Texte intégral
Monsieur le Premier Président,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord saluer l'initiative de ce colloque, organisé par la Cour, et vous remercier de m'accueillir ici pour conclure les travaux de cette première journée.
Je suis très heureux que ce terme de responsabilité ait retenu toute votre attention, car il est au cur même de toute la démarche de la révolution budgétaire que nous sommes en train de vivre. Car la responsabilité, c'est à la fois l'idée de l'engagement, du courage, d'une mission réfléchie et assumée.
Et c'est précisément ce que nous sommes en train de faire avec la LOLF : conduire et assumer un rendez-vous, qui est un rendez-vous absolument historique.
I. La LOLF est une véritable révolution qui va changer toutes nos habitudes
Vous êtes tous des responsables publics. Vous êtes donc les mieux placés pour savoir ce qui, depuis des années et des années, mine l'action de l'État. À savoir ses difficultés à tenir les comptes et à rendre des comptes :
- à tenir les comptes d'abord, puisque nous sommes dans un pays qui a pris l'habitude d'être drogué à la dépense publique : nos dépenses publiques aujourd'hui consomment plus de la moitié de la richesse produite, soit presque 7 points de plus que la moyenne de la zone euro.
Et le résultat, c'est qu'en 20 ans, l'encours de la dette a été multiplié par cinq et dépasse la barre symbolique des 1 000 milliards de dettes, avec une charge d'intérêts qui représente aujourd'hui presque l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu.
- une incapacité à rendre des comptes d'autre part, notamment à la représentation nationale. Nous étions dans un système absurde qui consistait à s'écharper sur 5 % du budget (les mesures nouvelles) et à reconduire les yeux fermés les 95 % restants (les services votés). D'où un budget peu lisible, un débat parlementaire atone et tronqué auquel s'ajoute un sentiment général d'irresponsabilité des administrations, puisque la plupart des rapports et des recommandations restaient lettre morte.
Désormais tout cela va changer. Et cela va changer brutalement ; soyons tous bien conscients qu'au 1er janvier 2006, l'ancien ticket n'est plus valable ! Nous serons passés à un système totalement différent. Et c'est, de ce point de vue, le levier le plus puissant de réforme de l'État. Depuis des années, on parle aux Français de la réforme de l'État, mais c'était toujours pour demain... Là, la réforme est en marche et nous sommes à pied d'uvre pour en tirer tous les bénéfices possibles, à tous les niveaux : c'est pourquoi je voudrais vous donner quelques exemples de ce qui fait de la LOLF, à mes yeux, une vraie révolution.
II. Les grands principes fondateurs de la LOLF, telle que je veux la mettre en uvre
1) Ma première conviction, c'est qu'avec la LOLF, la France a doté son État d'une véritable démarche d'entreprise : ce qui compte désormais, ce n'est plus la dépense supplémentaire, mais la réforme structurelle. Celle qui va permettre de financer de nouvelles priorités par des gains de productivité.
Autrement dit, ce qu'il faudra regarder de très près dans les budgets nouvelle formule, ce ne sont plus les dépenses des ministères, mais leurs efforts. Et un bon ministre, ce ne sera plus celui qui obtient une grosse enveloppe, mais celui qui gèrera le plus intelligemment les crédits votés par le Parlement.
Et là, nous avons réellement des instruments au service d'une gestion performante et donc d'une meilleure maîtrise de la dépense publique. C'est tout l'objet des réunions d'économies structurelles que je viens de tenir. Personnellement, j'en tire deux enseignements très positifs :
- premièrement, les ministères ont joué le jeu : tous les sujets ont été mis sur la table : effectifs, gains de productivité, mode de financement des investissements. Il n'y a eu aucun sujet tabou ;
- deuxièmement : de très nombreuses pistes de réforme ont été proposées, avec de vraies économies à la clé.
Quelques exemples :
la rationalisation des achats, en professionnalisant nos pratiques et en ayant recours aux nouvelles technologies d'information et de communication. C'est ce que nous expérimentons actuellement au MINEFI, avec 50 M d'euros d'économies à la clé pour 2005. Et c'est cette expérience que nous voulons généraliser au niveau de l'État, pour parvenir à un gain total de 1 à 1,5 Md d'euros à terme (sur un budget actuel de 10 Md d'euros). Autant de marges de manuvre qu'on peut utiliser ailleurs !
autre source d'économies : l'externalisation de certaines missions auprès de prestataires privés (ex. au ministère de la Défense pour la formation des pilotes d'hélicoptères), ce qui permet à l'État de se recentrer sur son cur de métier ;
dernier exemple : la gestion performante du patrimoine immobilier. Cela passe notamment par des cessions, avec un objectif fixé par le Parlement de 850 M d'euros en 2005 : des programmes interministériels sont en cours, avec des opérations significatives (je note au passage que la Cour des comptes y participe à sa mesure, en cédant notamment des murs de boutiques au rez-de-chaussée de la rue Saint-Honoré !).
Nous allons dans les prochains jours transmettre au Premier ministre les résultats de ces conférences d'économies structurelles ; et nous aurons ainsi une vision claire des gains de productivité et donc des marges de manuvre dégagées, politique publique par politique publique.
2) La deuxième idée sur laquelle je voudrais insister, c'est que c e qui compte aussi désormais, c'est de savoir, pour chaque euro tiré de l'argent des Français, s'il est utilement dépensé.
Cela veut dire qu'on va se poser en permanence la question : quels moyens pour quels objectifs ? et pour quels résultats ? Bref : que veut-on faire de l'argent public ?
Tout cela implique une vraie réflexion stratégique. Par exemple à quoi sert l'école primaire ? quels objectifs lui assigne-t-on ? Les résultats obtenus sont-ils à la hauteur des moyens mis en uvre ? Et là, on inverse la logique habituelle : on ne raisonne plus en termes de moyens (combien faut-il en plus ?) mais en termes de résultats (l'argent dépensé a-t-il été utile ?). La LOLF donne un cadre méthodologique : on ne pourra plus éluder ce type de questions.
3) Troisième moteur de changement : l'évaluation. C'est évidemment une vraie révolution culturelle ! Depuis le temps, là aussi, qu'on parle d'évaluation des politiques publiques sans en faire ! Nous allons enfin être en mesure de rendre des comptes, pour chaque politique publique. Autrement dit, chaque engagement pris sera suivi, en toute transparence, au moyen d'indicateurs précis. Et comme n'importe quelle entreprise, nous aurons nos " auditeurs " : les parlementaires, les journalistes, et bien sûr la Cour des comptes, qui pourra pleinement jouer son rôle, en toute connaissance de cause.
Actuellement, nous sommes au début de cette grande aventure. Et personne n'a la vérité révélée. Nous avons donc besoin de la bonne volonté de chacun !
Concrètement où en sommes-nous ? Avec un an d'avance, nous avons présenté une première copie au Parlement à l'automne dernier, avec 670 objectifs et 1 300 indicateurs répartis par mission et programme. Je vais vous dire les choses franchement : j'ai besoin de l'aide du Parlement et de la Cour des comptes pour vérifier que chacun des indicateurs de performance est vraiment pertinent.
J'ai d'ailleurs l'intention de tenir le plus grand compte des observations et des remarques qui nous ont été formulées. Je viens à ce propos de faire parvenir à l'ensemble des ministres une circulaire pour faire le point sur les efforts à accomplir de ce point de vue.
Et c'est pour poursuivre ce travail que j'ai pris l'initiative des " conférences de gestion publique " qui se tiendront au mois de mai : avec Thierry Breton, nous allons rencontrer tous les ministres un à un pour définir avec eux les stratégies, les objectifs et les indicateurs de chaque programme. Et fixer la cible de résultat à atteindre pour 2006.
Du coup, le débat d'orientation budgétaire de juin, qui était purement rituel, et ensuite le débat budgétaire à l'automne, deviendront des vrais rendez-vous avec le Parlement sur les orientations des politiques publiques et la meilleure allocation des ressources en fonction de nos objectifs.
4) Car tout cela, et c'est mon quatrième point, doit se faire avec en ligne de mire un objectif majeur : la performance.
Toutes les administrations doivent se mettre en position d'être performantes : elles n'auront d'ailleurs plus le choix. On ne leur demandera plus de dire combien de moyens ou d'effectifs elles ont mobilisé, mais si elles ont su être efficaces, productives et innovantes.
Je prendrai un exemple, qui est au premier rang de la préoccupation des Français : c'est celui de l'emploi. Comment avoir une politique de l'emploi performante ? Et comment mesurer cette performance ?
Aujourd'hui, dans le PLF 2005, la mission travail, c'est 31 Md d'euros. Comment savoir si ces 31 Md sont bien employés ? Moi, je crois qu'il y a dans les objectifs et les indicateurs de performance de quoi vraiment avoir des réponses à ce sujet. Car ce qu'on entend par performance, ce sont trois choses :
- d'abord une action qui prouve son efficacité.
Exemple : dans le PLF 2005, un indicateur permet de mesurer l'évolution de l'emploi dans les secteurs " délocalisables " par rapport à l'évolution de l'emploi total. L'idée, c'est de savoir si, oui on non, les mesures mises en uvre pour préserver ce type d'emplois, que l'on sait fragiles, ont été efficaces. Donc, si elles auront été performantes.
- une action performante, c'est aussi une qualité de service rendu. Un indicateur nous permettra par exemple de mesurer la part de marché de l'ANPE, ou encore d'évaluer si les entreprises sont satisfaites ou non des candidats que l'ANPE lui a adressés. On saura ainsi précisément si l'ANPE améliore ses performances, et si elle remplit ses missions.
- c'est enfin une gestion au moindre coût, ce qu'on appelle l'efficience.
Très concrètement, cela voudra dire qu'on examinera les résultats obtenus au regard de la dépense occasionnée. Plus question de garder des dispositifs coûteux qui ne servent à rien.
Dans le domaine fiscal, nous avons donné à cela une conséquence immédiate : le Gouvernement a en effet décidé qu'à l'avenir toute mesure fiscale dérogatoire, toute dépense fiscale sensée contribuer à une politique publique déterminée, serait adoptée pour une durée limitée ; ceci permettra ensuite qu'elle ne soit reconduite qu'après l'évaluation précise de ses effets.
5) Enfin, dernier point sur lequel je voudrais insister au sujet de la LOLF : pourquoi faisons-nous tout cela ? Quel est le vrai ressort de cette révolution budgétaire ? C'est bien évidemment de renouveler en profondeur le rapport entre le citoyen et le responsable public. C'est donc l'ensemble de la gouvernance qui va changer, dans un monde où chacun assume ses responsabilités.
C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons confié à Alain Lambert et Didier Migaud une mission majeure, qui permettra de renforcer encore l'impact de la LOLF, et d'en tirer toutes les conséquences :
- pour faire évoluer la régulation budgétaire, et la rendre plus responsabilisante (nous pensons par exemple à une réserve de précaution, annoncée en toute transparence dès la loi de finances initiale) ;
- pour s'adapter aux évolutions du travail du Parlement et lui permettre d'exercer tout son pouvoir de contrôle ;
- pour étendre encore les principes de la LOLF aux établissements publics ou même aux organismes de la sécurité sociale ;
- et enfin pour tirer tout le profit de la LOLF en terme d'évolution du management public. Pour que ce mot de " responsabilité " qui nous réunit aujourd'hui prenne vraiment tout son sens.
III. LOLF et responsabilité
1) les responsables de programme
Je sais que plusieurs d'entre vous, dans cette salle, ont été désignés responsables de programmes de politique publique.
La réforme budgétaire fait de vous la pierre angulaire de la nouvelle gestion publique. Responsables identifiés d'une politique ou d'un volet d'une politique, autonomes dans votre gestion et engagés vers des objectifs précis, vous êtes porteurs d'une grande ambition : réussir votre projet, atteindre les résultats visés, en mobilisant à vos côtés l'ensemble de vos équipes.
Vous allez être au cur de cette révolution budgétaire. Et moi, je veux faire passer un message très clair de ce point de vue : rien ne se fera sans une implication totale, sans un engagement majeur de votre part.
Très concrètement, vous êtes les " managers publics " de demain, et je souhaite que votre mission de pilotage puisse se traduire par :
- une lettre de mission qui précise vos objectifs et les moyens dont vous disposez pour les atteindre
- une rémunération au mérite, en cohérence avec cette logique de performance. J'estime que les primes au mérite devraient pouvoir atteindre une part significative, par exemple 20 %, de votre rémunération.
Le 14 avril prochain, je réunirai l'ensemble de ces responsables de programme, pour leur indiquer dans quel esprit je veux poursuivre la mise en uvre de la LOLF. J'ai demandé d'ailleurs qu'ils puissent être réunis très régulièrement, comme ils en avaient eux-mêmes exprimé le souhait.
Ce " forum " des responsables de programme doit devenir, à travers les échanges et les expériences de chacun, une sorte d'école des bonnes pratiques, pour que la culture du changement se diffuse le plus largement possible, dans l'ensemble des administrations. Parce que chacun de ces responsables de programmes vont avoir à affronter de vraies difficultés.
Ne nous y trompons pas : la révolution ne se fera pas en un jour, et c'est au quotidien qu'il faudra surmonter les problèmes, en répondant à des question essentielles :
- quelles priorités choisir ?
- où trouver des marges de manuvre ?
- comment être plus performant ?
- comment réorganiser au mieux son équipe ?
J'attends donc beaucoup de cette mise en commun des expériences, et de cette remise en question de toutes les habitudes de notre administration. C'est évidemment un enjeu absolument majeur pour réussir cette mutation budgétaire et vous pouvez compter sur moi pour m'investir personnellement à ce sujet.
2) La réforme de la responsabilité des comptables
Pour conclure, je voudrais vous dire que je considère que l'un des enjeux de la LOLF sera également d'adapter la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Je sais que vous abordez très largement cette question demain, avec le directeur général de la comptabilité publique, aussi je ne m'y appesantirai pas.
J'ai déjà engagé plusieurs réformes pour mieux cibler le champ du débet et confier au juge des comptes le pouvoir de reconnaître la situation de force majeure. Et je me félicite que ces propositions résultent d'échanges réguliers et étroits avec la Cour. La bonne entente de nos institutions est le signe de cet esprit consensuel de la LOLF, et nous continuerons naturellement à travailler de concert.
Mais je souhaite que nous allions plus loin, en particulier sur la question des conditions dans lesquelles on pourra continuer à accorder des "remises gracieuses" aux comptables.
Je veux mettre un terme au flou actuel. Les débets, qui sont arrêtés par le juge financier, constituent un élément essentiel dans la mise en jeu de la responsabilité des comptables publics. En conséquence, l'éventuelle " remise gracieuse " par le ministre ne doit souffrir aucune approximation.
Je souhaite qu'une grille d'analyse soit arrêtée afin d'objectiver les conditions dans lesquelles seront effectuées ces remises gracieuses. En particulier, je souhaite que chaque comptable établisse un plan de contrôle, et je m'assurerai que ces plans auront bien été respectés avant de lever un quelconque débet.Le pouvoir de remise devra être conditionné à la qualité du travail accompli. Car avec la LOLF, il faut que les comptables publics soient pleinement responsablesde la tenue des comptes - qui doivent être réguliers, sincères et fidèles - et du respect des procédures.
J'ai bien conscience que le succès de la LOLF repose sur l'engagement de l'ensemble des agents. Il appartient aux différents responsables, chacun à leur niveau, de donner aux objectifs pris devant le Parlement un sens concret dans l'activité des services dont ils ont la charge. Aux responsables aussi de laisser, en contrepartie de ces engagements, une part d'initiative à chaque agent. Et de les évaluer en toute objectivité, en fonction des performances individuelles et collectives.
Je voudrais pour finir vous redire à tous ma détermination à ne rater sous aucun prétexte ce grand rendez-vous que constitue la LOLF.
Nous sommes à pied d'uvre, jour après jour, avec tous les acteurs de la réforme. Chacun doit apporter sa pierre à l'édifice : cela suppose l'implication et la mobilisation de tous, au service d'une réforme qui s'inscrit pleinement dans les valeurs qui sont les nôtres :
- l'engagement
- le courage politique
- le sens de l'intérêt général.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 avril 2005)
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d'abord saluer l'initiative de ce colloque, organisé par la Cour, et vous remercier de m'accueillir ici pour conclure les travaux de cette première journée.
Je suis très heureux que ce terme de responsabilité ait retenu toute votre attention, car il est au cur même de toute la démarche de la révolution budgétaire que nous sommes en train de vivre. Car la responsabilité, c'est à la fois l'idée de l'engagement, du courage, d'une mission réfléchie et assumée.
Et c'est précisément ce que nous sommes en train de faire avec la LOLF : conduire et assumer un rendez-vous, qui est un rendez-vous absolument historique.
I. La LOLF est une véritable révolution qui va changer toutes nos habitudes
Vous êtes tous des responsables publics. Vous êtes donc les mieux placés pour savoir ce qui, depuis des années et des années, mine l'action de l'État. À savoir ses difficultés à tenir les comptes et à rendre des comptes :
- à tenir les comptes d'abord, puisque nous sommes dans un pays qui a pris l'habitude d'être drogué à la dépense publique : nos dépenses publiques aujourd'hui consomment plus de la moitié de la richesse produite, soit presque 7 points de plus que la moyenne de la zone euro.
Et le résultat, c'est qu'en 20 ans, l'encours de la dette a été multiplié par cinq et dépasse la barre symbolique des 1 000 milliards de dettes, avec une charge d'intérêts qui représente aujourd'hui presque l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu.
- une incapacité à rendre des comptes d'autre part, notamment à la représentation nationale. Nous étions dans un système absurde qui consistait à s'écharper sur 5 % du budget (les mesures nouvelles) et à reconduire les yeux fermés les 95 % restants (les services votés). D'où un budget peu lisible, un débat parlementaire atone et tronqué auquel s'ajoute un sentiment général d'irresponsabilité des administrations, puisque la plupart des rapports et des recommandations restaient lettre morte.
Désormais tout cela va changer. Et cela va changer brutalement ; soyons tous bien conscients qu'au 1er janvier 2006, l'ancien ticket n'est plus valable ! Nous serons passés à un système totalement différent. Et c'est, de ce point de vue, le levier le plus puissant de réforme de l'État. Depuis des années, on parle aux Français de la réforme de l'État, mais c'était toujours pour demain... Là, la réforme est en marche et nous sommes à pied d'uvre pour en tirer tous les bénéfices possibles, à tous les niveaux : c'est pourquoi je voudrais vous donner quelques exemples de ce qui fait de la LOLF, à mes yeux, une vraie révolution.
II. Les grands principes fondateurs de la LOLF, telle que je veux la mettre en uvre
1) Ma première conviction, c'est qu'avec la LOLF, la France a doté son État d'une véritable démarche d'entreprise : ce qui compte désormais, ce n'est plus la dépense supplémentaire, mais la réforme structurelle. Celle qui va permettre de financer de nouvelles priorités par des gains de productivité.
Autrement dit, ce qu'il faudra regarder de très près dans les budgets nouvelle formule, ce ne sont plus les dépenses des ministères, mais leurs efforts. Et un bon ministre, ce ne sera plus celui qui obtient une grosse enveloppe, mais celui qui gèrera le plus intelligemment les crédits votés par le Parlement.
Et là, nous avons réellement des instruments au service d'une gestion performante et donc d'une meilleure maîtrise de la dépense publique. C'est tout l'objet des réunions d'économies structurelles que je viens de tenir. Personnellement, j'en tire deux enseignements très positifs :
- premièrement, les ministères ont joué le jeu : tous les sujets ont été mis sur la table : effectifs, gains de productivité, mode de financement des investissements. Il n'y a eu aucun sujet tabou ;
- deuxièmement : de très nombreuses pistes de réforme ont été proposées, avec de vraies économies à la clé.
Quelques exemples :
la rationalisation des achats, en professionnalisant nos pratiques et en ayant recours aux nouvelles technologies d'information et de communication. C'est ce que nous expérimentons actuellement au MINEFI, avec 50 M d'euros d'économies à la clé pour 2005. Et c'est cette expérience que nous voulons généraliser au niveau de l'État, pour parvenir à un gain total de 1 à 1,5 Md d'euros à terme (sur un budget actuel de 10 Md d'euros). Autant de marges de manuvre qu'on peut utiliser ailleurs !
autre source d'économies : l'externalisation de certaines missions auprès de prestataires privés (ex. au ministère de la Défense pour la formation des pilotes d'hélicoptères), ce qui permet à l'État de se recentrer sur son cur de métier ;
dernier exemple : la gestion performante du patrimoine immobilier. Cela passe notamment par des cessions, avec un objectif fixé par le Parlement de 850 M d'euros en 2005 : des programmes interministériels sont en cours, avec des opérations significatives (je note au passage que la Cour des comptes y participe à sa mesure, en cédant notamment des murs de boutiques au rez-de-chaussée de la rue Saint-Honoré !).
Nous allons dans les prochains jours transmettre au Premier ministre les résultats de ces conférences d'économies structurelles ; et nous aurons ainsi une vision claire des gains de productivité et donc des marges de manuvre dégagées, politique publique par politique publique.
2) La deuxième idée sur laquelle je voudrais insister, c'est que c e qui compte aussi désormais, c'est de savoir, pour chaque euro tiré de l'argent des Français, s'il est utilement dépensé.
Cela veut dire qu'on va se poser en permanence la question : quels moyens pour quels objectifs ? et pour quels résultats ? Bref : que veut-on faire de l'argent public ?
Tout cela implique une vraie réflexion stratégique. Par exemple à quoi sert l'école primaire ? quels objectifs lui assigne-t-on ? Les résultats obtenus sont-ils à la hauteur des moyens mis en uvre ? Et là, on inverse la logique habituelle : on ne raisonne plus en termes de moyens (combien faut-il en plus ?) mais en termes de résultats (l'argent dépensé a-t-il été utile ?). La LOLF donne un cadre méthodologique : on ne pourra plus éluder ce type de questions.
3) Troisième moteur de changement : l'évaluation. C'est évidemment une vraie révolution culturelle ! Depuis le temps, là aussi, qu'on parle d'évaluation des politiques publiques sans en faire ! Nous allons enfin être en mesure de rendre des comptes, pour chaque politique publique. Autrement dit, chaque engagement pris sera suivi, en toute transparence, au moyen d'indicateurs précis. Et comme n'importe quelle entreprise, nous aurons nos " auditeurs " : les parlementaires, les journalistes, et bien sûr la Cour des comptes, qui pourra pleinement jouer son rôle, en toute connaissance de cause.
Actuellement, nous sommes au début de cette grande aventure. Et personne n'a la vérité révélée. Nous avons donc besoin de la bonne volonté de chacun !
Concrètement où en sommes-nous ? Avec un an d'avance, nous avons présenté une première copie au Parlement à l'automne dernier, avec 670 objectifs et 1 300 indicateurs répartis par mission et programme. Je vais vous dire les choses franchement : j'ai besoin de l'aide du Parlement et de la Cour des comptes pour vérifier que chacun des indicateurs de performance est vraiment pertinent.
J'ai d'ailleurs l'intention de tenir le plus grand compte des observations et des remarques qui nous ont été formulées. Je viens à ce propos de faire parvenir à l'ensemble des ministres une circulaire pour faire le point sur les efforts à accomplir de ce point de vue.
Et c'est pour poursuivre ce travail que j'ai pris l'initiative des " conférences de gestion publique " qui se tiendront au mois de mai : avec Thierry Breton, nous allons rencontrer tous les ministres un à un pour définir avec eux les stratégies, les objectifs et les indicateurs de chaque programme. Et fixer la cible de résultat à atteindre pour 2006.
Du coup, le débat d'orientation budgétaire de juin, qui était purement rituel, et ensuite le débat budgétaire à l'automne, deviendront des vrais rendez-vous avec le Parlement sur les orientations des politiques publiques et la meilleure allocation des ressources en fonction de nos objectifs.
4) Car tout cela, et c'est mon quatrième point, doit se faire avec en ligne de mire un objectif majeur : la performance.
Toutes les administrations doivent se mettre en position d'être performantes : elles n'auront d'ailleurs plus le choix. On ne leur demandera plus de dire combien de moyens ou d'effectifs elles ont mobilisé, mais si elles ont su être efficaces, productives et innovantes.
Je prendrai un exemple, qui est au premier rang de la préoccupation des Français : c'est celui de l'emploi. Comment avoir une politique de l'emploi performante ? Et comment mesurer cette performance ?
Aujourd'hui, dans le PLF 2005, la mission travail, c'est 31 Md d'euros. Comment savoir si ces 31 Md sont bien employés ? Moi, je crois qu'il y a dans les objectifs et les indicateurs de performance de quoi vraiment avoir des réponses à ce sujet. Car ce qu'on entend par performance, ce sont trois choses :
- d'abord une action qui prouve son efficacité.
Exemple : dans le PLF 2005, un indicateur permet de mesurer l'évolution de l'emploi dans les secteurs " délocalisables " par rapport à l'évolution de l'emploi total. L'idée, c'est de savoir si, oui on non, les mesures mises en uvre pour préserver ce type d'emplois, que l'on sait fragiles, ont été efficaces. Donc, si elles auront été performantes.
- une action performante, c'est aussi une qualité de service rendu. Un indicateur nous permettra par exemple de mesurer la part de marché de l'ANPE, ou encore d'évaluer si les entreprises sont satisfaites ou non des candidats que l'ANPE lui a adressés. On saura ainsi précisément si l'ANPE améliore ses performances, et si elle remplit ses missions.
- c'est enfin une gestion au moindre coût, ce qu'on appelle l'efficience.
Très concrètement, cela voudra dire qu'on examinera les résultats obtenus au regard de la dépense occasionnée. Plus question de garder des dispositifs coûteux qui ne servent à rien.
Dans le domaine fiscal, nous avons donné à cela une conséquence immédiate : le Gouvernement a en effet décidé qu'à l'avenir toute mesure fiscale dérogatoire, toute dépense fiscale sensée contribuer à une politique publique déterminée, serait adoptée pour une durée limitée ; ceci permettra ensuite qu'elle ne soit reconduite qu'après l'évaluation précise de ses effets.
5) Enfin, dernier point sur lequel je voudrais insister au sujet de la LOLF : pourquoi faisons-nous tout cela ? Quel est le vrai ressort de cette révolution budgétaire ? C'est bien évidemment de renouveler en profondeur le rapport entre le citoyen et le responsable public. C'est donc l'ensemble de la gouvernance qui va changer, dans un monde où chacun assume ses responsabilités.
C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons confié à Alain Lambert et Didier Migaud une mission majeure, qui permettra de renforcer encore l'impact de la LOLF, et d'en tirer toutes les conséquences :
- pour faire évoluer la régulation budgétaire, et la rendre plus responsabilisante (nous pensons par exemple à une réserve de précaution, annoncée en toute transparence dès la loi de finances initiale) ;
- pour s'adapter aux évolutions du travail du Parlement et lui permettre d'exercer tout son pouvoir de contrôle ;
- pour étendre encore les principes de la LOLF aux établissements publics ou même aux organismes de la sécurité sociale ;
- et enfin pour tirer tout le profit de la LOLF en terme d'évolution du management public. Pour que ce mot de " responsabilité " qui nous réunit aujourd'hui prenne vraiment tout son sens.
III. LOLF et responsabilité
1) les responsables de programme
Je sais que plusieurs d'entre vous, dans cette salle, ont été désignés responsables de programmes de politique publique.
La réforme budgétaire fait de vous la pierre angulaire de la nouvelle gestion publique. Responsables identifiés d'une politique ou d'un volet d'une politique, autonomes dans votre gestion et engagés vers des objectifs précis, vous êtes porteurs d'une grande ambition : réussir votre projet, atteindre les résultats visés, en mobilisant à vos côtés l'ensemble de vos équipes.
Vous allez être au cur de cette révolution budgétaire. Et moi, je veux faire passer un message très clair de ce point de vue : rien ne se fera sans une implication totale, sans un engagement majeur de votre part.
Très concrètement, vous êtes les " managers publics " de demain, et je souhaite que votre mission de pilotage puisse se traduire par :
- une lettre de mission qui précise vos objectifs et les moyens dont vous disposez pour les atteindre
- une rémunération au mérite, en cohérence avec cette logique de performance. J'estime que les primes au mérite devraient pouvoir atteindre une part significative, par exemple 20 %, de votre rémunération.
Le 14 avril prochain, je réunirai l'ensemble de ces responsables de programme, pour leur indiquer dans quel esprit je veux poursuivre la mise en uvre de la LOLF. J'ai demandé d'ailleurs qu'ils puissent être réunis très régulièrement, comme ils en avaient eux-mêmes exprimé le souhait.
Ce " forum " des responsables de programme doit devenir, à travers les échanges et les expériences de chacun, une sorte d'école des bonnes pratiques, pour que la culture du changement se diffuse le plus largement possible, dans l'ensemble des administrations. Parce que chacun de ces responsables de programmes vont avoir à affronter de vraies difficultés.
Ne nous y trompons pas : la révolution ne se fera pas en un jour, et c'est au quotidien qu'il faudra surmonter les problèmes, en répondant à des question essentielles :
- quelles priorités choisir ?
- où trouver des marges de manuvre ?
- comment être plus performant ?
- comment réorganiser au mieux son équipe ?
J'attends donc beaucoup de cette mise en commun des expériences, et de cette remise en question de toutes les habitudes de notre administration. C'est évidemment un enjeu absolument majeur pour réussir cette mutation budgétaire et vous pouvez compter sur moi pour m'investir personnellement à ce sujet.
2) La réforme de la responsabilité des comptables
Pour conclure, je voudrais vous dire que je considère que l'un des enjeux de la LOLF sera également d'adapter la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Je sais que vous abordez très largement cette question demain, avec le directeur général de la comptabilité publique, aussi je ne m'y appesantirai pas.
J'ai déjà engagé plusieurs réformes pour mieux cibler le champ du débet et confier au juge des comptes le pouvoir de reconnaître la situation de force majeure. Et je me félicite que ces propositions résultent d'échanges réguliers et étroits avec la Cour. La bonne entente de nos institutions est le signe de cet esprit consensuel de la LOLF, et nous continuerons naturellement à travailler de concert.
Mais je souhaite que nous allions plus loin, en particulier sur la question des conditions dans lesquelles on pourra continuer à accorder des "remises gracieuses" aux comptables.
Je veux mettre un terme au flou actuel. Les débets, qui sont arrêtés par le juge financier, constituent un élément essentiel dans la mise en jeu de la responsabilité des comptables publics. En conséquence, l'éventuelle " remise gracieuse " par le ministre ne doit souffrir aucune approximation.
Je souhaite qu'une grille d'analyse soit arrêtée afin d'objectiver les conditions dans lesquelles seront effectuées ces remises gracieuses. En particulier, je souhaite que chaque comptable établisse un plan de contrôle, et je m'assurerai que ces plans auront bien été respectés avant de lever un quelconque débet.Le pouvoir de remise devra être conditionné à la qualité du travail accompli. Car avec la LOLF, il faut que les comptables publics soient pleinement responsablesde la tenue des comptes - qui doivent être réguliers, sincères et fidèles - et du respect des procédures.
J'ai bien conscience que le succès de la LOLF repose sur l'engagement de l'ensemble des agents. Il appartient aux différents responsables, chacun à leur niveau, de donner aux objectifs pris devant le Parlement un sens concret dans l'activité des services dont ils ont la charge. Aux responsables aussi de laisser, en contrepartie de ces engagements, une part d'initiative à chaque agent. Et de les évaluer en toute objectivité, en fonction des performances individuelles et collectives.
Je voudrais pour finir vous redire à tous ma détermination à ne rater sous aucun prétexte ce grand rendez-vous que constitue la LOLF.
Nous sommes à pied d'uvre, jour après jour, avec tous les acteurs de la réforme. Chacun doit apporter sa pierre à l'édifice : cela suppose l'implication et la mobilisation de tous, au service d'une réforme qui s'inscrit pleinement dans les valeurs qui sont les nôtres :
- l'engagement
- le courage politique
- le sens de l'intérêt général.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 avril 2005)