Texte intégral
Q - Pour tirer les enseignements de la rencontre d'hier, mon invitée ce soir est la ministre déléguée aux Affaires européennes, Noëlle Lenoir, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Cette rencontre tripartite a suscité beaucoup de critiques, ailleurs en Europe en tous cas, dans les pays qui n'en étaient pas. La veille, Silvio Berlusconi avait parlé de gâchis. Dans la presse européenne, le ton est, semble-t-il, assez critique sur ce "triumvirat". Alors, comment éviter que de telles réunions à trois ne soient pas mal comprises par les autres pays ?
R - Il ne faut pas s'arrêter à des commentaires " à chaud ". Il est vrai que, de plus en plus, ces rencontres informelles sont sous les feux de l'actualité puisqu'il est très difficile, et d'ailleurs peut être pas souhaitable, d'en maintenir la confidentialité. Ce que l'on peut voir, c'est que trois pays très différents, trois "poids lourds" dans l'espace européen, ont souhaité marquer leur engagement dans la perspective de la préparation du prochain Conseil européen de fin mars en s'associant pour contribuer à la politique européenne de relance de la croissance. Cela n'est pas critiquable, puisque le but est au contraire très constructif vis à vis des autres.
Q - Vous reconnaissez qu'il est assez logique de voir les "petits pays" un peu vexés par ce type de réunion ?
R - Il faut lever les malentendus. Il ne s'agit pas, je voudrais insister sur ce point, de constituer une manière de "directoire". Cette réunion informelle et transparente n'était pas décisionnelle. Les trois pays ont simplement indiqué qu'ils étaient prêts à réformer leur marché du travail, à accentuer davantage leur politique en faveur de l'innovation et de la recherche. Ils ont fait une proposition, dont vous avez parlé, concernant la composition de la Commission, mais pour le reste ils ont uniquement marqué leur engagement sur le plan économique et social. Donc, il ne s'est pas agi de décider pour les autres.
Q - Cette rencontre était intéressante en soi dans la mesure où elle élargissait le duo traditionnel franco-allemand. C'est déjà une prise de conscience que, à deux, on était un peu "léger" pour tenter de donner le "la", un élan à l'Union européenne ?
R - C'est certainement destiné à montrer qu'il ne s'agit pas d'avoir, entre certains pays seulement, une relation exclusive. Il faut dire qu'il y a déjà eu une réunion à trois de ce type le 20 septembre dernier, à la suite de laquelle ces trois mêmes pays, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France avaient indiqué qu'ils souhaitaient que l'on mette davantage l'accent sur les actions qui pourraient, au niveau de l'Europe, renforcer la compétitivité et relancer la croissance. Une croissance génératrice d'emplois. A l'époque, les industries chimiques s'inquiétaient beaucoup de la surrèglementation communautaire qui pour eux, risquait d'entraver leurs activités en termes de compétitivité.
Q - A propos de cette idée de créer un "super Commissaire" chargé des réformes économiques. Est-ce une évolution du poste actuel du Commissaire aux Affaires économiques, Pedro Solbes, ou il s'agirait, à l'idéal, d'un poste supplémentaire ?
R - Il s'agit d'un poste - dans l'idée de ceux qui l'ont proposé, notamment Gerhard Schröder - qui aurait pour but de permettre une meilleure coordination des différents types de politiques économiques au niveau européen. Pour la politique économique stricto sensu, le portefeuille de Pedro Solbes, mais aussi pour le commerce extérieur, la politique industrielle et la politique en matière de concurrence. Il s'agit de donner à un commissaire la responsabilité de coordonner tout ce qui doit être fait dans la ligne de la stratégie de Lisbonne pour faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive en 2010.
Q - De regrouper plusieurs portefeuilles actuellement répartis sur plusieurs Commissaires ?
R - Non pas de regrouper les portefeuilles, mais de donner à un Commissaire responsable, ayant une vision plus globale, un rôle de coordination. Il y aura un autre vice-président si la Constitution européenne est adoptée. C'est le futur ministre des Affaires étrangères qui, là aussi, devra coordonner notamment l'action du Commissaire chargé de l'action extérieure, l'action de celui chargé de l'aide au développement et qui aura également en main le portefeuille de l'actuel Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana. Nous allons vers davantage de coordination entre les différentes politiques européennes qui visent à un même objectif : politiques économiques dans un cas, et politiques étrangères dans l'autre.
Q - Concernant la baisse du taux de TVA applicable à la restauration, certains mauvais esprits se demandent quelle contrepartie l'Allemagne a-t-elle obtenu en échange de ce geste ?
R - Il n'y a pas de contrepartie, pas de donnant donnant. Je me suis beaucoup investie dans ce dossier depuis plusieurs mois. J'ai parcouru tous les pays européens concernés pour plaider la cause de la France. A la suite de ces discussions, s'agissant d'économie, le président de la République a bien indiqué au chancelier fédéral que notre idée n'était pas seulement d'alléger les charges des restaurateurs français, mais aussi de permettre la création d'emplois dans ce secteur qui a certaines difficultés à l'heure actuelle. La profession, c'est unique, a pris un engagement moral de créer dans les deux années à venir 40 000 emplois.
Q - Selon vous, il s'agit simplement du travail de pédagogie, de persuasion qui a finalement payé ?
R - Ce travail de persuasion a payé dans le temps. Puisque la mesure ne sera applicable qu'en 2006, d'ici là, il faut continuer à mener des négociations qui ne sont pas terminées. Le Danemark et la Suède ont encore une vision différente de ce dossier. Il reste à les convaincre. Ce sera une des premières négociations économiques à vingt-cinq. Déjà, parmi les dix pays entrants, quatre appliquent le taux réduit. Dans l'Europe des quinze, huit sont également déjà dans ce cas. Il va falloir mettre tout ce monde d'accord à vingt-cinq. Ce sera un exemple intéressant de l'Europe nouvelle en marche.
Q - Sous-entendu, nous avons tort de considérer que c'est acquis. Il y a encore beaucoup d'étapes à franchir pour arriver à cette réduction du taux de TVA dans la restauration ?
R - Il y a encore des mois de négociations. C'est une négociation complexe car d'autres secteurs sont en cause. C'est une négociation qui, j'en suis persuadée, et c'est d'ailleurs l'assurance qu'a eue le président de la République, sera conclusive. Il faut observer que la France, de longue date, considère qu'à terme, la solution pour gérer la politique fiscale au niveau européen, est d'aboutir, dans certains domaines, à statuer non plus à l'unanimité, mais à la majorité qualifiée.
Q - Le président de la République a organisé aujourd'hui une table ronde à l'Elysée sur la désindustrialisation. Jacques Chirac veut mobiliser sur ce thème. En quoi l'Europe peut-elle être une réponse à ce problème, sachant que la chute de l'emploi industriel est plus forte en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne ?
R - L'Europe est la réponse obligée, dès lors qu'il faut envisager de créer des groupes de dimension européenne - on voit par exemple que Airbus est un grand succès - pour faire face à la compétition internationale. Il faut saisir l'opportunité de l'élargissement, précisément pour essayer de constituer ces pôles économiques forts. La prise de conscience est là. Déjà, on voit se profiler à l'horizon la création de grands groupes. Il y a quelque temps Arcelor a été crée dans le domaine de la sidérurgie. On voit naître aujourd'hui sous nos yeux, avec la bénédiction de la Commission européenne, le groupe Air France-KLM. Il y a un risque très fort de désindustrialisation, mais il y a des réponses et certaines sont déjà en voie d'être apportées.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2004)
R - Bonsoir.
Q - Cette rencontre tripartite a suscité beaucoup de critiques, ailleurs en Europe en tous cas, dans les pays qui n'en étaient pas. La veille, Silvio Berlusconi avait parlé de gâchis. Dans la presse européenne, le ton est, semble-t-il, assez critique sur ce "triumvirat". Alors, comment éviter que de telles réunions à trois ne soient pas mal comprises par les autres pays ?
R - Il ne faut pas s'arrêter à des commentaires " à chaud ". Il est vrai que, de plus en plus, ces rencontres informelles sont sous les feux de l'actualité puisqu'il est très difficile, et d'ailleurs peut être pas souhaitable, d'en maintenir la confidentialité. Ce que l'on peut voir, c'est que trois pays très différents, trois "poids lourds" dans l'espace européen, ont souhaité marquer leur engagement dans la perspective de la préparation du prochain Conseil européen de fin mars en s'associant pour contribuer à la politique européenne de relance de la croissance. Cela n'est pas critiquable, puisque le but est au contraire très constructif vis à vis des autres.
Q - Vous reconnaissez qu'il est assez logique de voir les "petits pays" un peu vexés par ce type de réunion ?
R - Il faut lever les malentendus. Il ne s'agit pas, je voudrais insister sur ce point, de constituer une manière de "directoire". Cette réunion informelle et transparente n'était pas décisionnelle. Les trois pays ont simplement indiqué qu'ils étaient prêts à réformer leur marché du travail, à accentuer davantage leur politique en faveur de l'innovation et de la recherche. Ils ont fait une proposition, dont vous avez parlé, concernant la composition de la Commission, mais pour le reste ils ont uniquement marqué leur engagement sur le plan économique et social. Donc, il ne s'est pas agi de décider pour les autres.
Q - Cette rencontre était intéressante en soi dans la mesure où elle élargissait le duo traditionnel franco-allemand. C'est déjà une prise de conscience que, à deux, on était un peu "léger" pour tenter de donner le "la", un élan à l'Union européenne ?
R - C'est certainement destiné à montrer qu'il ne s'agit pas d'avoir, entre certains pays seulement, une relation exclusive. Il faut dire qu'il y a déjà eu une réunion à trois de ce type le 20 septembre dernier, à la suite de laquelle ces trois mêmes pays, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France avaient indiqué qu'ils souhaitaient que l'on mette davantage l'accent sur les actions qui pourraient, au niveau de l'Europe, renforcer la compétitivité et relancer la croissance. Une croissance génératrice d'emplois. A l'époque, les industries chimiques s'inquiétaient beaucoup de la surrèglementation communautaire qui pour eux, risquait d'entraver leurs activités en termes de compétitivité.
Q - A propos de cette idée de créer un "super Commissaire" chargé des réformes économiques. Est-ce une évolution du poste actuel du Commissaire aux Affaires économiques, Pedro Solbes, ou il s'agirait, à l'idéal, d'un poste supplémentaire ?
R - Il s'agit d'un poste - dans l'idée de ceux qui l'ont proposé, notamment Gerhard Schröder - qui aurait pour but de permettre une meilleure coordination des différents types de politiques économiques au niveau européen. Pour la politique économique stricto sensu, le portefeuille de Pedro Solbes, mais aussi pour le commerce extérieur, la politique industrielle et la politique en matière de concurrence. Il s'agit de donner à un commissaire la responsabilité de coordonner tout ce qui doit être fait dans la ligne de la stratégie de Lisbonne pour faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive en 2010.
Q - De regrouper plusieurs portefeuilles actuellement répartis sur plusieurs Commissaires ?
R - Non pas de regrouper les portefeuilles, mais de donner à un Commissaire responsable, ayant une vision plus globale, un rôle de coordination. Il y aura un autre vice-président si la Constitution européenne est adoptée. C'est le futur ministre des Affaires étrangères qui, là aussi, devra coordonner notamment l'action du Commissaire chargé de l'action extérieure, l'action de celui chargé de l'aide au développement et qui aura également en main le portefeuille de l'actuel Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana. Nous allons vers davantage de coordination entre les différentes politiques européennes qui visent à un même objectif : politiques économiques dans un cas, et politiques étrangères dans l'autre.
Q - Concernant la baisse du taux de TVA applicable à la restauration, certains mauvais esprits se demandent quelle contrepartie l'Allemagne a-t-elle obtenu en échange de ce geste ?
R - Il n'y a pas de contrepartie, pas de donnant donnant. Je me suis beaucoup investie dans ce dossier depuis plusieurs mois. J'ai parcouru tous les pays européens concernés pour plaider la cause de la France. A la suite de ces discussions, s'agissant d'économie, le président de la République a bien indiqué au chancelier fédéral que notre idée n'était pas seulement d'alléger les charges des restaurateurs français, mais aussi de permettre la création d'emplois dans ce secteur qui a certaines difficultés à l'heure actuelle. La profession, c'est unique, a pris un engagement moral de créer dans les deux années à venir 40 000 emplois.
Q - Selon vous, il s'agit simplement du travail de pédagogie, de persuasion qui a finalement payé ?
R - Ce travail de persuasion a payé dans le temps. Puisque la mesure ne sera applicable qu'en 2006, d'ici là, il faut continuer à mener des négociations qui ne sont pas terminées. Le Danemark et la Suède ont encore une vision différente de ce dossier. Il reste à les convaincre. Ce sera une des premières négociations économiques à vingt-cinq. Déjà, parmi les dix pays entrants, quatre appliquent le taux réduit. Dans l'Europe des quinze, huit sont également déjà dans ce cas. Il va falloir mettre tout ce monde d'accord à vingt-cinq. Ce sera un exemple intéressant de l'Europe nouvelle en marche.
Q - Sous-entendu, nous avons tort de considérer que c'est acquis. Il y a encore beaucoup d'étapes à franchir pour arriver à cette réduction du taux de TVA dans la restauration ?
R - Il y a encore des mois de négociations. C'est une négociation complexe car d'autres secteurs sont en cause. C'est une négociation qui, j'en suis persuadée, et c'est d'ailleurs l'assurance qu'a eue le président de la République, sera conclusive. Il faut observer que la France, de longue date, considère qu'à terme, la solution pour gérer la politique fiscale au niveau européen, est d'aboutir, dans certains domaines, à statuer non plus à l'unanimité, mais à la majorité qualifiée.
Q - Le président de la République a organisé aujourd'hui une table ronde à l'Elysée sur la désindustrialisation. Jacques Chirac veut mobiliser sur ce thème. En quoi l'Europe peut-elle être une réponse à ce problème, sachant que la chute de l'emploi industriel est plus forte en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne ?
R - L'Europe est la réponse obligée, dès lors qu'il faut envisager de créer des groupes de dimension européenne - on voit par exemple que Airbus est un grand succès - pour faire face à la compétition internationale. Il faut saisir l'opportunité de l'élargissement, précisément pour essayer de constituer ces pôles économiques forts. La prise de conscience est là. Déjà, on voit se profiler à l'horizon la création de grands groupes. Il y a quelque temps Arcelor a été crée dans le domaine de la sidérurgie. On voit naître aujourd'hui sous nos yeux, avec la bénédiction de la Commission européenne, le groupe Air France-KLM. Il y a un risque très fort de désindustrialisation, mais il y a des réponses et certaines sont déjà en voie d'être apportées.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2004)