Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Caen Normandie" du 20 mai 2005, sur ses raisons de voter en faveur du traité constitutionnel du 29 juin.

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Q - Vous êtes un Européen convaincu, expliquez-nous pourquoi ?
R - Parce que le monde est dominé par deux puissances immenses, les Etats-unis d'un côté, et demain la Chine de l'autre. Et que la France est seule. Et les autres Européens s'ils sont divisés n'ont aucune chance de faire le poids et de peser ou d'avoir de l'influence sur les grandes décisions qui orientent l'avenir de la planète. Plus le temps avance, plus le fossé se creuse. Si nous ne sommes pas assez lucides pour le voir, alors nous aurons de lourdes déconvenues.
Q - Comment, en quelques mots, convaincre les Français de voter en faveur du traité constitutionnel du 29 mai ?
R - Qu'ils pensent non pas en termes de jours ou de semaines, mais qu'ils pensent à long terme. En termes d'années et de décennies. Les livres d'histoire du XXIe siècle ne seront pas écrits de la même façon selon que nous aurons voté oui ou non. C'est notre propre destin qui est en jeu. Et nous n'allons pas voter seulement pour cette année ou pour une alternance gouvernementale, nous allons voter pour des décennies. Je ne connais personne qui ne puisse imaginer l'avenir de la France sans Europe.
Q - Dans un département marqué, notamment par la disparition de Moulinex, quels sont vos arguments pour rassurer les Calvadosiens qui verraient en l'Europe une porte ouverte à la délocalisation des entreprises ?
R - Si l'Europe n'existait pas, il y aurait beaucoup plus de délocalisations ! Parce que l'Europe c'est la voie ouverte vers des harmonisations. Des harmonisations de niveau de vie, des harmonisations sociales... Nous l'avons vécu, nous, dans les Pyrénées avec l'Espagne et le Portugal. En quelques années, ces pays ont rattrapé notre niveau de vie et notre niveau d salaire et donc, plus on résiste à l'Europe, plus c'est la concurrence sauvage entre les pays et plus il y a de délocalisations. Et au contraire, plus il y a d'Europe et plus on ira vers une harmonisation même s'il faudra des années.
Q - Que répondez-vous à ceux qui veulent voter " non " pour sanctionner la politique actuelle du gouvernement ?
R - C'est comme quelqu'un qui voudrait démolir l'immeuble sous prétexte qu'il n'est pas content du syndic. On ne peut pas être content du syndic. Moi même j'ai exprimé tellement souvent mes inquiétudes et mes réserves à l'égard de ce qui se faisait, d'ailleurs dans la solitude complète, pendant longtemps, donc je comprends ce genre de jugement. Mais pour autant, on ne va pas démolir la maison, c'est elle qui nous protège !
Q - En cas de victoire du " non ", que risque-t-il de se passer ?
R - Deux choses. Un blocage de la construction européenne. Vous savez pour la Constitution soit adoptée, il faut que tous les pays l'aient ratifiée. Un refus de la France voudrait dire un blocage. Et puis si les autres pays l'acceptent, nous serons un jour placés à nouveau devant nos responsabilités et c'est très mauvais pour l'image de la France.
Et deuxièmement, il y aurait naturellement des conséquences de politique intérieure lourdes et d'ailleurs prévisibles depuis longtemps.
Q - Est-ce que ce traité simplifierait les choses en matière de chasse, notamment à propos des dates d'ouverture et de fermeture pour le gibier d'eau et les oiseaux migrateurs ?
R - Tous ceux, dans quelque domaine que ce soit, qui sont mécontents d'une directive européenne, à tort ou à raison, jusqu'à présent, n'avaient aucun levier pour la changer. La Constitution en introduit un qui est formidable quand on y réfléchit. Une demande de changement de législation, si elle est présentée par un nombre suffisant de citoyens européens, est examinée de droit par la Commission et donc les institutions européennes. Aussi ceux qui hier n'étaient pas contents d'une législation étaient désarmés, maintenant ils ont une arme, ils ont un levier.
Q - Les agriculteurs doivent-ils avoir peur de la nouvelle Europe qui se dessine ?
R - Si l'Europe n'existe pas ou si elle faiblit, la première victime sera l'agriculture française. Pourquoi ? Et bien parce que le budget de la politique agricole commune est le premier budget européen et c'est lui qui trinquera parce que c'est le sujet de prédilection de la France. C'est l'influence de la France, qui jusqu'à maintenant la préservait et c'est ce budget-là qui risque de trinquer. Michel Rocard a dit aux agriculteurs que s'ils votent non, ils ne se tirent pas une balle dans le pied, ils se tirent un obus de mortier. L'expression est imagée mais je crois qu'elle a du sens.
Q - Et les pêcheurs, doivent-ils craindre de nouveaux quotas européens ?
R - Quand l'Union Européenne intervient sur la pêche, elle intervient pour protéger les ressources, alors ce n'est pas l'Europe qu'il faut craindre mais c'est son épuisement des ressources. Et ne pas regarder en face la nécessité de protéger les espèces ou de protéger l'épuisement de la ressource, ce serait grave. Il y a une chose dont les pêcheurs peuvent être surs, c'est que demain la voix de leur représentant sera plus écoutée. Mon ami Philippe Morillon est président de la Commission de la Pêche, je peux vous dire qu'il écoute et qu'il porte un certain nombre de revendications dont celles des pêcheurs.
Q - Voilà quelques semaines, les lycées ont manifesté leurs inquiétudes face à la loi Fillon. Entant qu'ancien ministre de l'éducation nationale quel est votre sentiment sur le sujet ?
R - Mon inquiétude à moi, c'est qu'il n'y a rien de conséquent dans la loi Fillon. Et c'est donc encore une fois, un psychodrame à la française, un affrontement autour d'un texte qui ne contient aucun changement majeur.
Q - Vous avez fait parvenir aux médecins un questionnaire pour connaître leur perception de la réforme de l'assurance maladie proposée par le ministre. Comment analysez-vous le système de santé actuel ?
R - On a reçu et on est en train de recevoir énormément de réponses. Des dizaines de milliers. Il y a une crise et il y a un doute profond. Le sentiment que tout cela n'a pas répondu aux exigences du moment et donc l'impression que l'on a fait des déclarations verbales et que l'on est passé à côté de l'essentiel.
Q - Les Français ne semblent plus réellement croire à la politique. Que faut-il faire, selon vous, pour qu'ils retrouvent enfin confiance ?
R - D'abord je trouve que ce référendum est un grand moment politique. Les Français se sont emparés du sujet, en parlent y compris passionnément et donc c'est un grand moment politique, c'est une sorte de réconciliation avec la politique. Et que faut-il pour qu'ils se réconcilient avec la politique ? Il faut que leurs responsables politiques leur parlent vraiment, c'est-à-dire leur disent la vérité, même si elle est dure. Pour que la parole du politique retrouve du crédit, il faut que les politiques prennent le risque de la vérité.
Q - Pourquoi, selon vous, la France a-t-elle atteint un tel taux de demandeurs d'emploi ?
Quelle solution avanceriez-vous ?
R - Ah je suis absolument persuadé qu'il existe une politique qui réponde à ce drame du chômage. Elle doit être simple et compréhensible par tous. Elle doit être économique, c'est-à-dire, ce n'est pas de l'assistanat, c'est de la véritable création d'emploi. Mon inquiétude, c'est qu'en ce moment, on ne semble pas du tout en prendre le chemin tant apparaît complexe la politique du gouvernement. Complexe et difficile à suivre.
Q - Lors de la campagne présidentielle de 2002, l'une de vos dix priorités concernant les droits des Français était de tenir les citoyens vraiment informés sur l'état du pays. Quels moyens imaginez-vous pour satisfaire cette volonté, et notamment au regard du développement des nouvelles structures territoriales telles que les communautés de communes ou " les pays " qui éloignent l'électeur des décisions politiques ?
R - Cela rejoint ce que je disais récemment. Pour moi le principal élément qui permettra à la fois la confiance et la lucidité, c'est que le citoyen ait entre les mains tout élément de jugement de la situation, même si elle est grave. Et donc j'avais pensé à une autorité indépendante. Non partisane où en tout cas majorité-opposition seraient chargée de fournir au citoyen des données sûres sur l'évolution e la situation, par exemple sur le chômage, il y a bien évidemment beaucoup plus de chômeurs qu'on ne le dit puisqu'il y a des Rmistes en plus. Je défends l'idée selon laquelle, on ne peut bien balayer la pièce que si on allume la lumière.
Q - Le département du Calvados a un président et des vices-présidents UDF, deux députés UDF...le considérez-vous comme une place forte de votre parti ?
R - Je n'emploie pas ce genre de mot militaire. Je considère ce département comme amical et bien inspiré (sourire).
Q - Philippe Augier (le maire de Dauville) et président départemental de l'UDF et Hervé Morin, député-maire d'Epaignes (27) et président du groupe UDF à l'Assemblée nationale " militent pour une seule Normandie ". Quel est votre avis sur la question ?
R - Mon avis est qu'ils ont raison. Quand j'ai des amis, j'ai plutôt tendance à leur faire confiance et en plus l'idée d'une seule Normandie. C'est un peu comme l'idée européenne. Pour peser, il faut désormais avoir la bonne dimension, être à la bonne échelle. C'est vrai pour la Normandie comme pour l'Europe.
Propos recueillis par Christophe LEMOINE.
(Source http://www.udf-europe.net, le 25 mai 2005)