger un peu l'état d'esprit de nos responsables de fédération et de syndicat.
ODL : Vous êtes très remonté contre l'abandon du lundi de Pentecôte comme jour férié, vous pensez qu'il s'agit là vraiment d'une faute politique de la part du gouvernement ?
JLC : Oui, ça c'est incontestablement une faute politique. On est d'accord sur le principe de la solidarité avec les personnes âgées, handicapées etc, mais la forme qui a été prise par le gouvernement sans concertation suffisante ni avec les entreprises, ni avec les organisations syndicales est une forme qui est totalement incompatible avec le fonctionnement normal de notre société. On se retrouve avec des salariés qui vont finalement être les seuls à faire l'effort de financement de cette solidarité, puisque dans toutes les unités de production, un jour de travail en plus c'est 0,45 % des salaires en plus pour l'entreprise, et là dessus ils vont en reverser 0,30 pour la caisse de solidarité. Donc l'entreprise non seulement, elle ne va pas participer mais en plus elle va gagner de l'argent avec les jours qui vont être abandonnés par les salariés. Alors en plus quand je vois que les députés ont voté cette décision, mais que l'Assemblée nationale sera fermée le jour du lundi de Pentecôte, j'ai tendance à penser qu'"on se fout un peu de notre gueule".
(Source http://www.cfecgc.org, le 27 avril 2005)
Régine Jordan : Vous avez dit qu'à titre personnel, vous voterez contre le traité constitutionnel. Quelle est votre principale raison ?
Jean-Luc Cazettes : J'ai pris position clairement à titre personnel pour un vote négatif car pour moi, ce n'est pas un projet démocratique. Il ne met pas une dérive à la toute-puissance de la Commission et il n'apporte rien de plus que le traité précédent. La preuve, c'est que l'on parle du droit de pétition, mais ce droit avec un million de signatures ne sera opérationnel que si la Commission le décide. On redonne à nouveau tous les pouvoirs à la Commission, ce qui est quand même un déni de démocratie absolu. En ce qui concerne la confédération CFE-CGC, nous avons programmé des rencontres et des débats avec les partisans de chaque camp (Laurent Fabius pour le non début avril, Roselyne Bachelot pour le oui fin avril) et avec la totalité de nos responsables de fédérations. Nous publierons les arguments des uns et des autres dans nos publications confédérales pour que tous les adhérents et militants aient la totalité des informations des deux côtés.
Un sondage Louis Harris (1) montre que le oui perd onze points parmi les cadres et que ceux de la fonction publique se prononcent majoritairement pour le non. Comment l'expliquez-vous ?
Les menaces sur le service public en général et les fonctions publiques en particulier sont de moins en moins voilées dans le cadre de ce grand projet de libéralisation de l'espace européen. Ce traité ne préserve rien de plus que les traités précédents sur ce sujet. Il introduit simplement des règles de fonctionnement administratif de l'Europe et il ne prend pas parti dans les problèmes sociaux ni dans les problèmes d'obligation de service public, etc. On nous fait toujours le coup du dialogue social sur les congés maternité, le télétravail, l'intérim, mais on n'évoque jamais un dialogue social sur les conventions collectives européennes, sur un salaire minimum européen... On n'évoque pas les points les plus importants.
Vous aviez voté oui au traité de Maastricht ?
Effectivement. Tout ce qui s'est passé entre Maastricht et aujourd'hui, en particulier la façon dont la France à l'époque a repoussé les propositions de Joschka Fischer et de Gerhard Schröder sur les solidarités renforcées, fait que l'on est de plus en plus sceptiques sur la volonté d'aboutir dans ce domainelà.
Etes-vous moins sceptiques sur la progression des salaires en France ?
On a payé pendant trois ans la réduction du temps de travail. Maintenant, cette affaire-là est terminée. Nos entreprises se sont adaptées et ont fait des gains de productivité importants. Les résultats explosent pour les grandes entreprises et on nous dit qu'il faut maintenir une pression sur les salaires pour limiter l'inflation, pour ceci et pour cela. Il y a un besoin d'augmentation des salaires pour consommer davantage et apporter un plus de croissance. Les grandes entreprises peuvent le faire. Quand vous avez 60 % de bénéfice supplémentaire comme certaines et qu'elles disent royalement qu'elles augmenteront de 3 % la masse salariale, c'est qu'il y a bien quelque chose qui ne va pas.
Les partisans du non évoquent le projet de revision de la directive européenne sur le temps de travail comme un nouvel argument. Ce texte évoque une durée maximale de travail de 48 heures par semaine et encadre les dérogations possibles. Qu'en pensez-vous ?
C'est un projet qui est encore plus "hard" que celui de la directive sur les services. Nous avons déjà saisi les groupes parlementaires européens pour qu'ils s'y opposent. Car ce texte exclut notamment les cadres autonomes de toute notion du temps de travail. C'est quoi, un cadre autonome ? Ce n'est pas seulement un cadre dirigeant. On assistera rapidement à une dérive et on fera déborder cette notion de cadre autonome dans les hiérarchies inférieures. Pour nous, cela aura pour effet une exploitation totale des cadres. S'il n'y a plus de référence à la notion de temps de travail, on ne sait plus où on va.
Ce sujet vous semble-t-il aussi polémique que la directive Bolkenstein sur les services ?
A mon avis, on n'en parlera pas beaucoup jusqu'au 29 mai. Si le oui l'emporte, je crains que ça nous retombe sur le coin de la figure dès le 1er juin.
(1) Sondage Louis Harris pour HEC, " Le Figaro Entreprises " et France Inter publié hier.
(Source http://www.cfecgc.org, le 18 avril 2005)
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Interview sur France Info le 26 avril 2005 :
Olivier de Lagarde : Vous appelez à titre personnel à voter " non " au référendum, pourquoi ?
Jean-Luc Cazettes : Alors déjà traité constitutionnel, c'est-à-dire un ovni, un "objet votant, non identifié" : ou c'est un traité, ou c'est une constitution. Ce traité constitutionnel va bloquer toute évolution de l'Europe puisque maintenant les décisions devront être prises pour modifier cette constitution à l'unanimité. Alors on est déjà 25, on a parlé à l'instant de la Roumanie, de la Bulgarie, ça va faire 27. Il y a la Croatie, il y a un certain nombre de pays qui attendent, à 30 États on ne pourra jamais prendre de décision à l'unanimité pour évoluer en quoi que ce soit. Et ça veut dire qu'un État comme Malte qui représente 0,08 % de la population européenne peut bloquer toute évolution.
ODL : Mais vous ne craignez pas quand même qu'une victoire du " non " soit un grand coup de frein à la construction justement d'une Europe politique ?
JLC : Non, il faut arrêter de faire peur à tout le monde. J'ai envie de reprendre une expression célèbre en ce moment "n'ayez pas peur". Si le " non " l'emporte, on revient au traité de Nice et j'ai souvenir quand même que le président Chirac à l'époque quand il était président de l'Union européenne nous avait dit, le traité de Nice, c'est le meilleur compromis possible de ce qui avait été fait. Donc on revient au traité de Nice, on a jusqu'en 2009 pour aller plus loin et on va pouvoir par des coopérations renforcées pouvoir aller plus loin, mais chacun à son rythme. Depuis qu'on a élargi l'Europe à 25, c'est vrai qu'on ne peut plus gérer cette évolution de la même façon. Avant c'était simple, les grands pays pouvaient avancer à leur rythme, passer des coopérations renforcées, et les autres petit à petit rejoignaient. Là maintenant on oblige tout le monde à marcher du même pas, ce qui veut dire bien évidemment un affaiblissement des protections sociales et un dumping social évident.
ODL : Vous vous exprimez à titre personnel parce que c'est la tradition dans votre syndicat, vous pensez tout de même que beaucoup de cadres vont voter comme vous ?
JLC : On a vu dans les sondages les évolutions par tranche et par catégories socioprofessionnelles qu'il y a un maximum de cadres qui commencent à être de plus en plus réticents. Moi je sais qu'on a fait au niveau de l'organisation des interventions avec des partisans du " oui ", des partisans du " non " pour forger un peu l'état d'esprit de nos responsables de fédération et de syndicat.
ODL : Vous êtes très remonté contre l'abandon du lundi de Pentecôte comme jour férié, vous pensez qu'il s'agit là vraiment d'une faute politique de la part du gouvernement ?
JLC : Oui, ça c'est incontestablement une faute politique. On est d'accord sur le principe de la solidarité avec les personnes âgées, handicapées etc, mais la forme qui a été prise par le gouvernement sans concertation suffisante ni avec les entreprises, ni avec les organisations syndicales est une forme qui est totalement incompatible avec le fonctionnement normal de notre société. On se retrouve avec des salariés qui vont finalement être les seuls à faire l'effort de financement de cette solidarité, puisque dans toutes les unités de production, un jour de travail en plus c'est 0,45 % des salaires en plus pour l'entreprise, et là dessus ils vont en reverser 0,30 pour la caisse de solidarité. Donc l'entreprise non seulement, elle ne va pas participer mais en plus elle va gagner de l'argent avec les jours qui vont être abandonnés par les salariés. Alors en plus quand je vois que les députés ont voté cette décision, mais que l'Assemblée nationale sera fermée le jour du lundi de Pentecôte, j'ai tendance à penser qu'"on se fout un peu de notre gueule".
(Source http://www.cfecgc.org, le 27 avril 2005)