Texte intégral
Les Echos du 14 février 2005
Q - Vous venez de fêter votre première année à la tête de Force ouvrière, où vous avez remplacé Marc Blondel. Quel bilan en tirez-vous ?
Jean-Claude Mailly : Un an, ça passe très vite... Mais aidé par les conditions de mon élection, je pense avoir réussi à impulser un travail d'équipe soutenu dans toutes les instances de FO. Il a permis de dégager un consensus dans l'organisation, ce qui est, je crois, le rôle du secrétaire général. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de débats nourris, c'est le jeu de la démocratie et la tradition de Force ouvrière. Mais nous aboutissons, aujourd'hui, à des positions largement partagées. Je pense aussi avoir réussi à banaliser les relations avec les autres confédérations syndicales. Quand c'est nécessaire, FO discute avec ses homologues et ce n'est pas un scoop. Mais on doit se parler franchement y compris de nos désaccords. Ce qui diffère de la logique de syndicalisme rassemblé [NDLR: défendu par la CGT.]
Q - Le fait d'avoir participé à la mobilisation intersyndicale contre la réforme des 35 heures, ce qui est nouveau, est-ce le signe d'une plus grande ouverture de FO ?
R - C'est surtout celui d'une clarification des relations entre les confédérations. L'épisode des retraites, en 2003, a provoqué une profonde confusion. J'en prends ma part de responsabilité, puisque j'étais dans la délégation de FO qui a négocié avec ses homologues. "Peu importe ce qu'on dit ensemble, du moment qu'on le dise ensemble et qu'on soit tous sur la photo": c'est ce credo qui nous a conduit à écrire une plate-forme commune qui voulait dire une chose et son contraire. L'unité affichée était une fiction. Vous avez vu les dégâts qu'a causé son explosion le 15 mai 2003.
Pour le 5 février dernier, nous n'avons pas réitéré l'exercice et c'est tant mieux. Nous avons un devoir de loyauté vis-à-vis des salariés. Nous sommes venus chacun avec nos mots d'ordre (pour FO, les salaires en priorité) et vous pouvez remarquer que cela ne nous a pas empêchés de mobiliser, au contraire.
Q - Sur quel dossier social Force ouvrière a t-elle le plus pesé depuis votre arrivée ?
R - Nous avons, je crois, réussi à faire entendre notre voix régulièrement dans le débat public. C'est ce que j'appelle le réformisme militant. Dans le cas de l'assurance-maladie, dans un contexte où il était difficile de mobiliser, je considère que nous avons réussi à déminer certains points. Ainsi, les assurances complémentaires, qui voulaient être les copilotes du système, ne le seront pas en tant que telles. Autre exemple : il n'y a pas eu de déremboursements, pour le moment. Tout ceci ne veut pas dire que la réforme Douste-Blazy est devenue bonne ! La loi a prévu des mesures de redressement en cas de dérapage des dépenses et cette boîte à outils à disposition des pouvoirs publics est dangereuse.
Q - Votre position sur l'assurance-maladie tranche avec la période Blondel...
R - Il n'y a pas de rupture. Il faut aussi tenir compte du contexte. Le gouvernement aurait-il appréhendé de la même manière la réforme de l'assurance-maladie s'il n'y avait pas eu le vote sanction des élections régionales ?
Q - Marc Blondel disait qu'il était "le dernier des Mohicans" du syndicalisme. Vous êtes de la même génération que Bernard Thibault et François Chérèque. Avez-vous en commun une autre conception du syndicalisme ?
R - Je ne pense pas que les questions de génération soient déterminantes. Les analyses des uns et des autres sont aussi fonction des conceptions de chacune des organisations syndicales. Le pluralisme n'est pas un artifice. Même si ce n'est pas un objectif, c'est une nécessité.
Q - Si vous deviez résumer d'un mot votre organisation ?
R - L'indépendance, c'est ce qui décrit le mieux FO, notamment l'indépendance vis-à-vis des gouvernements. Notre attachement à la pratique contractuelle y est lié. Cela dit, nous sommes exigeants sur le contenu des négociations : nous sommes d'accord, nous signons, nous ne sommes pas d'accord, nous ne signons pas. C'est cela, le réformisme militant.
Q - Le consensus vous contraint au grand écart : sur l'Europe, vous avez voté contre le traité européen à Bruxelles mais, en France, vous n'incitez pas au vote " non " au référendum.
R - Nous ne faisons pas le grand écart sur l'Europe. Nous nous sommes opposés à ce que la Confédération européenne des syndicats prenne une position sur le traité constitutionnel, à Bruxelles. Sur le fond, nous estimons qu'elle n'avait pas à se prononcer. En outre, nous considérons que la décision n'a pas été prise de façon démocratique. D'ailleurs, nous ne manifesterons pas à Bruxelles le 19 mars prochain. Cela fait des années que nous répétons qu'il faut que la Confédération européenne des syndicats soit plus combative, plus revendicative. Mais elle commence à évoluer. Dès mars 2004, elle s'est battue, notamment à l'initiative de FO, pour une remise en cause du projet de directive Bolkestein sur les services.
Q - Avez-vous définitivement tranché sur la question de la consigne de vote au référendum ?
R - Formellement non. Nous en discuterons au comité confédéral national, en mars. Le débat sera nourri. Mais je suis serein parce qu'il y a une tradition à FO: nous nous refusons à confondre les citoyens et les travailleurs. Ce n'est pas toujours une position de confort. Je me souviens qu'en 2002, l'opinion n'a pas forcément compris que nous ne donnions pas de consigne de vote au deuxième tour de l'élection présidentielle. Cela dit, notre indépendance ne nous empêche pas d'avoir des analyses, qui sont publiques et critiques, sur la Constitution européenne. Nous condamnons depuis plus de dix ans la nature libérale de la construction européenne. C'est donc une constante.
Q - Comment jugez-vous la CGT, qui appelle à voter "non" au référendum sur le traité constitutionnel, contre l'avis de son secrétaire général ?
R - Je n'ai aucun jugement à apporter sur ce qui se passe à la CGT.
Q - Par rapport à tous les autres pays, la faiblesse du syndicalisme français est patente. Devriez-vous par exemple, comme ailleurs en Europe, offrir des services à vos adhérents ?
R - Il n'y a pas de corrélation entre le taux de syndicalisation et la situation réelle des salariés. Même si le taux de syndicalisation est plus faible en France pour des raisons historiques, la force d'influence du syndicalisme français est réelle. Pour nous, il n'y a pas de crise quant au rôle du syndicat, à son indépendance et à sa liberté de comportement. Ce qui nous conduit aussi à ne pas concevoir des services au sens marketing du terme.
Q - Comment qualifiez-vous le climat social ?
R - Les dernières manifestations révèlent un profond malaise chez les salariés. La question du pouvoir d'achat est au cur des revendications. Les bons accords, qui proposent au moins 3,5 % d'augmentation, sont rares. Il est même difficile de maintenir le pouvoir d'achat dans toutes les entreprises. C'est ainsi que nous articulons notre mobilisation par rapport aux 35 heures : augmenter les salaires, pas les horaires !
Q - Vous souhaitez organiser des arrêts de travail dans les entreprises pour prolonger la journée d'action du 5 février ?
R - Le mécontentement est là, dans le public comme dans le privé. Pour défendre les salariés, les arrêts de travail interprofessionnels constituent une action plus franche que les manifestations, qui n'ont rien donné en 2003. Nous devons toutefois agir à plusieurs: aucune organisation ne peut partir fleur au fusil sur un sujet interprofessionnel. Plusieurs organisations doivent être d'accord sur le principe de débrayages au cours d'une même journée, ce que la commission exécutive de FO vient de proposer jeudi aux autres organisations.
Q - Vous pensez encore pouvoir obtenir des évolutions de la réforme des 35 heures ?
R - Tant que la discussion parlementaire n'est pas bouclée, ce n'est pas fini. L'Assemblée vient juste d'achever la première lecture du texte. Et, je le rappelle, la question salariale est prioritaire.
Q - Les syndicats allemands, eux, acceptent d'augmenter la durée du travail, dans le privé comme dans le secteur public, sans hausse de salaire... Est-ce une manière de tenir compte de la nouvelle donne économique ?
R - Nous sommes dans deux situations différentes. L'Allemagne est tirée par les exportations, la France par la consommation. La croissance ne peut donc pas être développée par les mêmes leviers. Ce qui ne signifie pas que la consommation va bien en France ! Le gouvernement se félicite du développement du crédit à la consommation, mais il se trompe de diagnostic: si les Français achètent à crédit, ce n'est pas parce qu'ils ont confiance, c'est parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement pour se procurer ce dont ils ont vraiment besoin. Le taux d'épargne des Français a d'ailleurs baissé.
Le gouvernement refuse de prendre en compte la question du pouvoir d'achat, dans le secteur privé comme dans celui du public. Malgré 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires, il n'a pas lâché un centime de plus pour les fonctionnaires. Renaud Dutreil, c'est vraiment l'erreur de casting du gouvernement. La situation est la même dans le privé, où les entreprises favorisent le versement de dividendes et le rachat de leurs actions au détriment des investissements productifs, de la recherche, etc. Comment les entreprises peuvent-elles prétendre développer une culture d'entreprise quand elles ne veulent pas accorder d'augmentations générales aux salariés ?
Q - Le modèle social européen peut-il être préservé dans un contexte économique très compétitif ?
R - Notre modèle social existe, mais nous avons de bonnes raisons d'être inquiets pour sa pérennité. Arrêtons, tout d'abord, de penser qu'en s'alignant sur le salaire des Chinois, les pays européens peuvent maintenir leur compétitivité économique! Ce discours, entretenu par le Medef, sert à justifier la déréglementation, la baisse du coût du travail et des droits sociaux. De même, les critères européens de stabilité que près de la moitié des pays européens n'arrivent d'ailleurs toujours pas à respecter plombent obligatoirement le progrès social car ils conduisent à une politique économique et sociale restrictive.
Le pouvoir de l'Europe, ce devrait être par exemple la mise en commun de nos savoir-faire industriels et scientifiques. Mise à part l'expérience d'Airbus, qui n'est pas nouvelle, pouvez-vous me citer un projet industriel de grande envergure en Europe ?
Q - Comment appréhendez-vous les négociations interprofessionnelles prévues pour cette année ?
R - Outre les négociations ouvertes la semaine dernière, la nouvelle convention d'assurance-chômage sera l'un des principaux dossiers de l'année. Nous tenons à remettre tout le système à plat, y compris le rôle joué par l'Etat. Sa part dans le financement a constamment baissé depuis vingt ans : en 1985, les dépenses d'indemnisation représentaient 11,5 milliards d'euros, financés à 35,6 % par l'Etat. Aujourd'hui, ces dépenses représentent 30,7 milliards d'euros, financés à 10,8 % par l'Etat. Elles ont donc été multipliées par trois, et la part de l'Etat divisée par trois. Nous n'accepterons, cela doit être clair, aucune diminution des droits des chômeurs. La situation est bien trop critique: 3,5 millions de personnes touchent des minima sociaux. 16 % des salariés gagnent moins que le SMIC, dont 80 % de femmes.
PROPOS RECUEILLIS PAR LEÏLA DE COMARMOND, LUCIE ROBEQUAIN ET DOMINIQUE SEUX
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 15 février 2005)
AFP le 15 février
AFP : Dès votre élection on vous a vu attentif à resserrer les liens au sein de FO.
Jean-Claude Mailly : Le fait d'être élu largement m'a permis de développer un travail d'équipe soutenu, dans l'idée que j'ai du rôle du secrétaire général.
Notre légitimité de syndicalistes repose tout entière sur le traitement des dossiers sociaux, je me dois donc d'assurer la plus grande homogénéité dans l'organisation: j'ai mis en avant cette exigence de sorte que tout le monde, à FO, par-delà les sensibilités, travaille aujourd'hui ensemble.
La proposition unanime de la commission exécutive d'une journée interprofessionnelle avec arrêts de travail, face au refus du gouvernement d'entendre les demandes sociales, illustre cette volonté.
Q - Où en sont les relations de FO avec les autres centrales ?
R - Il y a une avancée en terme de banalisation. On peut se rencontrer, échanger des analyses par dossier, recenser accords et désaccords. Chacun conserve sa liberté, cette méthode se distingue du "syndicalisme rassemblé" (mot d'ordre de la CGT, ndlr) qui implique une recherche systématique de l'accord.
En 2003, on a vu lors du conflit des retraites ce qu'avait donné de vouloir anesthésier les désaccord au prix de formules ambiguës... A contrario, le 5 février a montré qu'une plate-forme commune n'était pas un préalable pour réussir.
Q - Vis-à-vis du gouvernement, FO semble plus soucieuse de nuances.
R - Parlons plutôt de pédagogie et de pragmatisme. S'agissant de la sécurité sociale par exemple, on a bien perçu que le gouvernement, après son revers aux régionales, y allait moins brut de fonderie que pour les retraites. Le contexte a joué, on en a donc tenu compte dans notre réflexion, avec pragmatisme. C'est ce que j'appelle le réformisme militant.
Pour autant, nous ne perdons pas de vue que la loi Douste Blazy a créé ce que j'appelle "la boîte à outils de la maîtrise comptable". Si jamais les dépenses sont supérieures aux dépenses prévues, des mesures de redressement sont prévues, avec l'ombre d'une remise en cause du niveau des remboursements.
Q - Comment vous positionnez-vous dans le débat sur le Traité européen ?
R - Cela fait plus de dix ans qu'on est très critique sur les modalités de la construction européenne et notamment le pacte de stabilité. Le gouvernement s'engage à Bruxelles à avoir 0,9 % de déficit budgétaire en 2008. Alors qu'on sera cette année à 3,6 %, je pose la question: quelles dépenses publiques, sociales, seront réduites ? On n'a pas de réponse à ça !
Reste qu'à FO on ne confond pas le citoyen et le salarié. Je ne peux imaginer que notre tradition d'indépendance ne s'impose pas lorsque nous en discuterons en mars.
Q - FO est-elle à l'abri de crises comme celles qui ont mis CFDT et CGT en porte à faux avec leur base ?
R - Je ne ferai aucun commentaire sur ces événements extérieurs à FO. La base ? A FO, les dirigeants sont en permanence à son écoute. Si j'ai mis l'accent sur le pouvoir d'achat dès l'été dernier, c'est que tous les militants et salariés que je rencontrais m'en parlaient.
FO a créé 500 implantations nouvelles en 2004 (sur 15.000 environ). Dans un contexte où la loi Fillon pousse la négociation vers l'entreprise, où le gouvernement reste sourd aux revendications, il nous faut plus que jamais aller vers les salariés en alliant syndicalisation, négociation et présence de terrain.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 17 février 2005)
Q - Vous venez de fêter votre première année à la tête de Force ouvrière, où vous avez remplacé Marc Blondel. Quel bilan en tirez-vous ?
Jean-Claude Mailly : Un an, ça passe très vite... Mais aidé par les conditions de mon élection, je pense avoir réussi à impulser un travail d'équipe soutenu dans toutes les instances de FO. Il a permis de dégager un consensus dans l'organisation, ce qui est, je crois, le rôle du secrétaire général. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de débats nourris, c'est le jeu de la démocratie et la tradition de Force ouvrière. Mais nous aboutissons, aujourd'hui, à des positions largement partagées. Je pense aussi avoir réussi à banaliser les relations avec les autres confédérations syndicales. Quand c'est nécessaire, FO discute avec ses homologues et ce n'est pas un scoop. Mais on doit se parler franchement y compris de nos désaccords. Ce qui diffère de la logique de syndicalisme rassemblé [NDLR: défendu par la CGT.]
Q - Le fait d'avoir participé à la mobilisation intersyndicale contre la réforme des 35 heures, ce qui est nouveau, est-ce le signe d'une plus grande ouverture de FO ?
R - C'est surtout celui d'une clarification des relations entre les confédérations. L'épisode des retraites, en 2003, a provoqué une profonde confusion. J'en prends ma part de responsabilité, puisque j'étais dans la délégation de FO qui a négocié avec ses homologues. "Peu importe ce qu'on dit ensemble, du moment qu'on le dise ensemble et qu'on soit tous sur la photo": c'est ce credo qui nous a conduit à écrire une plate-forme commune qui voulait dire une chose et son contraire. L'unité affichée était une fiction. Vous avez vu les dégâts qu'a causé son explosion le 15 mai 2003.
Pour le 5 février dernier, nous n'avons pas réitéré l'exercice et c'est tant mieux. Nous avons un devoir de loyauté vis-à-vis des salariés. Nous sommes venus chacun avec nos mots d'ordre (pour FO, les salaires en priorité) et vous pouvez remarquer que cela ne nous a pas empêchés de mobiliser, au contraire.
Q - Sur quel dossier social Force ouvrière a t-elle le plus pesé depuis votre arrivée ?
R - Nous avons, je crois, réussi à faire entendre notre voix régulièrement dans le débat public. C'est ce que j'appelle le réformisme militant. Dans le cas de l'assurance-maladie, dans un contexte où il était difficile de mobiliser, je considère que nous avons réussi à déminer certains points. Ainsi, les assurances complémentaires, qui voulaient être les copilotes du système, ne le seront pas en tant que telles. Autre exemple : il n'y a pas eu de déremboursements, pour le moment. Tout ceci ne veut pas dire que la réforme Douste-Blazy est devenue bonne ! La loi a prévu des mesures de redressement en cas de dérapage des dépenses et cette boîte à outils à disposition des pouvoirs publics est dangereuse.
Q - Votre position sur l'assurance-maladie tranche avec la période Blondel...
R - Il n'y a pas de rupture. Il faut aussi tenir compte du contexte. Le gouvernement aurait-il appréhendé de la même manière la réforme de l'assurance-maladie s'il n'y avait pas eu le vote sanction des élections régionales ?
Q - Marc Blondel disait qu'il était "le dernier des Mohicans" du syndicalisme. Vous êtes de la même génération que Bernard Thibault et François Chérèque. Avez-vous en commun une autre conception du syndicalisme ?
R - Je ne pense pas que les questions de génération soient déterminantes. Les analyses des uns et des autres sont aussi fonction des conceptions de chacune des organisations syndicales. Le pluralisme n'est pas un artifice. Même si ce n'est pas un objectif, c'est une nécessité.
Q - Si vous deviez résumer d'un mot votre organisation ?
R - L'indépendance, c'est ce qui décrit le mieux FO, notamment l'indépendance vis-à-vis des gouvernements. Notre attachement à la pratique contractuelle y est lié. Cela dit, nous sommes exigeants sur le contenu des négociations : nous sommes d'accord, nous signons, nous ne sommes pas d'accord, nous ne signons pas. C'est cela, le réformisme militant.
Q - Le consensus vous contraint au grand écart : sur l'Europe, vous avez voté contre le traité européen à Bruxelles mais, en France, vous n'incitez pas au vote " non " au référendum.
R - Nous ne faisons pas le grand écart sur l'Europe. Nous nous sommes opposés à ce que la Confédération européenne des syndicats prenne une position sur le traité constitutionnel, à Bruxelles. Sur le fond, nous estimons qu'elle n'avait pas à se prononcer. En outre, nous considérons que la décision n'a pas été prise de façon démocratique. D'ailleurs, nous ne manifesterons pas à Bruxelles le 19 mars prochain. Cela fait des années que nous répétons qu'il faut que la Confédération européenne des syndicats soit plus combative, plus revendicative. Mais elle commence à évoluer. Dès mars 2004, elle s'est battue, notamment à l'initiative de FO, pour une remise en cause du projet de directive Bolkestein sur les services.
Q - Avez-vous définitivement tranché sur la question de la consigne de vote au référendum ?
R - Formellement non. Nous en discuterons au comité confédéral national, en mars. Le débat sera nourri. Mais je suis serein parce qu'il y a une tradition à FO: nous nous refusons à confondre les citoyens et les travailleurs. Ce n'est pas toujours une position de confort. Je me souviens qu'en 2002, l'opinion n'a pas forcément compris que nous ne donnions pas de consigne de vote au deuxième tour de l'élection présidentielle. Cela dit, notre indépendance ne nous empêche pas d'avoir des analyses, qui sont publiques et critiques, sur la Constitution européenne. Nous condamnons depuis plus de dix ans la nature libérale de la construction européenne. C'est donc une constante.
Q - Comment jugez-vous la CGT, qui appelle à voter "non" au référendum sur le traité constitutionnel, contre l'avis de son secrétaire général ?
R - Je n'ai aucun jugement à apporter sur ce qui se passe à la CGT.
Q - Par rapport à tous les autres pays, la faiblesse du syndicalisme français est patente. Devriez-vous par exemple, comme ailleurs en Europe, offrir des services à vos adhérents ?
R - Il n'y a pas de corrélation entre le taux de syndicalisation et la situation réelle des salariés. Même si le taux de syndicalisation est plus faible en France pour des raisons historiques, la force d'influence du syndicalisme français est réelle. Pour nous, il n'y a pas de crise quant au rôle du syndicat, à son indépendance et à sa liberté de comportement. Ce qui nous conduit aussi à ne pas concevoir des services au sens marketing du terme.
Q - Comment qualifiez-vous le climat social ?
R - Les dernières manifestations révèlent un profond malaise chez les salariés. La question du pouvoir d'achat est au cur des revendications. Les bons accords, qui proposent au moins 3,5 % d'augmentation, sont rares. Il est même difficile de maintenir le pouvoir d'achat dans toutes les entreprises. C'est ainsi que nous articulons notre mobilisation par rapport aux 35 heures : augmenter les salaires, pas les horaires !
Q - Vous souhaitez organiser des arrêts de travail dans les entreprises pour prolonger la journée d'action du 5 février ?
R - Le mécontentement est là, dans le public comme dans le privé. Pour défendre les salariés, les arrêts de travail interprofessionnels constituent une action plus franche que les manifestations, qui n'ont rien donné en 2003. Nous devons toutefois agir à plusieurs: aucune organisation ne peut partir fleur au fusil sur un sujet interprofessionnel. Plusieurs organisations doivent être d'accord sur le principe de débrayages au cours d'une même journée, ce que la commission exécutive de FO vient de proposer jeudi aux autres organisations.
Q - Vous pensez encore pouvoir obtenir des évolutions de la réforme des 35 heures ?
R - Tant que la discussion parlementaire n'est pas bouclée, ce n'est pas fini. L'Assemblée vient juste d'achever la première lecture du texte. Et, je le rappelle, la question salariale est prioritaire.
Q - Les syndicats allemands, eux, acceptent d'augmenter la durée du travail, dans le privé comme dans le secteur public, sans hausse de salaire... Est-ce une manière de tenir compte de la nouvelle donne économique ?
R - Nous sommes dans deux situations différentes. L'Allemagne est tirée par les exportations, la France par la consommation. La croissance ne peut donc pas être développée par les mêmes leviers. Ce qui ne signifie pas que la consommation va bien en France ! Le gouvernement se félicite du développement du crédit à la consommation, mais il se trompe de diagnostic: si les Français achètent à crédit, ce n'est pas parce qu'ils ont confiance, c'est parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement pour se procurer ce dont ils ont vraiment besoin. Le taux d'épargne des Français a d'ailleurs baissé.
Le gouvernement refuse de prendre en compte la question du pouvoir d'achat, dans le secteur privé comme dans celui du public. Malgré 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires, il n'a pas lâché un centime de plus pour les fonctionnaires. Renaud Dutreil, c'est vraiment l'erreur de casting du gouvernement. La situation est la même dans le privé, où les entreprises favorisent le versement de dividendes et le rachat de leurs actions au détriment des investissements productifs, de la recherche, etc. Comment les entreprises peuvent-elles prétendre développer une culture d'entreprise quand elles ne veulent pas accorder d'augmentations générales aux salariés ?
Q - Le modèle social européen peut-il être préservé dans un contexte économique très compétitif ?
R - Notre modèle social existe, mais nous avons de bonnes raisons d'être inquiets pour sa pérennité. Arrêtons, tout d'abord, de penser qu'en s'alignant sur le salaire des Chinois, les pays européens peuvent maintenir leur compétitivité économique! Ce discours, entretenu par le Medef, sert à justifier la déréglementation, la baisse du coût du travail et des droits sociaux. De même, les critères européens de stabilité que près de la moitié des pays européens n'arrivent d'ailleurs toujours pas à respecter plombent obligatoirement le progrès social car ils conduisent à une politique économique et sociale restrictive.
Le pouvoir de l'Europe, ce devrait être par exemple la mise en commun de nos savoir-faire industriels et scientifiques. Mise à part l'expérience d'Airbus, qui n'est pas nouvelle, pouvez-vous me citer un projet industriel de grande envergure en Europe ?
Q - Comment appréhendez-vous les négociations interprofessionnelles prévues pour cette année ?
R - Outre les négociations ouvertes la semaine dernière, la nouvelle convention d'assurance-chômage sera l'un des principaux dossiers de l'année. Nous tenons à remettre tout le système à plat, y compris le rôle joué par l'Etat. Sa part dans le financement a constamment baissé depuis vingt ans : en 1985, les dépenses d'indemnisation représentaient 11,5 milliards d'euros, financés à 35,6 % par l'Etat. Aujourd'hui, ces dépenses représentent 30,7 milliards d'euros, financés à 10,8 % par l'Etat. Elles ont donc été multipliées par trois, et la part de l'Etat divisée par trois. Nous n'accepterons, cela doit être clair, aucune diminution des droits des chômeurs. La situation est bien trop critique: 3,5 millions de personnes touchent des minima sociaux. 16 % des salariés gagnent moins que le SMIC, dont 80 % de femmes.
PROPOS RECUEILLIS PAR LEÏLA DE COMARMOND, LUCIE ROBEQUAIN ET DOMINIQUE SEUX
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 15 février 2005)
AFP le 15 février
AFP : Dès votre élection on vous a vu attentif à resserrer les liens au sein de FO.
Jean-Claude Mailly : Le fait d'être élu largement m'a permis de développer un travail d'équipe soutenu, dans l'idée que j'ai du rôle du secrétaire général.
Notre légitimité de syndicalistes repose tout entière sur le traitement des dossiers sociaux, je me dois donc d'assurer la plus grande homogénéité dans l'organisation: j'ai mis en avant cette exigence de sorte que tout le monde, à FO, par-delà les sensibilités, travaille aujourd'hui ensemble.
La proposition unanime de la commission exécutive d'une journée interprofessionnelle avec arrêts de travail, face au refus du gouvernement d'entendre les demandes sociales, illustre cette volonté.
Q - Où en sont les relations de FO avec les autres centrales ?
R - Il y a une avancée en terme de banalisation. On peut se rencontrer, échanger des analyses par dossier, recenser accords et désaccords. Chacun conserve sa liberté, cette méthode se distingue du "syndicalisme rassemblé" (mot d'ordre de la CGT, ndlr) qui implique une recherche systématique de l'accord.
En 2003, on a vu lors du conflit des retraites ce qu'avait donné de vouloir anesthésier les désaccord au prix de formules ambiguës... A contrario, le 5 février a montré qu'une plate-forme commune n'était pas un préalable pour réussir.
Q - Vis-à-vis du gouvernement, FO semble plus soucieuse de nuances.
R - Parlons plutôt de pédagogie et de pragmatisme. S'agissant de la sécurité sociale par exemple, on a bien perçu que le gouvernement, après son revers aux régionales, y allait moins brut de fonderie que pour les retraites. Le contexte a joué, on en a donc tenu compte dans notre réflexion, avec pragmatisme. C'est ce que j'appelle le réformisme militant.
Pour autant, nous ne perdons pas de vue que la loi Douste Blazy a créé ce que j'appelle "la boîte à outils de la maîtrise comptable". Si jamais les dépenses sont supérieures aux dépenses prévues, des mesures de redressement sont prévues, avec l'ombre d'une remise en cause du niveau des remboursements.
Q - Comment vous positionnez-vous dans le débat sur le Traité européen ?
R - Cela fait plus de dix ans qu'on est très critique sur les modalités de la construction européenne et notamment le pacte de stabilité. Le gouvernement s'engage à Bruxelles à avoir 0,9 % de déficit budgétaire en 2008. Alors qu'on sera cette année à 3,6 %, je pose la question: quelles dépenses publiques, sociales, seront réduites ? On n'a pas de réponse à ça !
Reste qu'à FO on ne confond pas le citoyen et le salarié. Je ne peux imaginer que notre tradition d'indépendance ne s'impose pas lorsque nous en discuterons en mars.
Q - FO est-elle à l'abri de crises comme celles qui ont mis CFDT et CGT en porte à faux avec leur base ?
R - Je ne ferai aucun commentaire sur ces événements extérieurs à FO. La base ? A FO, les dirigeants sont en permanence à son écoute. Si j'ai mis l'accent sur le pouvoir d'achat dès l'été dernier, c'est que tous les militants et salariés que je rencontrais m'en parlaient.
FO a créé 500 implantations nouvelles en 2004 (sur 15.000 environ). Dans un contexte où la loi Fillon pousse la négociation vers l'entreprise, où le gouvernement reste sourd aux revendications, il nous faut plus que jamais aller vers les salariés en alliant syndicalisation, négociation et présence de terrain.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 17 février 2005)